mercredi 19 avril 2017

Accords de Paix en Colombie : Quelque chose ne tourne pas rond



Source : Semana

La communauté internationale est préoccupée par la mise en œuvre de ce qui a été accordé à La Havane avec la guérilla. Au gouvernement, il conviendrait que quelqu'un écoute cette sonnette d'alarme.

Comme toujours, le célèbre intellectuel James Robinson a mis le doigt là où ça fait mal. Il y a quelques semaines (à Bogotá), au cours de la réception du titre de Docteur Honoris Causa que lui a remis l'Université des Andes, il a fait un discours peu complaisant sur le gouvernement et les Farc. Selon lui, les accords de La Havane n'ont pas traité un thème central : celui de la manière dont l'Etat fonctionne - ou pas. Il a considéré qu'un certain effondrement de ce dernier était comme "un éléphant dans la pièce". Sa majeure préoccupation étant que cet Etat, pas totalement défaillant mais pas non plus totalement capable, doive s'occuper de mettre en œuvre les accords et de construire la paix, sans que l'on ne sache s'il sera dépassé par la tâche. 

Ce que Robinson a exprimé devant un auditoire universitaire coïncide avec la perception de nombreux ambassadeurs et membres de la communauté internationale qui travaillent en Colombie et cherchent à faire en sorte que la transition de la guerre à la paix soit un succès. Leurs préoccupations, nombreuses, ne sont pas toujours bien reçues par le gouvernement. SEMANA a parlé avec nombre d'entre eux qui, d'Europe et d'Amérique, ont exprimé leurs inquiétudes. 

En premier lieu, la communauté internationale reconnait généralement que l'accord de paix auquel a abouti la Colombie est excellent. C'est la raison pour laquelle elle mise sur une mise en œuvre de même type, qui pourrait être un exemple dans la conjoncture mondiale actuelle, particulièrement sombre. Mais parallèlement, il y a la conscience que l'accord est très ambitieux. Des chapitres comme ceux de la justice transitionnelle sont sophistiqués et complexes à l'heure de les mettre en pratique. Des défis comme celui de substituer plus de 100.000 hectares de coca par des cultures licites demandent trop de ressources. Et résoudre le problème historique de la terre est pratiquement impossible sans le concours des élites agraires, qui ne peut que difficilement avoir lieu.

Tous sont d'accord pour dire que la Colombie a amélioré radicalement sa situation si on la compare avec les décennies passées, quand le pays était au bord de la faillite et dans un bain de sang. Il y a également un consensus sur le fait que le pays a de grandes capacités institutionnelles. C'est justement la raison pour laquelle il est alarmant que la mise en œuvre des accords sur des aspects apparemment faciles ou très concrets comme l'installation des zones de regroupement pour le désarmement des Farc, la mise en place de la Loi d'Amnistie ou la réincorporation de 7.000 guérilléros, semble si difficile.


L'incertitude politique

On peut dire que la première grande préoccupation concerne les délais. L'expérience des processus de paix dans le monde a démontré que les premiers 18 mois après la signature d'un accord sont cruciaux pour qu'il soit durable et irréversible. C'est particulièrement vrai en Colombie car dans un an, il y aura des élections présidentielles et que parmi les candidats avec le plus de possibilités pour succéder à Santos, aucun n'a l'enthousiasme ni l'engagement du président actuel."La construction de la paix sera l'affaire des trois prochains présidents de la Colombie. S'ils ne l'assument pas comme une tâche principale, on aura perdu une grande opportunité" dit un ambassadeur européen. C'est pourquoi on se demande comment faire en sorte que la paix soit réellement un objectif national et qu'il y ait une réconciliation politique. L'extrême polarisation sur la question de la paix surprend les étrangers. Dans de nombreux pays, il y a eu des résistances ou des critiques quand des accords ont été signés, mais en Colombie, cette situation semble particulièrement exotique au vu des bénéfices très clairs que la fin de la guerre a signifié pour le pays en seulement quelques mois.


Un pays santanderiste

"En Colombie, il y a trop d'avocats" ont répété plusieurs ambassadeurs à SEMANA. Alors que la majorité d'entre eux reconnait que le "fast track" a été une bonne formule, la quantité de lois et de décrets requis pour mener à bien l'application de l'accord les déconcerte. Bien que cela soit un trait propre à la société colombienne, comme à l'Amérique Latine, ils sont préoccupés de voir que faire avancer les lois soit devenu l'effort principal, non seulement de la Commission de Suivi, Développement et Vérification de l'Application de l'Accord de Paix (CSIVI), mais aussi des membres clés du gouvernement. Au cours des sessions pour approuver la Juridiction Spéciale pour la Paix, par exemple, il n'y a pas eu que le ministre de l'intérieur, Juan Fernando Cristo, à travailler pour convaincre chaque parlementaire, même au sein de la coalition de la majorité gouvernementale, de participer pour atteindre le quorum et voter favorablement. Le Haut Commissaire Sergio Jaramillo, le Haut Conseiller pour le post-conflit, Rafael Pardo, et même le ministre de la Défense, ont dû aussi s'y mettre. Et la mise en application dans les régions, où l'accord devrait réellement avoir un impact, ne se sent pas encore.

Todd Howland, le représentant du Bureau du Haut Commissariat aux Droits Humains de l'ONU, a signalé publiquement cet excès de charge politique. Il considère que, pendant que tout le gouvernement se lance à fond pour obtenir des majorités au Congrès, les effets de la paix n'atteignent toujours pas les territoires où les dirigeants sont assassinés et où le crime organisé pousse comme de la mauvaise herbe.


Une coordination médiocre

La communauté internationale a bien reçu l'arrivée à la Vice-présidence du général Óscar Naranjo, car elle espère qu'il remplira le rôle d'articulation de toutes les institutions et fonctionnaires de l'Etat engagés dans l'application de l'accord, ce que jusqu'à maintenant personne ne faisait. Au cours de ces derniers mois, il n'y a pas seulement eu des jalousies et des différends qui ont rendu la prise de décision difficile, il a eu également une culture du "pré carré" dans de nombreux ministères et gouvernements locaux.

Manifestement, le choc entre les différents ministères est plus grave en ce qui concerne la mise en application du point quatre de l'accord de La Havane sur la substitution des cultures. Alors que l'Armée et la Police se sont donné l'objectif d'éradiquer de manière forte 50.000 hectares, le Ministère du Post-Conflit se positionne sur la substitution. Le problème est que la stratégie du baton (l'éradication) compte avec des ressources et montre des résultats immédiats, alors que celui de la carotte (la substitution) marche lentement et n'a pas des ressources sures. C'est un thème sensible pour le gouvernement des Etats-Unis qui, même s'il respecte l'accord de La Havane en la matière, est sceptique sur ses résultats.

La coordination est aussi particulièrement critique en ce qui concerne les assassinats de leaders communautaires et politiques. Le Gouvernement, le Parquet, le bureau du Procureur et le Défenseur du Peuple ont des lectures différentes sur ce qui est en train de se passer et sur la manière d'affronter le problème de la violence résiduelle et les nouvelles violences.


Et la coopération ?

Pour nombre de personnes en dehors de Colombie, et aussi à l'intérieur du pays, il est difficile de comprendre pourquoi le budget de cette année comporte des ressources si faibles pour mettre en œuvre les accords. A ce propos, dans son dernier rapport devant le Conseil de Sécurité, le secrétaire général de l'ONU a dit que "les tâches prévues dans l'accord de paix exercent une pression extrême sur les ressources et les capacités pour qu'elles soient respectées dans un délai si limité".

De nombreux délégués de la communauté internationale sont surpris que le gouvernement espère que cette année, les ressources proviennent de la coopération, alors qu'il n'y a pas suffisamment de clarté sur la teneur des projets d'envergure qu'elle devrait soutenir, et que d'une certaine manière, on est en train de faire les choses par petits bouts. Tous affirment avoir un grand intérêt à contribuer sur le long terme. La question est : Y-a-t-il un plan ? Ou est-ce que le gouvernement met la main sur la coopération parce que le système interne de passation des marchés est si complexe qu'il ne permet pas de faire les investissements immédiats nécessaires ?

Bien que les ambassadeurs ne considèrent pas ces difficultés comme catastrophiques, il est clair pour eux que la Colombie a besoin de soutien pour un certain temps, particulièrement pour que le processus de paix devienne irréversible. C'est pourquoi quasiment tous soutiennent l'idée qu'une deuxième mission de l'ONU veille sur le respect des accords.

La mission qui est actuellement dirigée par Jean Arnault, délégué du secrétaire général de l'ONU, se terminera avec le désarmement des Farc, c'est à dire en juin prochain. Une deuxième mission est envisagée dans l'accord mais sa portée n'est pas encore claire. Logiquement, le gouvernement n'est pas très favorable à une permanence importante et prolongée de l'ONU, car il ne la considère pas nécessaire, en tant qu'elle porte atteinte à la souveraineté. Mais les ambassadeurs la considèrent plus que nécessaire au vu de l'incertitude politique qui règne aujourd'hui dans le pays.

Source : Semana
Traduction : CM


Bienvenida seas Sexta República / Bienvenue sois-tu Sixième République


Una nube se detuvo en el cielo azul y luminoso
que baña la ciudad en plena primavera.
Nube blanca, retazo de algodon
quisiera escribir en tu corazón con letras de mil colores
un llamado: ¡Vota Melenchón!
Francia despierta, Francia la rebelde,
Francia faro de luz, Francia la que amo
vuelve a la fuente escrita en su frontón:
Igualdad. Libertad. Fraternidad.
¡Bienvenida seas sexta Republica!
Manuel Salamanca Huertas
Un nuage s'est arrêté dans le ciel bleu et lumineux
qui baigne la ville au printemps.
Oh nuage blanc, bribes de coton
je voudrais écrire sur ton coeur avec des lettres de mille couleurs
cet appel : Votez Mélenchon !
La France se réveille, France la rebelle,
France phare de lumière, la France que j'aime
revient à la source écrite en son fronton :
Egalité. Liberté. Fraternité.
Bienvenue sois-tu sixième République !
Trad° : CM





mardi 11 avril 2017

Colombie. Alejandra Gaviria : "Les victimes, exemple de respect et de dignité"

Photo : MOVICE
Source : Contagio Radio

Au cours de l'événement organisé au Congrès à Bogotá pour commémorer la "Journée Nationale des Victimes" qui devait permettre d'écouter les témoignages mais aussi les propositions des victimes qui résident dans différentes régions de Colombie, les activités ont été sabotées par les uribistes. Faisant face à cette situation, les victimes ont gardé une attitude d'écoute.

"Les victimes ont donné un exemple de respect, d'envies de travailler sur les problèmes rencontrés en Colombie à cause du conflit. Et cela nous remplit de fierté, de dignité : Savoir que nous maintenons notre attitude de paix, qui est fondamentale dans ces moments que traverse notre pays" a expliqué Alejandra Gaviria, membre du Mouvement des Victimes de Crimes d'Etat, présente ce jour-là.

Selon cette jeune femme, ce qui est arrivé au Congrès est la preuve de tout ce qui reste à faire en Colombie et du manque d'engagement des parlementaires : "A la fin de la journée, sur 166 députés il n'y en avait que 24 pour écouter les victimes, et sur 102 sénateurs, il n'y en avait que 11. C'est vraiment triste parce que cela reflète un peu la difficulté que nous, les colombiens, avons à écouter les autres".

Face à l'attitude du groupe parlementaire du Centre Démocratique dirigé par le sénateur Álvaro Uribe, Alejandra Gaviria a souligné combien il était important de comprendre quel était le sens de cette session : "Ce dimanche, il ne s'agissait pas d'un débat au Congrès dans lequel quelqu'un donne son point de vue pour que le parlementaire concerné en discute ensuite. Hier, c'était le moment d'écouter les victimes".

A cette occasion, ce fut le président de la Chambre lui-même, Miguel Ángel Pinto, qui a expliqué au sénateur Uribe qu'il devait attendre que les victimes terminent leurs interventions "C'est ce qui l'a choqué (...) la perspective du Mouvement des Victimes de Crimes d'Etat, c'est que nous sommes tous des victimes, il y a 8 millions de victimes, bien sur qu'il peut parler, mais en respectant son tour (...), moi j'avais le n°25, et j'aurai bien aimé parler à un autre moment, mais mon tour était le n°25" explique A.Gaviria.

Pour les victimes, l'attitude qu'a eu le sénateur Uribe est la même que celle qui a été intériorisée en Colombie, celle de ne pas écouter l'autre "et de stigmatiser celui qui pense différemment. Et c'est peut-être avec ce type d'attitudes que nous avons eu un si long conflit, c'est à cause de ces attitudes que les victimes de crimes d'Etat ont été si peu écoutées, quand nos exigences sont différentes. Ce qui doit nous rester, c'est que nous devons apprendre à écouter l'autre, à nous respecter. Nous, les victimes, avons donné l'exemple".

Ce sont les victimes qui auraient dû être la nouvelle


Suite à ce qui est arrivé au Congrès, les victimes se sont retrouvées une fois de plus invisibilisées au niveau de l'info. Beaucoup parmi elles étaient venues de nombreuses régions de Colombie, dont certaines très éloignées, pour raconter avec dignité le passage qu'elles réalisent de la guerre au postconflit, pour expliquer les propositions travaillées depuis longtemps dans leurs territoires, et les exigences qu'elle portent devant l'Etat.

"Par respect, les gros titres, les articles, auraient dû dire quelle est l'approche de chacune des victimes, mais si on regarde bien, c'est passé à un second plan. Personne ne sait ce que proposent les personnes qui venaient de La Guajira, les Wayúu, ou la femme qui a été victime de violence sexuelle, car on en reste à des disputes qui ne cherchent que la polarisation et la haine. Et là, les victimes, nous disons que cela ne nous intéresse pas de participer à des espaces de rancoeur et de haine (...), nous travaillons pour construire une Colombie avec des pratiques différentes" a affirmé A.Gaviria.

“Les victimes continueront à travailler pour raconter la vérité"


Face à toute intention de diviser les victimes, Alejandra Gaviria dit que cela n'arrivera pas car elles ont vraiment l'intention de construire. En tant que victimes, nous allons continuer à travailler, comme nous l'avons fait depuis plus de 30 ans pour certains, pour que le pays connaisse la vérité que nous avons à raconter. Parce que nous savons que c'est une condition fondamentale pour aller au delà et transformer le conflit".

D'un autre côté, les victimes ont demandé instamment à l'Etat que l'on continue à inclure toutes les victimes du conflit : "ils doivent savoir l'importance de notre participation, pas seulement pour nous mêmes, mais pour le pays. Et dans ce sens, ils doivent générer des mécanismes et réguler nos participations pour garantir l'amplitude, la diversité. (...) Il faut bien planifier ces espaces pour qu'ils ne deviennent pas revictimisants" a dit A.Gaviria.

Ainsi, les victimes vont continuer à travailler, en s'articulant, en proposant des thèmes sur le post-conflit et la commission de vérité. "Il faut continuer à travailler pour la mise en oeuvre des mécanismes que propose l'accord de paix pour notre participation, c'est ça la route. Nous devons aider à construire un pays à partir des propositions que génèrent les accords" a conclu A.Gaviria.

Qu'y a-t-il derrière l'attitude du sénateur Alvaro Uribe ?


"Il n'est pas raisonnable que le jour où viennent les gens de la zone rurale, c'est à dire des personnes qui sont bien loin de pouvoir exercer tous les jours le droit de parler à l'opinion publique, ce jour soit aussi préempté par les parlementaires, quelque soit leur condition. Ce que nous avons vu hier (dimanche 9 avril), dans un acte d'intolérance et d'agressivité, c'est que le caudillo du Centre Démocratique a décidé de claquer la porte au nez des victimes" a dit le sénateur du Pole Démocratique, Iván Cepeda.

Il a également ajouté que ce qu'il y a derrière l'attitude du sénateur Álvaro Uribe, c'est une grande inquiétude car on commence à entrevoir la configuration du système de vérité, justice et réparation. "Et soyons francs et directs : cela provoque la panique d'Uribe et de ses partisans" a souligné I.Cepeda.

Source : Contagio Radio
Traduction : CM



L'assassinat de Gaitan et les leçons de l'histoire


Source : VOZ Digital

Le neuf avril 1948 à 13h05, à Bogotá en Colombie, le dirigeant libéral et populaire le plus connu et le plus important de l'histoire colombienne du XXème siècle, Jorge Eliécer Gaitán, était assassiné.

Ce fut un assassinat qui, comme presque tous ceux qui ont lieu dans ce pays, est resté impuni. Mais dans l'imaginaire collectif et pour des raisons quasi évidentes, la responsabilité en a été attribuée au régime conservateur terroriste de Mariano Ospina Pérez et à la CIA des Etats-Unis qui avait intérêt, alors que débutait la IXè Conférence Panaméricaine à Bogotá, à rendre responsable les communistes et l'Union Soviétique au début de la guerre froide. Cette Conférence a précisément donné lieu à l'Organisation des Etats Américains (OEA), connue ensuite comme le "ministère des colonies yanquies" car avec une majorité de gouvernements dociles, elle est sous la coupe infâme de Washington et donne son aval à sa politique interventionniste. Il y a là une oligarchie servile qui est à l'aise avec le fait que les Etats-Unis considèrent l'Amérique Latine comme son arrière-cour.

Alors que naissait l'OEA sous la férule de la IXè Conférence Panaméricaine dirigée par le général George Marshall, Bogotá était incendiée par la foule en colère, aveuglée par l'assassinat de Jorge Eliécer Gaitán. L'objectif était de renverser le gouvernement conservateur de Mariano Ospina Pérez, qui s'était imposé à feu et à sang après la faillite de l'hégémonie libérale. La répression militaire, mais surtout la trahison des dirigeants libéraux qui finirent par pacter avec le gouvernement, neutralisa l'insurrection et mit un point final à un des mouvements populaires les plus importants de l'histoire colombienne, presque aussi important que la Révolte des Communéros de 1781, car le mouvement s'étendit dans une grande partie du pays.

Les dirigeants libéraux ont toujours agi de cette manière mesquine et servile. Au palais présidentiel, au cours d'une courte réunion avec Ospina Pérez, alors qu'ils étaient venus pour, théoriquement, exiger sa démission, ils ont fini par négocier un gouvernement de coalition. Darío Echandía assuma le Ministère de l'intérieur après avoir dit, avec son accent du Tolima, une phrase laconique et indigne : “¡El poder pa´que!” (Le pouvoir, quoi encore!). Cette alliance mal engagée, basée sur la traitrise envers le peuple, ne dura qu'un an car en 1949, Mariano Ospina Pérez ferma le parlement et mena le pays dans une guerre civile non déclarée, longue étape de violence qui donna lieu à un affrontement entre les libéraux, les conservateurs et les communistes, et qui laissa 300 mille morts.

Le 13 juin 1953 se produisit le coup militaire du général Gustavo Rojas Pinilla pour soi-disant rétablir "la paix et l'ordre", mais ce qui résulta fut une dictature terroriste et militariste soutenue par les libéraux et un secteur du conservatisme. Quand la dictature ne répondit plus à leurs intérêts politiques et économiques, la bourgeoisie des deux partis se mit d'accord pour renverser le gouvernement et ils s'accordèrent au sein du Front National bipartite, qui s'alternait à la présidence et qui excluait les autres forces politiques du pays. Comme d'habitude, l'histoire a confirmé que quand l'oligarchie libérale-conservatrice voit ses intérêts de classe en danger, elle n'hésite pas un instant à s'unir et à laisser de côté les contradictions occasionnelles ou conjoncturelles pour défendre le pouvoir de la minorité des exploiteurs.

C'était ce que Jorge Eliécer Gaitán avait dénoncé avec force et c'est pourquoi ils l'assassinèrent. Pour la CIA, Gaitán était communiste. Des documents déclassifiés à Washington démontrent clairement que cet assassinat fut l'oeuvre du régime conservateur et de la CIA à une époque d'anticommunisme viscéral, de guerre froide, où le général Marshall, au nom de la "démocratie occidentale", coupait la tête aux opposants de gauche.

L'assassinat de Gaitán a été le tournant d'un processus politique de violence conservatrice qui a ouvert le chemin au terrorisme d'Etat, à une dictature qui a poursuivi les communistes et les forces démocratiques. On déclara la guerre à toute expression progressiste et avancée, et on ferma par voies légales la possibilité de changements démocratiques dans le pays. La victoire présidentielle de Gaitán, avec le soutien des masses populaires provenant de tous les champs politiques, était prévisible. L'assassinat fut le moyen de la faire dérailler.

L'oligarchie bipartite a toujours exercé le pouvoir à travers la violence. C'est sur elle que s'est fondée  la relation de l'Etat dominant avec les citoyens, après la mort du Libérateur Simón Bolívar. Sans cette forme violente, réussir à gouverner pour le bénéfice de la classe des exploiteurs n'aurait pas été possible. Ils n'ont jamais hésité à en appeler à la violence. Le 15 octobre 1914, ils ont assassiné le caudillo libéral Rafael Uribe Uribe ; en 1928, la dictature conservatrice a commis le massacre de Las Bananeras pour protéger les intérêts de la United Fruit Company (cela a inspiré Gabriel Garcia Márquez dans Cent Ans de Solitude) ; le 9 avril 1948 elle a assassiné Gaitán ; le 8 et 9 juin 1954, ils ont massacré les étudiants à Bogotá ; en 1964, ils ont bombardé Marquetalia, puis Riochiquito, El Pato et Guayabero ; ensuite, ils ont commis le génocide de l'Union Patriotique, ils ont assassiné Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo, des candidats présidentiels, et 5 milles dirigeants et militants ; ils ont assassiné Carlos Pizarro León-Gómez et Luis Carlos Galán, candidats présidentiels, ils ont organisés l'holocauste du Palais de Justice, des massacres dans les régions agraires, les "faux positifs", tant d'atrocités d'un régime dominant.

Le Parti Communiste Colombien, depuis sa fondation en 1930, fut soumis à une persécution permanente, à des interdictions par voie légale et par voie de faits, et à une extermination systématique qui n'est pas encore terminée.

L'assassinat de Gaitán a été précédé par des luttes massives pour la réforme agraire dans les campagnes, suite à la violence latifundiste et la concentration excessive de la propriété de la terre. La police chulavita et les "pájaros" ont fait des leurs en assassinant et en poursuivant les dirigeants ruraux libéraux et communistes. C'est ce qui a donné lieu à la lutte armée, à la résistance paysanne contre la violence réactionnaire. Ce furent les antécédents de la lutte armée des guerrillas et de la fondation des FARC-EP en 1964. L'exclusion, la violence du pouvoir dominant et la fermeture des voies légales ont conduit au surgissement des guérillas colombiennes.

L'Accord final de La Havane et les dialogues avec l'ELN cherchent à résoudre par la voie politique de la concertation les causes de la confrontation armée, à éliminer la genèse de la violence de plus d'un demi siècle. Il y a des doutes sur la possibilité que l'oligarchie colombienne, toujours réticente aux changements, respecte les accords et les engagements. La communauté internationale et les forces de paix en Colombie doivent veiller à ce qu'il n'y ait pas anguille sous roche. Il y a une grande méfiance, plus encore, quand Santos continue à gouverner pour le bénéfice du grand capital et des transnationales, quand il rejoint la croisade putschiste contre le Vénézuela et quand il soutient l'agression nord-américaine en Syrie.

Le neuf avril est le jour des victimes mais cette année, les parlementaires ne se sont pas souciés de la commémoration qui était organisée au congrès. Mieux vaut qu'ils n'aient pas assisté à l'événement, les hypocrisies n'ont plus lieu d'être. Le peuple a ses propres manières, dignes, de faire mémoire des victimes et l'une d'elles est de lutter pour le respect de l'Accord Final de La Havane, pour sa mise en oeuvre rapide et pour que la vérité, la justice, la réparation et la non-répétition soient la base de la paix stable et durable.

Source : VOZ Digital
Traduction : CM



lundi 3 avril 2017

Guérillero par tous les temps : Manuel Marulanda Vélez


Par Carlos Lozano Guillen in VOZ

Il y a neuf ans, mourrait dans les montagnes de Colombie Pedro Antonio Marín, plus connu sous le nom de "Manuel Marulanda Vélez", le commandant et fondateur des FARC-EP qui s'était rebellé avec un groupe de paysans et avait pris les armes après l'attaque déloyale des villages de Marquetalia, Riochiquito, El Pato et Guayabero. C'est le 26 mars 2008 que la vie de ce chef guérilléro légendaire s'est éteinte. Il fut l'un des grands protagonistes de l'histoire politique de la deuxième moitié du XXème siècle et de la première décennie du XXIème : une vraie légende qui, pendant près d'un demi-siècle de conflit, a été donné pour "mort au combat" presque une centaine de fois dans les communiqués de l'armée régulière ou dans les gros titres de la presse.

L'oligarchie colombienne et l'état major ont rêvé en permanence de tenir entre leurs mains le corps abattu de "Marulanda" pour l'exhiber comme trophée de guerre, en signe de victoire. Mais ils n'ont pas réussi. Il a fermé les yeux quelque part dans le Huila ou le Méta, approchant les quatre vingts ans, peut-être auprès de l'historique Guayabero, où il se trouvait avant que l'infarctus ne lui quitte la vie. Il était accompagné de Sandra, sa compagne, et de sa garde personnelle formée par d'anciens guérilleros et guérilleras.

"Les morts de Tirofijo"

Le commandant "Marulanda" racontait qu'à plusieurs reprises il avait failli mourir au combat contre les forces publiques ou au cours d'opérations militaires. Il fut toujours désespérément recherché, par terre, par air ou dans l'eau mais ce n'est qu'en de très rares occasions qu'il fut localisé. Le 9 décembre 1990, au cours de l'attaque contre le siège du Secrétariat des FARC-EP, pendant le gouvernement de César Gaviria Trujillo, le jour même où étaient élus les membres de l'Assemblée Nationale Constituante au cours de laquelle le gouvernement s'attendait à voir apparaître les FARC, le chef guérilléro se faufila subrepticement dans les montagnes et échappa au siège militaire ; les hélicoptères qui transportaient les troupes pour les déposer sur une des deux montagnes, choisirent justement celle dans laquelle ne se trouvait pas "Marulanda"... S'il n'en avait pas été ainsi, la menace aurait été imminente. Mais il survécut toujours aux avatars de la guerre pour raconter l'histoire, celle des plus de cent "morts de Tirofijo", inventées et qui l'ont converti en légende.

Sa mort fut tranquille. Les dernières années avaient été rudes à cause de la guerre de la "sécurité démocratique" uribiste. Après la rupture des dialogues du Caguán, il n'y eut pas de répit, la pression militaire était permanente et il n'y avait pas les conditions pour rester longtemps dans un même lieu. Mais le chef des FARC-EP n'a pas vécu non plus dans les conditions décrites par Luis Carlos Restrepo. Selon le Haut-Commissaire de Paix du gouvernement d'Uribe Vélez, "Marulanda" se serait trouvé seul, sans alimentation, dans la profondeur de la selva et avec un uniforme déchiré... Mais, bien au contraire, il était accompagné par Sandra et ses proches, dans les lieux où il avait toujours vécu, entouré de ses bêtes et avec largement de quoi manger. D'une certaine manière, il a défié ceux qui l'ont poursuivi tout au long de sa vie avec l'intention de le capturer ou de le tuer.

Sa vie

Il naquit à Génova dans le Quindío, le 12 mai 1928. Enfant, il aimait à travailler dans les champs et à se balader d'un endroit à l'autre, toujours proche de sa famille. Il n'a jamais perdu son accent, sa modestie et son astuce paysanne. Il n'était allé que cinq ans à l'école et il fut un autodidacte en politique, profitant de ses relations avec les organisations rurales, populaires et de sa formation communiste et révolutionnaire. "A la guérilla, j'ai appris de tout" dira-t-il une fois.

Il se trouvait le 9 avril 1948 à Ceilán, dans la Vallée du Cauca, et il a été témoin de la violence des conservateurs qui assassinèrent des dizaines de libéraux et d'opposants à la dictature conservatrice, dont certains étaient de sa famille. Cette réalité l'a rapproché des organisations rurales de l'époque, qui résistaient à la violence des propriétaires terriens et des latifundistes. C'est ainsi qu'il rentra dans la guérilla libérale, puis communiste.

Dans les années cinquante, il arriva au sud du Tolima, bastion historique des luttes paysannes et de guérillas, où il se lia d'amitié avec Jacobo Prías Alape et d'autres dirigeants communistes. C'est de là qu'il se trouva engagé dans la lutte paysanne et populaire qui marqua l'histoire à travers la résistance armée du Davis puis, des années plus tard, à Marquetalia et dans d'autres régions du sud du pays.

Il est alors devenu "Manuel Marulanda Vélez", nom qu'il adopta pendant une école des cadres du Parti Communiste, en hommage à un important dirigeant syndical communiste, assassiné par les services d'espionnage de l'Etat en 1950. "Ils m'ont baptisé politiquement comme ça (...). Je suis resté comme ça et je continuerai comme ça. Même si pour le baptême de la foi et la carte d'identité, je continue à être Pedro Antonio Marín (...)", expliqua-t'il à l'écrivain Arturo Alape. Ce fut le point de départ du révolutionnaire qui devint une grande personnalité de l'histoire colombienne.

La lutte pour la paix

"Manuel Marulanda Vélez" a dirigé la résistance armée paysanne, il a orienté l'installation de Marquetalia et d'autres régions agraires. Suite à l'agression militariste et impérialiste, il a conduit la première Conférence Nationale Guérillera du Bloc Sud en 1965, ce qui a ouvert le chemin pour que soient fondées les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), au cours de la deuxième Conférence Nationale Guérilléra en 1966. Il fut un guérillero sans précédent.

Cependant, il avait compris que le fin mot de la lutte armée est la paix. Sur ce chemin, la recherche de la solution politique dialoguée pour résoudre les causes du conflit faisait partie de l'action politique et militaire de la guérilla. C'est ainsi que le concevait le chef des FARC-EP et il l'exprima dans une phrase lapidaire : "La paix est un drapeau des révolutionnaires". Sans aucun doute, il n'aurait pas hésité à soutenir la consolidation du processus de paix de la Havane et à souscrire l'Accord Final.

Pedro Antonio Marín ou "Manuel Marulanda Vélez" fut un homme enraciné dans le peuple. Un paysan qui ne cessa jamais de l'être, qui a toujours vécu et agit comme un paysan. Humble, modeste et aimable. Jamais il ne criait ou n'insultait quiconque. Il reconnaissait qu'il faut respecter la dignité de toutes les personnes.

Dans le Caguán, pendant les dialogues avec le gouvernement de Pastrana, il a été consterné plusieurs jours parce que son husky qui l'accompagnait toujours, tuait les poules des fermes voisines du campement. Il était gêné avec les propriétaires et leur payait toujours les dégâts comme un bon citoyen. Ou bien quand il se rendit compte que la fragilité et l'isolement politique du président Andrés Pastrana mettait en danger le futur des dialogues de paix, en réunion avec les chefs des partis politiques, il leur demanda de soutenir le président car s'ils ne le faisaient pas, il ne pourrait pas supporter la pression à la rupture des dialogues.

Il était très accueillant et se préoccupait de chaque détail pour que ses invités soient à l'aise malgré les désagréments d'un campement guérillero, encerclé par le feu ennemi.

"Manuel Marulanda Vélez" a été le guérillero le plus vieux de la planète mais aussi celui qui a posé les bases pour que les FARC-EP arrivent jusqu'à la signature de la paix avec démocratie et justice sociale.

Source : El guerrillero de todos los tiempos
Traduction : CM