mardi 11 octobre 2016

Une semaine au Macondo référendaire

C'est avec une très grande joie que je publie ici l'article que m'a envoyé mon amie Maria Baresh. Née en Colombie de parents colombiens mais résidente en France depuis de nombreuses années, elle écrit en français sur le mille-feuilles d'événements et de sentiments vécus la semaine passée par tou-te-s celles et ceux qui portent la Colombie profondément ancrée au coeur. Je trouve qu'elle a un vrai talent d'écriture, avec le goût de raconter et le souhait d'exprimer les émotions. Elle sait partager le plaisir des mots et des idées. Je lui souhaite de continuer...
Maria, tu as la matière et tu as du style... Vas-y! ¡Adelante!
C.M


“Era como si Dios hubiera resuelto poner a prueba toda capacidad de asombro, y mantuviera a los habitantes de Macondo en un permanente vaivén entre el alborozo y el desencanto, la duda y la revelación, hasta el extremo de que ya nadie podía saber a ciencia cierta dónde estaban los límites de la realidad.
Cien años de soledad 
Gabriel García Márquez


"C'était comme si Dieu avait résolu de mettre à l'épreuve toute capacité d'étonnement, et avait maintenu les habitants de Macondo dans un va-et-vient permanent entre l'euphorie et le désenchantement, le doute et la révélation, à tel point que personne ne pouvait plus véritablement savoir où se trouvaient les limites de la réalité."
Cent ans de solitude 
Gabriel García Márquez

 « Une semaine au Macondo référendaire »


Par Maria Baresch
Lundi 10 octobre 2016

Dimanche 2 octobre : c’est la singulière impression d’avoir rendez-vous avec l’histoire colombienne qui prévaut, de sentir les lueurs de l’aube percer au bout de cette longue guerre, d’entrevoir enfin la possibilité d’alléger ce pays que nous portons sur le dos.  Soyons clairs, nous étions optimistes ! Le « oui » ne pouvait que l’emporter, et ce bien en dépit des discours haineux qu’avait déchaîné la néfaste campagne uribiste du « non »[1].   

Nous sommes donc là, réunis devant le consulat colombien de Paris, observant avec tendresse les familles se prononcer pour la « paix en Colombie », les enfants glisser le bulletin de vote de leur parent « pour un nouveau pays ».  Ce sont ces images enthousiastes que nous emportons avec nous le soir pour attendre avec une certaine impatience les résultats.  Vers 23h00 notre optimisme prend forme : le « oui » l’emporte en France avec 82.53% des voix, puis dans la plupart des bureaux de vote des colombiens de l’extérieur…  S’ensuit le dépouillement des urnes en Colombie où le « oui » commence avec un léger avantage, le « non » à ses trousses.  Nous retenons notre souffle, puis la panique, l’angoisse nous saisissent face à la réalité glaciale de la victoire du « non ». Une victoire avec, certes, un très léger écart de 53 894 voix, mais une défaite de notre « Si majeur ».  Alors les chiffres se mettent à virevolter, tourner et retourner : 50.21% pour le « non », 49.81% pour le « oui », 62.57% d’abstention, 13 066 047 personnes se sont déplacées aux urnes sur 34 899 376 d’inscrits sur les listes électorales; et c’est en leur compagnie que nous allons nous coucher pensant, ingénieusement, qu’ils se « corrigeront » pendant que la nuit nous berce. 

Au lendemain du référendum nous vivons ce que nous appelons en Colombie un  « guayabo »[2] national.  L’incompréhension, la tristesse et ce goût amer de s’être stupidement gâté le plaisir, d’avoir manqué le rendez-vous.  Et puis c’est l’étonnement de nos amis français devant ce résultat qui nous prend à la gorge : comment expliquer cette Colombie que nous aimons, mais au caractère insaisissable par ses paradoxes et ses contradictions ? Comment expliquer la violence qui s’accroche inlassablement à ses poignets alors qu’elle transpire à la fois la joie de vivre ? 

Une crise politique se dessine : alors que les accords de paix s’étaient forgés en colonne vertébrale du mandat de Santos, le « non » constitue un véritable revers politique, qui un instant, exalte les ambitions électorales d’Uribe qui se voit déjà pour 2018 porte-parole et sauveur de cette Colombie désappointée par les politiques de Santos.   Pourtant, ce sont les régions les plus affectées par la guerre qui ont voté avec une écrasante majorité pour le « oui ».  Le « non », lui, l’a emporté principalement dans les zones urbaines.[3]  Sans vouloir faire de la caricature, l’image des paysans, bottes en caoutchouc aux pieds, murmurant  à mi-voix « nous avons perdu » et les classes plus aisées, assises confortablement devant leur  télévision, s’exclamant « nous avons gagné ! » est pour le moins significative.

D’autant plus qu’Uribe et ses amis du « non » n’ont eu d’autre ambition que de torpiller les accords faisant appel sans vergogne aux calomnies et mensonges dont les effets n’ont fait qu’exacerber les haines et les divisions.  Pour fomenter le spectacle de la politique colombienne, une interview du directeur de campagne du « non », Juan Carlos Vélez, nous révèle quelques coulisses, le poussant d’ailleurs à la démission du Centre Démocratique (le parti d’Uribe).  Cette « croustillante » information ne fait que confirmer ce que nous savions déjà : que la campagne pour le « non » visait à détourner le débat du contenu même des accords, qu’elle instiguait la peur à travers des formules sentencieuses de « menaces castro-chavistes » dans des zones plus « concernées »  par la « problématique » vénézuélienne, qu’elle inventait des impôts qui conduiraient les colombiens à se « sacrifier » en vue de la réincorporation des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie –Armée du peuple),  qu’elle diabolisait les insurgés, ces « terroristes » qui bénéficieraient d’une entière impunité.

De plus, le traitement médiatique n’a certainement pas avantagé le « oui », où par exemple les caméras et micros se sont longuement attardés sur les massacres de Bojayá, sans couvrir en parallèle l’acte où les FARC demandaient justement pardon à ses victimes. 

Le fort taux d’abstention est un facteur également important, qui ne peut nous laisser pantois.  Outre les difficultés réelles sur le terrain pour se déplacer aux urnes, l’immobilité politique de certains ne peut donner en aucun cas un brevet d’innocence.   Cela dit, nous défenseurs du « oui », avons peut-être tenu notre vérité pour seule et unique. Or avons-nous eu un sens vrai de la réalité ?  Avons-nous su écouter ces voix qui ne se mobilisent pas pour aller voter,  celles qui ont encore peur ? Un de nos défis de réconciliation semblerait alors aller dans ce sens : réussir à voir le monde avec des yeux nouveaux, ceux des victimes, des douleurs muettes, des espoirs brisés, des désenchantés ; sinon, nous ne verrons rien.

« L’engouement référendaire »[4] est également questionnable dans le cas colombien.  En effet, ce  mécanisme de consultation a aussi permis de libérer une parole belliqueuse, exacerbant les tensions et la haine.  En diabolisant systématiquement les FARC, les défenseurs du « non » ont contribué à l’agonie du débat, le vidant de tout contenu social.  Or, comme l’explicite l’article 22 de la Constitution colombienne « la paix est un droit et un devoir dont l’application est obligatoire ». La paix, référendum ou pas, est donc avant tout un devoir de politique publique.  Dans ce sens, le conseiller juridique des FARC à la table des négociations, a pertinemment rappelé que les accords, conformément au droit international, ont déjà un effet juridique. De plus, quand bien même le « oui » l’aurait  emporté, ne serions-nous pas confrontés à des démons similaires : des uribistes hargneux aux envies de sabotage et donc à la nécessaire et infatigable défense des accords ? 

Dans cette sombre incertitude où les résultats du plébiscite ont semblé nous plonger,  de la lumière s’infiltre pourtant.  Dès mercredi des marées humaines de jeunes et moins jeunes  se rassemblent dans plusieurs villes du pays ainsi qu’à l’étranger pour défendre la paix.[5]  Vendredi 7 octobre c’est au tour de la région d’Antioquia, bastion d’Uribe, de se manifester largement pour la paix.  Des initiatives d’occupation de places, notamment à  la place Bolivar de Bogotá, fleurissent et redonnent une voix ainsi qu’une légitimité à la rue.  La formule « paz a la calle »[6] résonne et rallume nos espoirs.  Même les colombiens ayant  voté « non » disent vouloir la paix.  C’est à se demander qui, à part Uribe et ses fidèles alliés, veut la guerre ? 

Par ailleurs, la communauté internationale entérine son soutien aux accords de paix, soutien que nous pourrions interpréter comme se cristallisant à travers la déconcertante attribution du prix Nobel de la paix à Santos vendredi.  

En outre, tant du côté des FARC que du côté du gouvernement, l’ouverture au dialogue prévaut. Ils ont tous deux reconnu et entendu les résultats du plébiscite et se disent disposés à écouter les colombiens ayant choisi le « non ». Dans un communiqué conjoint ils réaffirment, dans ce sens, leur engagement de maintenir le cessez-le-feu bilatéral  et sollicitent les Nations Unies afin de maintenir leur mission d’observation.  Parallèlement, les pourparlers entre le gouvernement et l’ELN[7] semblent se décanter.  

Une position délicate se profile pour Uribe. Lui, qui a tout misé sur l’aventure militaire, ne pourra continuer à répondre par la belliqueuse aux nombreux votants du « non » qui ne semblent pourtant pas se prononcer pour la guerre.  Alors qu’il est invité au dialogue, ses dernières propositions pour « amender » les accords, au-delà de proposer des choses qui figurent déjà dans les accords, preuve de sa méconnaissance de ceux-ci, ne semblent en aucun cas montrer une volonté de se détourner de sa constante dialectique, mariage dangereux de la guerre et du mensonge, dont l’unique objectif réside dans un statu quo bénéficiant les privilégiés de toujours.  Que la « mano dura » de la politique sécuritaire d’Uribe se soit par enchantement métamorphosée  en colombe blanche de la paix paraît peu crédible ; et c’est sur ce terrain qu’un de nos défis majeurs se présente : démontrer son impertinence et refuser les concessions à la droite extrême si nous voulons sérieusement atteindre l’essence réconciliatrice des accords.

Alors que cette semaine au cœur du Macondo référendaire, où le va et vient permanent entre la liesse et le désenchantement opère et chatouille notre fil émotionnel, une voie semble cependant s’esquisser : celle de la défense des accords de paix, qui du haut de leurs 297 pages cherchent un pacte social et politique large et donnent le ton de la réconciliation nationale. 

L’horizon encore un peu brouillé, où les promesses et les menaces s’entremêlent, le grand défi de la paix est un dur et long chemin, un incessant combat qui exige de nous d’avoir un ou deux regards d’avance, de marcher là où personne n’ose mettre les pieds.  Nous aurons à affirmer notre volonté de voir ces accords respectés et implémentés, à accompagner depuis l’extérieur la concrétisation de la justice sociale véritable, celle qui inclura les communautés aux marges, ces vérités diverses, qui expriment cependant toute la réalité colombienne.  Ce n’est que par cette construction d’une société nouvelle, où ces voix exclues pourront trouver un écho social et politique,  que l’avenir nous sera rendu, que nos espoirs inébranlables triompheront, que nous verrons enfin l’aube pointer le bout de son nez en Colombie mais aussi ailleurs.

Maria Baresch
Lundi 10 octobre 2016


[1] Alvaro Uribe Vélez, actuel sénateur du Centre Démocratique, Président de la Colombie entre 2002 et 2010.
[2] Gueule de bois
[3] “Ganó el No: Colombia se enfrenta a un diálogo nacional” : http://pacifista.co/gano-el-no-colombia-ante-la-incertidumbre/
[4] Lire Alain Garrigou, « Voter plus n’est pas voter mieux », Le Monde diplomatique, Paris, août 2016.
[5] Autour d’une grande marche silencieuse, qui n’est pas sans faire écho à la symbolique marche de 1948 organisée par Jorge Eliecer Gaitán.
[6] Paix dans la rue.
[7] Armée de libération nationale.




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