mardi 8 novembre 2016

Colombie : Oui à un pacte politique national des bases, et non des élites

 

"Après une guerre contre-insurrectionnelle de 68 ans contre plusieurs générations de rebelles invaincus et alors qu'une solution politique est d'ores et déjà accordée, les ultras cherchent à éterniser le système politique excluant qui justifia la rébellion, et à forcer une victoire de dernière heure qui oriente les résultats de quatre ans de négociations complexes et d'accords soutenus par la communauté mondiale vers l'impunité en faveur de leurs complices." (Déclaration du Comité Exécutif du Parti Communiste Colombien, le 3 octobre 2016).

En Colombie, de nombreuses interprétations circulent au plan national sur la situation complexe du pays. Certaines sont partagées sans critique par les alliés et les secteurs de la gauche. Il faut reconnaitre que l'effet provoqué par le résultat du 2 octobre a mis en évidence deux réalités camouflées par le cours incessant des événements : D'une part, une énorme avancée dans la conscience des couches populaires et moyennes que l'idée de la fin de la guerre est liée à la démocratisation du pays et à la nécessité d'importantes réformes sociales, politiques, économiques et culturelles ; et d'autre part, cela a poussé au rouge vif la crise du régime politique et l'incapacité de la fraction gouvernementale à conduire jusqu'à ses pleines conséquences, un accord de paix qui a posé les bases d'un nouvel engagement historique, avec pour point de départ, un paysage de libertés, de droits et de garanties en rupture avec l'ordre contre-insurrectionnel hérité du bipartisme. Etablir si possible le sens de ce qui est en train de se passer et montrer les lignes qui caractérisent notre politique dans la conjoncture actuelle est la tâche du 22ème Congrès. Le plenum préparatoire prévu les 3 et 4 décembre devra actualiser les Thèses et centrer ses conclusions sur la perspective politique que doit étudier et décider le Congrès.


A propos de la menace d'un nouveau "front national"

La crise provoquée par le résultat du 2 octobre ne s'explique que par l'entêtement du gouvernement à réaliser un plébiscite, sans préparation ni pédagogie suffisante, et sa tendance manifeste à faire des concessions à la droite ultra. Sous prétexte de la défaite électorale, une nouvelle offensive stratégique de l'uribisme s'est mise en route afin de méconnaitre l'Accord de paix déjà souscrit, à travers la déstabilisation médiatique, l'essai d'imposer un pacte des élites et la perspective d'un gouvernement réactionnaire (Vargas Lleras - Uribe) en 2018, pour un démantèlement futur des accords.

Uribe sait que ses propositions "originales" au nom du NON coïncident en grande partie avec celles du gouvernement au début des dialogues. La prétention d'un pacte des élites s'appuie sur la coïncidence des intérêts de classe, pour mettre en morceaux l'engagement signé le 26 septembre, s'appuyer sur le modèle implicite des Zidres et soutenir la réforme fiscale régressive. En arriver là, signifierait la fin de toute idée de solution politique. Pourtant, la solution humaine à une longue guerre, à travers le dialogue et des engagements mutuels, est quelque chose que la bourgeoisie a dû accepter, parce que cela sert aussi son intérêt de classe. Le fond de la crise politique, ouverte par l'avantage du Non dans le plébiscite réside dans le fait de trancher si oui ou non, l'Accord est consolidé, c'est à dire : Redéfinir et normatiser sa mise en oeuvre, préserver le cessez-le-feu bilatéral et définitif, l'amnistie, la grâce et le dépôt des armes, la normalisation et la réincorporation des ex-combattants, dans un cadre de garanties, respect de la vie, intégrité, dignité et suivi par le Mécanisme Tripartite (ONU, Farc, gouvernement). Mais il consiste aussi à sécuriser les victimes, les personnes menacées ou poursuivies, les prisonniers politiques et les membres de la gauche sociale et politique, et parmi eux les membres du nouveau mouvement ou parti qui surgira des accords, en leur assurant la liberté, la protection, la vérité et la réparation complètes. Tout cela ne peut pas dépendre des bonnes dispositions de la bureaucratie gouvernante, mais de l'unité, l'organisation, la revendication, la mobilisation des forces populaires qui plaident légitimement pour la défense, l'explication, la pédagogie et le respect des accords.


La très dure bataille pour la démocratisation du pays

La défense de l'Accord de paix, l'exigence d'une nouvelle procédure pour sa mise en oeuvre sont le centre de la bataille d'idée de la conjoncture actuelle. L'absence d'une réelle pédagogie sur la paix continue à être palpable. C'est la gauche politique et sociale, en lien avec les nouvelles réserves démocratiques qui ont répondu à l'appel du moment en cours, qui émergent en défense de l'Accord, qui réfutent avec des arguments la position uribiste, qui mènent le débat sur l'approche de genre et ont mis en évidence le mélange mal intentionné avec un prétexte religieux et inquisitoire pour invalider ce qui avait été accordé. Dans le débat idéologique sur la défense et l'évaluation du sens profond de l'Accord, se joue le contenu démocratique de la paix et de ses potentialités transformatrices : la Justice Spéciale pour la Paix, l'éligibilité et les garanties politiques des ex-combattants, le Statut de l'opposition, la réforme du système des partis et les coalitions pour les listes, la réforme du système électoral, les circonscriptions territoriales de paix, etc. Une des exigences du camp populaire est la formalisation de la Commission Nationale des Garanties, la fin du Paramilitarisme et la Non répétition, axe fondamental de l'Accord.

Le sondage Gallup de la dernière semaine d'octobre montre que persiste la tendance qui s'est manifestée par un vote négatif de punition au pouvoir. Malgré le prix Nobel, qui est un soutien de la bourgeoisie transnationale à un président aux abois, l'image défavorable de Santos atteint 60% et la favorable n'est que de 34%. Entre temps, le soutien au processus de solution politique continue à avancer. 77% des personnes interrogées approuvent la voie du dialogue et les accords, alors qu'il n'y en a que 19% pour la solution militaire. 80% des personnes interrogées sont favorables au dialogue avec l'ELN. Fait significatif : l'image positive des FARC-EP passe de 11 à 18 % entre août et octobre. Il y a des changements qui transforment la conscience sociale. De nouvelles perceptions surgissent, avec les expressions d'un nouveau sens commun qui commence à rompre la polarisation va-t-en guerre manichéenne avec laquelle la droite avait édifié son hégémonie liée à la guerre contre-insurrectionnelle.


Le pouvoir ne semble pas comprendre le sens de ce qui se passe

Malgré ces données, le gouvernement persiste dans une réforme fiscale régressive qui rajoute du rejet à sa politique de nouveaux impôts. La rupture du dialogue de la Table commune avec le Sommet rural, indigène et populaire rappelle qu'il y a des luttes et des protestations en cours, qu'il y aura une Caravane des femmes qui arrivera à Bogotá le 14 novembre au matin, qui participera à diverses activités puis retournera dans les régions la nuit du mardi 15 novembre. Le 17 novembre, se prépare la manifestation nationale contre la réforme fiscale. Les 29 et 30 novembre, est prévue le Sommet National pour la Paix, point de rencontre, de mobilisation et d'appel à une grande Vigile Nationale pour la Paix.

Le fait le plus important, avec une profonde valeur prédictive et qui peut guider l'activité des révolutionnaires,  a été la réponse du mouvement populaire, et en particulier de la jeunesse, dans des formes très diverses d'agitation, publicités, campements, vigiles, utilisation des réseaux, visites aux PPT (Points de pré-regroupement temporaires des guérrilléros) en soutien à l'Accord, pour accélérer sa mise en oeuvre, veiller au respect du cessez-le-feu, bilatéral, les garanties à la vie, à la sécurité pour l'activité politique. C'est soutenus par cette dynamique réelle que doivent se déployer à fond toute l'initiative, la coordination et les tâches du Parti, en lien avec l'Union Patriotique, la Marche Patriotique, les organisations de jeunesse et les organisations étudiantes, dans le cadre de la vision du Front Elargi.

Quelques propositions qui naissent des initiatives en cours :

1. Nous devons soutenir, stimuler et contribuer au maintien et à la vigueur de l'agitation, l'organisation et l'initiative UNITAIRES de la lutte populaire et de la jeunesse jusqu'à ce que soit concrétisé et ratifié par une nouvelle signature l'Accord définitif, avec ses avenants et protocoles.

2. Nous proposons d'impulser un pacte politique national des bases, et non des élites, comme le formule le point 3.4 des Garanties de l'Accord (Non aux armes en politique, non au paramilitarisme, non au terrorisme d'Etat, non à la "doctrine de la sécurité nationale") et l'engagement de NON REPETITION.

3.  Les "cabildos abiertos" (conseils ouverts) sont une forme de démocratie directe reconnue par la Constitution (Art. 103). Leur réglementation par la Loi 134 est compliquée mais pas irréalisable. Ils ont lieu dans plusieurs Municipalités et Communes, avec ou sans permission. Ce sont essentiellement des espaces délibératifs, de convergence populaire et pédagogiques sur l'essentiel des processus de paix. Avec l'initiative des masses, ils peuvent prendre vie, réanimer les territoires, construire l'unité et le pouvoir à partir des bases. Si la forme de ratification légale de l'Accord doit surgir de la Table de La Havane, nous pensons que la légitimation réelle des masses devrait passer par les "cabildos abiertos". Le vivre ensemble se construit de bas en haut, pas seulement à partir de la bureaucratie de l'Etat. C'est ainsi que l'Accord envisage le pacte politique national. Il y a aussi la proposition de recueillir 10 millions de signatures. De la même manière, de futurs processus constituants sont envisagés. Nous croyons qu'il est sensé d'ouvrir cette discussion dans les bases. L'irréversibilité des Accords ne se résout pas seulement en Suisse, elle peut avoir ici dans le territoire son plus grand ancrage (Il y a 1122 municipalités, dont 5 districts spéciaux).

4. Proposer les "étrennes pour la Paix", pour recueillir des victuailles et de la logistique non périssable pour les campements en soutien à la paix et pour les Vigiles dans les PPT (Points de Pré-regroupement Temporaires). C'est important dans le soutien au Cessez-le-Feu bilatéral et définitif.

5. Penser à un futur Congrès National des Cabildos, dans l'esprit pré-constituant.

Département Politique
Comité Exécutif
Parti Communiste Colombien



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