lundi 21 décembre 2020

La loi de la nature qui ne peut pas s'acheter, pour réinventer la démocratie


Par William Ospina
Source : El Espectador

Au début du XIXème siècle, Humboldt a dit que la colonisation avait laissé parmi nous tant de strates et d'exclusions, qu'il nous serait difficile d'apprendre à nous regarder un jour comme des concitoyens. Il y avait d'abord les conquêtes et ensuite les découvertes. C'est pourquoi nous continuons à essayer de découvrir l'Amérique depuis des siècles. Nous n'avons pas vu les pyramides, les têtes olmèques, les dieux du maïs. Les millénaires sont enterrés. Des kilomètres de pétroglyphes peuvent être invisibles pendant des siècles. Nous avons beaucoup tardé à rencontrer Machu Picchu. Ce que nous apprenons en dernier, c'est ce qui est le plus proche.

Des mots qui venaient de très loin cherchaient à nous nommer, mais entre la réalité et le langage, il y avait un vide, et c'est là que s'installaient les fantômes. Parce que tout colonialisme est un manuel d'instructions pour vivre dans un autre monde. Au début, l'écriture était faite pour nous expulser, nous voler. Pendant des siècles, la blague américaine la plus violente a été : "Les indiens veulent voler nos terres" et on l'écoute encore par ici. La signature vaut plus que le visage, et c'est dans cette tranchée que se tapissent les bureaucraties, qui exigent chaque jour que nous démontrions qui nous sommes.

Ils ne veulent pas que nous regardions la réalité comme notre demeure mais comme notre péché originel. Et voilà comment nous regardons le peyotl, le yagé, la chicha, la feuille de coca. L'aveuglement était enseigné et souvent, nous avions besoin d'yeux extérieurs pour nous regarder. Nous avions besoin de Mutis, d'Humboldt, de Reichel-Dolmatoff. Nous étions séduits par la civilisation européenne mais nous nous sentions extraterrestres, coupables de ne pas voir Phryné et l'Appolon du Belvédère dans le miroir. Plus tard, nous avons découvert le problème : leur gant est plus petit que la main. L'Europe n'a pas de réponses à nos défis, parce qu'elle ne connait pas les jungles, ni les immenses mines de sel, ni la flore équinoxiale, ni les climats divers et simultanés, ni les quatre saisons dans la même journée.

Pour penser la démocratie, il ne faut pas renoncer à l'idéal mais il est nécessaire de renoncer à la culpabilité. La démocratie était abimée depuis le début. Les esclaves n'entraient pas dans la démocratie grecque. Dans celle des Etats-Unis non plus. Et dans celle de la révolution française, ce sont les haïtiens qui ne sont pas entrés. Ils nous l'ont apportée comme quelque chose de terminé, mais nous avons dû l'élargir et la corriger. Et il reste encore beaucoup de choses qui continuent à rester en dehors.

Dans la démocratie que nous ont légué les pères et les mères de l'Indépendance, les indiens et les enfants d'Afrique n'avaient pas leur place. Dans celle où se sont faufilés les propriétaires terriens et le clergé, n'entraient pas les femmes, ni les pauvres, ni les idées, ni les livres. Dans celle que nous ont forgé les libéraux, n'entraient pas les mythes, ni les millénaires, ni les langues maternelles, ni le métissage. Et dans celle que nous ont vendu les néo-libéraux, n'entrent ni la nature, ni le territoire, ni la mémoire, ni le futur. Maintenant, la planète nous fait payer la facture, et dans le monde entier, le modèle se révèle insuffisant. C'est la globalisation des choses et des ordures qui a triomphé, cette globalisation étrange, toujours plus fermée aux migrants et à l'humain. Les pouvoirs qui obligent les pauvres à fuir sont les mêmes que ceux qui ferment les portes et lèvent des murs.

Il nous faut maintenant tout repenser, car si le village ne tient pas dans l'univers, l'univers ne tient pas dans le village. Il s'avère que maintenant, les multinationales ne veulent pas de la forêt amazonienne parce qu'elles ont besoin de planter du soja, les entreprises minières ne respectent pas les zones humides parce qu'elles ont besoin d'or, les entreprises pétrolières détruisent l'eau parce qu'elles ont besoin du pétrole et les politiciens ne regardent pas les êtres humains parce qu'ils ont besoin de voix. De la même manière, les entreprises pharmaceutiques ne veulent pas de la santé parce qu'elles ont besoin de leurs malades, et les médias ne veulent pas de la vérité, parce que c'est l'adrénaline qui se vend.

Dans notre continent, nous avons vécu longtemps dans le décalage des horloges. Nous voyagions dans un wagon de troisième classe vers le développement jusqu'à ce que le développement ne devienne du pétrole qui réchauffe l'atmosphère, des scies électriques qui coupent la forêt, des glaciers qui fondent, des villes qui s'asphyxient, des mers qui montent, des plastiques qui inondent la terre, la mer et même nos vaisseaux sanguins. Il aurait été utile de prendre conscience à temps que notre monde ne tenait pas dans ces manuels, et qu'il ne pouvait pas se marier avec ces gants. Certains peuples originaires ont compris les premiers que l'idée d'un Dieu qui avait forme humaine, pille les cieux de ses jaguars et condamne à mort les iguanes et les oiseaux. Il faut savoir que le jaguar n'est pas juste un animal, mais la santé d'un écosystème. Et que l'être humain, pour survivre, doit représenter la santé du monde. Savoir cela, c'est la démocratie. Avec son petit chapeau et son costume kaki, on le voit bien éloigné et décadent maintenant, Ernest Hemingway qui démolit des éléphants. Et aujourd'hui, les jeunes ont besoin de tout leur amour du vertige et du danger pour devenir les sauveurs des jaguars et des requins, de la mer et des lichens.

Un ordre aussi précaire ne justifie pas des dépenses militaires aussi exorbitantes et qui abusent de leurs armes. Je crois que nous ne survivrons pas sans une réinvention passionnée de la démocratie. Réussir une politique où ont leur place l'eau et l'oxygène, les jungles et les territoires, les fleuves et les aliments, l'austérité et la responsabilité, une démocratie où tiennent la beauté et l'imagination. En Colombie, on a beaucoup dit qu'il est impératif de faire sortir les armes de la politique. Il y a quelque chose d'aussi urgent mais beaucoup plus difficile : faire sortir l'argent de la politique et y mettre les gens. C'est peut-être le principal changement dont a besoin la démocratie, pour que tiennent en elle les sources et la santé, l'éducation et la nature, la famille et la protection de la vieillesse, le travail et le territoire.

Il y a comme un devoir moral, mais surtout un exercice de survie, à faire sortir l'argent de la politique : Mettre un frein à la ploutocratie, au commerce des sièges, au lobby des corporations, au pouvoir anti-démocratique de la finance, à la politique des affaires. Une politique de l'initiative citoyenne et des communautés réelles. Des élections sans aucun coût, sans autre publicité que l'imagination et l'initiative populaire, des administrations austères, des gouvernants sans privilèges, la politique comme service public, et pas ce bazar de l'envie, de la haine et de l'ambition.

Certains diront que c'est impossible, mais il faut dire que c'est nécessaire. L'époque offre des possibilités illimitées pour la pédagogie et la créativité. Par le bac à vaisselle de la ploutocratie, tout débouche sur la renonciation à toute légalité. De manière croissante, les plus grands négoces mondiaux se font sur le dos des gens. Que toute une partie du monde soit déjà sous le pouvoir des mafias n'est pas un accident, c'est l'accomplissement d'un système qui achète tout et vend tout.

Voilà pourquoi nous avons besoin de nous allier à une loi qui ne puisse pas être achetée. Cette loi ne se trouve que dans la nature et elle va nous parler de plus en plus durement. Cette pandémie est en train de nous le montrer, ce n'est qu'un début.

Traduction : CM




dimanche 13 décembre 2020

Trois manières de sortir de la pandémie. Boaventura de Sousa Santos


Entretien avec Bernarda Llorente.
Source : Página 12

Le sociologue essayiste portugais Boaventura de Sousa Santos est un grand penseur actuel des mouvements sociaux, auteur d'une oeuvre très étendue dans lequel se détachent des titres comme "Une épistémiologie du Sud", "La Démocratie au bord du chaos : Essai contre l'autoflagellation" et "La fin de l'empire cognitif". Depuis plusieurs décennies, il cherche à radiographier la vie et les modes de subsistance des communautés les plus vulnérables. Son champ d'action l'a amené à s'intéresser aussi bien aux conditions de vie dans un camp de réfugiés en Europe, qu'aux formes d'organisation des communautés originaires d'Amazonie ou des quartiers populaires de Buenos Aires. 

Sousa Santos est né au Portugal, il y a 80 ans, dans la ville de Coïmbra, où il réside la moitié de l'année depuis qu'il a pris sa retraite du poste d'enseignant de la Faculté d'Economie. Il a obtenu un doctorat en sociologie de l'université de Yale, et il a donné des cours à la Faculté de Droit de l'Université du Wisconsin-Madison aux Etats-Unis, où il passe l'autre moitié de l'année. Dans ses textes, il déconstruit les concepts classiques des sciences sociales pour comprendre le monde et les revitalise avec l'objectif de construire des savoirs "qui donnent de la visibilité aux groupes historiquement opprimés". 

  • Quel futur pouvons-nous espérer après la pandémie ? Comment serons-nous capables de penser et de construire le monde post-pandémie ?
La pandémie a créé une telle incertitude, que les gouvernements, les citoyens, les sociologues et les épidémiologistes ne savent pas ce qui va se passer. Je viens de publier "Le futur commence maintenant : De la pandémie à l'utopie" où j'explique que cette pandémie marque le début du XXIème siècle. De la même façon que le XIXème siècle n'a pas commencé le 1er janvier 1800 mais en 1830 avec la révolution industrielle, ou que le XXème siècle a commencé en 1914 avec la première guerre mondiale et la révolution russe de 1917, pour moi, le XXIème siècle commence avec la pandémie, parce qu'elle s'inscrira comme une marque très forte dans toute la sociabilité de ce siècle. Et elle le sera parce que, malgré tous les vaccins qui existeront, le modèle de développement, de consommation et de production que nous avons créé, amène à ce qu'il ne soit pas possible pour le moment de pouvoir en sortir. 

Nous allons entrer dans une période de "pandémie intermittente", de confinement/déconfinement où le virus aura des mutations, où il y aura un vaccin efficace pour certains et d'autres non, où viendront d'autres virus. Le néo-extractivisme, qui est une exploitation de la nature sans aucun précédent, est en train de détruire les cycles vitaux de restauration. Et donc l'ensemble des milieux sont affectés par l'exploitation minière à ciel ouvert, l'agriculture industrielle brutale, les insecticides et pesticides, la pollution des fleuves, la disparition des forêts... Tout cela, avec le réchauffement global et la crise écologique, fait que les virus passent de plus en plus entre les animaux et les humains. Or, nous, humains, nous ne sommes pas préparés, nous n'avons pas d'immunité, nous ne savons pas comment l'affronter.

  • Y'a-t-il une conscience de la gravité ? Y'a-t-il des solutions ?
Je vois trois scénarios possibles et je ne sais pas ce qui arrivera finalement. Le premier scénario, c'est celui qui a été mis en circulation fondamentalement par des gouvernements de droite et d'extrême droite (du Royaume-Uni aux Etats-Unis, en passant par le Brésil) et qui affirme que cette pandémie est une grippe, que ce n'est pas grave, que ça va passer et que la société reviendra rapidement à la normalité. Bien sur que cette "normalité" est un enfer pour une grande partie de la population mondiale. C'est la normalité de la faim, des autres épidémies, de la pauvreté, des quartiers délabrés, du logement insalubre, des travailleurs de la rue, de la débrouille. C'est un scénario distopique, très préoccupant. Parce que cette "normalité" équivaut à revenir à des conditions de vie que les gens ne supportaient plus et remplissaient les rues de nombreux pays en criant "Basta" (Assez!).

L'autre scénario possible, c'est ce que j'appelle le guépardisme, en me référant au roman de Lampedusa de 1958. C'est l'idée que tout change pour tout continue, pareil. Les classes dominantes d'aujourd'hui sont plus attentives à la crise sociale et économique. Les pages éditoriales du Financial Times sont un bon exemple de ce deuxième scénario. Elles disent clairement que ça ne peut plus continuer. Qu'il faudra modérer un peu la destruction de la nature et changer quelque chose dans la matrice énergétique. C'est faire quelques concessions pour que rien ne change et que le capitalisme redevienne rentable. Et donc, la destruction de la nature continuera et la crise écologique sera peut-être retardée mais non résolue. L'Europe s'engage un peu dans ce scénario, où l'on parle de transition énergétique, mais il me semble que cela ne va pas résoudre les problèmes. Cela retardera peut-être le mécontentement, les protestations sociales, mais cela ne pourra pas solder la question pandémique.

Le troisième scénario est peut-être le moins probable, mais il représente aussi la grande opportunité que cette pandémie nous a donné. C'est la possibilité de penser d'une autre manière : un autre modèle de civilisation, différent de celui qui vient du XXVIIème siècle, qui s'est approfondi ces 40 dernières années avec le néolibéralisme. Avec le coronavirus, les secteurs privilégiés sont restés plus longtemps dans leurs maisons, avec leurs familles, ils ont découvert d'autres manières de vivre. Bien sur, cela n'a concerné qu'une minorité, le monde n'est pas cette classe moyenne qui peut respecter la distanciation physique, se laver les mains, porter des masques... La grande majorité ne peut pas. Voilà la grande opportunité pour commencer une transition vers un nouveau modèle de civilisation, parce qu'il est impossible de le faire d'un jour à l'autre. Et cette transition commencera là où il y aura le plus de consensus. Cela fait longtemps que ce modèle est complètement cassé, d'un point de vue social, éthique et politique. Il n'a pas de futur. C'est un changement social, de connaissances, politique et culturel. 

Difficile de savoir quel sera le scénario qui prendra le devant. Peut-être aurons-nous une combinaison des trois. Le premier scénario dans certaines parties du monde, le deuxième dans d'autres, et de plus grandes avancées dans certains pays. La politique du futur dépendra fondamentalement du scénario qui prévaudra. C'est le conflit vital des prochaines décennies.

  • Le modèle de la transition alimente l'espoir d'une société différente, mais elle présuppose aussi des reconstructions politiques différentes, en termes idéologiques et économiques, des modèles de développement, sociaux et culturels, différents. Quelles seraient les utopies face à autant de distopies ?
Ce que le néolibéralisme a créé de pire, c'est l'absence d'alternative. L'idée qu'avec la fin du socialisme soviétique et la chute du mur de Berlin, il ne reste que le capitalisme. Et même, le capitalisme le plus anti-social, qui est le néolibéralisme dominé par le capital financier. En Argentine, ils ont eu une expérience très douloureuse avec les fonds vautours. Nous avons vécu ces 40 ans dans un confinement pandémique et politique : enfermés dans le néolibéralisme. La pandémie nous ouvre une espérance de sortir du confinement. Elle nous oblige à nous confiner et en même temps, elle nous ouvre les portes à des alternatives. Parce qu'elle dévoile que ce modèle est complètement vicieux. Il y a un capitalisme corsaire qui a rendu plus millionnaires ceux qui l'étaient déjà. Le propriétaire de Zoom, que nous utilisons tant en ce moment, peut gagner 1500 millions de dollars en un mois, alors qu'avant le confinement, peu de gens le connaissait. C'est le cas aussi de Jeff Bezos, avec Amazon. La hausse des achats en ligne a fait de lui le premier trillionaire du monde. Aux Etats-Unis, lui et 7 autres hommes ont autant de richesse que les 160 millions les plus pauvres du pays, qui représentent la moitié de la population. 

Voilà ce qu'est cette concentration actuelle de la richesse, dans un capitalisme sans conscience éthique. Le mot qui me vient en ce moment, c'est "Vol". Il y a eu vol. Et les défauts de ce modèle obligent à changer la politique et cela nous donne une espérance. Ce qui est le plus terrible aujourd'hui c'est la distribution inégale de la peur et de l'espoir. Dans les quartiers du monde, les classes populaires ont surtout peur. Elles luttent, elles continuent à lutter, avec créativité. Par exemple, pendant la pandémie, elles ont protégé les communautés. Mais, abandonnées par les Etats dans la plus grande partie des pays, elles ont très peu d'espoir.

  • Vous parliez du poids qu'ont aujourd'hui les entreprises digitales qui sont devenues les plus grosses entreprises de la planète, et qui dépassent les dimensions économiques et le pouvoir de très nombreux pays. Les GAFA représentent-elles un changement dans la matrice du néolibéralisme actuel et futur ? Comment ce changement influe-t-il dans nos vies ?
Avant la pandémie, nous parlions tous déjà de la quatrième révolution industrielle, dominée par l'intelligence artificielle, la robotique et l'automotion. Avec les impressions 3D, la robotisation, l'énorme développement des technologies digitales, nous devenons chaque fois plus dépendants de ces changements technologiques. La question est de déterminer si ces technologies sont un bien public ou si elles appartiennent à quelques propriétaires. C'est le problème, maintenant. Il y a des systèmes publics, par exemple celui de l'ONU, que l'on empêche d'être offerts au monde. Les entreprises le refusent parce qu'elles souhaitent continuer à faire leurs affaires. Et elles ne sont que quelques unes... Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) et Ali Baba en Chine. Ce sont les grandes compagnies technologiques qui dominent le monde aujourd'hui et qui n'acceptent pas d'être régulées par quiconque. En ce moment, par exemple, la discussion au Congrès des Etats-Unis est claire : Mark Zuckerberg a dit qu'il n'accepte pas d'être régulé. Et comme ces entreprises ont tant de pouvoir, elles prétendents avec arrogance s'autoréguler en accord avec leurs propres intérêts.

  • En même temps, leur pouvoir dépasse le champ économique et joue un rôle fondamental en politique. La désinformation et les fake news qui arrosent les réseaux sociaux collaborent dans la dégradation des piliers structurels des démocraties.
Oui, évidemment... Et en plus, il y a cette contradition... Dans de nombreuses partie du monde, par exemple au Brésil, au Royaume Uni avec le Brexit, au Parlement européen, les fake news et l'usage des technologies digitales pour produire de fausses nouvelles ont eu un rôle fondamental dans les résultats électoraux. Bolosonaro, par exemple, n'aurait jamais été président du Brésil sans elles. Twitter est-il intervenu à ce moment-là comme il le fait aujourd'hui avec Trump aux Etats-Unis ? Non, parce que le patron de Twitter n'était pas brésilien. Twitter est intervenu quand la démocratie des Etats-Unis était en jeu. Si c'était celle du Bangladesh, d'Afrique du Sud, ou du Portugla, pas d'importance... C'est la liberté d'internet. Mais si on est aux Etats-Unis, alors là non, là on va fermer le robinet. Contradiction éternelle. Bien sur que cela appelle à une régulation plus large des réseaux au niveau global, mais manifestement, nous sommes dans un autre paradigme, où il faut travailler avec ces technologies, et en même temps, lutter contre tout le système des fausses informations.

  • Est-il possible d'y arriver ? A partir de quels mécanismes ?
C'est toute la question. Nous partons vers cette transition déjà très usés, très appauvris politiquement, parce que la politique s'est beaucoup appauvrie ces dernières 40 ou 50 dernières années. Parce que la Politique, c'est construire des alternatives. A une époque, le socialisme et le capitalisme avaient des choses en commun, par exemple, leur relation avec la nature. Mais il y avait un choix. Or, avec la chute du mur de Berlin, nous sommes restés sans choix, et donc les politiques se sont confinés dans le capitalisme et sont devenus médiocres. La politique a cessé d'être intéressante, même pour les jeunes, et les gens ont pris largement leur distance par rapport à elle. Il y a peu, j'ai discuté avec des gens qui travaillent sur le logement au Brésil, ils sont intéressés par l'idée de donner une maison digne à la population des sans-toits, mais ils n'ont pas participé aux dernières élections municipales. Parce qu'ils disent "Bof, on va élire l'un ou l'autre, mais ça ne change rien", et c'est là qu'est le danger. Que les gens pensent que les changements politiques ne changent rien, que c'est une forme de guépardisme. La politique doit recommencer à se construire. Je pense qu'à partir de maintenant, ce qui devra différencier la gauche et la droite, ce sera la capacité, parmi les groupes politiques, à créer des alternatives face au capitalisme, les alternatives d'une société différente, qui peut avoir différentes nuances. Cela sera peut-être une société qui reviendra à la prise en compte des intérêts des paysans et des indigènes du continent. Une société qui aura une relation plus harmonique avec la nature. Le capitalisme ne peut pas avoir une relation harmonique avec la nature, parce que sa matrice est dans l'exploitation du travail et l'exploitation de la nature. Donc la gauche doit prendre une dimension paradigmatique de changement vers une autre civilisation, alors que la droite va par contre continuer à toujours gérer le présent conformément aux deux scénarios évoqués plus haut. C'est la différence majeure du futur.

  • Vous évoquez différents concepts qui pourraient aider à changer les formes de construction politique. Quitter l'idée de l'utopie d'un "tout" pour la remplacer par des utopies multiples et variées, en accord avec la diversité des réalités et des rêves. Comment faire pour diversifier, segmenter, construire différentes utopies, et en même temps, faire grandir un projet global, qui soit capable de les structurer, les améliorer, les unir ?
Pour moi, ce qui est crucial dans notre temps, c'est exactement cette asymétrie avec la domination qui n'est pas seulement capitaliste, mais aussi colonialiste et patriarcale. A mon avis, le capitalisme ne fonctionne pas sans racisme et sans sexisme. Par contre, la résistance n'est pas articulée, elle est fragmentée, c'est pour cela que de nombreux partis de gauche, avec une vocation anticapitaliste, ont été racistes et sexistes. Il y a même eu des mouvements féministes qui ont été racistes et pro-capitalistes. Et certains mouvements de libération anti-raciale ont été sexistes et pro-capitalistes. Le problème auquel nous faisons face, c'est une domination articulée et une résistance fragmentée. Nous n'irons pas de l'avant comme ça, parce que nous savons que l'intensification du modèle est ce qui aggrave la vie des gens, et qu'un mode de domination amène les autres. Au Brésil, quand s'intensifie la domination capitaliste avec Temer puis Bolsonaro, le génocide des jeunes noirs dans les périphéries des villes a augmenté de manière brutale. Et la violence domestique contre les femmes et le féminicide a augmenté. Et donc, la domination est particulière. Nous avons besoin de sujets politiques globaux, en plus des locaux, et en plus des nationaux. Cette articulation est possible parce que quand les mouvements -au Chili ou les Black Lives Matter par exemple- partent d'une demande, qu'elle soit féministe ou anti-raciale, 


. Así no vamos a salir adelante porque sabemos que la intensificación del modelo es lo que agrava la vida de la gente, de un modo de dominación que lleva a los otros. En Brasil cuando se intensifica la explotación capitalista, con Temer y después con Bolsonaro, se incrementó de una manera brutal el genocidio de los jóvenes negros en las periferias de las ciudades. Aumentó la violencia doméstica en contra de las mujeres y el feminicidio. O sea, la dominación es particular. Necesitamos de sujetos políticos globales además de los locales, y además de los nacionales. Esta articulación es posible porque cuando los movimientos -Chile o los Black Lives Matter por ejemplo- parten de una demanda, sea feminista o anti-racial, al mismo tiempo, cuando ganan importancia, traen las otras demandas, el hambre o de la desigualdad social. Hoy el movimiento Black Lives Matter tiene una dimensión feminista también, y obviamente de oposición a este modelo capitalista tan desigual e injusto. Yo pienso que tiene que haber un cambio. En la dimensión local hay que volver a las barriadas. Hoy son los pastores evangélicos quienes hablan con la gente y les dicen que hay que votar a la derecha. Por eso pienso que no es solo la organización, sino tambien la cultura politica la que necesita cambios. --¿Qué prácticas y estrategias deberían modificar o reforzar los partidos y los movimientos sociales frente a esta nueva etapa? ¿Están preparados para el cambio? --¿Si me preguntan si los partidos opositores tienen ese perfil hoy? No, no lo tienen. Deben cambiar. Los partidos de izquierda se acostumbraron a esta dialéctica oposición-gobierno, ¿no? Y durante 40 años esa dinámica no tuvo alternativa civilizatoria, no se pudo pensar nada más allá del capitalismo. Independientemente del perfil ideológico de los gobiernos, hasta marzo las primeras páginas de los periódicos eran ocupadas por los economistas y las finanzas. Ahora con la pandemia son los médicos, los epidemiólogos, los virólogos. La pandemia nos obligó a cambiar. Entonces, creo que hay que ver otro modo de hacer política y otra manera de gerenciar la política. Yo pienso que parte de las izquierdas deben acostumbrarse a ser oposición para luego saber reconstruir. Tienen que ayudar a mejorar la vida de la gente. Pero las instituciones actualmente no permiten eso, porque tenemos todo un entorno global que no te deja, por ejemplo el capitalismo financiero. Entonces tendremos que encontrar otra forma de gobierno y hay que empezar a pensar en esa dimensión global. Conversación entre la socióloga Silvia Rivera Cusicanqui y el director del proyecto ALICE, Boaventura de Sousa Santos. ¿Y cuál sería el rol de las oposiciones? ¿Cómo construirse desde otras lógicas? --La política de gobierno es una parte de la política: fuera de eso tienes que tener otra política que es extra institucional, que no está en las instituciones sino en la formación de la gente, en la educación, en las calles, en las protestas pacíficas. Miren lo que está pasando en Chile antes de esta pandemia; fueron las mujeres, sobre todo, y los movimientos sociales. Ellos tuvieron un papel fundamental para traer a las calles cosas que la política misma no estaba dispuesta a hacer. Los partidos de izquierda, por increíble que parezca, no habían incluido en sus proyectos la causa mapuche cuando los mapuches habían sufrido con huelgas y asesinatos, y habían sido la oposición a los gobiernos de Chile. Y todavía están abandonados. Es necesario una protesta y un movimiento popular constituyente, donde las mujeres tengan un papel muy importante para tener en la política una gestión plurinacional. Los partidos son importantes pero los movimientos son igual de importantes. Tiene que haber una relación mas horizontal entre ambos. --¿La protesta, la calle, sigue siendo una de las principales herramientas de visibilización y resonancia política? --Las comunidades siguen teniendo una gran creatividad y esto forma parte de un movimiento de izquierda reconstruida, más abierta a toda esta creatividad comunitaria. No son simplemente las calles y las plazas, es la vivencia comunitaria que tendremos que intensificar. Porque las calles no son un emporio de las izquierdas, en esta década vamos a ver calles llenas de gente de extrema derecha. Yo vi a la extrema derecha entrar en las manifestaciones en Brasil. Las consignas de la izquierda, aprovechadas por la extrema derecha, y después dominando toda la protesta. Aquí en Europa sabemos muy bien eso, los Estados Unidos hoy, la gente contra Biden que no es propiamente de izquierda, y por otro lado los Prat Boys de la extrema derecha organizada y militarizada que ocupa las calles, y que va a hacer la política extraconstitucional, de las calles, de las protestas. --En Argentina se ha hablado mucho de "la grieta" como si fuera un fenómeno "nacional", único. Cuando se mira al mundo la polarización, sin embargo, parece ser el signo de estos tiempos. ¿Cómo afecta esta situación el funcionamiento de la democracia? --A mi juicio, durante mucho tiempo la teoría democrática, la idea más valiente, más segura, era que las democracias se sostienen en una clase media fuerte. Claro que yo, estando en Portugal, trabajando en África y en América Latina, no veía clases medias fuertes, lo que realmente veía era desigualdad social. Siempre me sentí como un demócrata radical, o sea, la democracia es mala porque es poca. Hay que ampliar la democracia en las calles, en las familias, en las fábricas, en la vida universitaria, en la educación. Entonces esta idea de que la polarización es contraria a la democracia, me parece que es cada vez más evidente cuando hablamos de democracia liberal. Sólo tiene sentido, o se refuerza, con una democracia participativa, con otras formas de participación de la gente que no sean democracias electorales, porque si son solo democracias electorales van a seguir eligiendo anti demócratas como Trump, Bolsonaro, Iván Duque, como tantos otros. Por eso la democracia muere democráticamente, por elección, por vía electoral. Hitler ganó dos elecciones en 1932, antes de su golpe. Creo que hay que fortalecer esa democracia con democracias participativas. La polarización, la desigualdad, provienen de esta polarización de la riqueza sin precedentes que hoy tenemos. A mayor desigualdad en la vida económica y social, más racismo, más discriminación y más sexismo. Entonces estamos en una sociedad en retroceso a nivel mundial, en retroceso reaccionario, donde el capitalismo es cada vez más desigual, más racista y más sexista. Esta es la realidad que tenemos hoy. --¿Como sería la forma de avanzar hacia una mayor participación, imprescindible para recomponer las democracias, con la exclusión social que arroja un modelo tan concentrado y desigual? --Tenemos que pensar en la transición. Y hoy debemos contar con políticas sociales, romper con el neoliberalismo, y para eso es necesario una reforma fiscal. Es inaceptable que los pobres y la clase media paguen 40% de impuestos, y los ricos el 1%. Que Trump haya erogado de impuestos federales 765 dólares, es impensable. Tiene que haber una reforma fiscal para dar políticas de educación, de salud. La otra cuestión es política, necesitamos una reforma constituyente. Las constituciones que tenemos congelaron una sociedad segmentada, no solo desde un punto de vista capitalista sino también racista y sexista. Tenemos que refundar el Estado. Los únicos países que tuvieron reforma política fueron Bolivia y Ecuador, e igual fracasaron. La misma idea fracasa muchas veces antes de tener éxito, antes de hacer historia. Los derechos de la madre Tierra, por ejemplo, no tuvo muchos resultados en Ecuador, pero veamos lo que pasó en Nueva Zelanda. Jacinda Arden, la primera ministra, una mujer fabulosa, la líder mundial en este momento después del Papa diría yo, esta señora promulgó una ley sobre los derechos humanos del río sagrado de los indígenas, y no fue simplemente eso, ha dado plata para regenerar, revitalizar los ciclos vitales del río. Es una revolución que no logró efecto en Ecuador, en Bolivia, en Colombia, como sí en Nueva Zelanda. Debemos articular los conflictos sociales con esa idea de Naturaleza porque esta es territorio, cultura, memoria, pasado, espíritu, conocimiento, incluso sentimiento paisaje". Pienso que las constituyentes van a ser un marco del futuro para deslegitimar el neoliberalismo y volver a la soberanía popular que va a permitir la soberanía alimentaria, que muchos países no tienen hoy. soberanía industrial, ¿cómo es posible que los Estados Unidos no produzcan mascarillas ni guantes, ni respiradores? Por eso, ¿es un país desarrollado? No sé. Sudáfrica ha defendido mejor la vida de la gente que los Estados Unidos. --El gobierno de Alberto Fernández comenzó en diciembre y tres meses más tarde debió enfrentar la pandemia, a la que se sumó la herencia de un país endeudado y una economía destruida. ¿Qué nos recomendaría a los argentinos, a los latinoamericanos, en este momento? --Yo soy un intelectual de retaguardia, no de vanguardia. No doy consejos: mi solidaridad, que es grande, es conversar con la gente. Yo pienso que es un continente en el que siempre ha habido una creatividad política enorme, y estas experiencias han dejado cosas muy interesantes. He hablado de Chile, también Bolivia, las elecciones ahora en Brasil. Alberto Fernández es un caso muy interesante y los describe mi último libro, porque es el único presidente que llega al poder y después viene la pandemia. Viene con un programa, pero el programa se vuelve la pandemia. Alberto Fernández tuvo un coraje enorme para enfrentarla. Un gran problema es la herencia brutal de neoliberalismo, de destrucción del Estado, de las políticas sociales, de la economía. Esa herencia es brutal y lleva tiempo la reconstrucción. Además, es una sociedad muy movilizada, con movimientos sociales y populares fuertes, el de mujeres es fortísimo y en estos días se expresa en la lucha por el aborto legal. Hay toda una sociedad muy creativa, y eso se nota. Esta es una gran oportunidad para repensar un poco la política y para volver a una articulación continental; yo pienso que la idea de matriz de articulación regional, como el ALCA, o UNASUR, fueron muy interesantes. Esta semana mirá lo que China y los países asiáticos están haciendo: el más grande conjunto de libre comercio, de articulación económica. Sin los Estados Unidos, y sin Europa; es mucho más grande que cualquier acuerdo europeo, mucho más grande que el tratado entre Estados Unidos, México y Canadá. Entonces, ¿por qué no entender que el continente no es el patio trasero de los Estados Unidos? Y tiene que tener más autonomía, porque son todos de desarrollo intermedio, de mucha población. Hay que reinventar y en este momento, sobre todo, hay que hacer una autocrítica. A las personas de izquierda no les gusta, porque viene de la época de Stalin, pero la autocrítica es la auto reflexión, es repensar las izquierdas. América Latina: el patio trasero Para entender los procesos políticos latinoamericanos, Boaventura de Sousa Santos pone la lupa en las asimetrías, en lo cultural. Estudia las democracias tribales, mira las economías urbanas, critica los sistemas educativos, se enfoca en lo múltiple, lo pluricultural. Sostiene que el Estado tiene que ser refundado porque esta democracia liberal ha llegado a su límite. Dice que las izquierdas del Norte global sean eurocéntricas no es novedad, pero que las izquierdas del sur sean racistas con los pueblos indígenas y afrodescendientes, es producto de la exclusión que produjo el capitalismo, el colonialismo y el patriarcado. --¿Cómo deberían plasmarse estos cambios en América Latina, la cual aparece como una Región en disputa? --Es esperanzador lo que está ocurriendo y nos tiene que llevar a reflexionar. Por ejemplo, el caso de Bolivia, es el único país que tiene la mayoría indígena del continente, 60% de la población. Yo pienso que los occidentales de izquierda, nosotros los blancos de izquierda, intelectuales, no entendemos los pueblos indígenas. Hay que ser muy humildes, porque no tenemos conceptos. Cuando ganó el MAS de nuevo, la sorpresa fue enorme, porque no imaginaban que los indígenas volverían tan rápido al gobierno. Porque no entienden el alma indígena. Después de la salida de Evo reconstruyeron el MAS, los liderazgos, se animaron de otra manera, con otra gente. --¿Hubo reflexión? ¿Hubo aprendizaje? --Estamos repensando todo y las cosas están cambiando. El contexto internacional de esos años hasta el 2014 permitió que en algunos países de América Latina como Brasil o Argentina la gente fuera menos pobre, sin que los ricos dejaran de enriquecerse. Hubo políticas de redistribución por parte de los gobiernos populares pero el ciclo de las comodities cambió y los modelos entraron en crisis. Cualquiera que hayan sido los errores cometidos en los procesos populares, sabemos que no pueden repetirse. Porque los precios de los commodities no están como estaban, porque las condiciones son muy distintas, y porque hay una deslegitimación de todo el modelo neoextractivista. La agricultura industrial tiene que disminuir, puede ser una transición, pero debe lograrse; si no diversificamos la economía, es un desastre. Eso ya lo sabemos. Me parece que ahora estamos en un punto de repensar las cosas. Con Alberto Fernández en Argentina, AMLO en México, son las dos esperanzas. AMLO es un poco más complejo que Alberto, a mi juicio. Tenemos bastantes avances en Chile, y la corriente para iniciar el proceso constituyente, que va a ser muy conflictiva de aquí en adelante. Entonces me parece que las cosas están cambiando, y que de alguna manera en América Latina se están dando respuestas porque la gente está, los movimientos sociales siguen luchando, aunque sea en pésimas condiciones como en Colombia.

samedi 19 septembre 2020

Art ou vandalisme ? Quand tombe la statue de Sebastian Belalcázar...


Le quotidien colombien EL TIEMPO a recueilli les propos de plusieurs artistes au sujet du déboulonnage de la statue du conquistador...

Iván Argote

Il y a 8 ans, l'artiste colombien Iván Argote est entré dans une boutique de "toiles mexicaines" à Madrid et il a acheté des mètres de tissu. Il a ensuite confectionné plusieurs ponchos et décidé d'en habiller les statues des rois espagnols qui avaient participé à la Conquête et la Colonisation de l'Amérique. La police l'a arrêté mais elle n'a pas pu le retenir longtemps parce qu'il n'avait ni "vandalisé", ni détruit les sculptures.


Titre de l'oeuvre "Touriste : Don Garcia". 2012

A Bogotá, il a fait plusieurs interventions du même type. Dans le Parque Nacional, il s'est emparé de la statue de Francisco Orellana, le conquistador qui a "découvert" l'Amazone, et il l'a recouvert de miroirs pour que l'on y voit le reflet des arbres du parc et non l'image du colonisateur. Il explique : "Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas une seule statue des indigènes ou un monument pour les peuples de l'Amazonie". Aujourd'hui, les photos de ces interventions sont dans les collections du Musée National d'Art Moderne, à Paris, au Centre Pompidou.


Titre de l'oeuvre : "Touriste. Le roi Charles III d'Espagne". 2013

María Isabel Rueda

"L'action des Mizak m'a impactée. Ils ont déboulonné une idée coloniale" dit cette artiste, conservatrice du patrimoine. "C'est la rébellion contre une image de la domination. L'artiste colombien Nelson Fory a lui aussi travaillé dans ce sens. A Carthagène des Indes, il s'est chargé de mettre des perruques afros aux statues de Bolívar, Pedro de Heredia et d'autres héros de l'indépendance, pour protester contre l'exclusion raciale".

 L'artiste Nelson Fory est lui aussi intervenu sur des statues historiques 
comme celle de Christophe Colomb. @Nelson Fory

Beatriz González

"La vidéo des indigènes Misak peut être regardée comme une "performance". C'est un signe de protestation et la chute d'une image de l'abus et de la soumission. Cette discussion dure depuis des années. A Barcelone, ils ont pensé enlever la statue de Christophe Colomb; au Pérou, celle de Pizarro. La statue de Belalcázar est sur un site sacré et ils ne devraient pas la remettre encore une fois dans le même lieu : c'est un défi pour les indiens et ils n'auront de cesse de la faire chuter. Elle devrait aller dans un musée fermé, historique, à Popayán" explique Beatriz González.

Miguel Angel Rojas

"C'est une action symbolique très importante en Amérique Latine. Mais vraiment très importante. Parce que c'est le premier symbole d'un malaise qui a cinq siècles ou plus. Une action très courageuse qui peut être le début d'une étape de dignification pas seulement pour les cultures arborigènes andines, mais pour toutes celles d'Amérique. De plus, qu'ils aient auparavant fait un jugement, me parait très intelligent. Qu'ils l'aient traité de génocidaire, esclavagiste et voleur de terres, n'est que justice".

Nohemi Pérez

Pour l'artiste Nohemi Pérez, ce qu'ont fait les indigènes est loin d'être du vandalisme. Elle le voit comme une performance réalisée par la communauté qui cherche à réécrire son histoire. "Et ce qui est intéressant, c'est qu'ils l'ont fait eux-mêmes, pas les artistes" affirme-t-elle. "L'histoire nous a toujours vendu que les conquistadors étaient venus nous "civiliser", mais en fait ils ont exterminé des cultures. La statue représente cette histoire, ce héros qui est arrivé pour nous apporter une nouvelle langue, qui nous a conquis". Pérez ne considère pas que l'on doive maintenant tout déboulonner, mais elle définit l'action des Mizak comme un acte de droit : Les indigènes réclament la position qui leur correspond dans la société.


Carlos Jacanamijoy 

Pour Carlos Jacanamijoy, il s'agit d'un appel à un dialogue qui n'a jamais eu lieu. Il ne s'agit pas d'un acte qui doive être jugé ou regardé comme une action violente. "L'acte de violence, c'est celui qu'ont fait ces messieurs qui sont là dans les statues, c'est ce que représente la statue" affirme-t-il. "Je crois que, au delà de faire tomber les statues, il s'agit aussi de raconter l'histoire bien racontée. Que je me souvienne, depuis que je suis entré à la maternelle, on ne nous a pas raconté l'histoire comme il se doit. C'est une revendication qui dure depuis plus de cinq cents ans. Ce qu'ont fait les Misak, c'est l'envoi d'un message au monde".


D'autres points de vue...

Mauricio Uribe, expert en affaires patrimoniales

Ex-directeur de l'Institut du Patrimoine Culturel de Bogotá, Mauricio considère que trois regards peuvent être posés pour qualifier cet acte : le considérer comme un acte de justice historique, comme un acte de vandalisme ou bien comme une "performance" artistique. "Je crois que c'est une réaction à la situation très complexe du pays et du département du Cauca. Ce qui s'est passé, c'est une alerte sur les désirs et les besoins de la communauté indigène du Cauca. Mais je crois aussi qu'il est délicat de juger l'histoire avec les yeux d'aujourd'hui. Alors, il faut réfléchir. Ce qui s'est passé est une immense opportunité pour faire un grand dialogue interculturel. Je crois que ce qui devrait se passer là-bas dans un futur proche, c'est que l'on pense ce lieu comme un espace de dialogue qui représente vraiment ce que nous sommes, nous colombiens, c'est à dire un amalgame culturel".

M.Uribe considère pourtant que les images sont "très fortes", qu'il s'agit de renverser une sculpture qui a été là pendant 80 ans. "Il semblerait d'après ce que j'ai compris, qu'il n'était pas prévu que cette sculpture soit dans ce lieu. Donc, c'est de là aussi que commencent les problèmes. Nous devons penser non pas à changer l'histoire, mais à la manière de la raconter". 

Maria Belén Saénz de Ibarra, directrice du Patrimoine de l'Université Nationale

"C'est une action pleine de sens d'un point de vue mémoriel. Aujourd'hui, on considère que ce n'est pas seulement en érigeant un monument que l'on peut configurer la mémoire : la commémoration se traduit aussi en détruisant les monuments réalisés dans le passé à partir de la vision de l'histoire officielle, autoritaire, qui s'écrit d'en haut et qui s'impose comme la vérité. Ainsi donc, il est légitime de les détruire ou d'altérer leur matérialité. On l'a vu dans le monde entier. C'est un outil auquel ont recours les citoyens pour participer au tissage de l'histoire, c'est une manière démocratique de s'intégrer à la construction de cette mémoire. C'est ce que l'historienne Mechtild Widrich appelle des "monuments performatifs", qui sont dans l'espace public et dont la commémoration se réalise à travers les gestes des gens, dont l'enregistrement circule ensuite dans les réseaux et les médias, et qui l'incorpore à la vie sociale. Ce sont des actes pacifiques de l'expression démocratique. Les monuments doivent être re-signifiés si c'est nécessaire, parce que c'est ce dont il s'agit avec la mémoire : c'est un processus où on regarde toujours le passé à partir du présent, ici et maintenant, pour réécrire l'Histoire et changer ou arrêter l'injustice de l'oppression, par les voix de ceux qui, trop souvent, ont été baillonnés, comme c'est ici, le cas des indigènes. Ce sont des actes de libre exercice politique d'une communauté".

Carmen Vásquez, ministre de la Culture

"Les monuments publics sont un musée ouvert, qui appartient à toute la communauté et qui sont des oeuvres d'art auxquelles nous avons tous un accès gratuit. Ils font partie du patrimoine culturel meuble de la Nation et c'est pourquoi nous avons le devoir de les protéger et les conserver. Le Ministère de la Culture, garant de la politique publique de protection et de sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel de notre pays, lamente et rejette les actes violents perpétrés contre la statue de Sebastián de Belálcazar dans la Ville de Popayán. Nous avons donc communiqué au Maire de Popayan que nous l'accompagnerons dans la restauration de ce monument. Nous demandons à toute la communauté de se manifester de manière pacifique sans affecter le patrimoine culturel de la Nation".

Source : El Tiempo
Traduction : CM



- Nous apportons la culture, l'éducation, le progrès !
- Et c'est pourquoi l'épée, not' bon maitre ?



jeudi 6 août 2020

Discours du 6 août. Fête de l'indépendance de la Bolivie


Au nom de la Cellule Robespierre du Parti Communiste Colombien à Paris

Chers camarades et amis,

Ce jeudi 6 aout 2020, en bord de Seine à Paris, au pied de la statue du général des armées indépendantistes, Simon Bolivar, nous célébrons une victoire, celle que Bolivar remporte sur le général espagnol José de Canterac lors de la bataille de Junin en 1824. Un an plus tard, sera déclarée l'indépendance de la Bolivie au cours du congrès de Chuquisaca, suite à la Bataille d'Ayacucho remportée par le général Antonio José de Sucre, lieutenant de Bolivar. 

Aujourd'hui, l'état Bolivien se définit comme Etat Plurinational de Bolivie, cette définition aura permis aux peuples originaires de retrouver la reconnaissance et la dignité au bout de plusieurs siècles de luttes et de batailles. Mais le coup d'état parlementaire de novembre 2019, mené par les couches les plus réactionnaires du pays, avec la complicité des militaires, a amené une terrible répression, des assassinats, une persécution politique des anciens leaders du MAS. Ils prétendent faire revenir en arrière toutes les avancées qui ont permis à la Bolivie de retrouver sa dignité et sa souveraineté, avec des résultats économiques qui ont permis à de larges couches de la population de sortir de la misère.  

Nous, Communistes Colombiens, citoyens d'un Etat Bolivarien, exprimons notre solidarité avec les peuples boliviens et dénonçons la violence et la répression dont nos frères et soeurs boliviens et boliviennes sont victimes avec la complicité et l'intervention directe des Etats-Unis d'Amérique. Le Parti Communiste Colombien a dénoncé à plusieurs reprises le coup d'état perpétré contre le gouvernement d'Evo Morales, élu démocratiquement, et qui a été renversé par une bourgeoisie raciste, d'extrême-droite, disposée à vendre la souveraineté des peuples boliviens pour pouvoir maintenir ses privilèges.

Chers camarades et amis, permettez-moi aussi de profiter de cette occasion pour vous annoncer que l'ancien président de la Colombie Alvaro Uribe, promoteur du paramilitarisme et des années de répression, représentant de l'extrême-droite latino-américaine, vient d'être assigné à résidence par décision de la Cour Suprême de Justice de notre pays. C'est une décision que nous célébrons et qui remplit d'espoir les victimes du paramilitarisme et toutes celles et ceux qui bataillent pour les droits humains et la justice sociale.

Camarades, nous savons que le gouvernement golpiste cherche à repousser la date des élections car ils savent que la majorité des peuples boliviens soutient le MAS. Nous exigeons que la volonté majoritaire des boliviens et boliviennes puisse s'exprimer démocratiquement et que les tentatives golpistes soient mises en échec.

Non à l'interventionisme étasunien !
Vive les luttes d'indépendance des peuples de Bolivie !
Jallala Bolivia !

Manuel Salamanca


vendredi 19 juin 2020

De tout, il resta trois choses. Fernando Sabino


De tout, il resta trois choses :
La certitude que tout était en train de commencer,
la certitude qu’il fallait continuer,
la certitude que cela serait interrompu avant que d’être terminé.
Faire de l’interruption, un nouveau chemin,
faire de la chute, un pas de danse,
faire de la peur, un escalier,
du rêve, un pont,
de la recherche, une rencontre !

De todo quedaron tres cosas: 
la certeza de que estaba siempre comenzando, 
la certeza de que había que seguir 
y la certeza de que sería interrumpido antes de terminar. 
Hacer de la interrupción un camino nuevo, 
hacer de la caída, un paso de danza, 
del miedo, una escalera, 
del sueño, un puente, 
de la búsqueda, un encuentro !
De tudo ficaram três coisas...  A certeza de que estamos começando...  A certeza de que é preciso continuar...  A certeza de que podemos ser interrompidos antes de terminar...  Façamos da interrupção um caminho novo...  Da queda, um passo de dança...  Do medo, uma escada...  Do sonho, uma ponte...  Da procura, um encontro! Fernando Sabino





dimanche 22 mars 2020

Puisque la poésie est politique. Ya que la poesia es política


La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
désir à combler,
faim à satisfaire,
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.
Paul Eluard
Nunca es completa la noche.
Ya que lo digo, ya que lo afirmo,
al final de la pena,
siempre hay
una ventana abierta,
una ventana iluminada.
Siempre hay un sueño que vela,
deseo que colmar,
hambre que calmar,
un corazon generoso,
una mano tendida,
una mano abierta,
unos ojos atentos,
una vida: la vida para compartir.
Paul Eluard
Traduction : CM


lundi 16 mars 2020

Espagne. Pour un Plan de choc social face à la pandémie















Source : Publico.es

En Espagne, syndicats et militants exigent du Gouvernement un plan de choc social face au Coronavirus. La campagne #PlanDeChocSocial alerte sur les conséquences pour l'économie si les "mesures austéricides" d'il y a 10 ans se reproduisent. Elle souligne qu'il va falloir "décider qui paiera la crise économique brutale qui arrive".

En lien avec les mouvements sociaux, une campagne dans les réseaux sociaux a été lancée pour exiger du Gouvernement un plan de choc qui concerne le logement, les revenus et la santé, pour faire face à la pandémie de coronavirus. "Ce mardi, le Gouvernement espagnol prendra des décisions qui affecteront profondément nos vies" expliquent les collectifs qui promeuvent l'initiative. "Ce qui est en jeu, c'est de voir si on prend les mêmes mesures austéricides qu'il y a dix ans ou si, cette fois, on sauve les gens. C'est à dire, qu'on décide qui paiera la crise économique brutale qui arrive".

Il y a trois axes dans le plan. Le premier concerne la suspension du paiement du loyer, des prêts et des charges - électricité, eau et gaz- pour celles et ceux qui n'ont plus de revenus. "Le Gouvernement doit suspendre les paiements du loyer, des hypothèques et des charges basiques pour les personnes qui ne percevront plus de ressources" expose le syndicat des locataires de Madrid, la région d'Espagne la plus affectée par la pandémie.

"En matière sanitaire, nous demandons l'intervention de la santé privée pour qu'elle se mette à la disposition du bien commun pour toute la population" explique Alejandra Jacinto, porte parole de la PAH, à travers les réseaux sociaux. Enfin, "en matière d'emploi, nous demandons l'arrêt des licenciements et un revenu basique pour qui se trouvera sans ressources".

Le hashtag "PlanDeChoqueSocial" a été mis en route à partir de 13 heures ce lundi 16 mars et il est devenu Trending Topic National. "Ce n'est pas possible que tout cela ne soit examiné que par des mesures de confinement contrôlées par l'armée et la police. Nous exigeons de notre gouvernement une attention et une protection pour les plus précaires et/ou celles et ceux qui se retrouveront sans travail. Nous ne voulons pas d'un autre 2008" écrit l'anthropologue militante Yayo Herrero.

"Face à la crise du coronavirus, nous exigeons un #PlanDeChoqueSocial au gouvernement. D'abord, ils doivent garantir tous les moyens humains et matériels dans les centres sanitaires pour protéger les patients et les personnels" écrivent les Ecologistas en Acción. "Dans 24 heures, le gouvernement décidera quelle sera la réponse aux milliers de familles et de petites entreprises qui voient qu'elles vont faire faillite" dénonce Jaime Palomera, porte-parole du Syndicat des locataires.

Cette initiative est également portée par des dirigeants politiques comme Teresa Rodríguez, tête de file des Anticapitalistes, et son camarade l'eurodéputé Miguel Urbán, mais aussi Carolina Alonso et Sol Sánchez, députées de Unidad Podemos de la Communauté de Madrid, et les acteurs Alberto San Juan, Juan Diego Botto 

Traduction : CM



Coronavirus. De la peur à l'espoir.


De William Ospina
in El Espectador

Il arrive des choses qui ne se passent que dans les contes. Devoir rester obligatoirement à la maison, recommencer à s'occuper des enfants, travailler à distance, consommer juste ce qui est indispensable, essayer d'avoir des réserves des choses les plus basiques, vouloir respirer de l'air pur, esquiver les agglomérations, avoir peur des contacts. Et tout à coup se ferment les écoles et les commerces, et les spectacles sont annulés, les entreprises paralysées. Et les économies plongent d'un moment à l'autre, les monnaies s'effondrent, les transports s'interrompent. Mais que nous dit la Terre avec tout ça ?

La dernière grande pandémie, celle de la grippe espagnole de 1918, on ne l'avait pas vécue de la même manière. C'était un fait planétaire, mais il fallait la vivre comme un fait local, partout. Maintenant, pour la première fois, nous ressentons qu'il nous arrive la même chose dans toute la planète. Cette société ultra-informée et ultra-globalisée nous apporte l'expérience nouvelle de partager la curiosité, la peur et la fragilité de toute l'humanité, elle nous fait nous comporter comme une espèce.

C'est étrange de sentir pour la première fois (parce qu'avant c'était différent, et que celles et ceux qui l'avaient vécu étaient autres) que le tissu de la civilisation bouge et qu'il semble hésiter. Et nous reviennent presque à la mémoire ces vieux oracles qui déchiffraient des signaux dans le vol des oiseaux, des messages dans les faits de la nature et dans les tragédies de l'histoire. Plus rien ne semble aléatoire, ni la forme des nuages. Et il nous est finalement révélé combien nous sommes connectés et de quelle manière étonnante est entretissé le monde. C'est alors que chacun de nous se demande quel est le message.

Sommes-nous beaucoup, maintenant ? 
C'est mauvais de manger les animaux ? 
La majeure partie des occupations du monde sont-elles vaines ? 
La lenteur et la solitude sont-elles préférables ? 
Les villes, au-delà de certaines limites civilisées, sont-elles une erreur et un piège ? 
Le modèle économique dans lequel nous vivons n'est-il qu'inégal et injuste, ou également absurde et étonnamment fragile ?
Les entreprises peuvent-elles s'effondrer avec la même facilité que les êtres humains ?
Ce que nous appelons "le pouvoir" n'est-il qu'un brin d'herbe au vent de l'histoire ?
De la même façon que Richard était prêt à échanger son royaume pour un cheval, n'y-a-t'il pas un moment où nous changerions toutes nos richesses pour un peu d'air pur dans les poumons ou pour un filet d'eau dans la gorge ?

Tout vient nous rappeler que nous pouvons vivre sans avions mais pas sans oxygène. Que ceux qui travaillent le plus pour la vie et pour le monde, ce ne sont pas les gouvernements mais les arbres. Que le bonheur c'est la santé, comme le voulait Schopenhauer. Que, comme le disait un latino, la religion, ce n'est pas s'agenouiller pour prier et supplier, mais tout regarder avec une âme tranquille. Que si nous, humains, nous travaillons jour et nuit pour raréfier la vie, intoxiquer l'air, acculer le reste des vivants, altérer les rythmes de la nature et détruire leurs équilibres, le monde a un savoir plus ancien, un système de climats qui se complètent, de vents qui rasent, de catastrophes compensatoires, de silences forcés, de quiétudes obligatoires, d'armées invisibles qui tracent des lignes rouges, neutralisent les maux, contrôlent les excès, imposent la modération et équilibrent la terre. Après avoir thésauriser pendant des siècles notre connaissance, mis en valeur notre talent, vénérer notre audace, adorer notre force, voici l'heure où nous devons aussi méditer sur notre fragilité, estimer notre étonnement, respecter notre peur.

Car il y a aussi quelque chose de poétique dans la peur : elle nous enseigne les limites de notre force, la portée de notre audace, la vraie valeur de nos mérites. Comme la mer, elle sait nous dire où est ce qui nous dépasse. Comme la gravité, elle nous montre quels sont les pouvoirs qui sont sur nous. Comme la mort et comme le corps lui-même, elle nous dit quels sont les commandements que nous ne pouvons pas violer, ce qui n'est pas permis, quelle frontière est sacrée. Et elle ne le fait ni avec des avertissements, ni avec des discours, ni avec des menaces, mais avec un langage sans mots, efficace et subtil comme un oracle, qui oeuvre "sans pitié et sans colère" comme l'a dit un poète, et qui est lumineux et inflexible comme une flamme.

Si la peur est une réaction face aux menaces du monde, l'angoisse est une réaction face aux menaces de l'esprit et de l'imagination. Elle met en évidence le mystère du monde, active la mémoire et ses fantômes, révèle l'efficacité de l'invisible, le pouvoir de l'inconnu.

On dit que ce qui ne nous détruit pas, nous rend plus forts. Cette imminence du désastre met aussi une touche de magie noire à ce qui paraissait sous contrôle, un goût hallucinatoire aux jours, elle verse une rafale de folie sur ce qui est établi, un éclair divin sur la prose du monde.

Et nous sentons qu'il y a quelque chose à apprendre de ces alarmes et de ces dangers. Si tout ce qui est le plus ferme est en état de choc, cela nous laisse entrevoir que tout peut changer, et pas forcément en mal. Si la tourmente effraie tout, nous pouvons nous aussi être la tourmente. Et dans le coeur des tourmentes, il peut y avoir aussi, comme le disait Chesterton, non pas une furie mais un sentiment et une idée.

Dans cette pause de patience et de peur, les méditations de Hamlet et les délires de Don Quichote, les conseils du Christ et les questions de Socrate, les rêves de Shéhérazade et l'ivresse d'Omar Kayam gagnent un sens nouveau. S'il est un monde fatigué et malade qui craque et s'effondre, il doit aussi y avoir un monde nouveau qui est en gestation et qui nous défie. Nous voulons donc dire avec Barba Jacob : "Donnez moi du vin et remplissons de cri les montagnes!". Nous voulons dire avec Nietzche : "Et que chaque jour où l'on n'a pas dansé au moins une fois soit perdu pour nous ! Et que toute vérité qui n'amène pas au moins un éclat de rire nous semble fausse !".

William Ospina. Écrivain, essayiste, journaliste et poète colombien de renom, né à Padua en Mars 1954. Couronné par de nombreux prix littéraires. Oeuvres traduites en français :
À qui parle Virginia en marchant vers l'eau ?, traduit de l'espagnol par Tania Roelens,
Ursúa, trad. Claude Bleton, J-C. Lattès, 2007
Le pays de la cannelle, trad. Claude Bleton, J-C. Lattès, 2010
Arrêter net, trad. Tania Roelens, Paris, Editions des Crépuscules 2019

Traduction : CM

dimanche 9 février 2020

Madrid. Une chaîne de femmes inaugure le mois de la révolte féministe

Féministes en chaîne humaine. Photo @aranchariosp

Source : Público

Madrid, 8 février 2020. Des milliers de femmes ont formé une chaîne humaine qui a entouré le centre de Madrid. C'était le coup d'envoi du mois de la révolte féministe dont le point d'orgue sera la manifestation du 8 mars.

Un mois avant le 8 mars, les féministes ont démontré que l'union fait la force. Une chaîne kilométrique de femmes vêtues de violet a encerclé le centre de Madrid pour marquer le début de la révolte féministe : Quatre semaines au cours desquelles auront lieu différents événements qui aboutiront à la journée internationale des luttes des femmes.

Les écharpes, gilets, chemises, manteaux, rubans et foulards en VIOLET, la couleur qui symbolise la lutte féministe, ont réuni les milliers de femmes inscrites à l'événement organisé par la Commission du 8 Mars. Alors qu'au départ, les coordinatrices de l'événement ont demandé aux participantes d'étendre les bras au maximum pour occuper toute la rue, la chaîne humaine s'est agrandie à un bon rythme en quelques minutes.

A la Puerta del Sol, face à la statue de la Mariblanca, certaines dansaient et chantaient avec le poing levé pour les droits des travailleuses domestiques. Parmi elles, Cristina, explique qu'il est nécessaire de donner de la visibilité à ce collectif parce que, comme ce sont majoritairement des femmes migrantes, "elles souffrent de multiples abus qu'elles ne peuvent pas dénoncer parce qu'il n'y a pas de contrat légal".

Le groupe de Cristina n'est qu'une des multiples luttes qui forment cette révolte puisque neuf autres champs thématiques sont articulés dans la chaîne féministe : 
  • Droit au logement 
  • Education féministe 
  • Autodéfense 
  • Antiracisme 
  • Travailleuses domestiques 
  • Précarité 
  • Ecoféminisme 
  • Retraites dignes 
  • Dissidences de corps, de sexe et de genre 
  • Quartiers et villages.

Image de la chaîne féministe. Photo @aranchariosp

Avec ses copines, Diana occupe une partie de la rue de l'Arenal pour manifester en faveur de la dissidence du corps, du sexe et du genre. Cette féministe, membre de l'organisation de familles Trans Euphorie, a été surprise de voir tant de personnes à l'événement alors qu'il était "peu diffusé dans les réseaux sociaux". Mais la veille, le vendredi 7 février, plus de 6.000 femmes s'étaient tout de même inscrites à l'événement.

Presque à l'Opéra, une groupe de cinq amies portant toutes des écharpes de plumes violettes manifestaient en se donnant la main. "C'est la seule manière de sortir de ce bourbier. Il faut se faire voir" expliquent-elles sans se lâcher un seul instant. Pour atteindre l'objectif, chacune participera à toutes les activités féministes "qui sont nécessaires" jusqu'à la fin de la révolte qui aboutira au 8 mars.

"Comme ça, nous voulons représenter l'union entre toutes. Un tronçon rejoint l'autre, et c'est ça qui fait la force" explique Chelo Hernández, une des membres de la Commission du 8 Mars. Elle explique que c'est sur le champ de l'Education Féministe que le plus de femmes se sont inscrites. "Celui des Pensions dignes en a moins reçu, mais parce que ce sont des femmes plus âgées qui n'ont pas forcément accès aux réseaux".

Après avoir formé la chaîne pendant une heure, les féministes se sont réunies à la Puerta del Sol. Ensemble, elles ont crié les slogans qui ont déjà accompagné de nombreuses mobilisations : "Nous ne sommes pas toutes là, il manque les assassinées", "Ici nous sommes féministes" ou "Si nous faisons grève, le monde s'arrête".

A la fin de la manif, il a commencé à pleuvoir. C'est alors qu'ensemble, elles ont ouvert leurs parapluies violets en criant : "Il ne pleut pas, c'est le patriarcat qui pleure".

Les actions du mois de la révolte

La chaîne féministe a donné le coup d'envoi du mois de la révolte. Dans toute l'Espagne auront lieu des actions qui célébreront le féminisme et lutteront pour donner à voir les inégalités à travers les différents collectifs.

Parmi ces actions, il faut signaler l'opération araignée qui se mettra en route dans la région de Madrid à partir du 22 février. Une centaine d'assemblées féministes des quartiers et des villages se rendront en transport public au centre de la Ville en faisant des représentations qui dénonceront les violences faites aux femmes.

Par ailleurs, le Teatro del Barrio accueillera l'exposition de photos d'un concours d'images qui symbolisent les violences machistes et c'est le dimanche 1er mars, qu'aura lieu la course féministe. 

Par Arancha Ríos
Traduction CM


samedi 8 février 2020

Les petites filles des sorcières



La otra mitad ​                                              L'autre moitié

Rompamos las promesas                            Brisons les promesses
que hicimos sin hablar                                que nous avions faites sans parler
forzadas por la herencia                             forcées par l'héritage
de nacer mujer. ​                                           de naître femme.      

Crecimos con el miedo                               Nous avons grandi avec la peur
de ser más frágiles.                                     d'être les plus fragiles
Perdimos priviligios                                    Nous avons perdus des privilèges
por nacer mujer. ​                                         en naissant femme.

Somos las nietas de las brujas                   Nous sommes les petites filles des sorcières
que no pudisteis quemar.                            que vous n'avez pas pu brûler.
Somos la otra mitad. ​                                  Nous sommes l'autre moitié.

Sintamos nuestra fuerza.                            Sentons notre force.
La gran sororidad.                                      La grande sororité.
Bailemos en la hoguera                              Dansons au feu de joie
de vivir mujer. ​                                             de vivre femme.

Vencimos su cinismo                                   Nous avons vaincu votre cynisme
en tierras vírgenes.                                      dans des terres vierges.
No habrá más terrorismo                            Il n'y aura plus de terrorisme
por vivir mujer. ​                                           en vivant femme.

Somos las nietas de las brujas                    Nous sommes les petites filles des sorcières
que no pudisteis quemar.                             que vous n'avez pas pu brûler.
Somos la otra mitad. ​                                  Nous sommes l'autre moitié.

La secuestrada.                                           Prise en otage.
Somos legión.                                              Nous sommes légion.
Somos manada.                                           Nous sommes une meute.
Somos más. ​                                                 Nous sommes plus.

Somos guerreras y esta lucha                     Nous sommes des guerrières
ya no se puede parar.                                  et cette lutte ne peut plus s'arrêter.
Somos más de la mitad. ​                             Nous sommes plus de la moitié.

Las nietas de las brujas.                              Les petites filles des sorcières.