vendredi 7 octobre 2016

Colombie, dans la catharsis du Oui et du Non


Par Myriam Montoya,
Paris, le 5 octobre 2016

C'est un fait, nous, colombiens, n'avons pas encore réussi à sortir définitivement du cauchemar, de "l'horrible nuit" évoquée et tant annoncée dans notre hymne national écrit en 1887, "l'horrible nuit" que nous voulions terminer ce 26 septembre dernier avec la signature des Accords de paix.

A la question très concrète du plébiscite imprimée sur le bulletin de vote : Soutenez-vous l'accord final pour la cessation du conflit et la construction d'une paix stable et durable? Sur un total de 34’899.945 électeurs inscrits au Registre National, soit les colombiens habilités à voter pour ratifier ou refuser les Accords de Paix ce 2 octobre 2016,  seuls 13’066.047 votants sont allés aux urnes. Parmi eux, 6’377.482 ont ratifié le OUI et 6’431.376 ont rejeté l'accord final pour la paix que le gouvernement colombien et les FARC-EP ont négocié pendant près de 4 ans, en donnant au NON une victoire partielle avec une différence de 53.894 voix en plus.

La perplexité des colombiens qui se sont lancés dans la campagne et ont voté OUI, dont nous-mêmes,  a été aussi grande que la déception et l'impuissance manifestée par les nombreux accompagnateurs et facilitateurs internationaux de ces Accords de Paix, et de l'opinion publique en général. Mais en surmontant la réalité de ces chiffres et en faisant le bilan des résultats, il faut que nous, les colombiens, réfléchissions sur le cap que prendront les Renégociations du conflit et la construction de la Paix, nous ne devons pas laisser passer cet événement important et révélateur, et nous questionner sur l'état d'abandon et de détérioration dans lequel se trouve notre démocratie.
 
Y-a-t'il une véritable légitimité constitutionnelle quand seuls 37.43% de la population habilitée à voter, décide sur un sujet aussi délicat et important que celui de mettre fin au conflit armé en Colombie et donc, que finalement, on permette à seulement 18%, c'est à dire une minorité dans laquelle on retrouve évidemment l'extrême droite et les élites politiques, de changer les termes de négociations auxquelles eux-mêmes avaient refusé d'assister et s'étaient marginalisés ?
 
Où est et pourquoi cette immense majorité du 62.57% de la population colombienne n'a pas participé?
Pouvons-nous croire objectivement que la volonté et le désir le plus profond du peuple colombien se sont trouvés exprimés dans ces chiffres fracassants, qui n'atteignent même pas la moitié de la population inscrite au Registre National et habilitée à voter ?
Ces élections et scrutins ont-ils été conformes au sens le plus strict et profond d'une démocratie effective et bien structurée ?
Notre Constitution actuelle qui est le cadre qui forge et soutientnotre démocratie est-elle conçue et modelée à la mesure de notre taille, de nos besoins, nos exigences et nos requêtes historiques ?

Après la stupéfaction, la commotion et la surprise, nous devons interpréter avec lucidité le nouveau paysage politique, arriver à des conclusions qui interprètent et élucident en profondeur ce "ballotage", cet échec apparent du plébiscite pour la Paix en Colombie, et essayer d'en tirer le meilleur parti possible. Où est le triomphe réel du NON ? C'est celui d'avoir eu la capacité d'obstruer et de retarder un processus dont on ne peut plus tourner la page, ni d'un côté ni de l'autre, et aussi bien sur, l'intégration dans les Accords de l'avatar des trois oeufs de l'uribisme qui sont maintenant quatre, ainsi que certains conditionnements des points qui touchent les intérêts mesquins de l'oligarchie et de l'extrême droite.

Face au monde entier, nous devons avoir la certitude que l'échiquier politique colombien après la signature de l'Accord de Paix du 26 octobre 2016, ne correspondra jamais plus à l'image et à la volonté de l'uribisme, la manoeuvre de l'extrême droite et de l'uribisme a trop tardé à réagir et bien qu'ils aient eu cette apparente victoire, et qu'ils aient réussi à retarder et allonger le processus, leur lutte effrénée pendant la campagne pour le NON, au cours de laquelle tous les moyens et ressources ont été utilisés dont le mensonge, la peur, l'achat de voix et toutes les manigances déjà utilisées pour la réélection, sont des manifestations de désespoir parce que le NON de la campagne qui a refusé dans un premier temps la cessation du conflit armé avec les FARC-EP doit tôt ou tard se transformer en OUI. Perdre le plébiscite peut devenir la plus judicieuse des erreurs si les renégociations se font dignement, en protégeant les intérêts des victimes, l'intégrité de la guérilla et la volonté politique de ceux qui ont voté pour le oui, auquel nous ne pouvons renoncer pour seulement 53.894 voix de plus. L'extrême droite n'a pas carte blanche pour balayer tout le travail réalisé pendant quatre ans ; le défi maintenant est d'en profiter et d'inclure les acteurs politiques qui manquaient. Le Centre Démocratique et son champion, dont on ne peut nier qu'il est une partie active de notre conflit, mais aussi l'Armée de Libération Nationale (ELN), car cette organisation aussi a manifesté catégoriquement son intérêt à négocier la Paix et le dépôt des armes avec le Gouvernement Colombien.

N'oublions pas que beaucoup de choses ont changé, tout d'abord la position et l'image politique des FARC-EP dans la population civile colombienne et dans la communauté internationale. La qualité de l'évolution idéologique des Forces Armées Colombiennes et tout ce déploiement d'énergies pour arriver jusqu'au plébiscite ont marqué et transformé la perception, non seulement des vieux mais aussi celle des nouvelles générations, dont beaucoup, même s'ils ne pouvaient pas voter ont été sensibilisés pour le OUI. Depuis quatre ans, le pays vit peu à peu une transition et ce processus murit dans l'esprit d'une jeunesse enthousiaste qui se prépare à prendre le relai.

Alors qu'apparaissent toutes les questions mentionnées ci-dessus et qui peuvent être à la base de la construction de la Colombie que nous rêvons, qui nous désirons vivre ici et maintenant, et que nous voulons transmettre à nos enfants et aux générations à venir, il y a une urgence qui saute aux yeux et que nous ne pouvons plus dissimuler ni reporter. L'urgence de sortir ce cette inertie est une occasion extraordinaire pour que nous provoquions l'émergence de cette Colombie cachée, nous avons besoin de rompre le cercle de silence, de sortir du danger de la marginalisation de cette Colombie dont nous ne savons pas si elle est Résistante, apathique, indifférente ou ignorante politiquement, mais qui fut celle qui ne s'est pas prononcée dans la prise d'une décision si importante comme celle de la ratification des Accords de Paix, cette Colombie qui était et qui est capitale pour nous sortir du marasme dans lequel nous nous trouvons maintenant. Nous devons faire une grande expédition ou trouver une stratégie pour chercher et arriver à cette Colombie qui a été la grande absente de ce plébiscite, parce que ce vide immense s'ajoute à notre frustration, cette Colombie dont nous ne savons pas si elle est bâillonnée ou si elle ne veut pas parler, cette multitude amorphe dont, en urgence, nous avons besoin d'entendre la voix, l'opinion, la présence, l'adhésion, la participation cruciale.

En partant de cette urgence, il est pertinent également de lancer un appel aux Institutions, à la société civile et au gouvernement pour mener à bien un grand débat sur notre système électoral actuel et la proposition de faire évoluer la conscience citoyenne et la société dans son exercice politique. Le Vote, comme l'éducation, est à la fois un droit, une nécessité et un devoir obligatoire. Il doit être posé comme un engagement et une condition inéluctable pour l'exercice du pouvoir, du contrat et des libertés citoyennes.

Proposer un Programme National Pilote qui puisse se mettre en oeuvre pendant 30 ou 40 ans, comme partie de la transition historique que nous sommes en train de vivre et du saut fondamental que nous nous apprêtons à faire. Le phénomène de l'abstention électorale est un problème structurel, c'est le noyau de notre problème et de notre retard politique et social. Après ce fiasco, ce serait irresponsable de continuer à l'ignorer.

Traduction : CM

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