mardi 17 août 2021

COLOMBIE. Un adieu très orageux

"On m'appelle le "macron" colombien... Oh, Désolé!". MATADOR in El Tiempo

Par Jaime Cedano Roldán

Il reste moins de trois cent soixante jours avant qu'Iván Duque ne cède la présidence de la Colombie. Un temps qui peut passer rapidement... ou qui peut sembler une éternité, dirait Perogrullo (Le Lapalice hispanique). Avec 70 % d'avis défavorable, Duque n'a pas la moindre chance d'être réélu, et il le sait. Il est conscient qu'il est arrivé à la présidence sans aucun mérite propre, ni bagage électoral, ni idéologie. Rien de rien dans son sac à dos. S'il est là, c'est parce qu'Uribe le voulait. C'est pourquoi son séjour au palais présidentiel n'a été qu'un squatt. Il a essayé - ou du moins l'a prétendu - être "quelqu'un de la maison", mais il n'a pas pu.

Il a fait tous les efforts possibles pour avoir des amis, pour être bien reçu et accepté dans le cercle d'or exquis de l'Uribisme. Pour y parvenir, il leur a tout donné : ambassades, ministères, consulats, contrats d'un million de dollars. Et pour qu'ils n'aient pas de problèmes avec la justice, il leur a même fait cadeau du bureau du procureur général et du parquet. Et aussi du poste du défenseur des droits, au cas où. Oui : tout donné.

Mais rien n'y a fait. Ils ont continué à le considérer comme un squatteur, comme le fou du roi et comme le grand coupable du désastre de l'Uribisme.

Il a organisé des fêtes sans fin et des bamboches mémorables avec du reggaeton, des vallenatos, des mariachis, et toutes sortes d'orchestres, mais rien de rien. Le dernier cadeau a été ni plus ni moins que soixante-dix milliards de pesos sortis du budget de l'Etat, initialement prévus pour amener Internet dans les écoles des zones agraires les plus reculées, et qui se sont retrouvés dans des comptes obscurs aux États-Unis. Et ce n'était pas parce que, sous son gouvernement, le peso a vu la plus grande dévaluation de l'histoire. Non, soixante-dix milliards de pesos, c'est une immense fortune.

Beaucoup de gens sont surpris qu'Iván Duque continue d'être président malgré tant d'échecs, de scandales et malgré la preuve absolue qu'il est à la pointe d'un gouvernement corrompu, mafieux et violent. Mais c'est tout d'abord parce que la Colombie est un pion très important dans la stratégie régionale des États-Unis, et dans ses manœuvres subversives contre le Venezuela, Cuba et tous les pays progressistes. La Colombie a joué un rôle clé dans le "groupe dit de Lima" qui, sous la garde des Yankees, rassemblait l'extrême droite latino-américaine, un groupe qui est aujourd'hui en train de disparaître. C'est la raison pour laquelle la justice nord-américaine a été bienveillante avec Uribe, et ces derniers temps avec Duque. Parce que, bien que la politique yankee ait échoué, la Colombie continuera d'être un allié nécessaire. Avec Uribe et Duque, se réalise la phrase célèbre de Franklin Roosevelt à propos de Somoza : « C'est un fils de pute, mais c'est notre fils de pute », et l'autre raison pour laquelle Duque n'est pas tombé, nous l'avons déjà dite : c'est parce qu'il a donné tout le pouvoir aux mafias politiques en échange de leur soutien, qui doit s'acheter au jour le jour, ce qui explique la montée en flèche des affaires de corruption.

C'est la première fois dans l'histoire de la Colombie que les forces politiques qui ont soutenu le pouvoir bipartite et le président qui les représente, ont un taux d'impopularité aussi fort. Alors que le candidat de l'opposition populaire, et non de l'alternance, est confortablement en tête des sondages, avec de fortes aspirations au changement au sein de la population.

Cela ne veut pas dire que tout est défini.

Les partis de l'establishment ont toujours vécu dans le discrédit, mais avec de l'argent, des avantages, des achats de voix et des menaces, ils ont pu obtenir les voix nécessaires pour se perpétuer. Ils comptent également sur le soutien du registre national de l'Etat Civil qui comptabilise les voix. Bien que les contrats de gestion de ses systèmes d'exploitation avec la même société qui a embauché les mercenaires qui ont tué le président d'Haïti soient dénoncés, il s'agit là de plaintes sérieuses qui passent inaperçues.

Les analystes s'accordent à dire qu'une campagne électorale très dure s'annonce, avec une grosse bagarre. Très merdique, a déclaré Yezid Arteta. L'important est qu'il y ait des perspectives positives et surtout qu'il y ait des processus communautaires en cours, même si certaines petites stars n'aident pas beaucoup en soutenant leurs candidates et candidats à travers leurs comptes Twitter. Le positif est qu'il semble que le candidat préfère dialoguer davantage avec les communautés qu'avec les starlettes et qu'il renoue avec l'esprit pédagogique dans ses discours, comme lors de la campagne précédente.

Une nouvelle étape progressiste s'ouvre en Amérique latine et cette fois, il semble que la Colombie pourrait en faire partie.

Séville, 15 août 2021

(*) Jaime Cedano Roldán est un militant communiste, rescapé du génocide contre l'Union patriotique en Colombie. Ecrivain et animateur de l'émission radio "Suenan Timbres"