Par Monica Arias
Source : Palabras al Margen
A propos du massacre de Tumaco
En Colombie, la culture de la feuille de coca est dans l'oeil du cyclone. Elle est aussi le coeur de la réussite ou de l'échec de l'Accord de La Havane car c'est la base de son principal objectif : Celui de terminer une guerre et sortir le narcotrafic des campagnes, de la politique et de l'économie.
Le port de Tumaco, qui se situe dans la région du département de Narino au bord du Pacifique, est le territoire le plus emblématique de cette croisée des chemins : Cette municipalité concentre 16% du total de la zone cultivée de coca en Colombie (environ 23.148 hectares)(1).
Cela explique l'impact du massacre qui a eu lieu le 5 octobre dernier dans les hameaux de Alto Mira et Frontera, à Llorente, sur le territoire municipal de Tumaco. Huit cultivateurs de coca y ont été assassinés et vingt autres ont été blessés, par des tirs attribués à la Police Anti-Drogues selon les organisations populaires.
Le massacre est le résultat d'une tension accumulée. Depuis le 28 septembre, près de 1.000 paysans cultivateurs de coca réalisent ce qu'ils appellent des "occupations humanitaires", une mobilisation permanente autour des plantations de coca pour éviter les opérations d'erradication forcée de la Police Nationale. D'autre part, depuis le début de la mise en oeuvre de l'Accord entre le Gouvernement et les FARC-EP, dans le département de Narino et dans d'autres (2), les mafias du narcotrafic ont commencé une campagne de menaces pour empêcher que les associations paysannes acceptent la substitution concertée. Plusieurs familles paysannes et des leaders communaux de Tumaco ont été forcées à déménager à cause de ces pressions.
Ainsi, dans le département du Narino, se trouvent de petites exploitations (qui sont potentiellement l'objet de la substitution concertée) et de grandes plantations de coca contrôlées par les mafias de la drogue (qui ne peuvent pas être un objet de substitution). Mais l'action de la Force Publique est indiscriminée, elle ne fait pas la différence entre les petits et les grands exploitants. C'est pourquoi les petits cultivateurs sont le dos au mur : d'un côté les mafias qui leur mettent la pression pour qu'ils continuent à cultiver et à répandre les cultures, d'un autre côté, le Gouvernement et les FARC qui font la promotion de la substitution et, évidemment, le Ministère de la Défense qui, poursuivant la stratégie du gouvernement des Etats-Unis, impose l'erradication. Finalement, les plus affectés sont les paysans pauvres et leurs familles dont l'unique ressource est la feuille de coca.
La mise en oeuvre de l'Accord
Comme souvent en Colombie, il s'agit là de la chronique d'une tragédie annoncée et ce n'est peut-être pas la dernière. Depuis le début de la mise en oeuvre de l'Accord de la Havane, la ruralité est réapparue comme un point de basculement entre la guerre et la paix.
L'Accord promeut une substitution des cultures illicites pour les petits cultivateurs, sur la base du volontariat, de la gradualité et de la concertation. Au cas où l'on n'arriverait pas à une concertation, le point 4 de l'Accord prévoit que "le Gouvernement procédera à l'erradication des cultures d'usage illicites, en priorisant l'erradication manuelle où c'est possible, et en prenant en considération le respect des droits humains, l'environnement, la santé et le Bien Vivre" (3). Mais sous les pressions du Gouvernement des Etats-Unis, le Gouvernement colombien a opté pour une double stratégie du "cinquante-cinquante" : 50.000 hectares pour la substitution concertée et 50.000 hectares pour l'erradication forcée, comme objectif à atteindre en 2017 (4). Depuis, les affrontements ne cessent pas. Comme l'explique un leader paysan : "Les fonctionnaires viennent pour nous expliquer et nous demander de signer les accords de substitution, et le jour d'après, la police arrive avec l'ESMAD (compagnie anti-émeutes) et ils arrachent les plants. Mais alors, sans les plants ? Quelle substitution ?". En cette année 2017, il y a déjà eu au moins 5 affrontements entre les cultivateurs de coca et la police :
- Janvier - Avril : Manifestations cocaleras dans le Narino et fermeture de la voie vers la mer (5)
- Juillet : Affrontements entre la Police Nationale et les cultivateurs de coca dans le Guaviare (6)
- Juillet : Affrontements entre la Police Nationale et les cultivateurs de coca dans le Meta et le Caqueta (7)
- Septembre : Manifestations cocaleras dans le Catatumbo, le Nord du Santander (8)
- Octobre : Mort de 8 paysans cultivateurs de coca à Tumaco
Dans ce contexte, le massacre de Tumaco est le terrible épisode d'un conflit qui se trame depuis le début de la mise en oeuvre de l'Accord et qui se base au moins sur deux éléments : D'abord, la politique contradictoire qui imbrique érradication forcée et substitution concertée et ensuite, la désastreuse stratégie historique de l'Etat colombien qui "signe ce qui est exigé, puis ne respecte pas ce qui est accordé". Cette stratégie s'est sédimentée depuis plus d'un siècle dans un cycle vicieux de violence - négociation - accord - violation - violence.
La question paysanne derrière la coca
Depuis qu'elle a été introduite par les cartels de Cali et de Medellin à la fin des années 70, plus qu'une culture, la coca est devenue un axe des dynamiques économiques, politiques et sociales du territoire dans le sud du pays. La coca apparaît dans le Putumayo et le Narino quand les politiques agricoles de Carlos Lleras Restrepo commencent à décliner. Avec la liquidation de l'Institut du Marché Agricole, l'IDEMA, les colons du Putumayo se sont retrouvés sans soutien officiel et face à la chute des prix, ils ont trouvé une alternative dans la coca. C'est dans les années 90 que l'erradication a commencé : Les Programmes de Développement Alternatif, les PDA (pendant le gouvernement de César Gaviria) et plus tard les PLANTE (gouvernement de Samper) ont promis santé, éducation, des routes et du développement à la population contre l'arrachage de la coca, mais la seule chose qui est véritablement arrivée, c'est l'erradication, sans la santé, ni l'éducation, ni les opcions viables pour l'agriculture. Dans ce contexte, surgit la protestation sociale qui s'exprime dans la grêve civique de 1994 et dans les marches cocaleras de 1996 pour exiger de l'Etat qu'il respecte les alternatives économiques pour la substitution. Les Gouvernements signent mais ils ne respectent jamais. En 1997 apparaît le Bloque Sur des paramilitaires des AUC et cela engendre des déménagements massifs.
Au milieu de la violence, ces paysans quittent le Putumayo, ils vont coloniser de nouvelles terres et ils perdent leurs droits sur celles qu'ils avaient. Certains d'entre eux arrivent à des zones comme Alto Mira, à Tumaco, où la culture de coca trouve un bon créneau, un territoire avec un fleuve, de la montagne, une frontière et une terre sans propriété, où s'entremêlent les luttes pour la terre des colons et des conseils communautaires afrodescendants.
L'Accord de la Havane affirme que le problème n'est pas d'erradiquer mais d'avoir des alternatives économiques. Le Point 4.1 sur la substitution des cultures doit être complètement articulé avec le Point 1 sur la Réforme Rurale Intégrale. C'est à dire que l'Etat comme les FARC-EP reconnaissent que l'arrachage de la plante ne suffit pas : Ce dont on a besoin, c'est de la titrisation des terres (point 1.1), de programmes de développement (point 1.2 - PDET) et de plans nationaux qui amènent des routes, des connexions, la santé, l'éducation et le logement dans les zones rurales du pays.
Mais la classe politique colombienne n'écoute pas les experts. Depuis 2002, Dario Fajardo a insisté sur le fait que "pour semer la paix, il faut adoucir la terre" mais au Congrès de la République, on combine la lenteur des débats avec la modification de ce qui a été accordé et le premier projet de loi qui contribue à la mise en oeuvre des points 1 et 4 de l'Accord n'a toujours pas été attribué. Selon l'Observatoir de Suivi de la Mise en Oeuvre de l'Accord de Paix -OIAP-, la mise en oeuvre normative des points 1 et 4 n'atteint que 6,9%. Les grands propriétaires régionaux continuent à être accrochés à la terre, et avec elle, à la violence.
Ainsi, la paix n'arrive pas encore dans les campagnes. La Force Publique tire, les grands narcotrafiquants menacent et l'Etat n'offre pas d'alternatives. La Police viendra erradiquer et elle s'en ira, comme d'habitude. Les politiques sociales n'arriveront pas, comme d'habitude. Dans ces circonstances, on revit le déménagement forcé.
Qui est donc intéressé par l'erradication ? L'histoire des marches de la coca des années 90 le révèlent clairement : Avec le départ des paysans, les groupes armés mafieux prennent le contrôle du territoire, du transport comme des cultures (qui même arrachées, seront resemées), on perd tout droit de propriété paysanne et la paix est repoussée de quelques décennies.
Monica Arias Fernandez est doctorante en Philosophie Politique
Université Paris 7 Denis Diderot
- Datos tomados del informe SIMCI 2017 sobre cultivos ilícitos para el año 2016, consultado el 13/09/2017. Ver: https://www.unodc.org/documents/colombia/2017/julio/CENSO_2017_WEB_baja.pdf ↩
- ver el caso del asesinato de dos líderes cocaleros de Córdoba en enero de 2017 en: https://www.las2orillas.co/a-sangre-y-fuego-las-autodefensas-gaitanistas-buscan-retomar-uraba/ ↩
- Acuerdo Final para la Terminación del Conflicto y la Construcción de una Paz Estable y Duradera firmado el 24 de noviembre en el Teatro Colón. P. 107. Consultado el 05/10/2017 en:http://www.altocomisionadoparalapaz.gov.co/procesos-y-conversaciones/Documentos%20compartidos/24-11-2016NuevoAcuerdoFinal.pdf ↩
- Ver: https://www.elespectador.com/noticias/paz/gobierno-espera-erradicar-100000-hectareas-de-cultivos-ilicitos-en-2017-articulo-702534 ↩
- Ver: http://www.elpais.com.co/judicial/tumaco-sigue-paralizada-por-protestas-de-cocaleros.html ↩
- Ver: http://www.rcnradio.com/locales/meta/un-policia-retenido-y-varios-campesinos-desaparecidos-dejan-protestas-cocaleras-en-guaviare/ ↩
- Ver: https://www.elespectador.com/noticias/nacional/enfrentamientos-entre-cocaleros-y-la-policia-en-meta-y-caqueta-articulo-703626 ↩
- Ver: https://www.laopinion.com.co/region/tension-por-erradicacion-de-coca-en-el-catatumbo-140221 ↩
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire