mardi 13 décembre 2016

Colombie : Communiqué de la Marche Patriotique

Ce 12 décembre 2016, Guillermo Veldaño a été assassiné. C'était un paysan, président du Conseil d'Action Communale du lieu-dit Buenos Aires, à Puerto Asís, dans le Putumayo. Ses assassins ont pris des motos pour aller chez lui.

Guillermo était militant de la Marche Patriotique, membre du syndicat paysan FENSUAGRO et défenseur du droit à l'eau.

Guillermo Veldaño n'est pas un numéro de statistique, c'était une personne avec une famille, des amis, c'était un leader du mouvement coopératif, environnemental et paysan. 


Nous demandons au Ministère Public, au Défenseur du Peuple, au Ministère de l'intérieur et au Procureur d'assumer le fait que ces assassinats sont systématiques et de mettre en oeuvre au plus vite les propositions formulées récemment par la Marche Patriotique.

Nous demandons à la Cour Constitutionnelle de faciliter la mise en oeuvre des accords de La Havane qui incluent des mesures concrètes pour protéger les leaders paysans et les défenseur-e-s des droits humains. Nous demandons au pays de ne pas nous laisser seuls, un nouveau génocide est déjà en marche.





dimanche 11 décembre 2016

A cheval avec Fidel



Ils disent que sur la place, ces jours-ci
On a vu chevaucher Camilo et Martí
Et devant cet équipage,
lent et sans cavalier,
il y avait un cheval pour toi.

Reviennent les blessures incurables
des hommes et des femmes
qui ne te laisseront pas partir.
Aujourd'hui, nous avons le coeur qui bat, là-bas,
et ton peuple, même s'il a mal,
ne veut pas te dire adieu.

Hombre, nous sommes reconnaissants et t'accompagnons
nous avons tant rêvé de tes exploits
la mort elle-même ne peut croire qu'elle s'est emparée de toi.
Hombre, nous avons appris à te savoir éternel
comme Olofi et Jésus-Christ
Il n'y a pas un autel sans une lumière pour toi.

Aujourd'hui, je ne veux pas t'appeler "Commandant",
"Barbudo" ou "Géant", tous ces noms que je sais de toi.
Aujourd'hui je veux t'appeler "Père"
Ne lâche pas ma main
Je ne sais pas bien marcher sans toi

Hombre, nous sommes reconnaissants et t'accompagnons
nous avons tant désiré tes exploits
la mort elle-même ne peut croire qu'elle s'est emparée de toi.
Hombre, nous avons appris à te savoir éternel
comme Olofi et Jésus-Christ
Il n'y a pas un autel sans une lumière pour toi.
(bis)

Ils disent que sur la place ce matin
il n'y a plus d'espace pour les chevaux venus d'autres confins
et qu'une foule désespérée de héros aux dos ailés s'y est rassemblée.
Et devant cet équipage,
lent et sans cavalier,
il y a un cheval pour toi.

Ecrit par Raúl Torres (auteur-interprète) en hommage à Fidel
Merci à Lydia et à Danilo


mercredi 7 décembre 2016

L'histoire du tissu qui a enveloppé le Palais de Justice

Il y a quatre ans naissait l'atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" à Bogotá. Et naissait aussi l'idée d'envelopper le Palais de Justice avec des tissus brodés et tissés racontant les histoires de centaines de victimes du conflit armé. 
Ce 4 décembre 2016, le rêve est devenu réalité. 
Quarante organisations de brodeuses y ont participé.

Source :  El Espectador

 Des dizaines de brodeuses ont cousu les histoires vécues par leurs communautés pendant un demi-siècle de conflit.

En comptant leurs pas et à l'œil nu, deux femmes de l'atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" de Bogotá ont mesuré la taille de la zone qui entoure le Palais de Justice puis se sont embarquées dans le rêve "un peu fou" de l'entourer avec des grandes toiles tissées ou brodées. "Il n'y a jamais assez de tissus" ont dit les couturières qui voulaient construire la paix à travers un acte symbolique où la mémoire pourrait entourer la justice. Car selon elles, la justice continue à manquer dans les centaines de maisons de femmes colombiennes qui, à travers leurs broderies, font mémoire des souvenirs tragiques de la guerre et traduisent leurs espérances et leur soif de paix.

Plus de 500 mètres de tissu ont été nécessaires pour entourer le Palais de Justice au centre de Bogotá et atteindre l'objectif que s'était donné il y a quatre ans ce groupe de femmes qui se réunissaient pour coudre et cicatriser leurs blessures avec d'autres victimes du conflit. Quarante et une couturières des zones les plus vulnérables du pays, qui ont souffert les ravages de la guerre pendant un demi siècle, ont rejoint l'initiative. Des femmes qui venaient de El Placer (Putumayo), Bojayá (Chocó), Montes de María (Bolívar) ou de l'est d'Antioquia. Des dizaines d'organisations de défense des droits humains se sont unies à l'événement, qui cherchait à inclure les passants invités à raconter comment ils ont été affectés par le conflit, ce qui les a le plus impactés et de quelle manière ils construisent la paix.

L'an dernier, l'Atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" est parti en car avec "40 femmes un peu folles, dont seulement deux avaient été invitées" à une rencontre du Réseau National des Brodeuses pour la Mémoire et pour la Vie. Elles ont découvert les travaux des différentes régions du pays, qui relataient les récits des femmes victimes de la violence de genre, celles qui avaient des parents disparus et celles dont les époux et les fils ont été assassinés. "Cet événement est conçu pour rendre visible la douleur d'autrui, comprendre que cette douleur est aussi notre douleur" explique Ofelia Castillo, directrice de la Fondation Tierra Patria.

Au cours de cette initiative, à laquelle ont participé d'autres collectifs de victimes et où des présentations théâtrales et musicales ont eu lieu, s'est exprimée la nécessité que justice soit faite. A deux heures de l'après-midi, l'assemblage de tous les tissus a commencé, après que les victimes du conflit et les brodeuses aient discuté avec les personnes présentes. Sonia Cifuentes, de l'Association Minga et de l'Atelier Couture Kilomètres de Vie et de Mémoire, souligne que l'objectif était de montrer "les histoires de douleur, les résistances et les rêves que nous avons. Reconnaitre que, tout en étant des victimes, nous construisons des récits depuis l'espérance, la joie et la diversité. C'est un processus de guérison des autres violences qui ont été vécues dans le pays".

Les brodeuses de Mampuján, à María la Baja (Bolívar), dont les familles, la communauté et le territoire ont été dévastés par le conflit, sont une des grandes références dans le pays en matière de réconciliation et de pardon. Avec leurs broderies qui se caractérisent par de multiples couleurs et des dessins de fleuves et de montagnes, elles font mémoire des années où les balles des paramilitaires de Diego Vecino, les menaces, les disparitions et les tortures ont détruit leur environnement. Mais tout n'est pas que tragédie, leurs travaux reflètent aussi les désirs de paix et l'espoir de reconstruire ces liens qui auparavant les tissaient ensemble en société.

"L'idée, c'est que avec toutes ces expériences face au conflit, les espérances de paix que nous avons puissent protéger, recouvrir le Palais de Justice. En plus, c'est une façon de montrer comment nous avons pu nous réconcilier, pardonner et aimer. C'est difficile de parler de paix à partir d'un cœur plein de haine. Nous devons nous réconcilier avec nous-mêmes et avec la nature, parce que nous lui avons fait beaucoup de mal" souligne Juana Alicia Ruiz, leader de l'organisation "Femmes qui tissent des rêves et des saveurs de paix".

A la Fondation Tierra Patria, une organisation de femmes afro-colombiennes victimes du conflit sur la Côte Caraïbe qui fait de la pédagogie pour la paix et les droits humains depuis plus de 15 ans, elle brodent leurs récits depuis 2014. Elles ont commencé avec un petit atelier à Cartagena et aujourd'hui, elles sont 200 femmes à broder. "Nous nous sommes rendues compte qu'il était nécessaire de trouver des espaces pour dialoguer et faire des accompagnements sociaux de manière collective. La couture a été la meilleure manière parce que c'est quelque chose du quotidien. Nous avons toutes appris à coudre l'ourlet d'un uniforme. C'est un espace pour dialoguer et soigner, où nous faisons aussi des ateliers de design, graphisme, peinture, gravure et autres techniques".

"Les femmes ne comprenaient pas le concept de mémoire historique, et chercher à représenter leurs sentiments était difficile. Nous leur avons dit qu'il ne s'agissait pas seulement de broder les faits traumatiques vécus par la communauté, mais aussi d'arriver à penser un futur différent, comme par exemple, qu'un déplacement leur avait permis de créer de nouveaux projets de vie. Broder est un processus qui n'en finit jamais, car une année après, elles modifient tout ce qu'elles avaient fait avant. Dans les ateliers de Montes de María et de Carmen de María, elles n'ont pas voulu recommencer à raconter leurs tragédies. Ce n'était pas une manière de fuir leurs sentiments de tristesse, c'est seulement qu'elles ont voulu se penser au futur et fermer les cycles de guérison" explique Ofelia Castillo.

A Sonsón, une de ces nombreuses communes de l'Est du département d'Antioquia qui était dans la zone d'influence *(des paramilitaires ACCU et) du Bloc José María de Córdoba de las Farc, les ateliers se sont mis en place lentement. Luz Dary Osorio, membre de l'Atelier des Couturières de la Mémoire de Sonsón, explique qu'elles n'aimaient pas coudre au début mais qu'en voyant la puissance de guérison et de reconstruction du tissu social de ces réunions, elles ont compris que c'était un espace pour se redéfinir en tant que personnes.

"Nous avons compris que la propre douleur pouvait être moindre que celle du voisin, que nous ne connaissions pas et dont nous ne savions pas qu'il était aussi victime du conflit. Avec l'atelier, nous avons vu que, entre nous toutes, nous étions capables d'affronter ce qui nous est arrivé, de guérir, de vivre sans nous enfermer et d'arrêter que l'on continue à nous écraser. Aujourd'hui, on n'aime pas être traitée de victimes, parce que ce n'est plus ce que nous ressentons. Ils nous ont amené des psychologues, et moi je n'aimais pas ça. C'est pour ça que les ateliers de couture, ont été pour moi la meilleure des thérapies, parce qu'avec la couture, je façonne ce que je ressens et je n'ai pas à le raconter : Je le brode" explique Luz Dary Osorio.

A six heures du soir, le grand ruban de toile a commencé à être replié. L'objectif était atteint : Reconstruire la mémoire et le tissu social à partir de la vision des différentes victimes du conflit en Colombie. Il manquait bien des points, des fils et des motifs pour rappeler des milliers de colombiens. Mais l'espoir que ces toiles soient des symboles contre l'impunité et l'injustice était apparu clairement. Les couturières sont l'exemple fidèle du pays qui n'oublie pas.

*(note de la traductrice CM)


jeudi 1 décembre 2016

"Je suis ici pour vous parler de ma peur pour votre pays"

Discours émouvant de Todd Howland... Le représentant du Haut-Commissariat de l'ONU pour les Droits de l'Homme a demandé au Congrès colombien de ratifier l'Accord de Paix. Ses réflexions sur la peur, à partir de son expérience de malade souffrant de leucémie, en ont ébranlé plus d'un.


Source : www.semana.com

Au cours des intenses journées vécues au Congrès pour ratifier l'accord de paix signé entre le Gouvernement et les Farc, il y a eu des dizaines d'interventions. Mais rares ont été celles qui ont réussi à accaparer l'attention des députés et des autres participants. Avec un discours bref, Todd Howland a réussi à attirer l'attention de l'auditoire. Le représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme, qui a connu de près les conflits du Congo et de l'Angola en Afrique, a souligné combien la Colombie marche sur une corde raide et remarqué que les vies de milliers de citoyens qui souffrent la violence dans les territoires éloignés de Bogotá,  sont entre les mains du Congrès.

Voici son discours :

En 2010, on m'a diagnostiqué une leucémie. Quelques semaines après, j'ai suivi un stage pour les personnes qui se trouvent entre la vie et la mort, face à l'incertitude de la survie. Dans ce stage, on nous a dit qu'il était très important de dire ce que l'on pense.

Je suis ici pour vous parler de ma peur. Ma peur pour votre pays. J'ai très peur que, pour les gens qui vivent et qui ont vécu depuis des décennies au milieu du conflit, l'espoir de l'Accord de Paix avec les FARC ne produise pas la Non-Répétition des violations des droits humains. Car la réalité de ce que les gens vivent dans les zones d'influence des FARC est déjà en train de changer, mais pas en mieux.

Je ne suis pas ici pour accuser le Gouvernement, ni ceux qui ont voté OUI, ni ceux qui ont voté NON. Car là où nous en sommes, tous partagent une responsabilité.
Tous et toutes ont la responsabilité de trouver une solution.

Je suis ici pour vous demander de poser comme priorité les droits des plus ou moins deux millions de colombiens et colombiennes qui sont affectés de manière directe par le conflit armé avec les FARC. Pour que vos décisions n'ajoutent pas encore deux millions de victimes, aux plus de 8 millions qui existent déjà en Colombie.

Je vous demande de mettre la réalité de ces deux millions de personnes face à vos différences idéologiques et politiques. Les processus de paix sont durables quand les accords sont bien mis en œuvre et que l'on voit de manière évidente une amélioration dans la situation des droits humains. Or on peut d'ores et déjà dire que ce processus de paix avec les FARC est mal mis en œuvre puisqu'il y a déjà un impact négatif sur la situation des droits humains.

Plusieurs mois avant la signature du premier Accord de Paix, les membres des FARC sortaient déjà de leurs zones traditionnelles d'influence. Dans bon nombre de ces zones, il y a des pratiques illicites, par exemple, la coca et l'extraction minière illégale. Ces vides laissés par les FARC, l'Etat est sensé les remplir, en travaillant pour transformer les économies illégales en pratiques légales. Mais ce n'est pas ce qui a lieu en ce moment. Car d'autres groupes illégaux sont en train d'entrer dans ces zones.

A El Bagre, dans le département d'Antioquia, où les FARC avaient une présence historique, et où il y avait et il y a encore beaucoup d'extraction minière illégale, cette année, il y a eu 37 homicides. Trois des personnes assassinées étaient des leaders sociaux.

A Tumaco, dans le département de Nariño, cette année nous avons déjà eu 119 homicides. Deux des personnes assassinées étaient des leaders sociaux.

Il est important de se mettre à la place des deux millions de personnes qui vivent dans ces zones de conflit. Dans la zone rurale de Tumaco, les gens n'ont la chance que d'avoir trois ans de scolarité. Ce n'est pas une exception pour ces deux millions de personnes. Beaucoup, parmi les dirigeants locaux de ces zones, ne savent ni lire ni écrire. Il n'est pas normal dans un pays développé comme la Colombie, que parmi ces deux millions de personnes, beaucoup doivent vivre de la coca ou de l'extraction minière illégale, qu'il n'y ait pas de présence de l'Etat, ni de services basiques de santé et d'éducation et bien sur, qu'il n'y ait pas d'opportunités pour ces hommes et ces femmes.  

Ces deux millions de personnes vivent apeurées dans un contexte de violence. Il n'est pas normal que beaucoup parmi elles n'aient même pas pu aller voter. Pour vous, c'est très facile de voter, vous allez marcher de 5 à 20 minutes, et vous serez dans votre bureau de vote. Mais pensez à ces deux millions de personnes qui doivent faire un effort d'un ou deux jours pour aller voter. Dans plusieurs pays, il y a l'acceptation d'une norme internationale qui considère que toutes les personnes doivent avoir le même droit de vote, et que toutes et tous doivent avoir le même accès au vote. Ce n'est pas possible que certaines personnes aient des inconvénients pour voter quelque part et d'autres non.

Amartya Sen, le Prix Nobel d'Economie, dit qu'il y a des données disponibles qui indiquent une corrélation entre mortalité prématurée, faim évitable, morbité évitable et manque de libertés et de droits.

Il est normal que vous, politiques, répondiez à la majorité. Ces deux millions de colombiennes et colombiens dont je parle sont dispersés dans une vingtaine de départements du pays, ils sont la minorité des minorités. Normalement, leurs voix ne gagnent pas aux élections. Mettre la priorité sur leurs droits pourrait être un problème pour vos objectifs politiques. Mais quelques fois ces deux millions de personnes sont importantes dans les élections. Ces personnes, sont elles aussi des colombiennes et des colombiens qui méritent les mêmes droits que ceux dont vous bénéficiez. Bien que l'investissement nécessaire dans leur vie pour changer leur réalité, ne vous aide pas à gagner des élections.

De plus en plus, au cours des deux derniers mois, les membres des FARC demandent aux membres de nos équipes sur le terrain, dans plusieurs zones de la Colombie rurale : Que se passe-t-il et que va-t-il nous arriver ? L'Incertitude est très mauvaise pour un processus de paix... Les hommes et les femmes des FARC ont déjà des offres de travail dans d'autres groupes illégaux et dans les circuits économiques illicites. La Non-répétition des violations des droits humains dans les zones affectées par le conflit, dans les lieux où vivent les deux millions de personnes dont j'ai parlé ici, n'est pas liée à ce qui peut arriver aux membres du Secrétariat des FARC. Par contre, c'est évidemment en lien avec ce qui se passe et se passera pour les simples membres des FARC. Favoriser leur réintégration est nécessaire pour le succès du Processus de Paix et pour la Non-Répétition des violations des droits Humains.

Nous observons de plus en plus de signes de dissidence. Par exemple, à Tumaco, ces dissidences seraient responsables d'une des morts. Dans d'autres lieux du pays, les morts sont imputées aux BACRIM ou à d'autres acteurs de la post-démobilisation des AUC.

Les Accords de Paix sont imparfaits. Celui de la Colombie n'est pas une exception. Un mauvais accord bien mis en œuvre peut être durable. La perfection est ennemie du possible. Travailler en Colombie pour "l'Accord Parfait" va à condamner deux millions de personnes à la répétition des violations de leurs droits, parce que les FARC vont se désarticuler avec que vous n'ayez créé cet "Accord Parfait".

Les accords qui concernent la transformation des économies illicites, la création d'un développement rural, avec le système intégral de justice, incluant les travaux de développement social que les FARC doivent commencer, sont nécessaires en ce moment. Car ils réussiront à minimiser les risques de violations des droits humains qui se commettent contre ces deux millions de personnes qui vivent dans les zones en conflit. 

Dans ces zones, vous arrivez déjà trop tard, parce que d'autres groupes armés sont déjà arrivés, et qu'il y a déjà des morts. 

Il est important, en tant qu'acteurs de l'Etat, que vous vous rappeliez vos obligations liées aux droits de toutes et tous, en incluant particulièrement ces colombiens et colombiennes, les deux millions de personnes qui vivent dans ces zones où le droit à la vie est en jeu. Votre obligation est d'arrêter le conflit avec les FARC le plus rapidement possible et de ne pas risquer encore plus la vie de ces deux millions de Colombiens.

Merci pour cette opportunité, et cette chance de créer un Accord et un Processus dans lequel toutes et tous apportent quelque chose qui améliore la situation des droits humains ici en Colombie.

Traduction : CM


lundi 28 novembre 2016

L'exemple de Marcos Ana : Une arme chargée de futur

 Marcos Ana, communiste poète espagnol, est mort ce jeudi 24 novembre l'âge de 96 ans


Source : www.publico.es

Par Alberto Garzón Espinosa, coordinateur de Izquierda Unida
       Esther López Barceló, responsable de la mémoire démocratique de Izquierda Unida

"L'unique vengeance à laquelle j'aspire, c'est de voir triompher les nobles idéaux de liberté et de justice sociale". Ces mots décrivent l'esprit d'un homme qui avait été baptisé Fernando Macarro mais qui décida de changer de nom en prenant ceux de son père et de sa mère : Marcos Ana. Ce beau geste n'était pas un caprice mais correspondait à une nécessité : Il fallait éviter la censure franquiste.

Marcos Ana était né au sein d'une famille de journaliers et il abandonna ses études à douze ans pour aller travailler. Il a vécu ses années d'enfance entre Ventosa del río Almar et Alcalá de Henares. Les dures conditions économiques qui ont marqué les premières années de sa vie ont fait émerger sa conscience de classe, et c'est à seize ans qu'il décida d'entrer aux Jeunesses Socialistes Unifiées. Il était donc très jeune quand survint le traumatisme du coup d'Etat et son engagement politique le porta à participer activement au Front de Madrid pour défendre la IIe République avec le cri "¡No pasarán!".

Pendant les tristes années de la guerre, il perdit son père, assassiné au cours d'un bombardement de la Légion Condor, envoyée par Hitler pour aider Franco dans son entreprise de destruction de la population civile espagnole pendant la guerre civile.

Marcos Ana a été également de ceux qui, parmi les milliers de défenseurs de la démocratie et de la IIè République, traversèrent le pays en mars 1939 pour rejoindre le port d'Alicante. Toutes les forces politiques démocratiques et les organisation syndicales qui avaient affronté le coup d'état franquiste s'y concentrèrent en y cherchant l'unique sortie possible, au vu de la victoire imminente du fascisme. Comme aujourd'hui, des milliers et des milliers de personnes, des familles entières, se rassemblèrent face à la Méditerranée en espérant embarquer vers la paix.

Mais, il y a 77 ans, le port d'Alicante devint une prison aquatique. Les bateaux tant attendus ne sont jamais arrivés à cause du blocus que maintenait la flotte fasciste. A la fin de la guerre, Marcos Ana se trouvait toujours à Alicante comme tant d'autres. Détenu par les troupes fascistes italiennes, il serait alors déporté au trop célèbre Camp des Amandiers, qui se retrouva sans fruits le premier jour et sans feuilles au quatrième, à cause de la faim. Il fut ensuite déporté au camp de concentration de Albatera dont il échappa grâce à sa mine de jeunot.

Mais l'Espagne toute entière commençait à devenir une vaste prison, un bagne insatiable qui ne cessait de creuser des fosses. Elle était aussi pleine de mouchards et d'espions franquistes. C'est ainsi qu'un indic de la police le dénonça à la police franquiste et qu'il fut de nouveau détenu. Après la guerre civile, la paix n'est jamais arrivée, mais plutôt la dictature. Une dictature qui dura 40 ans, pendant lesquels Marcos Ana passa 23 ans en prison. C'était la condamnation d'un combattant de la démocratie.

Il a souffert de la vie carcérale à Porlier, Ocaña et Burgos, en passant par les tortures et les humiliations généralisées par la Direction Générale de la Sécurité située à la Puerta del Sol, symbole de la répression du régime, par les fenêtres de laquelle fut lancé le corps de Julián Grimau après une raclée, pour ensuite le fusiller complètement décomposé. Mais l'humanité de Marcos se manifestait dans les moments les plus durs, quand par exemple, il expliqua à un de ses bourreaux après une agression : "Je lutte pour une société dans laquelle personne ne pourra vous faire ce que vous êtes en train de me faire".

Il a reçu deux condamnations à mort, la première pour son activité politique en défense de la légitimité démocratique pendant la guerre civile, et la deuxième quand on a découvert son organisation clandestine dans la prison, ce qui le fit passer devant un Conseil de Guerre. C'est à cette époque-là que Fernando Macarro était devenu le poète communiste Marcos Ana, le poète qui anima ses camarades avec ses mots et ses rimes. En 1961, il fut mis en liberté grâce à une campagne internationale motivée par sa poésie. La pression internationale et nationale obligea Franco à signer la sortie de prison d'un homme qui y était depuis plus de vingt ans, et c'est ainsi que Marcos Ana a pu continuer à porter la lutte pour la liberté de ses camarades et de son peuple au reste du monde.

Sa vie fut dédiée à la lutte pour les valeurs de la démocratie, la liberté et la justice, basées sur les belles convictions communistes qu'il résuma ainsi dans ses vers :

"Mon péché est terrible;
J'ai voulu remplir d'étoiles
le coeur de l'homme".

Marcos a été une des références, un des héros de la résistance antifasciste, à qui nous devons ce que nous sommes et aussi ce pourquoi nous rêvons. L'exemple de sa vie nous enseigne que chaque droit dont nous jouissons s'est construit sur les échos des voix de milliers d'hommes et de femmes qui ont lutté pour les conquérir.  Et aussi sur les larmes et la vie même de ceux qui ont tout donné pour une société de justice sociale. C'est la raison pour laquelle, en ce triste jour, nous allons lui rendre hommage avec l'engagement ferme et collectif de suivre son exemple, en revendiquant sa mémoire et ses valeurs. Nous le faisons avec ses propres mots, qui nous aident à assumer son départ et à nous lever chaque matin avec le désir d'être à la hauteur de tout ce qu'il nous a donné et de ce que nous lui devons : "J'ai comme consigne de vivre pour les autres. C'est la meilleure manière de vivre pour soi-même"

Avec le poing levé, nous, communistes te disons adieu: ¡Hasta siempre Camarade!



mardi 22 novembre 2016

Lettre ouverte du Secrétariat des FARC au Président Juan Manuel Santos

#ArrêtezLeMassacre

Lettre ouverte au Président
Juan Manuel Santos

Ecrite par le Secrétariat National des FARC-EP

La situation est dramatique et très préoccupante : plus de deux cents morts cette année, sous couvert d'une impunité totale. Un nouveau génocide est en marche contre les leaders sociaux et les paysans

Monsieur le Président,

A quelques heures de la signature de l'Accord Final entre le Gouvernement que vous présidez et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie FARC-EP, la douleur et l'indignation nous ont obligé à vous adresser cette lettre publique. Pour que vous aussi, publiquement, soyez clair et affirmiez votre position et votre engagement, non pas avec les FARC, mais avec le peuple colombien en général, à propos du "Plan Pistola" qui se développe contre les dirigeants populaires dans tout le pays.

La situation est dramatique et très préoccupante : plus de deux cents morts cette année, sous couvert d'une impunité totale. Un nouveau génocide est en marche contre les leaders sociaux et les paysans. Voici ce qui s'est passé cette semaine :
  • Attentat contre Argemiro Lara de FENSUAGRO à Sincelejo
  • Assassinat de Erley Monroy, dirigeant de ASCAL-G à San Vincente del Caguán dans le Caquetá.
  • Attentat contre Danilo Bolaños, leader de ASTRACAN dans le Nariño, alors qu'il allait participer à un Cabildo pour la Paix.
  • Assassinat de Didier Losada Barreto, dirigeant paysan à San Juan de Losada, zone de San Vicente del Caguán.
  • Attentat contre Victor Hugo Cuéllar à San Vicente del Caguán, dans le Caquetá.
  • Rodrigo Cabrera, le frère du leader des victimes de Policarpa, dans le Nariño, vient d'être assassiné
La situation est gravissime puisque ces dernières 48 heures, il y a eu 3 morts et 2 attentats.
Monsieur le Président, il est de notoriété publique que ceux qui sont derrière ces assassinats sélectifs et politiques, sont ceux-là mêmes qui ont récolté argent, pouvoir et privilèges grâce à la guerre fratricide qui a ensanglanté le pays depuis plus de 52 ans. Ce sont ceux-là mêmes pour qui il n'y a pas, il n'y aura aucun accord de paix satisfaisant, quoi que l'on fasse, car ils veulent que la guerre se poursuive pour continuer à récolter plus de privilèges et de pouvoir.

La Colombie entière se souvient que, dans un acte courageux, vous avez reconnu la culpabilité de l'Etat dans l'extermination de plus de 5.000 leaders de l'Union Patriotique. C'est un pas important dans le processus de réparation. Mais s'il y a une détermination à en finir avec la guerre sale, personne ne s'explique pourquoi les décisions qui peuvent effectivement désarticuler le para-militarisme ne sont pas prises.

Il n'est pas admissible que sous le rideau de fumée des noms comme "Les Usuga" ou les "Aigles Noirs", on cache la responsabilité de certaines personnalités tapies dans le Bloc du Pouvoir Dominant.

Juste un instant, monsieur le Président, faites l'exercice de vous mettre à la place des organisations sociales qui sont victimes, ou à notre place, et demandez-vous : Quelle serait votre attitude face à ce fleuve de sang qui menace de détruire le processus de paix dans lequel nous avançons ? Et que feriez-vous face à la violation récente du cessez-le-feu qui a produit la mort de deux guérilléros dans la région du Sud Bolívar ?

Si vous êtes engagés pour la paix en Colombie, agissez en conséquence en mettant un point final à cette extermination d'innocents dont le péché semble être leur pensée critique et leur vision d'un nouveau pays, et mettez dès maintenant en oeuvre l'accord sur les garanties de sécurité.

Secrétariat de l'Etat Major Central des FARC-EP



lundi 21 novembre 2016

Colombie : SOS, la paix en danger


Entretien avec Carlos Lozano Guillén
 
« Il y a une urgence de l’unité et de la mobilisation populaire pour mettre en œuvre les accords de paix et éviter un nouveau bain de sang ». 

Eliécer Jiménez Julio. 20/11/2016

Dans un entretien pour tercerainformacion.es, Carlos Lozano Guillén, journaliste et dirigeant politique du Parti Communiste Colombien a souligné que le nouvel accord de paix signé entre le gouvernement colombien et les FARC-EP est définitif et qu’il est très important pour la paix et le futur de la Colombie puisqu’il conserve l’esprit et la structure du précédent accord. Ce qui importe maintenant, c’est la ratification de l’accord, qui aura vraisemblablement lieu au Congrès. Et c’est au mouvement social démocratique, par la mobilisation, qu’il correspond d’en défendre la mise en œuvre de manière unitaire afin d’éviter les « entourloupes » du gouvernement et de ne pas permettre que l’administration de l’accord ne reste qu’entre les mains de ceux-là même qui ont mal gouverné le pays. Il a également lancé un SOS à la communauté internationale en l’invitant à visiter la Colombie, à accompagner les processus et éviter un deuxième génocide politique comme celui de l’Union Patriotique. Il a souligné que la paix est en danger à cause de l’offensive de l’extrême droite et des paramilitaires qui, en complicité avec certains secteurs des forces armées, à travers les exécutions de guérilléros (1), les attentats contre les dirigeants régionaux et les menaces qui ont eu lieu ces derniers jours dans le sud et l’ouest du pays, font craindre un nouveau bain de sang en Colombie (2). 

Carlos Lozano Guillén, qui est membre du Comité Exécutif Central du Parti Communiste Colombien, directeur du journal VOZ et qui a consacré sa vie à la lutte populaire, particulièrement en accompagnant les différents processus de paix en Colombie, a indiqué que « malgré le revers du plébiscite et la nécessité de sauver la paix, il a fallu renégocier à nouveau sur la base de la structure et de l’esprit de l’accord précédent, en acceptant certaines des propositions, recommandations et initiatives de ceux qui ont défendu le « Non », des secteurs de l’extrême-droite et des ennemis de la paix en Colombie. Il était inévitable de les prendre en compte ». 

Impulser la mise en œuvre et être vigilants pour éviter les « entourloupes » du gouvernement 

« Je crois que l’accord original était meilleur, mais ce deuxième accord n’est pas négatif, bien qu’il fragilise certains aspects essentiels du précédent. Il a fallu en passer par là, car c’était inévitable pour sauver la paix. Aujourd’hui, nous avons un accord qui tient bon, un accord définitif, comme l’a exprimé le gouvernement et la guérilla des FARC-EP, et maintenant le président Santos s’apprête à le porter au congrès si c’est ce qui est finalement accordé avec les FARC, afin qu’il soit ratifié sans modification pour entrer dans la phase de mise en œuvre » a affirmé le dirigeant communiste. 

« Je crois que nous marchons sur un terrain solide en ce qui concerne l’accord, même s’il y a une grande préoccupation face au harcèlement et aux provocations des ennemis de la paix en Colombie. A propos de l’accord, nous traversons un bon moment, je crois qu’il y a une satisfaction des différents secteurs démocratiques du pays. Nous sommes conscients que ce sont des pas nécessaires et indispensables pour avancer sur le chemin de la paix. Il importe maintenant que le mouvement social, démocratique, et les amis de la paix, renforcent la lutte pour que la mise en œuvre se fasse le plus rapidement possible, en respectant chacun des engagements assumés par le gouvernement national qui a souscrit l’accord. Il faut évidemment éviter que se présentent les manquements et les « entourloupes » habituelles par lesquels la classe dominante a toujours répondu à ce type d’accord pour les fragiliser, les modifier et faire dévier leur colonne vertébrale et le sens constructif qu’ils portent » a rappelé Lozano Guillén qui fait également partie du Front Elargi pour la Paix. 

Le rôle de la gauche et du peuple colombien après la signature de la paix 

Le directeur du journal VOZ, hebdomadaire du PCC a affirmé dans son dialogue avec tercerainformacion.es (média alternatif espagnol) que « ce qui est le plus important, ce qui est l’unique chemin, c’est l’unité, la mobilisation, la veille sur la mise en œuvre des accords et leur respect. Il n’y a que la mobilisation sociale, les amis de la paix, ceux qui ont été attentifs à tout cela, le Front élargi pour la Paix, toutes les organisations sociales et populaires qui se sont présentées à La Havane (Cuba), qui ont toujours soutenu le processus de dialogue et de paix et qui se sont engagées dans son développement ». 

Lozano a souligné que : « Le plus important, c’est l’unité, et à plus long terme, l’unité des forces de gauche et des forces démocratiques. Nous devons être conscients qu’il y a là un impératif, c’est aujourd’hui un défi historique pour la gauche, parce qu’il serait inadmissible que le post-accord soit administré par ceux-là même qui ont gouverné ce pays, les mêmes qui ont maintenu le statu quo, qui défendent leurs privilèges, qui continuent à faire avancer toute cette politique néolibérale qui favorise le grand capital, les intérêts des multinationales et qui sont contraires aux solutions sociales et populaires. C’est la raison pour laquelle il faut ouvrir la possibilité d’un nouveau pouvoir populaire et démocratique, de la gauche et des secteurs dévastés du pays. Car, évidemment, ces accords n’impliquent pas la transformation définitive de la société, ce sont des accords importants que renforcent la démocratie, qui engendrent de meilleures conditions sociales, mais qui ne résolvent pas les problèmes structurels de la Colombie : Cela, c’est nous qui devons le faire, nous les gens de gauche et les démocrates, sur la base de la remise en perspective nationale d’un nouveau pouvoir. Ce sont des tâches que nous devons assumer, surtout au moment où nous recevons cette offensive des provocations de ceux qui sont les ennemis de la paix, qui, au fond, veulent empêcher la paix stable et durable ». 

Face aux exécutions, aux assassinats et à l’offensive paramilitaire : Mobilisation populaire, dénonciation nationale et internationale 

Consulté sur la situation de violence et l’assaut paramilitaire contre les leaders de gauche, particulièrement dans le sud et l’ouest de la Colombie ces derniers jours, la réponse est catégorique : « C’est vrai, cela vient de ceux qui veulent empêcher la mise en œuvre des accords, ce sont des actions délirantes, désespérées, des actions de l’extrême droite, du para-militarisme, des ennemis de la paix, et même de certains cadres militaires qui mettent en danger la trêve et le cessez-le-feu bilatéral et définitif. Deux combattants des FARC ont été assassinés de manière infâme et présentés comme tombés au front, au cours d’un combat qui n’a jamais existé. Tous les témoins coïncident sur le fait que ce fut un assassinat, c’est une exécution qui a eu lieu. Il y a une enquête de la commission tripartite Gouvernement / ONU / FARC sur tout cela et il y aura une prise de parole sur tout cela. Ce sont des faits graves ». 

La paix en danger… Un processus de génocide contre la Marche Patriotique (3) 

Il y a également l’action persistante et démente de ceux qui agissent contre les militants de la défense des droits humains dans le sud du pays, majoritairement, membres de la Marche Patriotique, mouvement de gauche dont 123 membres ont été assassinés ces quatre dernières années. Si nous ne prenons pas garde à cela, si nous ne le rejetons pas, s’il n’y a pas une prise de parole claire de la communauté internationale, une décision catégorique du gouvernement, cela peut s’étendre à d’autres parties du pays et nous pouvons assister à un nouveau génocide de la gauche comme celui qui avait eu lieu avec l’Union Patriotique. Nous devons éviter cela, nous mobiliser en amont, avec fermeté, tranquillité et sérénité, mais en affrontant cette situation par l’action massive, la mobilisation populaire, en exigeant du gouvernement qu’il respecte toutes les mesures pour lesquelles il s’est engagé, et pour qu’il n’y ait aucune sorte de complicité entre les autorités et ceux qui commettent ce type de crimes et d’assassinats contre l’humanité. 

Nous avons besoin d’accompagnement international pour empêcher un nouveau bain de sang en Colombie 

L’appel à la communauté internationale est un appel à la solidarité, au soutien, à s’unir à cette clameur pour la paix en Colombie. Nous avons pu compter sur la solidarité, pas seulement des organisations sœurs et amies à l’étranger, mais aussi sur des gouvernements qui ont soutenu l’effort qui se fait ici en Colombie. Nous voulons donc que cette solidarité se maintienne avec force, nous avons besoin que des délégations viennent accompagner les processus ici dans le pays. Que de l’étranger, on exige aussi le respect des accords et que soient prises des mesures pour empêcher que le bain de sang en Colombie ne continue ». 

Finalment, Carlos Lozano a envoyé un message aux colombiens qui vivent à l’extérieur du pays : « Pour les exilés et les politiques poursuivis par l’Etat colombien (qui se réuniront ce 26 novembre à Madrid, en Espagne) (4), pour les migrants colombiens : Recevez un message d’optimisme, d’espoir. Nous avançons par le chemin de la paix stable et durable, et ici en Colombie, nous vous attendons pour que, avançant dans tout cela, quand il y aura de meilleures conditions de vie, une nouvelle démocratie, plus de possibilités sociales dans le pays, tous ensemble, d’ici et de l’extérieur, unis et réunis, nous puissions construire un nouveau pays, une nouvelle société, une nouvelle Colombie, prospère, démocratique, avec une meilleure justice sociale". C’est ainsi que se concluait l’entretien avec Carlos Lozano Guillén du Comité Central du Parti Communiste Colombien. 

(1). http://prensarural.org/spip/spip.php?article20527
(2). http://www.pacocol.org/index.php?option=com_content&view=article&id=19561:van-123-miembros-de-marcha-patriotica-asesinados-en-cuatro-anos&catid=86&Itemid=472
(3).http://caracol.com.co/radio/2016/11/20/nacional/1479666101_893235.html
(4).http://exiliadaspoliticascolombianas.tumblr.com/post/153172374189/reuni%C3%B3n-extraordinaria

vendredi 18 novembre 2016

Colombie. Préambule de l'Accord Final du 12 novembre 2016



ACCORD FINAL POUR LA CESSATION DU CONFLIT
ET LA CONSTRUCTION D'UNE PAIX STABLE ET DURABLE

PREAMBULE 

Rappelant que les dialogues de La Havane entre les délégué-e-s du Gouvernement National dirigé par le Président Juan Manuel Santos et les délégué-e-s des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, ont commencé suite au résultat de la Rencontre Exploratoire qui avait eu lieu dans la capitale de la République de Cuba entre le 23 février et le 26 août 2012, avec la décision mutuelle de mettre fin au conflit armé national, 

Estimant que, les dialogues exploratoires mentionnés précédemment ont amené à produire un Accord Général pour la Cessation du Conflit et la Construction d'une Paix Stable et Durable, signé le 26 août 2012 en présence de témoins nationaux et de délégués de la République de Cuba et du Royaume de Norvège qui prirent également la qualité de témoins et qui, depuis, accompagnent le processus en tant que pays garants, 

Soulignant que la République Bolivarienne du Venezuela et la République du Chili ont offert à tout moment leurs bons offices comme pays accompagnateurs,

Rappelant que, pour développer l'agenda approuvé dans l'Accord ci-dessus, la Table des Conversations a été installée le 18 octobre 2012, dans la ville d'Oslo, capitale du Royaume de Norvège, pour ensuite continuer ses activités dans la capitale cubaine, sans interruption, jusqu'à la célébration de l'acte de signature du nouvel Accord Final,

Considérant qu'en conséquence de ce qui a été mentionné ci-dessus, les parties ont souscrit le 24 août de l'année en cours un Accord Final pour la Cessation du Conflit et la Construction d'une Paix Stable et Durable, que cet accord a fait l'objet d'une consultation du peuple dans le cadre d'un plébiscite accepté à ce moment là par les parties, à une date établie pour ce faire (le 2 octobre dernier) dans une sentence proférée par le Conseil Constitutionnel qui a indiqué au pays les termes et les conditions du chemin choisi, 

Reconnaissant que le verdict des urnes a fait peser la prévalence du NON sur le OUI, sans que cela ne signifie un rejet du droit à la paix ni aux droits fondamentaux,

Soulignant que la sentence de la Cour Constitutionnelle mentionnée ci-dessus a elle-même présenté la démarche à suivre au cas où le NON serait la réponse majoritaire de la journée du plébiscite ;  Que cette sentence de la Haute Cour indique que les compétences du Président de la République sont maintenues pour préserver l'ordre public, "même à travers la négociation avec des groupes armés illégaux, cherchant à atteindre d'autres accords de paix", 

Faisant valoir la décision des parties de poursuivre la recherche de paix, en écoutant auparavant ceux qui ont manifesté leurs réserves sur des contenus de l'Accord Final signé en première instance, avec l'ambition d'arriver à un nouvel accord plus consensuel ; Que cela a permis d'enrichir et de modifier l'Accord antérieur, en prenant en compte les inquiétudes et les propositions, les éclaircissements et les définitions précises énoncées par les groupes et organisations sociales, les secteurs d'opinion, les mouvements et les partis politiques les plus divers ; Qu'après avoir étudier sans préjugés et avec une grande attention tout ce qui a été porté à l'attention des parties négociatrices par les intéressés, des changements nombreux et importants et de substantielles modifications ont été apportés à l'Accord de Paix antérieur dans un nouvel Accord Final pour la Cessation du Conflit et la Construction d'une Paix Stable et Durable,

Soulignant que le nouvel Accord Final souscrit à cette date correspond à la libre manifestation de la volonté du Gouvernement National et des FARC-EP - en ayant dûment pris en compte les diverses initiatives du peuple de Colombie-, en oeuvrant de bonne foi, et avec la pleine intention de respecter ce qui a été accordé, 

Ayant à l'esprit que l'Article 22 de la Constitution Politique de la République de Colombie impose la paix comme un droit et un devoir qui ont force exécutoire ; que l'Article 95 affirme que l'exercice des droits et des libertés reconnus dans la Constitution implique des responsabilités dont celle de promouvoir la réussite et le maintien de la paix,

Soulignant que la paix est qualifiée universellement comme un droit humain supérieur, requis pour l'exercice de tous les autres droites et devoirs des personnes et du citoyen, 

Ayant à l'esprit que le nouvel Accord Final reprend tous et chacun des accords atteints pour développer l'agenda de l'Accord Général souscrit à La Havane en août 2012 ; et que pour y arriver, les parties ont constamment et à chaque instant respecté l'esprit et la portée des normes de la Constitution Nationale, des principes du Droit International, du Droit International des Droits Humains, du Droit International Humanitaires (Conventions et Protocoles), de ce qui est ordonné par le Statut de Rome (Droit Pénal International), des jugements proférés par la Cour Interaméricaine des Droits Humains relatifs aux conflits et à leur cessation, et des autres sentences de compétences reconnues universellement et autres déclarations qui font autorité en la matière,

Considérant que les droits et les devoirs consacrés dans la Charte sont interprétés en conformité avec les traités internationaux sur les droits humains ratifiés par la Colombie, sans que leur jouissance ou leur exercice puissent être objet de limitation,

Rappelant que l'Article 94 manifeste que "l'énonciation des droits et des garanties contenus dans la Constitution et dans les conventions internationales en vigueur ne doivent pas être compris comme une négation des autres droits qui, inhérents à la personne humaine, n'y figurent pas expressément",
 
Considérant que la somme des accords qui conforment le nouvel Accord Final contribuent à la satisfaction des droits fondamentaux que sont les droits politiques, sociaux, économiques et culturels ; les droits des victimes du conflit à la vérité, la justice et la réparation ; le droit des enfants et adolescents, filles et garçons ; le droit de liberté de culte et de son libre exercice ; le droit fondamental à la sécurité juridique individuelle et/ou collective et à la sécurité physique ; et le droit fondamental de chaque individu et de la société à ne pas souffrir la répétition de la tragédie du conflit armé interne que l'on propose de dépasser définitivement avec le présent accord,

Soulignant que le nouvel Accord Final prête une attention spéciale aux droits fondamentaux des femmes, des groupes sociaux vulnérables tels que les peuples indigènes, les enfants et adolescents filles et garçons, les communautés afro-descendantes et les autres groupes ethniquement différenciés ; aux droits fondamentaux des paysans et paysannes et aux droits essentiels des personnes porteuses d'un handicap et des déplacés à cause du conflit ; aux droits fondamentaux des personnes âgées et de la population LGBTI,

Relevant que, pour développer ce qui a été souligné précédemment, dans le respect de l'article 13 de l'article 13 de la Constitution Politique de Colombie, l'Etat doit garantir le droit à l'égalité et à la non-discrimination dans ses différentes dimensions ; qu'il doit s'efforcer à ce que soient réunies les conditions qui permettent la protection efficace des personnes qui se trouvent dans une fragilité manifeste et la sanction des abus qui sont commises contre elles,

Insistant sur le fait que, selon le Gouvernement National, les transformations auxquelles on doit parvenir en mettant en oeuvre le présent Accord doivent contribuer à dissiper les effets du conflit et à changer les conditions qui ont facilité la persistance de la violence dans le territoire ; et que selon les FARC-EP, ces transformations doivent contribuer à résoudre les causes historiques du conflit, comme la question non résolue de la propriété de la terre et particulièrement sa concentration, l'exclusion des paysans et le retard des communautés rurales, qui affecte spécialement les femmes et les enfants,

Mettant en exergue que l'axe central de la paix est d'impulser la présence et l'action efficace de l'Etat dans tout le territoire national, spécialement dans de multiples régions sinistrées par l'abandon, la carence d'une fonction publique efficace, et par les effets du conflit armé interne lui-même ; que l'objectif essentiel de la réconciliation nationale est la construction d'un nouveau paradigme de développement et de bien-être territorial dans l'intérêt de larges secteurs de la population jusqu'à maintenant victime de l'exclusion et du désespoir,

Reconnaissant les droits de la société à une sécurité humaine intégrale avec la participation des autorités civiles,

Mettant en exergue et consacrant la justice prospective quand elle reconnait les droits fondamentaux essentiels pour les nouvelles et les futures générations, tels que le droit à une terre conservée, le droit à la préservation de l'espèce humaine, le droit à connaitre son origine et son identité, le droit à connaitre la vérité sur les faits qui ont eu lieu avant sa naissance, le droit à l'exemption des responsabilités pour les actes commis par les générations précédentes, le droit à la préservation de la liberté d'option, et d'autres droits, sans préjudice sur les droits des victimes de tout âge et de toute génération à la vérité, à la justice et à la réparation,

Attentifs à ce que la nouvelle vision d'une Colombie en paix permette d'atteindre une société durable, unie dans la diversité, fondée non seulement sur le culte des droits humains mais aussi sur la tolérance mutuelle, la protection de l'environnement, le respect de la nature, de ses ressources renouvelables et non renouvelables, et sa biodiversité,

Rappelant que le 23 juin dernier de l'année en cours, les délégations du Gouvernement National et des FARC-EP ont souscrit dans la capitale cubaine les accords de Cessation des Hostilités et de Cessez-le-Feu Bilatéral et Définitif, de Dépôt des Armes et de Garanties de Sécurité, en présence du Président des Conseils d'Etat et de Ministres de la République de Cuba, du Secrétaire Général des Nations Unies, du Président de l'Assemblée Générale de l'ONU, du Président du Conseil de Sécurité de cette organisation, du Ministre des Relations Extérieures du Royaume de Norvège, des Chefs d'Etat des pays accompagnants, des Chefs de Gouvernement des pays de la région, de l'Envoyé Spécial des Etats-Unis d'Amérique et du Représentant Spécial de l'Union Européenne ; Que la cessation des hostilités a continué depuis la date de réalisation du plébiscite du 2 octobre dernier,

Acceptant que les normes du droit international coutumier continueront à régir les questions liées aux droits fondamentaux non mentionnés dans le nouvel Accord Final, avec le mandat impératif qui ordonne que "dans les cas non prévu par le droit en vigueur, la personne humaine est sauvegardée par les principes d'humanité et les exigences de la conscience publique",

Admettant que le nouvel Accord Final pour la Cessation du Conflit et la Construction d'une Paix Stable et Durable doit faire l'objet d'une ratification, conformément au point 6 de l'agenda de l'Accord Général ; Que cette ratification peut être effectuée à travers des systèmes de participation citoyenne comme le plébiscite, l'initiative législative, la consultation, le "cabildo abierto" et autres, ou par des corporations publiques élues dont les membres chargés de représentation par mandat, tels que le Congrès de la République, les assemblées départementales et les conseils municipaux ; que cette ratification est décidée par les parties et qu'elle devra se faire avec les normes pertinentes ou les sentences qui la décrivent,

Reconnaissant tout ce qui a été précédemment énoncé et en particulier, le mandat constitutionnel non délégable qui dicte que c'est au Président de la République, en tant que Chef d'Etat, Chef du Gouvernement et Autorité Administrative Suprême qu'il correspond de convenir et de ratifier les accords de paix ; 

Le Gouvernement de la République de Colombie et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, ont accordé de :
Souscrire le présent Accord Final pour la Cessation du Conflit et la Construction d'une Paix Stable et Durable, avec les modifications substantielles qui font du même accord, un nouvel Accord, dont l'exécution mettra fin de manière définitive à un conflit armé de plus de cinquante ans et qui est inscrit ci-dessous.  

Le présent Accord Final pour la Cessation du Conflit et la Construction d'une Paix Stable et Durable est souscrit par le Gouvernement National et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple, comme Accord Spécial dans les termes de l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949, entrant en vigueur au plan international.

Le Gouvernement National et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple (FARCEP) signent sept originaux incluant leurs annexes, un pour chacune des parties, un pour chacun des pays garants et un pour chacun des pays accompagnants. Le septième exemplaire original sera immédiatement déposé après sa signature, devant le Conseil Fédéral Suisse à Berne ou devant l'organisme qui le remplacera dans le futur comme dépositaire des Conventions de Genève.






mardi 8 novembre 2016

Colombie : Oui à un pacte politique national des bases, et non des élites

 

"Après une guerre contre-insurrectionnelle de 68 ans contre plusieurs générations de rebelles invaincus et alors qu'une solution politique est d'ores et déjà accordée, les ultras cherchent à éterniser le système politique excluant qui justifia la rébellion, et à forcer une victoire de dernière heure qui oriente les résultats de quatre ans de négociations complexes et d'accords soutenus par la communauté mondiale vers l'impunité en faveur de leurs complices." (Déclaration du Comité Exécutif du Parti Communiste Colombien, le 3 octobre 2016).

En Colombie, de nombreuses interprétations circulent au plan national sur la situation complexe du pays. Certaines sont partagées sans critique par les alliés et les secteurs de la gauche. Il faut reconnaitre que l'effet provoqué par le résultat du 2 octobre a mis en évidence deux réalités camouflées par le cours incessant des événements : D'une part, une énorme avancée dans la conscience des couches populaires et moyennes que l'idée de la fin de la guerre est liée à la démocratisation du pays et à la nécessité d'importantes réformes sociales, politiques, économiques et culturelles ; et d'autre part, cela a poussé au rouge vif la crise du régime politique et l'incapacité de la fraction gouvernementale à conduire jusqu'à ses pleines conséquences, un accord de paix qui a posé les bases d'un nouvel engagement historique, avec pour point de départ, un paysage de libertés, de droits et de garanties en rupture avec l'ordre contre-insurrectionnel hérité du bipartisme. Etablir si possible le sens de ce qui est en train de se passer et montrer les lignes qui caractérisent notre politique dans la conjoncture actuelle est la tâche du 22ème Congrès. Le plenum préparatoire prévu les 3 et 4 décembre devra actualiser les Thèses et centrer ses conclusions sur la perspective politique que doit étudier et décider le Congrès.


A propos de la menace d'un nouveau "front national"

La crise provoquée par le résultat du 2 octobre ne s'explique que par l'entêtement du gouvernement à réaliser un plébiscite, sans préparation ni pédagogie suffisante, et sa tendance manifeste à faire des concessions à la droite ultra. Sous prétexte de la défaite électorale, une nouvelle offensive stratégique de l'uribisme s'est mise en route afin de méconnaitre l'Accord de paix déjà souscrit, à travers la déstabilisation médiatique, l'essai d'imposer un pacte des élites et la perspective d'un gouvernement réactionnaire (Vargas Lleras - Uribe) en 2018, pour un démantèlement futur des accords.

Uribe sait que ses propositions "originales" au nom du NON coïncident en grande partie avec celles du gouvernement au début des dialogues. La prétention d'un pacte des élites s'appuie sur la coïncidence des intérêts de classe, pour mettre en morceaux l'engagement signé le 26 septembre, s'appuyer sur le modèle implicite des Zidres et soutenir la réforme fiscale régressive. En arriver là, signifierait la fin de toute idée de solution politique. Pourtant, la solution humaine à une longue guerre, à travers le dialogue et des engagements mutuels, est quelque chose que la bourgeoisie a dû accepter, parce que cela sert aussi son intérêt de classe. Le fond de la crise politique, ouverte par l'avantage du Non dans le plébiscite réside dans le fait de trancher si oui ou non, l'Accord est consolidé, c'est à dire : Redéfinir et normatiser sa mise en oeuvre, préserver le cessez-le-feu bilatéral et définitif, l'amnistie, la grâce et le dépôt des armes, la normalisation et la réincorporation des ex-combattants, dans un cadre de garanties, respect de la vie, intégrité, dignité et suivi par le Mécanisme Tripartite (ONU, Farc, gouvernement). Mais il consiste aussi à sécuriser les victimes, les personnes menacées ou poursuivies, les prisonniers politiques et les membres de la gauche sociale et politique, et parmi eux les membres du nouveau mouvement ou parti qui surgira des accords, en leur assurant la liberté, la protection, la vérité et la réparation complètes. Tout cela ne peut pas dépendre des bonnes dispositions de la bureaucratie gouvernante, mais de l'unité, l'organisation, la revendication, la mobilisation des forces populaires qui plaident légitimement pour la défense, l'explication, la pédagogie et le respect des accords.


La très dure bataille pour la démocratisation du pays

La défense de l'Accord de paix, l'exigence d'une nouvelle procédure pour sa mise en oeuvre sont le centre de la bataille d'idée de la conjoncture actuelle. L'absence d'une réelle pédagogie sur la paix continue à être palpable. C'est la gauche politique et sociale, en lien avec les nouvelles réserves démocratiques qui ont répondu à l'appel du moment en cours, qui émergent en défense de l'Accord, qui réfutent avec des arguments la position uribiste, qui mènent le débat sur l'approche de genre et ont mis en évidence le mélange mal intentionné avec un prétexte religieux et inquisitoire pour invalider ce qui avait été accordé. Dans le débat idéologique sur la défense et l'évaluation du sens profond de l'Accord, se joue le contenu démocratique de la paix et de ses potentialités transformatrices : la Justice Spéciale pour la Paix, l'éligibilité et les garanties politiques des ex-combattants, le Statut de l'opposition, la réforme du système des partis et les coalitions pour les listes, la réforme du système électoral, les circonscriptions territoriales de paix, etc. Une des exigences du camp populaire est la formalisation de la Commission Nationale des Garanties, la fin du Paramilitarisme et la Non répétition, axe fondamental de l'Accord.

Le sondage Gallup de la dernière semaine d'octobre montre que persiste la tendance qui s'est manifestée par un vote négatif de punition au pouvoir. Malgré le prix Nobel, qui est un soutien de la bourgeoisie transnationale à un président aux abois, l'image défavorable de Santos atteint 60% et la favorable n'est que de 34%. Entre temps, le soutien au processus de solution politique continue à avancer. 77% des personnes interrogées approuvent la voie du dialogue et les accords, alors qu'il n'y en a que 19% pour la solution militaire. 80% des personnes interrogées sont favorables au dialogue avec l'ELN. Fait significatif : l'image positive des FARC-EP passe de 11 à 18 % entre août et octobre. Il y a des changements qui transforment la conscience sociale. De nouvelles perceptions surgissent, avec les expressions d'un nouveau sens commun qui commence à rompre la polarisation va-t-en guerre manichéenne avec laquelle la droite avait édifié son hégémonie liée à la guerre contre-insurrectionnelle.


Le pouvoir ne semble pas comprendre le sens de ce qui se passe

Malgré ces données, le gouvernement persiste dans une réforme fiscale régressive qui rajoute du rejet à sa politique de nouveaux impôts. La rupture du dialogue de la Table commune avec le Sommet rural, indigène et populaire rappelle qu'il y a des luttes et des protestations en cours, qu'il y aura une Caravane des femmes qui arrivera à Bogotá le 14 novembre au matin, qui participera à diverses activités puis retournera dans les régions la nuit du mardi 15 novembre. Le 17 novembre, se prépare la manifestation nationale contre la réforme fiscale. Les 29 et 30 novembre, est prévue le Sommet National pour la Paix, point de rencontre, de mobilisation et d'appel à une grande Vigile Nationale pour la Paix.

Le fait le plus important, avec une profonde valeur prédictive et qui peut guider l'activité des révolutionnaires,  a été la réponse du mouvement populaire, et en particulier de la jeunesse, dans des formes très diverses d'agitation, publicités, campements, vigiles, utilisation des réseaux, visites aux PPT (Points de pré-regroupement temporaires des guérrilléros) en soutien à l'Accord, pour accélérer sa mise en oeuvre, veiller au respect du cessez-le-feu, bilatéral, les garanties à la vie, à la sécurité pour l'activité politique. C'est soutenus par cette dynamique réelle que doivent se déployer à fond toute l'initiative, la coordination et les tâches du Parti, en lien avec l'Union Patriotique, la Marche Patriotique, les organisations de jeunesse et les organisations étudiantes, dans le cadre de la vision du Front Elargi.

Quelques propositions qui naissent des initiatives en cours :

1. Nous devons soutenir, stimuler et contribuer au maintien et à la vigueur de l'agitation, l'organisation et l'initiative UNITAIRES de la lutte populaire et de la jeunesse jusqu'à ce que soit concrétisé et ratifié par une nouvelle signature l'Accord définitif, avec ses avenants et protocoles.

2. Nous proposons d'impulser un pacte politique national des bases, et non des élites, comme le formule le point 3.4 des Garanties de l'Accord (Non aux armes en politique, non au paramilitarisme, non au terrorisme d'Etat, non à la "doctrine de la sécurité nationale") et l'engagement de NON REPETITION.

3.  Les "cabildos abiertos" (conseils ouverts) sont une forme de démocratie directe reconnue par la Constitution (Art. 103). Leur réglementation par la Loi 134 est compliquée mais pas irréalisable. Ils ont lieu dans plusieurs Municipalités et Communes, avec ou sans permission. Ce sont essentiellement des espaces délibératifs, de convergence populaire et pédagogiques sur l'essentiel des processus de paix. Avec l'initiative des masses, ils peuvent prendre vie, réanimer les territoires, construire l'unité et le pouvoir à partir des bases. Si la forme de ratification légale de l'Accord doit surgir de la Table de La Havane, nous pensons que la légitimation réelle des masses devrait passer par les "cabildos abiertos". Le vivre ensemble se construit de bas en haut, pas seulement à partir de la bureaucratie de l'Etat. C'est ainsi que l'Accord envisage le pacte politique national. Il y a aussi la proposition de recueillir 10 millions de signatures. De la même manière, de futurs processus constituants sont envisagés. Nous croyons qu'il est sensé d'ouvrir cette discussion dans les bases. L'irréversibilité des Accords ne se résout pas seulement en Suisse, elle peut avoir ici dans le territoire son plus grand ancrage (Il y a 1122 municipalités, dont 5 districts spéciaux).

4. Proposer les "étrennes pour la Paix", pour recueillir des victuailles et de la logistique non périssable pour les campements en soutien à la paix et pour les Vigiles dans les PPT (Points de Pré-regroupement Temporaires). C'est important dans le soutien au Cessez-le-Feu bilatéral et définitif.

5. Penser à un futur Congrès National des Cabildos, dans l'esprit pré-constituant.

Département Politique
Comité Exécutif
Parti Communiste Colombien



jeudi 20 octobre 2016

Colombie. Crise et processus de paix : Le moment décisif


Par Jaime Caycedo Turriago
Source : Pacocol

En Colombie, la crise nationale dont la guerre prolongée a été l'expression notoire, s'est encore endurcie suite au résultat du 2 octobre et au triomphe mortifère du Non. C'est avec l'énergie du non, interprété comme un vote-punition face au discrédit du gouvernement qui s'évertue à défendre son projet néolibéral, que la haute sphère des va-t-en guerre civils veut mener le bal. Elle était passée à l'offensive avec des propositions régressives improvisées qui pour l'essentiel ne correspondent en rien aux contenus structurels de l'Accord souscrit le 26 septembre entre le chef de l'Etat et le Commandant des Farc-EP, en présence du Secrétaire général de l'ONU et de gouvernants de plusieurs pays.

Les chefs de l'ultra-droite croient avoir gagné la guerre pour quelques 53 mil voix, sur 13 millions de votant-e-s et 20 millions de citoyen-ne-s qui n'ont pas voté. Alors que le gouvernement s'était entêté témérairement à organiser un plébiscite non obligatoire, c'est à lui qu'il revient maintenant de chercher des solutions adéquates, en s'associant avec son ancien ennemi rebelle, afin de dépasser la crise du processus provoquée par la contre-offensive de l'ultra-droite et pouvoir mener à bien l'exécution de l'Accord.

L'ultra droite à l'offensive contre l'Accord

Ce n'est pas une tâche facile. Le lobby de l'extrême droite qui s'est approprié le triomphe du non, est représenté par des personnages de la vieille oligarchie gouvernementale qui ont de graves responsabilités dans la conduite et dans la dégradation de la guerre contre-insurrectionnelle, avec des violations scandaleuses des pactes internationaux souscrits par l'Etat colombien en matière de droits humains, droit international humanitaire et crimes de guerres. Ce lobby est connecté avec ce que l'on a appelé le nouveau "plan condor" dont le programme est la chute ou la défaite des gouvernements de gauche en Amérique Latine, avec l'aide des nouvelles méthodologies des "coups d'état soft" et des campagnes diffamatoires, qui s'appuient sur le contrôle extrémiste de droite du pouvoir législatif, judiciaire et médiatique. L'ex-président Pastrana, un des champions du non, est le porte-parole de cette politique qui est, par ailleurs, l'essence doctrinaire du "Centre Démocratique", l'appareil du parti de l'ex-président Alvaro Uribe.

En bref, la tentative de faire échouer la solution politique pour la paix en Colombie n'est pas déconnectée de la contre-offensive qui veut changer le signe démocratique dans le continent, avec l'objectif de faire reculer les conquêtes sociales et les changements progressistes obtenus pendant ces deux dernières décennies en Amérique Latine. Pourtant, dans le cas de la paix en Colombie, les confrontations les plus aigües qui tiennent en haleine le cours de la politique globale à l'intérieur du système impérial dominant, semblent se contrebalancer. Apparemment, l'expression d'Obama d'il y a deux ans qui parlait de "mettre fin aux guerres inutiles" dans la région, et le soutien au dialogue de la Havane, ne s'opposent pas de manière exclusive aux efforts de déstabilisation dans la région, promus par les courants les plus conservateurs du capital transnational. Les effets d'un éventuel changement d'orientation de la politique étasunienne peuvent influer dans les mois à venir sur le destin et le contenu du processus de paix, même si Clinton arrive à gagner l'élection présidentielle. Dans de telles conditions, la permanence, la continuité et la possibilité que la solution politique concrétise le slogan de la paix "stable et durable" et réunisse les qualités basiques d'une paix "juste et démocratique" va dépendre fondamentalement de la capacité d'unité, de convergence, d'initiative dynamique et de persévérance du mouvement populaire.

Les nouveaux défis de l'unité des forces favorables à la solution politique

Le thème de l'unité est décisif, mais il présente des complexités sans solution immédiate. L'annonce de l'ouverture d'une phase publique de dialogue avec l'ELN à Quito (Equateur) à partir du 27 octobre, élargit objectivement l'horizon du processus de paix comme axe principal de la politique nationale et met en mouvement l'engagement des autres composantes de la lutte populaire. Cela fragilise l'argument selon lequel la question de la paix n'était qu'un fardeau pour la lutte sociale, opinion qui a été avancée par certains courants de gauche afin de minimiser le sens profond du dialogue et des processus qui tendent à une solution politique de la longue étape de guerre contre-insurrectionnelle. De plus, le résultat négatif du plébiscite a éveillé des dynamismes de participation qui n'étaient pas présents pendant la campagne en faveur du OUI et qui se manifestent à un moment de frustration et d'incertitude totale face à l'avenir immédiat, avec une menace de remise en cause de ce qui a été atteint pour aller vers la fin de la guerre, notamment, le thème du cessez-le-feu bilatéral et définitif. Le rôle des églises, loin d'être spontané, a été conduit à des postures fondamentalistes à travers un piège publicitaire et la gestion maladroite de l'ex-ministre Gina Parody en matière de politiques d'éducation sexuelle dans les collèges.

Les mobilisations du 5 octobre et surtout celle du 12 octobre ont commencé à dissoudre la dichotomie du plébiscite entre un oui vaincu et un non triomphant, elles l'ont remplacé par des sentiments partagés de soutien à un Accord existant, souhait de contribuer au déblocage pour permettre une mise en oeuvre rapide inhabilitée par le non, désarroi de nombreux électeurs du non qui avaient voté pour punir les mesures anti-populaires du gouvernement mais qui sont en faveur de la paix, et aussi rejet de la manipulation grossière des électeurs par la propagande hypocrite de la campagne du Centre démocratique, ou de l'appropriation opportuniste de la crise par Uribe, Pastrana et l'ex-procureur, comme s'ils avaient gagné la guerre le 2 octobre.

Une politisation citoyenne accélérée autour de la dynamique de la paix et une découverte du sens réel de l'Accord sont en train de donner une qualité différente au moment politique présent. Les déclarations prudentes de l'équipe négociatrice des Farc-EP, le nouveau protocole sur le Cessez-le-Feu bilatéral et définitif ainsi que sa prolongation jusqu'au 31 décembre, chassent pour le moment les craintes fondées sur les risques effectivement existants autour de fractures éventuelles et/ou de provocations. Santos également agit avec prudence, dans un climat où la pression de l'ultra-droite est aux aguets pour imposer la renégociation totale de l'Accord ou au moins sa modification pour annuler ses contenus substantiels sur le thèmes des terres, de la justice et de la participation politique.

Le type de convergence qui a surgi peu à peu est celui d'un front de coïncidences très large autour de points essentiels :
  • la défense de l'intégralité de l'Accord et la cohérence de son contenu ; 
  • l'assurance du cessez-le-feu et de son mécanisme de Vérification tripartite (FARC EP, Gouvernement, ONU) ; 
  • une nouvelle convention à la Table des Dialogues sur la mise en oeuvre et les processus législatifs ; 
  • le rejet populaire du pacte des élites et la mise en route du Pacte Politique National, tel que défini dans le point 3.4 de l'Accord, c'est à dire le pacte de rejet des armes dans la vie politique,
  • l'arrêt du paramilitarisme et de "l'ennemi interne", l'arrêt de la doctrine de sécurité nationale, l'arrêt du "nettoyage social"; 
  • Des garanties pour la vie et l'exercice de la politique
  • L'engagement de non-répétition.
Dans le cadre de cette large convergence, la gauche sociale et politique doit affiner ses rapprochements et sa disposition à agir comme une force de définition, en premier lieu comme la défense la plus ferme de l'Accord de paix et de la lutte pour la justice sociale. Sa position contre le type de réforme budgétaire régressive conduite par le gouvernement, en soutien aux consultations préalables et aux consultations citoyennes sur les exploitations minières qui sont dans la Constitution et qui ont été approuvées par la Cour Constitutionnelle, et qui exigent un moratoire sur les concessions minières, l'énergie et l'eau, ou en lien avec la dissolution de l'Esmad (Compagnie anti émeutes) et la revendication de l'arrêt du traitement violent des protestations d'opposition civique ont une extraordinaire valeur de rassemblement, comme complément nécessaire de la paix. La défense du processus et la lutte pour la justice sociale constituent la base d'une plateforme démocratique d'unité autour de laquelle pourraient se tisser les points d'une alternative pour prendre le pouvoir en 2018. La politique du Front Large pour la Paix, la Démocratie et la Justice Sociale doit aider à affiner les initiatives pour rapprocher les forces et élaborer les procédures qui permettent d'unir les objectifs.

Une réflexion nécessaire sur les événements et leur perspective

A la question de savoir quelle est la caractéristique à retenir du moment politique que vit la Colombie, disons que nous sommes face à une transition qui a comme point de départ un engagement politique. L'Accord de paix nous a mis face à la réalité vivante d'un engagement politique pour faire la transition de l'état de guerre contre-insurrectionnelle à un état de non-guerre, de garanties, de libertés et de réformes. C'est l'engagement de mettre fin à une modalité de guerre civile, à un chapitre douloureux et prolongé de confrontation dans la lutte sociale et dans la lutte de classes, qui peut passer de l'état de confrontation armée à celui d'une scène civique, normée, avec des garanties relatives pour la vie et l'intervention en politique de ceux qui durent prendre les armes pour rompre la dure carapace de l'anti-démocratie, dans un régime excluant et violent, dont les privilèges de quelques-uns contrastent avec l'inégalité sociale croissante des majorités et où l'inégalité politique s'est renforcée grâce à différentes modalités de terrorisme d'Etat. Malgré les fossoyeurs arrogants du marxisme, voilà le fond de la réalité avec laquelle nous devons compter. Lénine disait, avec sagesse, en évaluant l'importance stratégique de circonstances comme celles-ci, qu'"il y a engagements et engagements. Il faut savoir analyser la situation et les circonstances concrètes de chaque engagement ou de chaque variété d'engagement".

Les empreintes de la crise montrent l'équilibre instable que l'ultra-droite essaie d'altérer pour récupérer les rênes du gouvernement en 2018. En ne reconnaissant pas l'Accord et en formulant des propositions impossibles car elles se situent aux antipodes de ce qui a été accordé au cours de terribles journées de travail, la posture anti-Accord cherche à retarder sa mise en oeuvre. Avec la croissance de la mobilisation populaire, est en train de surgir une nouvelle configuration des forces qui peuvent consolider le pas historique que le peuple est en train de faire.

Secrétaire Général du Parti Communiste Colombien
Bogotá DC. Colombia, lundi 17 octobre 2016

Trad: CM

lundi 17 octobre 2016

Bruno Muel : Les guérrilléros n'avaient pas peur.

Entretien avec le cinéaste français qui a filmé les bombardements de Riochiquito en 1965 

 Bruno Muel

Septembre 1965, deux jeunes cinéastes français, Bruno Muel et Jean-Pierre Sergent arrivent en Colombie. Depuis plus d'un an déjà, le gouvernement du Front National de Guillermo León Valencia avait déclaré la guerre aux paysans de Marquetalia en se déchainant contre les "républiques indépendantes", le plan LASO (Latin American Security Operation) était en marche, Riochiquito représentait l'étape suivante. Les cinéastes réussirent à pénétrer dans la zone de guerre, à rencontrer les guérilléros, à filmer les bombardements, l'évacuation des paysans, à enregistrer les images d'un conflit armé qui se prolongerait pendant plus d'un demi siècle. 
Alors que ces jours-ci, une nouvelle page de l'histoire est en train de s'ouvrir, Bruno Muel nous a accordé un entretien.

Par Manuel Salamanca Huertas
Paris, 14 octobre 2016

— Bruno, dans ton documentaire Les longues marches, tu expliques : "En 1965, nous sommes allés en Colombie avec Jean-Pierre Sergent pour filmer les guérillas communistes". Qu'est-ce qui vous avait motivés pour aller en Colombie, un pays aussi éloigné de la France ?
En 1964, en France, il y a eu une pétition signée par des personnes comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui dénonçait le fait qu'en Colombie, il y avait une guérilla dont l'existence était niée, cachée par le gouvernement colombien. Cela nous a motivés pour aller à la rencontre de gens qui luttaient, et c'est ainsi que nous avons pris contact avec des membres du Parti Communiste Colombien, qui avaient tout très bien organisé pour que nous puissions arriver à Riochiquito. D'abord, nous avons fait un tour par la Guajira, pour déjouer les services de police, accompagnés par Nelson Robles, un avocat qui est maintenant décédé. C'était un type très sympatique et aimable, originaire de la Guajira. Je me souviens que j'avais pris quelques images, c'était comme si nous faisions un voyage touristique.
Après, nous sommes retournés à Bogotá et un matin, nous avons rencontré deux amis colombiens qui ont été nos interprètes, car nous parlions très peu l'espagnol. L'un d'eux, Pepe Sánchez, était déjà un acteur connu à l'époque. Je me souviens que nous nous étions arrêtés dans un petit village pour manger quelque chose et des enfants l'avaient reconnu. L'autre copain, on l'appelait Chiribico. Nous sommes arrivés à un bourg dont je ne me souviens plus le nom. C'est là qu'ils sont venus nous chercher. A dos de mules, nous nous sommes dirigés vers le haut de la montagne, en croisant un poste de l'armée, nous avons déclaré que nous étions des ethnomusicologues et que nous cherchions des indiens pour enregistrer leur musique, les gardiens étaient à moitié endormis et ils nous ont laissé passé sans difficulté.
Plus loin, des jeunes guérrilléros sont venus à notre rencontre, l'un d'eux était Hernando González. Nous avons immédiatement été accueillis comme des amis, ils avaient plus ou moins le même âge que nous. Ils nous ont emmenés au poste de commandement qui était caché entre les arbres. C'était un refuge très rudimentaire.
C'est là que nous avons rencontré les dirigeants : Manuel Marulanda, qui était le chef reconnu, un paysan, en général tous étaient paysans, c'était vraiment une guérrilla paysane. C'est important de le souligner. Il y avait un apport de la ville comme Jacobo Arenas qui avait été dirigeant syndical dans le secteur pétrolier, c'était comme un commissaire politique. Il y avait aussi Hernando González, qui était un étudiant communiste et qui était là pour faire un travail de politisation à côté des jeunes guérrilléros paysans. Nous avons rencontré aussi Ciro Castaño, qui dans l'interview, dit avoir 15 ans d'expérience dans la résistance. Ils insistaient sur le fait que le Gouvernement appelait leurs zones des "républiques indépendantes", alors que eux considéraient qu'ils étaient organisés en autodéfenses paysannes.

— Quand vous êtes arrivés en Colombie, vous saviez déjà tout ça ?
Non, ce sont les guérrilléros qui nous ont expliqué tout ça. Et donc, c'était des autodéfenses qui défendaient les paysans. Ils étaient mélangés. J'ai filmé comment les guérrilléros coupaient la canne à sucre. Quelque chose qui m'avait impressionné, c'était l'autorité. Cette autorité que l'on ne sent pas, on notait la discipline mais pas l'autorité, c'était quelque chose comme une cooptation naturelle. L'autorité de Manuel Marulanda était évidente.

— Certains disent que cette guérrilla du début, a ensuite perdu son idéal. Qu'en penses-tu ?
Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Marulanda dit que le Gouvernement les calomniait constamment. Pendant le chemin du retour, un des guérrilléros qui nous accompagnait nous a raconté que lui avait été bandit, mais que quand il s'était engagé dans la guérrilla, il avait compris que ça valait le coup de s'organiser. Il avait un fusil et il était fier de son fusil. Il disait : "Ca fait un seul tir, mais c'est toujours le bon". Il s'appelait Martin.

— Tu disais que Marulanda était le chef incontesté. Comme personne, quelle impression t'a-t-il fait ?
C'était une personne simple, très discrète. Je ne l'ai jamais entendu crier. C'était un homme robuste, qui parlait peu. Il y avait quelque chose qui nous faisait rire. Il croyait aux lutins. C'est là qu'on notait son origine paysanne et cela n'enlevait rien de son autorité politique. Je me souviens aussi de Ciro Castaño, c'était un vrai guerrier.
Rappelons-nous que c'était en 1965, un an auparavant, les combattants avaient réussi à échapper au siège de l'armée à Marquetalia, où il y avait eu de grosses pertes d'un côté et de l'autre. Riochiquito était la deuxième zone de guerre. C'est là que j'étais.

— Que peux-tu nous raconter de Riochiquito ?
Eh bien, au début nous avons passé des jours très tranquilles. Nous avons pu filmer des scènes de la vie quotidienne des paysans mêlés aux guérrilléros, cuisinant, préparant la soupe. Après sont venus les bombardements. Les dirigeants savaient qu'ils allaient bombarder, c'est pour cette raison qu'ils avaient fait évacuer le village. Les paysans fuyaient, les avions volaient. Les guérrilléros n'avaient pas peur. Nous non plus. Nous nous sentions protégés. Alors que nous évacuions la zone, nous pénétrions plus profondément dans la selva, la situation devenait plus difficile. Il faisait plus froid, il y avait plus d'humidité, les paysans souffraient, les enfants, les vieillards. Ensuite, nous avons du quitter la zone de combat avec Jean-Pierre et nos deux amis de Bogotá, quelques femmes et un vieillard.
Une longue marche a alors commencé avec une petite colonne de guérrilléros qui ouvraient le chemin avec leurs machettes, eux connaissaient la zone. Nous marchions dans des conditions difficiles, en dormant sur le sol, en nous couvrant avec deux ou trois couvertures. Les nuits étaient froides. Au bout d'un mois, nous sommes arrivés dans une clairière. C'est là qu'une voiture est arrivée, qui nous a emmenés à Bogotá. Nous avons réussi à contacter l'Ambassade de France. Le jour suivant, nous avons été détenus séparément. Moi, ils m'ont pris en arrivant à la maison d'un ethnologue où nous étions hébergés. Quelques 10 hommes bien armés, avec une jeep, sont venus pour m'arrêter. Ils m'ont emmené là où un général de l'Armée semblait dans une fête avec des militaires, il m'a regardé, a dit quelques mots, puis ils m'ont emprisonné dans un cuartel au centre de Bogotá.
Je ne me souviens pas bien, ils nous ont emprisonnés 15 jours environ, dans des lieux séparés. Nous ne pouvions pas nous voir. Ils nous faisaient des interrogatoires qui duraient jusqu'à trois heures. En ce qui concerne notre matériel, nous nous étions mis d'accord avec Jean-Pierre pour dire que nous l'avions perdu. Que nous l'avions caché à côté d'un arbre mais que nous ne savions pas où. Les guérrilléros nous avaient recommandé de tout leur laisser, la caméra, les bandes que nous avions filmé. C'est pourquoi, quand ils nous ont arrêté, nous n'avions rien. Et sinon, ils nous auraient tout pris. Finalement, nous avons été expulsés de Colombie. C'est une fois à Paris, trois mois plus tard environ, que j'ai reçu un appel d'un certain Feliciano qui disait qu'il avait les bandes. Je suis allé au rendez-vous, et en effet, il avait des petits bobines cousus dans la doublure de sa gabardine.

— Et donc, en 1983, tu retournes en Colombie ?
J'ai contacté un militant du Parti Communiste Colombien qui m'a servi d'intermédiaire. Il a tout organisé. Après l'élection de Mitterrand à la Présidence, des gens que je connaissais sont entrés dans les chaînes publiques. La première chaine, qui était encore du service public, a financé les Longues Marches. Mon projet a été accepté et ainsi, je suis retourné voir mes amis de la guérrilla.

— Revenir en Colombie, c'était une nécessité, un désir ?
—  Eh bien, il y avait plusieurs choses. J'avais un grand désir de revenir, de voir ce qui se passait. En même temps, j'avais été opéré d'un cancer et j'avais des gros problèmes de santé. Pour moi, c'était comme un défi de démontrer que je pouvais encore faire ça, c'était comme une façon de me dire que j'étais guéri. Alors nous y sommes allés avec une équipe de professionnels de l'INA (Institut National de l'Audiovisuel). Pendant ce voyage, j'ai rencontré certains dirigeants de la guérrilla pour les filmer et qu'ils nous parlent de la situation.

— Qui as-tu pu voir ?
La rencontre a eu lieu vers le haut-plateau (le páramo), tout près de Bogotá. Jacobo Arenas et Jaime Guaracas sont venus. Je leur ai dit que j'aimerais bien revoir Manuel Marulanda mais ils m'ont répondu qu'il y avait au moins trois jours de marche, comme j'étais avec toute une équipe, c'était compliqué.
Avant de monter au Páramo, j'avais pu avoir un entretien avec Belisario Betancur, le président de la République. Il m'a commenté qu'il établissait des dialogues avec les guérrillas pour arriver à une loi d'amnistie. Alors j'ai demandé à Jaime et à Jacobo de qu'ils pensaient de cette loi d'amnistie. Ils répondirent qu'il fallait voir, que pourquoi pas. Mais ce que je ne pouvais pas savoir, c'est ce qui est arrivé ensuite. En 1985 avec la création de l'Union Patriotique, la UP a réussi à avoir des sénateurs et des élus et ils les ont assassinés, trois mille, quatre mille, je ne sais combien.
A ce propos, j'ai lu L'oubli que nous serons de Héctor Abad Faciolince, qui n'est pas un homme de gauche. La préface est écrite par Mario Vargas Llosa, qui n'est pas non plus de gauche, mais le père de Héctor Abad était une médecin libéral très engagé dans la défense des droits humains dans le département d'Antioquia, et il écrivait des textes qui dénonçait la violence de l'Etat. Il considérait plus cruelle la violence du Gouvernement pour maintenir sa domination que celle de la guérrilla qui luttait pour un changement de régime. Et bien, ce monsieur a été assassiné alors qu'il allait à l'enterrement d'un ami, dirigeant d'un syndicat enseignant, qui avait été assassiné le jour antérieur. C'était cette violence qui s'était déchainée, on vivait le début du para militarisme, tout cela m'impactait.
Dans le documentaire Longues Marches, j'interviewe un couple de paysans que j'ai pu rencontrer grâce au père jésuite Javier Giraldo. On a assassiné à ces paysans trois fils adolescents, qui jouaient de la guitare et chantaient dans la nuit. Des hommes sont arrivés et ils les ont tué froidement, comme ils ont tué les autres personnes qui se trouvaient avec eux. Les paysans accusaient les hommes du MAS (Mort aux Kidnappeurs) d'avoir perpétré les assassinats. Ils les ont assassinés parce qu'ils étaient d'une communauté chrétienne, en les accusant d'être des complices de la guérrilla.

— Ca fait plus de trente ans que tu es allé en Colombie. Tu aimerais y retourner une fois de plus ?
Bien sur que oui. Dans les pays où je suis allé, ceux où il y a eu ces guerres, ces paysans qui ont pris les armes pour se défendre. Ca, je l'avais connu en Algérie pendant mon service militaire en 1956, j'avais 20 ans, et ça m'a impacté, ça m'a fait réfléchir. C'est à partir de ce moment-là que j'ai construit ma vie de cinéaste engagé. Bien sur que j'aimerais retourner en Colombie, revoir ces paysans. Enfin, je ne suis plus jeune et beaucoup d'entre eux sont morts.

— Que souhaiterais-tu dire aux colombiens en ce moment où on est arrivé à un accord de paix?
J'aimerais que les jeunes guérrilléros réussissent à entrer en contact avec la vie moderne. Il me semble que cela ne sera pas facile. Mais je pense que, tels que je les ai vus, ils seront des citoyens actifs et utiles pour le pays.