vendredi 4 août 2017

Venezuela et le renouvellement des élites... Un autre point de vue colombien


Par Luis Eduardo Celis in La silla vacia

Il y a plusieurs crises au Venezuela. Elles s'articulent dans une dispute entre projets de société, leaderships et légitimités qui ne peuvent être évalués de manière isolée. C'est une crise pleine de contradictions.

Pour une compréhension plus rigoureuse, il conviendrait de présenter le Chavisme comme alternative à des élites républicaines qui avaient envisagé un projet de rente pétrolière et qui n'avait pas créé une économie permettant d'engendrer des capacités diversifiées et démocratiques. Ce modèle, qui est entré rapidement en crise, a eu comme réponse un dirigeant qui a su offrir une alternative. De manière charismatique, il s'est érigé en "liquidateur" d'une tradition politique qui avait été hégémonique dans la conduite de la société vénézuélienne pendant tout le XXème siècle. Les "Adecos" (sociaux libéraux) comme les "Copeianos" (démocrates chrétiens) ont été anéantis politiquement et démocratiquement par l'alternative présentée par Hugo Chávez à la fin du siècle précédent.

Cette élite politique liquidée n'a aujourd'hui aucune capacité de leadership. Et pendant près de 20 ans de "Chavisme", ils ne sont pas arrivés à positionner un discours de changement face à cette vieille tradition.

A la base de la crise, il y a la bataille entre différents projets de société. Des projets qui ne sont pas clairement définis et qui restent relativement superficiels. Avec des simplifications que les adversaires se chargent d'accentuer.

Pour comprendre cette crise, il faut aller au delà du débat et des grands discours. Il faut penser que la crise de la société vénézuélienne va au delà des "Chavistes" et de la "MUD". 

S'il est vrai qu'il faudrait évaluer l'exercice de près de 20 ans de gouvernement du "Chavisme", je considère que les défis de la société vénézuélienne débordent le cadre du débat politique et questionnent les bases d'une société profondément fragile dans son ordre économique et social. Dit de manière simple, la crise de l' "Etat Pétrolier" est plus qu'une crise conjoncturelle et elle questionne les possibilités de la société vénézuélienne à construire une société de droits et une citoyenneté de qualité.

En nous arrêtant sur la crise de la société vénézuélienne et sa profonde dépendance au pétrole (avec toute la fragilité que cela sous-tend), il faudrait en arriver à l'évaluation des débats actuels et à la pugnacité qui fait du Venezuela une société divisée.

Avant Chavez, la rente pétrolière était concentrée entre les mains d'élites florissant au milieu d'une pauvreté offensée. Chavez a capitalisé ce mécontentement et a proposé une "redistribution élargie" de la rente pétrolière. Mais la grande question de la société vénézuélienne, la diversification économique et la construction d'une économie sociale démocrate n'a pas été résolue.

Le rayonnement politique du Chavisme s'est basé sur un discours qui a cherché à prendre ses distances par rapport aux Etats-Unis. Un projet d'autonomie et de revendication des intérêts latinoaméricains a été proposé. Cela a coïncidé avec une montée des forces de gauche dans une bonne partie du continent, forces qui ont été soutenues par le "chéquier pétrolier", donnant au Chavisme et au Vénézuela un leadership dans le continent.

Le Chavisme a oscillé entre les alliances avec des secteurs du pouvoir économique et sa lutte contre eux. Ceci a peu à peu détruit sa capacité précaire d'approvisionnement et d'autosuffisance. Des secteurs clefs comme l'agroalimentaire et les médicaments n'ont jamais été consolidés et, en dépendant des achats internationaux, ils se sont retrouvés enchaînés à la baisse des prix du pétrole. L'argumentaire chaviste explique qu'ils ont été soumis à une "guerre économique", de fait, les signes de désapprovisionnement et de pénurie ont augmenté de manière dramatique.

De son côté, l'opposition a mis l'accent sur le désastre économique d'une société habituée aux subventions et au "paternalisme" qu'il avait été possible d'exercer quand les prix du baril de pétrole tournait autour des 100 dollars.

Il y a de toute évidence une confrontation ouverte dans la société vénézuélienne. Mais le maniement médiatique, tout au moins ce que nous voyons en Colombie, ne montre pas la profondeur de la crise et en reste à la superficie d'une manipulation sur les "bons" et les "mauvais", les "démocrates" et les "tyrans", qui simplifie à l'extrême une situation plus complexe.

Bien sur qu'il y a des excès, des violences des deux côtés et le non respect des institutions. Mais nous devrions prendre de la distance sur le fait que le débat et la confrontation correspondent à une dispute entre des projets, car en réalité, il n'y a pas grand chose dans les propositions et dans les projets pour dépasser la fragilité d'une économie pétrolière. Une économie dépendante et fragile. C'est un thème qui est débattu et reconnu comme crucial par la société vénézuélienne, mais qui n'est pas résolu.

La Constituante va de l'avant et la crise politique va s'approfondir. Pour le moment, ce que nous allons voir, c'est une détérioration de l'action politique institutionnelle et une mobilisation dans les rues qu'il est difficile de mesurer en terme de légitimité et de soutien de la société vénézuélienne.

Au beau milieu de cette crise, aucun tiers ne sera déterminant dans la réalité politique du Venezuela et les forces politiques internes devront construire les concertations nécessaires.

@luchocelisnai
Sociologue colombien, assesseur de Redprodepaz

Traduction : CM





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