jeudi 20 octobre 2016

Colombie. Crise et processus de paix : Le moment décisif


Par Jaime Caycedo Turriago
Source : Pacocol

En Colombie, la crise nationale dont la guerre prolongée a été l'expression notoire, s'est encore endurcie suite au résultat du 2 octobre et au triomphe mortifère du Non. C'est avec l'énergie du non, interprété comme un vote-punition face au discrédit du gouvernement qui s'évertue à défendre son projet néolibéral, que la haute sphère des va-t-en guerre civils veut mener le bal. Elle était passée à l'offensive avec des propositions régressives improvisées qui pour l'essentiel ne correspondent en rien aux contenus structurels de l'Accord souscrit le 26 septembre entre le chef de l'Etat et le Commandant des Farc-EP, en présence du Secrétaire général de l'ONU et de gouvernants de plusieurs pays.

Les chefs de l'ultra-droite croient avoir gagné la guerre pour quelques 53 mil voix, sur 13 millions de votant-e-s et 20 millions de citoyen-ne-s qui n'ont pas voté. Alors que le gouvernement s'était entêté témérairement à organiser un plébiscite non obligatoire, c'est à lui qu'il revient maintenant de chercher des solutions adéquates, en s'associant avec son ancien ennemi rebelle, afin de dépasser la crise du processus provoquée par la contre-offensive de l'ultra-droite et pouvoir mener à bien l'exécution de l'Accord.

L'ultra droite à l'offensive contre l'Accord

Ce n'est pas une tâche facile. Le lobby de l'extrême droite qui s'est approprié le triomphe du non, est représenté par des personnages de la vieille oligarchie gouvernementale qui ont de graves responsabilités dans la conduite et dans la dégradation de la guerre contre-insurrectionnelle, avec des violations scandaleuses des pactes internationaux souscrits par l'Etat colombien en matière de droits humains, droit international humanitaire et crimes de guerres. Ce lobby est connecté avec ce que l'on a appelé le nouveau "plan condor" dont le programme est la chute ou la défaite des gouvernements de gauche en Amérique Latine, avec l'aide des nouvelles méthodologies des "coups d'état soft" et des campagnes diffamatoires, qui s'appuient sur le contrôle extrémiste de droite du pouvoir législatif, judiciaire et médiatique. L'ex-président Pastrana, un des champions du non, est le porte-parole de cette politique qui est, par ailleurs, l'essence doctrinaire du "Centre Démocratique", l'appareil du parti de l'ex-président Alvaro Uribe.

En bref, la tentative de faire échouer la solution politique pour la paix en Colombie n'est pas déconnectée de la contre-offensive qui veut changer le signe démocratique dans le continent, avec l'objectif de faire reculer les conquêtes sociales et les changements progressistes obtenus pendant ces deux dernières décennies en Amérique Latine. Pourtant, dans le cas de la paix en Colombie, les confrontations les plus aigües qui tiennent en haleine le cours de la politique globale à l'intérieur du système impérial dominant, semblent se contrebalancer. Apparemment, l'expression d'Obama d'il y a deux ans qui parlait de "mettre fin aux guerres inutiles" dans la région, et le soutien au dialogue de la Havane, ne s'opposent pas de manière exclusive aux efforts de déstabilisation dans la région, promus par les courants les plus conservateurs du capital transnational. Les effets d'un éventuel changement d'orientation de la politique étasunienne peuvent influer dans les mois à venir sur le destin et le contenu du processus de paix, même si Clinton arrive à gagner l'élection présidentielle. Dans de telles conditions, la permanence, la continuité et la possibilité que la solution politique concrétise le slogan de la paix "stable et durable" et réunisse les qualités basiques d'une paix "juste et démocratique" va dépendre fondamentalement de la capacité d'unité, de convergence, d'initiative dynamique et de persévérance du mouvement populaire.

Les nouveaux défis de l'unité des forces favorables à la solution politique

Le thème de l'unité est décisif, mais il présente des complexités sans solution immédiate. L'annonce de l'ouverture d'une phase publique de dialogue avec l'ELN à Quito (Equateur) à partir du 27 octobre, élargit objectivement l'horizon du processus de paix comme axe principal de la politique nationale et met en mouvement l'engagement des autres composantes de la lutte populaire. Cela fragilise l'argument selon lequel la question de la paix n'était qu'un fardeau pour la lutte sociale, opinion qui a été avancée par certains courants de gauche afin de minimiser le sens profond du dialogue et des processus qui tendent à une solution politique de la longue étape de guerre contre-insurrectionnelle. De plus, le résultat négatif du plébiscite a éveillé des dynamismes de participation qui n'étaient pas présents pendant la campagne en faveur du OUI et qui se manifestent à un moment de frustration et d'incertitude totale face à l'avenir immédiat, avec une menace de remise en cause de ce qui a été atteint pour aller vers la fin de la guerre, notamment, le thème du cessez-le-feu bilatéral et définitif. Le rôle des églises, loin d'être spontané, a été conduit à des postures fondamentalistes à travers un piège publicitaire et la gestion maladroite de l'ex-ministre Gina Parody en matière de politiques d'éducation sexuelle dans les collèges.

Les mobilisations du 5 octobre et surtout celle du 12 octobre ont commencé à dissoudre la dichotomie du plébiscite entre un oui vaincu et un non triomphant, elles l'ont remplacé par des sentiments partagés de soutien à un Accord existant, souhait de contribuer au déblocage pour permettre une mise en oeuvre rapide inhabilitée par le non, désarroi de nombreux électeurs du non qui avaient voté pour punir les mesures anti-populaires du gouvernement mais qui sont en faveur de la paix, et aussi rejet de la manipulation grossière des électeurs par la propagande hypocrite de la campagne du Centre démocratique, ou de l'appropriation opportuniste de la crise par Uribe, Pastrana et l'ex-procureur, comme s'ils avaient gagné la guerre le 2 octobre.

Une politisation citoyenne accélérée autour de la dynamique de la paix et une découverte du sens réel de l'Accord sont en train de donner une qualité différente au moment politique présent. Les déclarations prudentes de l'équipe négociatrice des Farc-EP, le nouveau protocole sur le Cessez-le-Feu bilatéral et définitif ainsi que sa prolongation jusqu'au 31 décembre, chassent pour le moment les craintes fondées sur les risques effectivement existants autour de fractures éventuelles et/ou de provocations. Santos également agit avec prudence, dans un climat où la pression de l'ultra-droite est aux aguets pour imposer la renégociation totale de l'Accord ou au moins sa modification pour annuler ses contenus substantiels sur le thèmes des terres, de la justice et de la participation politique.

Le type de convergence qui a surgi peu à peu est celui d'un front de coïncidences très large autour de points essentiels :
  • la défense de l'intégralité de l'Accord et la cohérence de son contenu ; 
  • l'assurance du cessez-le-feu et de son mécanisme de Vérification tripartite (FARC EP, Gouvernement, ONU) ; 
  • une nouvelle convention à la Table des Dialogues sur la mise en oeuvre et les processus législatifs ; 
  • le rejet populaire du pacte des élites et la mise en route du Pacte Politique National, tel que défini dans le point 3.4 de l'Accord, c'est à dire le pacte de rejet des armes dans la vie politique,
  • l'arrêt du paramilitarisme et de "l'ennemi interne", l'arrêt de la doctrine de sécurité nationale, l'arrêt du "nettoyage social"; 
  • Des garanties pour la vie et l'exercice de la politique
  • L'engagement de non-répétition.
Dans le cadre de cette large convergence, la gauche sociale et politique doit affiner ses rapprochements et sa disposition à agir comme une force de définition, en premier lieu comme la défense la plus ferme de l'Accord de paix et de la lutte pour la justice sociale. Sa position contre le type de réforme budgétaire régressive conduite par le gouvernement, en soutien aux consultations préalables et aux consultations citoyennes sur les exploitations minières qui sont dans la Constitution et qui ont été approuvées par la Cour Constitutionnelle, et qui exigent un moratoire sur les concessions minières, l'énergie et l'eau, ou en lien avec la dissolution de l'Esmad (Compagnie anti émeutes) et la revendication de l'arrêt du traitement violent des protestations d'opposition civique ont une extraordinaire valeur de rassemblement, comme complément nécessaire de la paix. La défense du processus et la lutte pour la justice sociale constituent la base d'une plateforme démocratique d'unité autour de laquelle pourraient se tisser les points d'une alternative pour prendre le pouvoir en 2018. La politique du Front Large pour la Paix, la Démocratie et la Justice Sociale doit aider à affiner les initiatives pour rapprocher les forces et élaborer les procédures qui permettent d'unir les objectifs.

Une réflexion nécessaire sur les événements et leur perspective

A la question de savoir quelle est la caractéristique à retenir du moment politique que vit la Colombie, disons que nous sommes face à une transition qui a comme point de départ un engagement politique. L'Accord de paix nous a mis face à la réalité vivante d'un engagement politique pour faire la transition de l'état de guerre contre-insurrectionnelle à un état de non-guerre, de garanties, de libertés et de réformes. C'est l'engagement de mettre fin à une modalité de guerre civile, à un chapitre douloureux et prolongé de confrontation dans la lutte sociale et dans la lutte de classes, qui peut passer de l'état de confrontation armée à celui d'une scène civique, normée, avec des garanties relatives pour la vie et l'intervention en politique de ceux qui durent prendre les armes pour rompre la dure carapace de l'anti-démocratie, dans un régime excluant et violent, dont les privilèges de quelques-uns contrastent avec l'inégalité sociale croissante des majorités et où l'inégalité politique s'est renforcée grâce à différentes modalités de terrorisme d'Etat. Malgré les fossoyeurs arrogants du marxisme, voilà le fond de la réalité avec laquelle nous devons compter. Lénine disait, avec sagesse, en évaluant l'importance stratégique de circonstances comme celles-ci, qu'"il y a engagements et engagements. Il faut savoir analyser la situation et les circonstances concrètes de chaque engagement ou de chaque variété d'engagement".

Les empreintes de la crise montrent l'équilibre instable que l'ultra-droite essaie d'altérer pour récupérer les rênes du gouvernement en 2018. En ne reconnaissant pas l'Accord et en formulant des propositions impossibles car elles se situent aux antipodes de ce qui a été accordé au cours de terribles journées de travail, la posture anti-Accord cherche à retarder sa mise en oeuvre. Avec la croissance de la mobilisation populaire, est en train de surgir une nouvelle configuration des forces qui peuvent consolider le pas historique que le peuple est en train de faire.

Secrétaire Général du Parti Communiste Colombien
Bogotá DC. Colombia, lundi 17 octobre 2016

Trad: CM

lundi 17 octobre 2016

Bruno Muel : Les guérrilléros n'avaient pas peur.

Entretien avec le cinéaste français qui a filmé les bombardements de Riochiquito en 1965 

 Bruno Muel

Septembre 1965, deux jeunes cinéastes français, Bruno Muel et Jean-Pierre Sergent arrivent en Colombie. Depuis plus d'un an déjà, le gouvernement du Front National de Guillermo León Valencia avait déclaré la guerre aux paysans de Marquetalia en se déchainant contre les "républiques indépendantes", le plan LASO (Latin American Security Operation) était en marche, Riochiquito représentait l'étape suivante. Les cinéastes réussirent à pénétrer dans la zone de guerre, à rencontrer les guérilléros, à filmer les bombardements, l'évacuation des paysans, à enregistrer les images d'un conflit armé qui se prolongerait pendant plus d'un demi siècle. 
Alors que ces jours-ci, une nouvelle page de l'histoire est en train de s'ouvrir, Bruno Muel nous a accordé un entretien.

Par Manuel Salamanca Huertas
Paris, 14 octobre 2016

— Bruno, dans ton documentaire Les longues marches, tu expliques : "En 1965, nous sommes allés en Colombie avec Jean-Pierre Sergent pour filmer les guérillas communistes". Qu'est-ce qui vous avait motivés pour aller en Colombie, un pays aussi éloigné de la France ?
En 1964, en France, il y a eu une pétition signée par des personnes comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui dénonçait le fait qu'en Colombie, il y avait une guérilla dont l'existence était niée, cachée par le gouvernement colombien. Cela nous a motivés pour aller à la rencontre de gens qui luttaient, et c'est ainsi que nous avons pris contact avec des membres du Parti Communiste Colombien, qui avaient tout très bien organisé pour que nous puissions arriver à Riochiquito. D'abord, nous avons fait un tour par la Guajira, pour déjouer les services de police, accompagnés par Nelson Robles, un avocat qui est maintenant décédé. C'était un type très sympatique et aimable, originaire de la Guajira. Je me souviens que j'avais pris quelques images, c'était comme si nous faisions un voyage touristique.
Après, nous sommes retournés à Bogotá et un matin, nous avons rencontré deux amis colombiens qui ont été nos interprètes, car nous parlions très peu l'espagnol. L'un d'eux, Pepe Sánchez, était déjà un acteur connu à l'époque. Je me souviens que nous nous étions arrêtés dans un petit village pour manger quelque chose et des enfants l'avaient reconnu. L'autre copain, on l'appelait Chiribico. Nous sommes arrivés à un bourg dont je ne me souviens plus le nom. C'est là qu'ils sont venus nous chercher. A dos de mules, nous nous sommes dirigés vers le haut de la montagne, en croisant un poste de l'armée, nous avons déclaré que nous étions des ethnomusicologues et que nous cherchions des indiens pour enregistrer leur musique, les gardiens étaient à moitié endormis et ils nous ont laissé passé sans difficulté.
Plus loin, des jeunes guérrilléros sont venus à notre rencontre, l'un d'eux était Hernando González. Nous avons immédiatement été accueillis comme des amis, ils avaient plus ou moins le même âge que nous. Ils nous ont emmenés au poste de commandement qui était caché entre les arbres. C'était un refuge très rudimentaire.
C'est là que nous avons rencontré les dirigeants : Manuel Marulanda, qui était le chef reconnu, un paysan, en général tous étaient paysans, c'était vraiment une guérrilla paysane. C'est important de le souligner. Il y avait un apport de la ville comme Jacobo Arenas qui avait été dirigeant syndical dans le secteur pétrolier, c'était comme un commissaire politique. Il y avait aussi Hernando González, qui était un étudiant communiste et qui était là pour faire un travail de politisation à côté des jeunes guérrilléros paysans. Nous avons rencontré aussi Ciro Castaño, qui dans l'interview, dit avoir 15 ans d'expérience dans la résistance. Ils insistaient sur le fait que le Gouvernement appelait leurs zones des "républiques indépendantes", alors que eux considéraient qu'ils étaient organisés en autodéfenses paysannes.

— Quand vous êtes arrivés en Colombie, vous saviez déjà tout ça ?
Non, ce sont les guérrilléros qui nous ont expliqué tout ça. Et donc, c'était des autodéfenses qui défendaient les paysans. Ils étaient mélangés. J'ai filmé comment les guérrilléros coupaient la canne à sucre. Quelque chose qui m'avait impressionné, c'était l'autorité. Cette autorité que l'on ne sent pas, on notait la discipline mais pas l'autorité, c'était quelque chose comme une cooptation naturelle. L'autorité de Manuel Marulanda était évidente.

— Certains disent que cette guérrilla du début, a ensuite perdu son idéal. Qu'en penses-tu ?
Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Marulanda dit que le Gouvernement les calomniait constamment. Pendant le chemin du retour, un des guérrilléros qui nous accompagnait nous a raconté que lui avait été bandit, mais que quand il s'était engagé dans la guérrilla, il avait compris que ça valait le coup de s'organiser. Il avait un fusil et il était fier de son fusil. Il disait : "Ca fait un seul tir, mais c'est toujours le bon". Il s'appelait Martin.

— Tu disais que Marulanda était le chef incontesté. Comme personne, quelle impression t'a-t-il fait ?
C'était une personne simple, très discrète. Je ne l'ai jamais entendu crier. C'était un homme robuste, qui parlait peu. Il y avait quelque chose qui nous faisait rire. Il croyait aux lutins. C'est là qu'on notait son origine paysanne et cela n'enlevait rien de son autorité politique. Je me souviens aussi de Ciro Castaño, c'était un vrai guerrier.
Rappelons-nous que c'était en 1965, un an auparavant, les combattants avaient réussi à échapper au siège de l'armée à Marquetalia, où il y avait eu de grosses pertes d'un côté et de l'autre. Riochiquito était la deuxième zone de guerre. C'est là que j'étais.

— Que peux-tu nous raconter de Riochiquito ?
Eh bien, au début nous avons passé des jours très tranquilles. Nous avons pu filmer des scènes de la vie quotidienne des paysans mêlés aux guérrilléros, cuisinant, préparant la soupe. Après sont venus les bombardements. Les dirigeants savaient qu'ils allaient bombarder, c'est pour cette raison qu'ils avaient fait évacuer le village. Les paysans fuyaient, les avions volaient. Les guérrilléros n'avaient pas peur. Nous non plus. Nous nous sentions protégés. Alors que nous évacuions la zone, nous pénétrions plus profondément dans la selva, la situation devenait plus difficile. Il faisait plus froid, il y avait plus d'humidité, les paysans souffraient, les enfants, les vieillards. Ensuite, nous avons du quitter la zone de combat avec Jean-Pierre et nos deux amis de Bogotá, quelques femmes et un vieillard.
Une longue marche a alors commencé avec une petite colonne de guérrilléros qui ouvraient le chemin avec leurs machettes, eux connaissaient la zone. Nous marchions dans des conditions difficiles, en dormant sur le sol, en nous couvrant avec deux ou trois couvertures. Les nuits étaient froides. Au bout d'un mois, nous sommes arrivés dans une clairière. C'est là qu'une voiture est arrivée, qui nous a emmenés à Bogotá. Nous avons réussi à contacter l'Ambassade de France. Le jour suivant, nous avons été détenus séparément. Moi, ils m'ont pris en arrivant à la maison d'un ethnologue où nous étions hébergés. Quelques 10 hommes bien armés, avec une jeep, sont venus pour m'arrêter. Ils m'ont emmené là où un général de l'Armée semblait dans une fête avec des militaires, il m'a regardé, a dit quelques mots, puis ils m'ont emprisonné dans un cuartel au centre de Bogotá.
Je ne me souviens pas bien, ils nous ont emprisonnés 15 jours environ, dans des lieux séparés. Nous ne pouvions pas nous voir. Ils nous faisaient des interrogatoires qui duraient jusqu'à trois heures. En ce qui concerne notre matériel, nous nous étions mis d'accord avec Jean-Pierre pour dire que nous l'avions perdu. Que nous l'avions caché à côté d'un arbre mais que nous ne savions pas où. Les guérrilléros nous avaient recommandé de tout leur laisser, la caméra, les bandes que nous avions filmé. C'est pourquoi, quand ils nous ont arrêté, nous n'avions rien. Et sinon, ils nous auraient tout pris. Finalement, nous avons été expulsés de Colombie. C'est une fois à Paris, trois mois plus tard environ, que j'ai reçu un appel d'un certain Feliciano qui disait qu'il avait les bandes. Je suis allé au rendez-vous, et en effet, il avait des petits bobines cousus dans la doublure de sa gabardine.

— Et donc, en 1983, tu retournes en Colombie ?
J'ai contacté un militant du Parti Communiste Colombien qui m'a servi d'intermédiaire. Il a tout organisé. Après l'élection de Mitterrand à la Présidence, des gens que je connaissais sont entrés dans les chaînes publiques. La première chaine, qui était encore du service public, a financé les Longues Marches. Mon projet a été accepté et ainsi, je suis retourné voir mes amis de la guérrilla.

— Revenir en Colombie, c'était une nécessité, un désir ?
—  Eh bien, il y avait plusieurs choses. J'avais un grand désir de revenir, de voir ce qui se passait. En même temps, j'avais été opéré d'un cancer et j'avais des gros problèmes de santé. Pour moi, c'était comme un défi de démontrer que je pouvais encore faire ça, c'était comme une façon de me dire que j'étais guéri. Alors nous y sommes allés avec une équipe de professionnels de l'INA (Institut National de l'Audiovisuel). Pendant ce voyage, j'ai rencontré certains dirigeants de la guérrilla pour les filmer et qu'ils nous parlent de la situation.

— Qui as-tu pu voir ?
La rencontre a eu lieu vers le haut-plateau (le páramo), tout près de Bogotá. Jacobo Arenas et Jaime Guaracas sont venus. Je leur ai dit que j'aimerais bien revoir Manuel Marulanda mais ils m'ont répondu qu'il y avait au moins trois jours de marche, comme j'étais avec toute une équipe, c'était compliqué.
Avant de monter au Páramo, j'avais pu avoir un entretien avec Belisario Betancur, le président de la République. Il m'a commenté qu'il établissait des dialogues avec les guérrillas pour arriver à une loi d'amnistie. Alors j'ai demandé à Jaime et à Jacobo de qu'ils pensaient de cette loi d'amnistie. Ils répondirent qu'il fallait voir, que pourquoi pas. Mais ce que je ne pouvais pas savoir, c'est ce qui est arrivé ensuite. En 1985 avec la création de l'Union Patriotique, la UP a réussi à avoir des sénateurs et des élus et ils les ont assassinés, trois mille, quatre mille, je ne sais combien.
A ce propos, j'ai lu L'oubli que nous serons de Héctor Abad Faciolince, qui n'est pas un homme de gauche. La préface est écrite par Mario Vargas Llosa, qui n'est pas non plus de gauche, mais le père de Héctor Abad était une médecin libéral très engagé dans la défense des droits humains dans le département d'Antioquia, et il écrivait des textes qui dénonçait la violence de l'Etat. Il considérait plus cruelle la violence du Gouvernement pour maintenir sa domination que celle de la guérrilla qui luttait pour un changement de régime. Et bien, ce monsieur a été assassiné alors qu'il allait à l'enterrement d'un ami, dirigeant d'un syndicat enseignant, qui avait été assassiné le jour antérieur. C'était cette violence qui s'était déchainée, on vivait le début du para militarisme, tout cela m'impactait.
Dans le documentaire Longues Marches, j'interviewe un couple de paysans que j'ai pu rencontrer grâce au père jésuite Javier Giraldo. On a assassiné à ces paysans trois fils adolescents, qui jouaient de la guitare et chantaient dans la nuit. Des hommes sont arrivés et ils les ont tué froidement, comme ils ont tué les autres personnes qui se trouvaient avec eux. Les paysans accusaient les hommes du MAS (Mort aux Kidnappeurs) d'avoir perpétré les assassinats. Ils les ont assassinés parce qu'ils étaient d'une communauté chrétienne, en les accusant d'être des complices de la guérrilla.

— Ca fait plus de trente ans que tu es allé en Colombie. Tu aimerais y retourner une fois de plus ?
Bien sur que oui. Dans les pays où je suis allé, ceux où il y a eu ces guerres, ces paysans qui ont pris les armes pour se défendre. Ca, je l'avais connu en Algérie pendant mon service militaire en 1956, j'avais 20 ans, et ça m'a impacté, ça m'a fait réfléchir. C'est à partir de ce moment-là que j'ai construit ma vie de cinéaste engagé. Bien sur que j'aimerais retourner en Colombie, revoir ces paysans. Enfin, je ne suis plus jeune et beaucoup d'entre eux sont morts.

— Que souhaiterais-tu dire aux colombiens en ce moment où on est arrivé à un accord de paix?
J'aimerais que les jeunes guérrilléros réussissent à entrer en contact avec la vie moderne. Il me semble que cela ne sera pas facile. Mais je pense que, tels que je les ai vus, ils seront des citoyens actifs et utiles pour le pays.




samedi 15 octobre 2016

Colombie. Le Genre et les Accords de Paix



Plus que promouvoir une "idéologie du genre", les accords de paix signés à La Havane incluent une approche de genre. Vouloir "purger" les accords de cette "idéologie du genre", c'est leur quitter leur capacité de construire une paix stable et durable en Colombie.

Tout au long de la campagne du plébiscite pour la paix, ce que l'on a appelé "Idéologie du genre" est devenu un facteur déterminant pour regrouper autour du NON les discours de l'extrême-droite, de plusieurs organisations chrétiennes et de certains secteurs de la société, qui ont vu dans cette supposée idéologie, une menace profonde contre la famille et l'enfance colombiennes. Dans ces secteurs, les critiques qui sont émises sur les formes historiquement établies de relations entre les hommes et les femmes, leurs sexualités et leurs désirs, sont comprises comme des menaces, qu'ils réunissent dans l'expression "idéologie du genre". 

L'argument du débat qui a commencé depuis quelques mois avec une discussion publique à propos des manuels de vie scolaire et d'éducation sexuelle, a grandi progressivement jusqu'à devenir un aspect fondamental des négociations entre le gouvernement et les secteurs du NON à propos des accords signés à La Havane. Les récentes déclarations d'Alejandro Ordoñez appelant à "purger" (terminologie qui rappellent les expériences néfastes d'élimination de l'opposition par différents régimes totalitaires) les dits accords de "l'idéologie du genre" (Voir le journal El Tiempo du 11 octobre) alertent sur les risques que comportent de telles attitudes réactionnaires face aux avancées que des féministes et des groupes de femmes ont réussi à mettre en oeuvre dans notre pays au cours des dernières décennies sur la violence de genre, le droit à décider sur son propre corps et le besoin de reconnaitre notre espace dans la sphère publique, professionnelle et politique dans des conditions d'égalité.

Dans ce sens, il nous semble très important de souligner que :

1. Plus que promouvoir une "idéologie du genre", les accords de paix signés à La Havane incluent une approche du genre qui, selon María Paulina Riveros, Directrice de la Défense des Droits Humains au Ministère de l'Intérieur et négociatrice plénipotentiaire pendant le processus de dialogue, signifie : 

"Un accord qui adopte une approche du genre, est un accord dans lequel tous : hommes et femmes, hétérosexuels et homosexuels, bisexuels et personnes à l'identité diverse, sont conçus comme des citoyens, des sujets politiques, des interlocuteurs visibles du dialogue social... " (Présentation de Accords de La Havane dans une approche de genre).

L'approche de genre est une préoccupation transversale dans les accords, qui se traduit par des mesures affirmatives sur 8 axes thématiques afin de garantir l'équité de genre dans toutes les matières qui les composent : Accès à la propriété rurale pour les femmes, garanties des droits économiques, sociaux et culturels, participation dans les espaces de représentation, mesures de prévention et de protection, accès à la vérité et à la justice, reconnaissance publique, renforcement de l'organisation et participation politique.

2. Contrairement au sens littéralement satanique qui a été donné à la terminologie "idéologie du genre", il est important de préciser que le genre n'est pas une théorie, ni une idéologie, mais un concept développé autour de la notion de sexe et des relations entre les hommes et les femmes. Le genre est un instrument d'analyse qui a donné lieu à un champ d'études, les études sur le genre, dans lequel, comme dans tous les champs d'études, il y a différentes écoles théoriques et non des idéologies. Les détracteurs et les détractrices du genre ont cherché à présenter ce champ d'études comme une idéologie, en l'assimilant à un ensemble d'idées et de représentations sur la différence sexuelle, qui cherchent des transformations sociales au détriment de l'enfance et de la famille.

3. La société colombienne a été traversée par de multiples inégalités de genre qui ont permis le développement d'une culture masculinisée et patriarcale, et ont engendré de multiples formes d'exclusion pour les femmes et les personnes LGBTI. Elles ont subi la guerre et les dynamiques du conflit armé dans des formes particulièrement graves, en raison de leurs positions dans des secteurs sociaux subordonnés. Et c'est cette situation que l'on cherche à dépasser à travers l'approche du genre dans les Accords.

4. L'approche du genre et de la diversité sexuelle qui est présente dans les accords de paix et dans de nombreuses politiques publiques ne représente pas une menace pour la société en général, mais bien au contraire, une opportunité pour comprendre et transformer les inégalités et les exclusions des droits économiques, sociaux et culturels dont souffrent les femmes et les personnes LGBTI, et qui font obstacle à la construction d'une société plus équitable et à la résolution non violente des conflits.

L'Ecole des Etudes de Genre de l'Universtié Nationale de Colombie, les autres centres d'études de genre, les institutions académiques, les organisations sociales et les personnes signataires de la pétition ci-dessous considèrent que brandir l'idéologie de genre comme une menace est un argument utilisé par certains secteurs politiques pour faire taire nos voix et pour faire reculer nos avancées politiques et académiques dans la société colombienne. C'est pourquoi nous soulignons la nécessité de développer des approches du genre qui soient en capacité de comprendre la complexité de la réalité que nous vivons actuellement et d'affronter ces postures qui vont au détriment des droits des différentes personnes et collectifs.

Nous défendons l'importance et l'irrévocabilité de la perspective du genre et de la diversité sexuelle dans les Accords de La Havane, au vu de son importance dans la reconstruction du tissu social colombien et la possibilité de guérir, pardonner et se réconcilier. Nous avons appris à travers l'exemple que nous ont donné de nombreuses victimes, dont une grande partie sont des femmes, et qui pardonnent à leurs bourreaux. Le pardon n'est pas un signe de faiblesse, ni un manque de "virilité", c'est un signe de grandeur personnelle et collective. C'est aussi la possibilité qui nous est offerte à toutes et tous de trouver des solutions dialoguées à nos différends et de construire un nouveau pacte social dont l'axe soit d'atteindre l'équité de genre et le respect de la diversité, conditions nécessaires pour une paix stable et durable.
Trad° : CM


 
 
 
 

mercredi 12 octobre 2016

A Bogotá, la Colombie indigène montre son soutien à la paix


Par Rossih Amira M.S
Source : Colombia Plural

Des centaines de représentants des peuples originaires ont défilé ce lundi 10 octobre à Bogotá, la capitale, dans le cadre des actes organisés pour le IXème Congrès de l'ONIC (Organisation Nationale des Indigènes de Colombie) pour dire au Gouvernement : "Nous voulons pouvoir vivre en paix".

Ce lundi, Bogotá a été plus que jamais, "Bacatá" comme on la surnomme chez les Muisca. C'est dans la capitale colombienne qu'ont conflué des centaines d'indigènes, arrivés depuis les différentes régions du pays, à travers fleuves, montagnes, sentiers et routes pour faire valoir leurs revendications historiques et renouveler leur soutien au processus de paix en Colombie.

Les raisons de la marche de ce 10 octobre sont multiples, depuis le IX Congrès des peuples indigènes de l'ONIC, à la commémoration des 100 ans de résistance du peuple Arhuaco de la Sierra Nevada de Santa Marta et à l'insistante manifestation que le peuple Mizak du Cauca veut faire en soutien au processus de paix. "Nous, peuple Mizak, sommes très affectés par le conflit armé, c'est ce qui nous a motivés à faire cette marche et qui nous a amenés jusqu'ici, à Bogotá" dit Manuel Cuchium Tombé, autorité indigène du peuple Mizak qui, avec plus de 1.600 indigènes de cette nation, a marché ce lundi depuis la place de toros de Bogotá jusqu'à la place Bolívar. "Nous voulons protester, pour dire au Gouvernement que le processus de paix nous appelle à pouvoir vivre sans conflits, sans armes, nous voulons pouvoir vivre en paix".

Les Autorités indigènes et les communautés des villages de Silvia, Cajibio, Morales, Caldono et Piendamó du département du Cauca, ont mobilisé plus de 20 chivas pour arriver à Bacatá. Felipe Valencia  a voyagé depuis la réserve indigène de Guambia pour affirmer clairement que, à partir de Silvia, ils s'adressent à tout le peuple colombien parce que "c'est nécessaire de continuer à avancer, continuer ensemble avec le Gouvernement et les communautés, pour ce que nous désirons depuis de longues années et que nous sommes en train de vivre aujourd'hui (le processus de paix)".

A partir du nord du pays, le peuple Arhuaco est également venu, pour revivre la mémoire de la geste historique des six autorités indigènes qui, en 1916, sont arrivés pour la première fois à Bogotá afin d'exiger du gouvernement colombien une plus grande attention à leurs besoins et aux problématiques de leur peuple. "Nous venons d'une marche de 100 ans de lutte. Le thème de la paix est à l'intérieur, et maintenant aussi, nous nous mobilisons pour exiger le respect du territoire, des indigènes, des femmes, des enfants, de tous". Ainsi s'exprime Daricugugo, un homme arhuaco qui est arrivé de Nabuzimaque, dans la Sierra Nevada, pour commémorer ces 100 ans de résistance historique.



Des représentants des départements du Cauca, Valle del Cauca, Huila, Caquetá, Nariño, Cundinamarca et Magdalena -où vivent plus de 26.000 indigènes- sont venus aussi sur la Place d'Armes avec le président Juan Manuel Santos à qui ils ont demandé que la recherche de la paix ne cesse pas.

"Pour harmoniser l'esprit et continuer à cheminer avec la parole comme Mouvement Indigène Colombien" : Voilà le slogan et l'objectif des organisations de l'ONIC qui célèbre son IXème Congrès avec la participation de 4.000 indigènes, membres de cette organisation et de l'Organisation Nationale des Peuples Indigènes de l'Amazone (Opiac), la Confédération Indigène Tayrona (CIT) et les Autorités Indigènes de Colombie (AICO). Ils sont tous réunis depuis samedi dernier, 8 octobre, dans la localité de Bosa, considérée comme un territoire ancestral pour le peuple Mhuysca.

Le colisée du Collège Clarétien de cette localité est le lieu de rencontre, le forum où les communautés indigènes débattent sur la situation actuelle en Colombie et le futur qu'ils réclament, le lieu où ils ont tissé un mandala "avec des aliments et des plantes médicinales, pour faire offrande au territoire et aux esprits qui habitent en lui". Politiquement, ce congrès fait mémoire des victimes indigènes et pour ce faire, de manière symbolique, tous se sont rangés en "cinq files indiennes avec des grands batons, jusqu'à se rassembler pour faire mémoire des victimes, femmes et hommes, qui ont offert leur vie pour la défense du territoire".

Le IX Congrès de l'ONIC continuera jusqu'au 14 octobre, avec un appel à ce que "nous, tous les peuples indigènes de Colombie, des plaines jusqu'au Chocó, de l'Amazonie jusqu'à la Guajira, levons nos bâtons et cheminons avec la parole, pour continuer à miser sur la Paix, unissons nous tous : Ceux du fleuve, de la mer et du désert, ceux des selvas, des montagnes, des plaines et des villes".

En cette fin d'après-midi sur Bacatá, un peu plus d'une centaine d'indigènes Arhuacos sont arrivés sur la Place de Bolívar où ils ont rencontré les mille Misak, pour faire de la tombée du jour un moment mémorable. Les revendications de mémoire et de paix des peuples originaires de Colombie se sont alors mélangés avec le campement des jeunes qui ont décidé de demeurer sur la place jusqu'à ce que le processus de paix aille de l'avant. La mobilisation populaire, indigène, afro-descendante et paysanne ne cesse pas dans la capitale du pays. "Je crois que nous avons une même vision, par un appel ancestral et nous nous unissons à tout cela" réplique Daricugugo.


mardi 11 octobre 2016

Faire la somme des absences (Sumando ausencias)


Ce mardi 11 octobre, à partir de 8h00 du matin et pendant toute la journée, la sculptrice colombienne Doris Salcedo a invité 1500 personnes à coudre avec du fil et une aiguille, les toiles blanches où les noms des victimes du conflit armé ont été écrits avec de la cendre.

Après avoir uni toutes les toiles, ce tissu a recouvert la superficie de la place Bolívar de Bogotá, la Plaza mayor. L'initiative a été lancée par l'artiste jeudi dernier et c'est à l'Université Nationale, que les noms de plus de 2000 victimes de prises d'otage, crimes et disparitions forcée ont été inscrits. Chaque nom a une taille de 2m50 et pour les écrire, on a eu besoin de deux tonnes de cendre.

Doris Salcedo explique que sa proposition est une "Action de deuil et de paix", elle ajoute que "certaines victimes sont plus anciennes que d'autres, et donc, il peut y avoir des noms plus obscurs que d'autres, des lettres plus obscures que d'autres".

Avec cette action, la sculptrice invite tous les colombiens à s'unir et à coudre les toiles en symbole de pardon et de solidarité avec les victimes des 52 ans de guerre vécus en Colombie.





Une semaine au Macondo référendaire

C'est avec une très grande joie que je publie ici l'article que m'a envoyé mon amie Maria Baresh. Née en Colombie de parents colombiens mais résidente en France depuis de nombreuses années, elle écrit en français sur le mille-feuilles d'événements et de sentiments vécus la semaine passée par tou-te-s celles et ceux qui portent la Colombie profondément ancrée au coeur. Je trouve qu'elle a un vrai talent d'écriture, avec le goût de raconter et le souhait d'exprimer les émotions. Elle sait partager le plaisir des mots et des idées. Je lui souhaite de continuer...
Maria, tu as la matière et tu as du style... Vas-y! ¡Adelante!
C.M


“Era como si Dios hubiera resuelto poner a prueba toda capacidad de asombro, y mantuviera a los habitantes de Macondo en un permanente vaivén entre el alborozo y el desencanto, la duda y la revelación, hasta el extremo de que ya nadie podía saber a ciencia cierta dónde estaban los límites de la realidad.
Cien años de soledad 
Gabriel García Márquez


"C'était comme si Dieu avait résolu de mettre à l'épreuve toute capacité d'étonnement, et avait maintenu les habitants de Macondo dans un va-et-vient permanent entre l'euphorie et le désenchantement, le doute et la révélation, à tel point que personne ne pouvait plus véritablement savoir où se trouvaient les limites de la réalité."
Cent ans de solitude 
Gabriel García Márquez

 « Une semaine au Macondo référendaire »


Par Maria Baresch
Lundi 10 octobre 2016

Dimanche 2 octobre : c’est la singulière impression d’avoir rendez-vous avec l’histoire colombienne qui prévaut, de sentir les lueurs de l’aube percer au bout de cette longue guerre, d’entrevoir enfin la possibilité d’alléger ce pays que nous portons sur le dos.  Soyons clairs, nous étions optimistes ! Le « oui » ne pouvait que l’emporter, et ce bien en dépit des discours haineux qu’avait déchaîné la néfaste campagne uribiste du « non »[1].   

Nous sommes donc là, réunis devant le consulat colombien de Paris, observant avec tendresse les familles se prononcer pour la « paix en Colombie », les enfants glisser le bulletin de vote de leur parent « pour un nouveau pays ».  Ce sont ces images enthousiastes que nous emportons avec nous le soir pour attendre avec une certaine impatience les résultats.  Vers 23h00 notre optimisme prend forme : le « oui » l’emporte en France avec 82.53% des voix, puis dans la plupart des bureaux de vote des colombiens de l’extérieur…  S’ensuit le dépouillement des urnes en Colombie où le « oui » commence avec un léger avantage, le « non » à ses trousses.  Nous retenons notre souffle, puis la panique, l’angoisse nous saisissent face à la réalité glaciale de la victoire du « non ». Une victoire avec, certes, un très léger écart de 53 894 voix, mais une défaite de notre « Si majeur ».  Alors les chiffres se mettent à virevolter, tourner et retourner : 50.21% pour le « non », 49.81% pour le « oui », 62.57% d’abstention, 13 066 047 personnes se sont déplacées aux urnes sur 34 899 376 d’inscrits sur les listes électorales; et c’est en leur compagnie que nous allons nous coucher pensant, ingénieusement, qu’ils se « corrigeront » pendant que la nuit nous berce. 

Au lendemain du référendum nous vivons ce que nous appelons en Colombie un  « guayabo »[2] national.  L’incompréhension, la tristesse et ce goût amer de s’être stupidement gâté le plaisir, d’avoir manqué le rendez-vous.  Et puis c’est l’étonnement de nos amis français devant ce résultat qui nous prend à la gorge : comment expliquer cette Colombie que nous aimons, mais au caractère insaisissable par ses paradoxes et ses contradictions ? Comment expliquer la violence qui s’accroche inlassablement à ses poignets alors qu’elle transpire à la fois la joie de vivre ? 

Une crise politique se dessine : alors que les accords de paix s’étaient forgés en colonne vertébrale du mandat de Santos, le « non » constitue un véritable revers politique, qui un instant, exalte les ambitions électorales d’Uribe qui se voit déjà pour 2018 porte-parole et sauveur de cette Colombie désappointée par les politiques de Santos.   Pourtant, ce sont les régions les plus affectées par la guerre qui ont voté avec une écrasante majorité pour le « oui ».  Le « non », lui, l’a emporté principalement dans les zones urbaines.[3]  Sans vouloir faire de la caricature, l’image des paysans, bottes en caoutchouc aux pieds, murmurant  à mi-voix « nous avons perdu » et les classes plus aisées, assises confortablement devant leur  télévision, s’exclamant « nous avons gagné ! » est pour le moins significative.

D’autant plus qu’Uribe et ses amis du « non » n’ont eu d’autre ambition que de torpiller les accords faisant appel sans vergogne aux calomnies et mensonges dont les effets n’ont fait qu’exacerber les haines et les divisions.  Pour fomenter le spectacle de la politique colombienne, une interview du directeur de campagne du « non », Juan Carlos Vélez, nous révèle quelques coulisses, le poussant d’ailleurs à la démission du Centre Démocratique (le parti d’Uribe).  Cette « croustillante » information ne fait que confirmer ce que nous savions déjà : que la campagne pour le « non » visait à détourner le débat du contenu même des accords, qu’elle instiguait la peur à travers des formules sentencieuses de « menaces castro-chavistes » dans des zones plus « concernées »  par la « problématique » vénézuélienne, qu’elle inventait des impôts qui conduiraient les colombiens à se « sacrifier » en vue de la réincorporation des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie –Armée du peuple),  qu’elle diabolisait les insurgés, ces « terroristes » qui bénéficieraient d’une entière impunité.

De plus, le traitement médiatique n’a certainement pas avantagé le « oui », où par exemple les caméras et micros se sont longuement attardés sur les massacres de Bojayá, sans couvrir en parallèle l’acte où les FARC demandaient justement pardon à ses victimes. 

Le fort taux d’abstention est un facteur également important, qui ne peut nous laisser pantois.  Outre les difficultés réelles sur le terrain pour se déplacer aux urnes, l’immobilité politique de certains ne peut donner en aucun cas un brevet d’innocence.   Cela dit, nous défenseurs du « oui », avons peut-être tenu notre vérité pour seule et unique. Or avons-nous eu un sens vrai de la réalité ?  Avons-nous su écouter ces voix qui ne se mobilisent pas pour aller voter,  celles qui ont encore peur ? Un de nos défis de réconciliation semblerait alors aller dans ce sens : réussir à voir le monde avec des yeux nouveaux, ceux des victimes, des douleurs muettes, des espoirs brisés, des désenchantés ; sinon, nous ne verrons rien.

« L’engouement référendaire »[4] est également questionnable dans le cas colombien.  En effet, ce  mécanisme de consultation a aussi permis de libérer une parole belliqueuse, exacerbant les tensions et la haine.  En diabolisant systématiquement les FARC, les défenseurs du « non » ont contribué à l’agonie du débat, le vidant de tout contenu social.  Or, comme l’explicite l’article 22 de la Constitution colombienne « la paix est un droit et un devoir dont l’application est obligatoire ». La paix, référendum ou pas, est donc avant tout un devoir de politique publique.  Dans ce sens, le conseiller juridique des FARC à la table des négociations, a pertinemment rappelé que les accords, conformément au droit international, ont déjà un effet juridique. De plus, quand bien même le « oui » l’aurait  emporté, ne serions-nous pas confrontés à des démons similaires : des uribistes hargneux aux envies de sabotage et donc à la nécessaire et infatigable défense des accords ? 

Dans cette sombre incertitude où les résultats du plébiscite ont semblé nous plonger,  de la lumière s’infiltre pourtant.  Dès mercredi des marées humaines de jeunes et moins jeunes  se rassemblent dans plusieurs villes du pays ainsi qu’à l’étranger pour défendre la paix.[5]  Vendredi 7 octobre c’est au tour de la région d’Antioquia, bastion d’Uribe, de se manifester largement pour la paix.  Des initiatives d’occupation de places, notamment à  la place Bolivar de Bogotá, fleurissent et redonnent une voix ainsi qu’une légitimité à la rue.  La formule « paz a la calle »[6] résonne et rallume nos espoirs.  Même les colombiens ayant  voté « non » disent vouloir la paix.  C’est à se demander qui, à part Uribe et ses fidèles alliés, veut la guerre ? 

Par ailleurs, la communauté internationale entérine son soutien aux accords de paix, soutien que nous pourrions interpréter comme se cristallisant à travers la déconcertante attribution du prix Nobel de la paix à Santos vendredi.  

En outre, tant du côté des FARC que du côté du gouvernement, l’ouverture au dialogue prévaut. Ils ont tous deux reconnu et entendu les résultats du plébiscite et se disent disposés à écouter les colombiens ayant choisi le « non ». Dans un communiqué conjoint ils réaffirment, dans ce sens, leur engagement de maintenir le cessez-le-feu bilatéral  et sollicitent les Nations Unies afin de maintenir leur mission d’observation.  Parallèlement, les pourparlers entre le gouvernement et l’ELN[7] semblent se décanter.  

Une position délicate se profile pour Uribe. Lui, qui a tout misé sur l’aventure militaire, ne pourra continuer à répondre par la belliqueuse aux nombreux votants du « non » qui ne semblent pourtant pas se prononcer pour la guerre.  Alors qu’il est invité au dialogue, ses dernières propositions pour « amender » les accords, au-delà de proposer des choses qui figurent déjà dans les accords, preuve de sa méconnaissance de ceux-ci, ne semblent en aucun cas montrer une volonté de se détourner de sa constante dialectique, mariage dangereux de la guerre et du mensonge, dont l’unique objectif réside dans un statu quo bénéficiant les privilégiés de toujours.  Que la « mano dura » de la politique sécuritaire d’Uribe se soit par enchantement métamorphosée  en colombe blanche de la paix paraît peu crédible ; et c’est sur ce terrain qu’un de nos défis majeurs se présente : démontrer son impertinence et refuser les concessions à la droite extrême si nous voulons sérieusement atteindre l’essence réconciliatrice des accords.

Alors que cette semaine au cœur du Macondo référendaire, où le va et vient permanent entre la liesse et le désenchantement opère et chatouille notre fil émotionnel, une voie semble cependant s’esquisser : celle de la défense des accords de paix, qui du haut de leurs 297 pages cherchent un pacte social et politique large et donnent le ton de la réconciliation nationale. 

L’horizon encore un peu brouillé, où les promesses et les menaces s’entremêlent, le grand défi de la paix est un dur et long chemin, un incessant combat qui exige de nous d’avoir un ou deux regards d’avance, de marcher là où personne n’ose mettre les pieds.  Nous aurons à affirmer notre volonté de voir ces accords respectés et implémentés, à accompagner depuis l’extérieur la concrétisation de la justice sociale véritable, celle qui inclura les communautés aux marges, ces vérités diverses, qui expriment cependant toute la réalité colombienne.  Ce n’est que par cette construction d’une société nouvelle, où ces voix exclues pourront trouver un écho social et politique,  que l’avenir nous sera rendu, que nos espoirs inébranlables triompheront, que nous verrons enfin l’aube pointer le bout de son nez en Colombie mais aussi ailleurs.

Maria Baresch
Lundi 10 octobre 2016


[1] Alvaro Uribe Vélez, actuel sénateur du Centre Démocratique, Président de la Colombie entre 2002 et 2010.
[2] Gueule de bois
[3] “Ganó el No: Colombia se enfrenta a un diálogo nacional” : http://pacifista.co/gano-el-no-colombia-ante-la-incertidumbre/
[4] Lire Alain Garrigou, « Voter plus n’est pas voter mieux », Le Monde diplomatique, Paris, août 2016.
[5] Autour d’une grande marche silencieuse, qui n’est pas sans faire écho à la symbolique marche de 1948 organisée par Jorge Eliecer Gaitán.
[6] Paix dans la rue.
[7] Armée de libération nationale.




Colombie : la 2e guérilla du pays accepte de négocier la paix


Dialogue avec l'ELN. Une excellente nouvelle
 Points de la négociation :
  1. Participation de la société à la construction de la paix. La négociation doit avoir lieu entre le Gouvernement et la société civile, composée par des secteurs populaires définis par l'ELN
  2. Démocratie pour la paix. On doit réaliser un débat qui examine la décision de la société sur les problèmes sociaux qui l'affectent. Il doit y avoir une révision du cadre juridique, des garanties pour la manifestation publique et la révision de la situation juridique des personnes condamnées pour des actes de mobilisation sociale).
  3. Transformations pour la paix. Il est demandé de prendre en compte les propositions de transformations qui émanent de la société, ainsi que les programmes pour dépasser la pauvreté, l'exclusion sociale, la corruption et la dégradation de l'environnement.
  4. Les Victimes. Il est essentiel de reconnaitre les droits des victimes et leur réparation, ainsi que la résolution de leur situation sur la base de la justice, la vérité et l'engagement de non-répétition et de non-oubli.
  5. La Fin du conflit. Il doit y avoir un engagement pour éradiquer la violence et pour que l'ELN puisse passer à la politique légale. La situation juridique de l'ELN devra être définie, ainsi que des garanties pour la sécurité et pour l'exercice de la politique, il y aura un cessez-le-feu bilatéral. De plus, on fera la lumière sur le phénomène du paramilitarisme. On souscrira un accord sur les armes pour mettre fin au conflit.
  6. Mise en oeuvre. Les accords pactés dans l'agenda seront exécutés à travers un plan général d'exécution qui incluera des mécanismes de suivi, de contrôle et de vérification.

lundi 10 octobre 2016

Colombie : Défendons la paix ! Le Futur, c'est Aujourd'hui !


Défendons la Paix. Le Futur, c'est Aujourd'hui ! 
Mobilisation générale et permanente

Par Rodrigo Restrepo
Paris, 10 octobre 2016

Alors que le "NON" frauduleux et pervers ne s'est imposé que par quelques voix, nous avons cru qu'il fallait chercher le bon côté de ce résultat et maintenir l'espérance, avec la certitude qu'aujourd'hui nous, les défenseurs de la paix, nous sommes plus nombreux qu'il y a quelques années et qu'il suffirait de pousser un peu pour accompagner le président Santos dans sa volonté de faire avancer le processus.

Nous supposions que Santos, faisant usage de ses trucs de tricheur invétéré, avait une grosse carte cachée dans sa manche après avoir joué la carte de la paix et de la tranquillité des colombiens dans un pari inutile. Mais il ne l'a pas encore sortie. Santos voulait occuper une page de l'Histoire. Il voulait un Nobel de la Paix. Nous le savions depuis toujours. Il a réussi. Mais qu'il n'oublie pas que le Comité norvégien lui a remis ce prix "comme un hommage au peuple colombien qui, malgré tous les mauvais traitements soufferts, n'a pas perdu l'espérance d'atteindre une paix juste, et à toutes les parties qui ont contribué à ce processus de paix, ainsi qu'aux innombrables victimes de la guerre".

Aujourd'hui, la paix que nous souhaitons est entre les mains du Président, seulement entre ses mains. Il a les moyens et le soutien national et international, c'est pourquoi nous tenons à lui dire :

Monsieur le Président, ne permettez pas que la lâcheté et le cynisme s'emparent de vos décisions après l'échec du OUI dans les urnes. Ce n'est pas en reportant la paix "sine die", ni en annonçant une date de rupture du cessez-le-feu bilatéral et définitif, ni en organisant des conciliabules avec les élites politiques en tournant le dos au peuple et aux victimes, que vous défendrez ces accords de paix qui vous ont offert la gloire internationale.

Monsieur le Président, n'oubliez pas que cette distinction majeure que Vous portez maintenant au nom de "la Paix" sera aux colombiens et en honneur aux victimes, uniquement quand les accords seront mis en oeuvre.

Ne répondez pas comme si plus d'un demi siècle de guerre, des millions de victimes, des milliers de morts et de disparus, six ans de négociations avec les FARC, l'espérance brisée de millions de colombiens, particulièrement des jeunes générations, ne comptaient pas. La manière dont vous avez agi pendant la semaine dernière, semaine vertigineuse, amène à penser que cette machination que vous avez manigancé pendant tout ce temps pourrait être une blague macabre. Un coup monté de plus de l'oligarchie contre les aspirations du peuple colombien. Peuple qui vous a élu pour un second mandat avec l'objectif de soutenir et d'accompagner ce rêve de paix qui est en train de naufrager aujourd'hui.

La clameur silencieuse et soucieuse de la jeunesse l'a dit clairement dans les rues de nos villes et à l'extérieur du pays : Continuez de l'avant, vous ne pouvez pas tituber, nous sommes pour la Paix ! Les Victimes de Bojayá sont catégoriques, dans leur juste indignation : "Vous nous avez fait croire que La Paix est possible, et maintenant nous adjurons le Président Santos, les FARC et toute la société colombienne à ce que le OUI à 96% du village de Bojayá soit respecté et que l'Accord de Paix se mette en oeuvre, comme il a été négocié à La Havane".

Quant à nous, les convaincus de la paix et tous ceux qui se réveillent aujourd'hui ou reprennent pied, face à la mobilisation militaire et aux vents de guerre qui sont en train de souffler, nous n'avons pas d'autre alternative que la mobilisation, civile et pacifique, générale et permanente, silencieuse ou assourdissante... Toujours nombreuse et déterminée pour ne pas jeter par dessus bord le peu qui a été atteint.

Le pire chemin est celui de l'apathie et de la résignation. N'oublions pas qu'au delà de la fraude évidente, l'indifférence et l'indolence de bien des gens ont permis la victoire du NON des violents. Des marches, des assemblées, des places occupées, des forums publics, du bruit, beaucoup de bruit dans les réseaux sociaux : C'est maintenant ou jamais !

Nous ne pouvons pas attendre les propositions savantes des politologues et des politiques. Nous avons tous la parole et le devoir d'agir. Il n'y a pas beaucoup d'options. Ou nous nous situons du côté de la Paix, aujourd'hui et où que nous nous trouvions, en imaginant des mécanismes de pression. Ou demain nous devrons prendre partie dans un conflit qui s'étendra et qui, même si nous ne voulons être que des spectateurs, terminera par nous entrainer d'un côté ou de l'autre.

Alerte aux jeunes colombiens : le futur se joue aujourd'hui, ne laissez pas passer l'opportunité d'un lendemain meilleur, plus digne, où nous puissions construire et avancer, au lieu de détruire et écraser.

Trad°: CM


¡Defendamos la Paz. El Futuro es Hoy! 
Movilización general y permanente 

Cuando el perverso y fraudulento « NO » se impuso por unos cuantos votos creímos que había que buscarle el lado positivo a ese resultado y mantener la esperanza bajo la certeza de que hoy, los defensores de la paz, somos mas numerosos que hace unos años y que solo haría falta un pequeño empuje para acompañar al presidente Santos en su empeño por sacar adelante este proceso. 

Suponíamos que Santos haciendo uso de sus prácticas de tahúr empedernido, después de haber jugado la paz y la tranquilidad de los colombianos en una apuesta innecesaria, tendría una carta maestra escondida bajo la manga. Pero aun no la ha sacado. Santos quería ocupar una página en la Historia. Quería un Nobel de la Paz. Eso lo sabíamos desde siempre. Lo ha logrado. Pero que no olvide el señor Presidente que el Comité noruego le entregó ese galardón como « un homenaje al pueblo colombiano que, a pesar de todos los abusos sufridos, no ha perdido la esperanza de lograr una paz justa, y a todas las partes que han contribuido a este proceso de paz, así como a las incontables víctimas de la guerra ». 

Hoy la paz que anhelamos está en sus manos, solo en sus manos, Usted tiene las herramientas y el respaldo nacional e internacional, por eso tenemos que decirle : Señor presidente no permita que la cobardía y el cinismo se apoderen de sus decisiones tras la derrota del Si en las urnas. No es postergando la paz "sine die", ni anunciando fecha para romper el cese al fuego bilateral y definitivo, ni organizando conciliábulos con las élites políticas de espaldas al pueblo y a las víctimas, la manera como Usted va a defender esos acuerdos de paz que le merecieron la gloria internacional. 

Señor presidente, no olvide que esa distinción mayor que Usted lleva ahora en nombre de « la Paz » será de los colombianos y en honor a las víctimas solamente cuando los acuerdos sean implementados. 

No responda como si mas de medio siglo de guerra, millones de víctimas, miles de muertos y desaparecidos, seis años de negociaciones con las FARC, la esperanza rota de millones de colombianos -en particular de las jóvenes generaciones- como si nada de eso contara. La manera como Usted ha actuado en esta semana de vértigo lleva a pensar que esta tramoya que nos armó durante todo este tiempo podría ser una burla macabra. Una encerrona más de la oligarquía a las aspiraciones del pueblo colombiano. Un pueblo que lo eligió para un segundo mandato con el objetivo de apoyarlo y acompañarlo en ese sueño de paz que hoy está naufragando. 

El clamor silencioso y preocupado de la juventud lo ha dicho claramente en las calles de nuestras ciudades y desde el exterior : siga adelante no puede titubear, estamos por la Paz ! 

Las víctimas de Bojayá en su justa indignación son categóricas : “Nos hicieron creer que La Paz es posible y ahora urgimos al Presidente Santos, a las FARC y a toda la sociedad colombiana a que se respete el SI, del 96 por ciento de la población de Bojayá, y a que se implemente el Acuerdo de Paz, tal como se negoció en La Habana”. 

En cuanto a nosotros, los convencidos de la paz y todos aquellos que ahora se despiertan o recapacitan, frente a la movilización militar y los vientos de guerra que soplan, no tenemos otra alternativa distinta a la movilización, civil y pacífica, general y permanente, silenciosa o bulliciosa; pero eso sí, numerosa y determinada a no echar por la borda lo poco que se ha logrado. 

El peor camino es la apatía y la resignación. No olvidemos que, además del fraude evidente, la indiferencia y la desidia de muchos permitió la victoria del NO de los violentos. Marchas, asambleas, ocupación de plazas, cabildos abiertos, ruido mucho ruido en las redes sociales. Es ahora o nunca! 

No podemos esperar las sabias propuestas de politólogos y políticos. Todos tenemos la palabra y el deber de acción. No hay muchas opciones. O nos situamos al lado de la Paz, hoy y desde cualquier lugar donde estemos, clamando e imaginando mecanismos de presión. O mañana tendremos que tomar parte en un conflicto que se extenderá y, aunque queramos ser solo espectadores, terminará por arrastrarnos de uno u otro lado. 

Alerta jóvenes colombianos: el futuro se juega hoy, no dejéis pasar la oportunidad de un mañana mejor, más digno, donde podamos construir y avanzar, en lugar de destruir y aplastar.

Rodrigo Restrepo
París, 10 de octubre de 2016

 

vendredi 7 octobre 2016

Communiqué conjoint #2. Délégations du Gouvernement National et des FARC-EP


Sources :
Pazfarc-ep.org
equipo paz gobierno
La Havane, Cuba. 7 octobre 2016

Nous, délégations du Gouvernement National et des FARC-EP, après nous être réunis à La Havane avec les pays garants et avec le Chef de la Mission Spéciale des Nations Unies en Colombie, Jean Arnault, voulons informer l'opinion publique que :

1. Après quasi 4 ans de conversations intenses, nous avons conclu le 24 août dernier l'Accord Final pour la Cessation du Conflit Armé et la Construction d'une Paix Stable et Durable, dans lequel nous nous sommes engagés. Nous considérons qu'il contient les réformes et les mesures nécessaires pour asseoir les bases de la paix et garantir la fin du conflit armé.

Nous reconnaissons, toutefois, que ceux qui ont participé au Plébiscite du 2 octobre dernier se sont prononcés majoritairement en faveur du Non bien que ce soit avec une marge étroite. Dans le cadre des facultés présidentielles octroyées par la Constitution Politique, il convient que nous continuions à écouter les différents secteurs de la société, dans un processus rapide et efficace, pour comprendre leurs préoccupations et définir rapidement une solution par les voies évoquées dans la sentence de la Cour Constitutionnelle C-376 de 2016. Les propositions d'ajustements et les précisions qui résulteront de ce processus, seront discutées entre le Gouvernement National et les FARC-EP pour donner des garanties à tous.

2. Nous réaffirmons l'engagement assumé par le Président de la République et le Commandant des FARC-EP de maintenir l'arrêt des Hostilités et le Cessez-le-Feu Bilatéral et Définitif décrété le 29 août dernier, ainsi que le contrôle et la vérification à travers le mécanisme tripartite. De même que les garanties de sécurité et de protection des communautés dans leurs territoires, conformément à ce qui est défini par les parties dans le protocole.

Pour consolider ce Cessez-le-feu, nous avons accordé un protocole tendant à prévenir tout incident dans les zones de pré-regroupement dans les quadrants définis, et assurer un climat de sécurité et de tranquillité assurant la pleine application de toutes les règles qui régissent l'arrêt des Hostitilités et le Cessez-le-feu Bilatéral et Définitif.

Le mécanisme Tripartite de Contrôle et de Vérification avec la participation du Gouvernement et des FARC-EP et la coordination de la mission des Nations Unies aura la charge de contrôler et vérifier le respect du protocole, particulièrement le respect des règles qui s'appliquent au Cessez-le-feu.

3. Dans ce but, nous demandons au Secrétaire Général des Nations Unies, et par son intermédiaire, au Conseil de Sécurité, qu'il autorise la Mission des Nations Unies en Colombie à exercer les fonctions de contrôle, vérification, résolution des différends, recommandations, rapports et coordination du Mécanisme de Contrôle et de Vérification prévues dans la Résolution 2223 (2016) du protocole mentionné ci-dessus.

De même, nous invitons les pays qui contribuent à la Mission avec des observateurs désarmés à ce qu'ils continuent à déployer leurs hommes et femmes, qui pourront compter sur toutes les garanties de sécurité nécessaires.

4. Parallèlement, nous continuerons à avancer dans la mise en oeuvre de mesures de construction de confiance à caractère humanitaire comme la recherche des personnes déclarées disparues, les plans pilotes de déminage humanitaire, la substitution volontaire des cultures d'usage illicite, les engagements concernant le départ des mineurs présents dans les campements et la situation des personnes privées de liberté.

5. Les délégations remercient le Comité International de la Croix Rouge pour son soutien permanent, le Chili et le Venezuela pour leur accompagnement et surtout, Cuba et la Norvège, pour leur travail intense et dévoué de soutien à la construction des accords de paix en Colombie, leur contribution constante à la recherche de solutions dans des moments difficiles et leur disposition à continuer leur soutien au processus de paix.

Trad°: CM


Colombie, dans la catharsis du Oui et du Non


Par Myriam Montoya,
Paris, le 5 octobre 2016

C'est un fait, nous, colombiens, n'avons pas encore réussi à sortir définitivement du cauchemar, de "l'horrible nuit" évoquée et tant annoncée dans notre hymne national écrit en 1887, "l'horrible nuit" que nous voulions terminer ce 26 septembre dernier avec la signature des Accords de paix.

A la question très concrète du plébiscite imprimée sur le bulletin de vote : Soutenez-vous l'accord final pour la cessation du conflit et la construction d'une paix stable et durable? Sur un total de 34’899.945 électeurs inscrits au Registre National, soit les colombiens habilités à voter pour ratifier ou refuser les Accords de Paix ce 2 octobre 2016,  seuls 13’066.047 votants sont allés aux urnes. Parmi eux, 6’377.482 ont ratifié le OUI et 6’431.376 ont rejeté l'accord final pour la paix que le gouvernement colombien et les FARC-EP ont négocié pendant près de 4 ans, en donnant au NON une victoire partielle avec une différence de 53.894 voix en plus.

La perplexité des colombiens qui se sont lancés dans la campagne et ont voté OUI, dont nous-mêmes,  a été aussi grande que la déception et l'impuissance manifestée par les nombreux accompagnateurs et facilitateurs internationaux de ces Accords de Paix, et de l'opinion publique en général. Mais en surmontant la réalité de ces chiffres et en faisant le bilan des résultats, il faut que nous, les colombiens, réfléchissions sur le cap que prendront les Renégociations du conflit et la construction de la Paix, nous ne devons pas laisser passer cet événement important et révélateur, et nous questionner sur l'état d'abandon et de détérioration dans lequel se trouve notre démocratie.
 
Y-a-t'il une véritable légitimité constitutionnelle quand seuls 37.43% de la population habilitée à voter, décide sur un sujet aussi délicat et important que celui de mettre fin au conflit armé en Colombie et donc, que finalement, on permette à seulement 18%, c'est à dire une minorité dans laquelle on retrouve évidemment l'extrême droite et les élites politiques, de changer les termes de négociations auxquelles eux-mêmes avaient refusé d'assister et s'étaient marginalisés ?
 
Où est et pourquoi cette immense majorité du 62.57% de la population colombienne n'a pas participé?
Pouvons-nous croire objectivement que la volonté et le désir le plus profond du peuple colombien se sont trouvés exprimés dans ces chiffres fracassants, qui n'atteignent même pas la moitié de la population inscrite au Registre National et habilitée à voter ?
Ces élections et scrutins ont-ils été conformes au sens le plus strict et profond d'une démocratie effective et bien structurée ?
Notre Constitution actuelle qui est le cadre qui forge et soutientnotre démocratie est-elle conçue et modelée à la mesure de notre taille, de nos besoins, nos exigences et nos requêtes historiques ?

Après la stupéfaction, la commotion et la surprise, nous devons interpréter avec lucidité le nouveau paysage politique, arriver à des conclusions qui interprètent et élucident en profondeur ce "ballotage", cet échec apparent du plébiscite pour la Paix en Colombie, et essayer d'en tirer le meilleur parti possible. Où est le triomphe réel du NON ? C'est celui d'avoir eu la capacité d'obstruer et de retarder un processus dont on ne peut plus tourner la page, ni d'un côté ni de l'autre, et aussi bien sur, l'intégration dans les Accords de l'avatar des trois oeufs de l'uribisme qui sont maintenant quatre, ainsi que certains conditionnements des points qui touchent les intérêts mesquins de l'oligarchie et de l'extrême droite.

Face au monde entier, nous devons avoir la certitude que l'échiquier politique colombien après la signature de l'Accord de Paix du 26 octobre 2016, ne correspondra jamais plus à l'image et à la volonté de l'uribisme, la manoeuvre de l'extrême droite et de l'uribisme a trop tardé à réagir et bien qu'ils aient eu cette apparente victoire, et qu'ils aient réussi à retarder et allonger le processus, leur lutte effrénée pendant la campagne pour le NON, au cours de laquelle tous les moyens et ressources ont été utilisés dont le mensonge, la peur, l'achat de voix et toutes les manigances déjà utilisées pour la réélection, sont des manifestations de désespoir parce que le NON de la campagne qui a refusé dans un premier temps la cessation du conflit armé avec les FARC-EP doit tôt ou tard se transformer en OUI. Perdre le plébiscite peut devenir la plus judicieuse des erreurs si les renégociations se font dignement, en protégeant les intérêts des victimes, l'intégrité de la guérilla et la volonté politique de ceux qui ont voté pour le oui, auquel nous ne pouvons renoncer pour seulement 53.894 voix de plus. L'extrême droite n'a pas carte blanche pour balayer tout le travail réalisé pendant quatre ans ; le défi maintenant est d'en profiter et d'inclure les acteurs politiques qui manquaient. Le Centre Démocratique et son champion, dont on ne peut nier qu'il est une partie active de notre conflit, mais aussi l'Armée de Libération Nationale (ELN), car cette organisation aussi a manifesté catégoriquement son intérêt à négocier la Paix et le dépôt des armes avec le Gouvernement Colombien.

N'oublions pas que beaucoup de choses ont changé, tout d'abord la position et l'image politique des FARC-EP dans la population civile colombienne et dans la communauté internationale. La qualité de l'évolution idéologique des Forces Armées Colombiennes et tout ce déploiement d'énergies pour arriver jusqu'au plébiscite ont marqué et transformé la perception, non seulement des vieux mais aussi celle des nouvelles générations, dont beaucoup, même s'ils ne pouvaient pas voter ont été sensibilisés pour le OUI. Depuis quatre ans, le pays vit peu à peu une transition et ce processus murit dans l'esprit d'une jeunesse enthousiaste qui se prépare à prendre le relai.

Alors qu'apparaissent toutes les questions mentionnées ci-dessus et qui peuvent être à la base de la construction de la Colombie que nous rêvons, qui nous désirons vivre ici et maintenant, et que nous voulons transmettre à nos enfants et aux générations à venir, il y a une urgence qui saute aux yeux et que nous ne pouvons plus dissimuler ni reporter. L'urgence de sortir ce cette inertie est une occasion extraordinaire pour que nous provoquions l'émergence de cette Colombie cachée, nous avons besoin de rompre le cercle de silence, de sortir du danger de la marginalisation de cette Colombie dont nous ne savons pas si elle est Résistante, apathique, indifférente ou ignorante politiquement, mais qui fut celle qui ne s'est pas prononcée dans la prise d'une décision si importante comme celle de la ratification des Accords de Paix, cette Colombie qui était et qui est capitale pour nous sortir du marasme dans lequel nous nous trouvons maintenant. Nous devons faire une grande expédition ou trouver une stratégie pour chercher et arriver à cette Colombie qui a été la grande absente de ce plébiscite, parce que ce vide immense s'ajoute à notre frustration, cette Colombie dont nous ne savons pas si elle est bâillonnée ou si elle ne veut pas parler, cette multitude amorphe dont, en urgence, nous avons besoin d'entendre la voix, l'opinion, la présence, l'adhésion, la participation cruciale.

En partant de cette urgence, il est pertinent également de lancer un appel aux Institutions, à la société civile et au gouvernement pour mener à bien un grand débat sur notre système électoral actuel et la proposition de faire évoluer la conscience citoyenne et la société dans son exercice politique. Le Vote, comme l'éducation, est à la fois un droit, une nécessité et un devoir obligatoire. Il doit être posé comme un engagement et une condition inéluctable pour l'exercice du pouvoir, du contrat et des libertés citoyennes.

Proposer un Programme National Pilote qui puisse se mettre en oeuvre pendant 30 ou 40 ans, comme partie de la transition historique que nous sommes en train de vivre et du saut fondamental que nous nous apprêtons à faire. Le phénomène de l'abstention électorale est un problème structurel, c'est le noyau de notre problème et de notre retard politique et social. Après ce fiasco, ce serait irresponsable de continuer à l'ignorer.

Traduction : CM