samedi 15 octobre 2016

Colombie. Le Genre et les Accords de Paix



Plus que promouvoir une "idéologie du genre", les accords de paix signés à La Havane incluent une approche de genre. Vouloir "purger" les accords de cette "idéologie du genre", c'est leur quitter leur capacité de construire une paix stable et durable en Colombie.

Tout au long de la campagne du plébiscite pour la paix, ce que l'on a appelé "Idéologie du genre" est devenu un facteur déterminant pour regrouper autour du NON les discours de l'extrême-droite, de plusieurs organisations chrétiennes et de certains secteurs de la société, qui ont vu dans cette supposée idéologie, une menace profonde contre la famille et l'enfance colombiennes. Dans ces secteurs, les critiques qui sont émises sur les formes historiquement établies de relations entre les hommes et les femmes, leurs sexualités et leurs désirs, sont comprises comme des menaces, qu'ils réunissent dans l'expression "idéologie du genre". 

L'argument du débat qui a commencé depuis quelques mois avec une discussion publique à propos des manuels de vie scolaire et d'éducation sexuelle, a grandi progressivement jusqu'à devenir un aspect fondamental des négociations entre le gouvernement et les secteurs du NON à propos des accords signés à La Havane. Les récentes déclarations d'Alejandro Ordoñez appelant à "purger" (terminologie qui rappellent les expériences néfastes d'élimination de l'opposition par différents régimes totalitaires) les dits accords de "l'idéologie du genre" (Voir le journal El Tiempo du 11 octobre) alertent sur les risques que comportent de telles attitudes réactionnaires face aux avancées que des féministes et des groupes de femmes ont réussi à mettre en oeuvre dans notre pays au cours des dernières décennies sur la violence de genre, le droit à décider sur son propre corps et le besoin de reconnaitre notre espace dans la sphère publique, professionnelle et politique dans des conditions d'égalité.

Dans ce sens, il nous semble très important de souligner que :

1. Plus que promouvoir une "idéologie du genre", les accords de paix signés à La Havane incluent une approche du genre qui, selon María Paulina Riveros, Directrice de la Défense des Droits Humains au Ministère de l'Intérieur et négociatrice plénipotentiaire pendant le processus de dialogue, signifie : 

"Un accord qui adopte une approche du genre, est un accord dans lequel tous : hommes et femmes, hétérosexuels et homosexuels, bisexuels et personnes à l'identité diverse, sont conçus comme des citoyens, des sujets politiques, des interlocuteurs visibles du dialogue social... " (Présentation de Accords de La Havane dans une approche de genre).

L'approche de genre est une préoccupation transversale dans les accords, qui se traduit par des mesures affirmatives sur 8 axes thématiques afin de garantir l'équité de genre dans toutes les matières qui les composent : Accès à la propriété rurale pour les femmes, garanties des droits économiques, sociaux et culturels, participation dans les espaces de représentation, mesures de prévention et de protection, accès à la vérité et à la justice, reconnaissance publique, renforcement de l'organisation et participation politique.

2. Contrairement au sens littéralement satanique qui a été donné à la terminologie "idéologie du genre", il est important de préciser que le genre n'est pas une théorie, ni une idéologie, mais un concept développé autour de la notion de sexe et des relations entre les hommes et les femmes. Le genre est un instrument d'analyse qui a donné lieu à un champ d'études, les études sur le genre, dans lequel, comme dans tous les champs d'études, il y a différentes écoles théoriques et non des idéologies. Les détracteurs et les détractrices du genre ont cherché à présenter ce champ d'études comme une idéologie, en l'assimilant à un ensemble d'idées et de représentations sur la différence sexuelle, qui cherchent des transformations sociales au détriment de l'enfance et de la famille.

3. La société colombienne a été traversée par de multiples inégalités de genre qui ont permis le développement d'une culture masculinisée et patriarcale, et ont engendré de multiples formes d'exclusion pour les femmes et les personnes LGBTI. Elles ont subi la guerre et les dynamiques du conflit armé dans des formes particulièrement graves, en raison de leurs positions dans des secteurs sociaux subordonnés. Et c'est cette situation que l'on cherche à dépasser à travers l'approche du genre dans les Accords.

4. L'approche du genre et de la diversité sexuelle qui est présente dans les accords de paix et dans de nombreuses politiques publiques ne représente pas une menace pour la société en général, mais bien au contraire, une opportunité pour comprendre et transformer les inégalités et les exclusions des droits économiques, sociaux et culturels dont souffrent les femmes et les personnes LGBTI, et qui font obstacle à la construction d'une société plus équitable et à la résolution non violente des conflits.

L'Ecole des Etudes de Genre de l'Universtié Nationale de Colombie, les autres centres d'études de genre, les institutions académiques, les organisations sociales et les personnes signataires de la pétition ci-dessous considèrent que brandir l'idéologie de genre comme une menace est un argument utilisé par certains secteurs politiques pour faire taire nos voix et pour faire reculer nos avancées politiques et académiques dans la société colombienne. C'est pourquoi nous soulignons la nécessité de développer des approches du genre qui soient en capacité de comprendre la complexité de la réalité que nous vivons actuellement et d'affronter ces postures qui vont au détriment des droits des différentes personnes et collectifs.

Nous défendons l'importance et l'irrévocabilité de la perspective du genre et de la diversité sexuelle dans les Accords de La Havane, au vu de son importance dans la reconstruction du tissu social colombien et la possibilité de guérir, pardonner et se réconcilier. Nous avons appris à travers l'exemple que nous ont donné de nombreuses victimes, dont une grande partie sont des femmes, et qui pardonnent à leurs bourreaux. Le pardon n'est pas un signe de faiblesse, ni un manque de "virilité", c'est un signe de grandeur personnelle et collective. C'est aussi la possibilité qui nous est offerte à toutes et tous de trouver des solutions dialoguées à nos différends et de construire un nouveau pacte social dont l'axe soit d'atteindre l'équité de genre et le respect de la diversité, conditions nécessaires pour une paix stable et durable.
Trad° : CM


 
 
 
 

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