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jeudi 8 août 2024

Demain est annulé



Nous sommes allés voir l'exposition "Demain est annulé... De l'art et des regards sur la sobriété" à la fondation EDF. J'ai été particulièrement impactée par le travail de RERO.

https://rero-studio.squarespace.com/



dimanche 4 août 2024

Transmettre la force émancipatrice

Parce que j'ai besoin de cultiver le jardin du nouveau front populaire, je suis allée à la bibliothèque prendre des livres sur 1936 en France. 

J'ai été frappée par la force émancipatrice des images. 

Multitudes de poings levés,
casquettes et femmes à chapeau,
bicyclettes et tandems,
blouses et bleus de travail,
le bord de l'eau,
le bord de mer,
les tentes de fortune,
les usines occupées,
la joie multipliée,
des enfants partout,
le grand Blum à lunettes rondes et ses ministres femmes,
le premier billet populaire de congé annuel,
les trains et les plages pris d'assaut,
les bals musettes improvisés dans les cours.
Et encore le bord de mer,
et encore le bord de l'eau

Voir l'album ici

Bien sur, avant, il y a les images des émeutes de février 34. Et après, il y a la dislocation de 37, le triste manque de solidarité avec la République espagnole et la maudite "pause" dans les réformes. 

Il n'empêche que, dans nos mémoires longues, la gloire lumineuse de 1936 brille avec une telle intensité qu'elle réveille nos tendresses et nos désirs de justice... La victoire de l'unité des gauches, la force des grèves qui poussent à changer la vie, la revanche du travail sur le capital et le temps retrouvé nous attendent !

Aujourd'hui, nous sommes le 4 août, trêve olympique ou pas, nous sommes un certain nombre à saluer ce jour. Le souffle de l'abolition des privilèges mérite toutes les médailles du monde !






lundi 25 décembre 2023

Le chant des partisans / El canto de los partesanos


 Résistencias

 

Spéciale dédicace à Patricia Ariza ¡Feliz Navidad!

Version d'origine, chantée par Anna Marly aqui
Con subtitulos en español aqui

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines,
(Amigo, ¿escuchas el vuelo negro de los cuervos sobre nuestras llanuras?)
Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne,
(Amigo, ¿escuchas estos gritos sordos de un país que encadenan?)
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme
(¡Eh! partisanos, obreros y campesinos, es la alarma)
Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
(Esta noche el enemigo conocerá el precio de la sangre y de las lágrimas.)

Montez de la mine, descendez des collines, camarades,
(Suban de la mina, desciendan las colinas, camaradas,)
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades,
(Saquen del pajar los fusiles, la metralla, las granadas,)
Ohé les tueurs, à vos armes et vos couteaux, tuez vite.
(¡Eh! los que maten, a vuestras armas y a vuestros cuchillos, maten rápido.)
Ohé saboteur, attention à ton fardeau dynamite...
(¡Eh! saboteador, cuidado con tu carga de dinamita...)

C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères
(Somos nosotros quienes rompemos los barrotes de las prisiones para nuestros hermanos)
La haine à nos trousses et le faim qui nous pousse, la misère.
(El odio nos persigue y el hambre nos impulsa, la miseria.)
Il y a des pays où les gens aux creux des lits font des rêves.
(Existen países donde las personas en lo hondo de sus camas sueñan)
Ici, nous vois-tu, nous on marche et nous on tue... nous on crève...
(Aquí, tú nos ves, nosotros marchamos y matamos... reventamos...)

Ici, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait, quand il passe.
(Aquí cada uno sabe lo que quiere, lo que hace, cuando pasa.)
Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place.
(Amigo, si tú caes, un amigo sale de la sombra en tu lugar.)
Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.
(Mañana la sangre negra se secará con el gran sol sobre las rutas)
Chantez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute...
(Canten, compañeros, en la noche la libertad nos escucha...) 

 


samedi 19 septembre 2020

Art ou vandalisme ? Quand tombe la statue de Sebastian Belalcázar...


Le quotidien colombien EL TIEMPO a recueilli les propos de plusieurs artistes au sujet du déboulonnage de la statue du conquistador...

Iván Argote

Il y a 8 ans, l'artiste colombien Iván Argote est entré dans une boutique de "toiles mexicaines" à Madrid et il a acheté des mètres de tissu. Il a ensuite confectionné plusieurs ponchos et décidé d'en habiller les statues des rois espagnols qui avaient participé à la Conquête et la Colonisation de l'Amérique. La police l'a arrêté mais elle n'a pas pu le retenir longtemps parce qu'il n'avait ni "vandalisé", ni détruit les sculptures.


Titre de l'oeuvre "Touriste : Don Garcia". 2012

A Bogotá, il a fait plusieurs interventions du même type. Dans le Parque Nacional, il s'est emparé de la statue de Francisco Orellana, le conquistador qui a "découvert" l'Amazone, et il l'a recouvert de miroirs pour que l'on y voit le reflet des arbres du parc et non l'image du colonisateur. Il explique : "Je ne comprends pas pourquoi il n'y a pas une seule statue des indigènes ou un monument pour les peuples de l'Amazonie". Aujourd'hui, les photos de ces interventions sont dans les collections du Musée National d'Art Moderne, à Paris, au Centre Pompidou.


Titre de l'oeuvre : "Touriste. Le roi Charles III d'Espagne". 2013

María Isabel Rueda

"L'action des Mizak m'a impactée. Ils ont déboulonné une idée coloniale" dit cette artiste, conservatrice du patrimoine. "C'est la rébellion contre une image de la domination. L'artiste colombien Nelson Fory a lui aussi travaillé dans ce sens. A Carthagène des Indes, il s'est chargé de mettre des perruques afros aux statues de Bolívar, Pedro de Heredia et d'autres héros de l'indépendance, pour protester contre l'exclusion raciale".

 L'artiste Nelson Fory est lui aussi intervenu sur des statues historiques 
comme celle de Christophe Colomb. @Nelson Fory

Beatriz González

"La vidéo des indigènes Misak peut être regardée comme une "performance". C'est un signe de protestation et la chute d'une image de l'abus et de la soumission. Cette discussion dure depuis des années. A Barcelone, ils ont pensé enlever la statue de Christophe Colomb; au Pérou, celle de Pizarro. La statue de Belalcázar est sur un site sacré et ils ne devraient pas la remettre encore une fois dans le même lieu : c'est un défi pour les indiens et ils n'auront de cesse de la faire chuter. Elle devrait aller dans un musée fermé, historique, à Popayán" explique Beatriz González.

Miguel Angel Rojas

"C'est une action symbolique très importante en Amérique Latine. Mais vraiment très importante. Parce que c'est le premier symbole d'un malaise qui a cinq siècles ou plus. Une action très courageuse qui peut être le début d'une étape de dignification pas seulement pour les cultures arborigènes andines, mais pour toutes celles d'Amérique. De plus, qu'ils aient auparavant fait un jugement, me parait très intelligent. Qu'ils l'aient traité de génocidaire, esclavagiste et voleur de terres, n'est que justice".

Nohemi Pérez

Pour l'artiste Nohemi Pérez, ce qu'ont fait les indigènes est loin d'être du vandalisme. Elle le voit comme une performance réalisée par la communauté qui cherche à réécrire son histoire. "Et ce qui est intéressant, c'est qu'ils l'ont fait eux-mêmes, pas les artistes" affirme-t-elle. "L'histoire nous a toujours vendu que les conquistadors étaient venus nous "civiliser", mais en fait ils ont exterminé des cultures. La statue représente cette histoire, ce héros qui est arrivé pour nous apporter une nouvelle langue, qui nous a conquis". Pérez ne considère pas que l'on doive maintenant tout déboulonner, mais elle définit l'action des Mizak comme un acte de droit : Les indigènes réclament la position qui leur correspond dans la société.


Carlos Jacanamijoy 

Pour Carlos Jacanamijoy, il s'agit d'un appel à un dialogue qui n'a jamais eu lieu. Il ne s'agit pas d'un acte qui doive être jugé ou regardé comme une action violente. "L'acte de violence, c'est celui qu'ont fait ces messieurs qui sont là dans les statues, c'est ce que représente la statue" affirme-t-il. "Je crois que, au delà de faire tomber les statues, il s'agit aussi de raconter l'histoire bien racontée. Que je me souvienne, depuis que je suis entré à la maternelle, on ne nous a pas raconté l'histoire comme il se doit. C'est une revendication qui dure depuis plus de cinq cents ans. Ce qu'ont fait les Misak, c'est l'envoi d'un message au monde".


D'autres points de vue...

Mauricio Uribe, expert en affaires patrimoniales

Ex-directeur de l'Institut du Patrimoine Culturel de Bogotá, Mauricio considère que trois regards peuvent être posés pour qualifier cet acte : le considérer comme un acte de justice historique, comme un acte de vandalisme ou bien comme une "performance" artistique. "Je crois que c'est une réaction à la situation très complexe du pays et du département du Cauca. Ce qui s'est passé, c'est une alerte sur les désirs et les besoins de la communauté indigène du Cauca. Mais je crois aussi qu'il est délicat de juger l'histoire avec les yeux d'aujourd'hui. Alors, il faut réfléchir. Ce qui s'est passé est une immense opportunité pour faire un grand dialogue interculturel. Je crois que ce qui devrait se passer là-bas dans un futur proche, c'est que l'on pense ce lieu comme un espace de dialogue qui représente vraiment ce que nous sommes, nous colombiens, c'est à dire un amalgame culturel".

M.Uribe considère pourtant que les images sont "très fortes", qu'il s'agit de renverser une sculpture qui a été là pendant 80 ans. "Il semblerait d'après ce que j'ai compris, qu'il n'était pas prévu que cette sculpture soit dans ce lieu. Donc, c'est de là aussi que commencent les problèmes. Nous devons penser non pas à changer l'histoire, mais à la manière de la raconter". 

Maria Belén Saénz de Ibarra, directrice du Patrimoine de l'Université Nationale

"C'est une action pleine de sens d'un point de vue mémoriel. Aujourd'hui, on considère que ce n'est pas seulement en érigeant un monument que l'on peut configurer la mémoire : la commémoration se traduit aussi en détruisant les monuments réalisés dans le passé à partir de la vision de l'histoire officielle, autoritaire, qui s'écrit d'en haut et qui s'impose comme la vérité. Ainsi donc, il est légitime de les détruire ou d'altérer leur matérialité. On l'a vu dans le monde entier. C'est un outil auquel ont recours les citoyens pour participer au tissage de l'histoire, c'est une manière démocratique de s'intégrer à la construction de cette mémoire. C'est ce que l'historienne Mechtild Widrich appelle des "monuments performatifs", qui sont dans l'espace public et dont la commémoration se réalise à travers les gestes des gens, dont l'enregistrement circule ensuite dans les réseaux et les médias, et qui l'incorpore à la vie sociale. Ce sont des actes pacifiques de l'expression démocratique. Les monuments doivent être re-signifiés si c'est nécessaire, parce que c'est ce dont il s'agit avec la mémoire : c'est un processus où on regarde toujours le passé à partir du présent, ici et maintenant, pour réécrire l'Histoire et changer ou arrêter l'injustice de l'oppression, par les voix de ceux qui, trop souvent, ont été baillonnés, comme c'est ici, le cas des indigènes. Ce sont des actes de libre exercice politique d'une communauté".

Carmen Vásquez, ministre de la Culture

"Les monuments publics sont un musée ouvert, qui appartient à toute la communauté et qui sont des oeuvres d'art auxquelles nous avons tous un accès gratuit. Ils font partie du patrimoine culturel meuble de la Nation et c'est pourquoi nous avons le devoir de les protéger et les conserver. Le Ministère de la Culture, garant de la politique publique de protection et de sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel de notre pays, lamente et rejette les actes violents perpétrés contre la statue de Sebastián de Belálcazar dans la Ville de Popayán. Nous avons donc communiqué au Maire de Popayan que nous l'accompagnerons dans la restauration de ce monument. Nous demandons à toute la communauté de se manifester de manière pacifique sans affecter le patrimoine culturel de la Nation".

Source : El Tiempo
Traduction : CM



- Nous apportons la culture, l'éducation, le progrès !
- Et c'est pourquoi l'épée, not' bon maitre ?



lundi 16 mars 2020

Espagne. Pour un Plan de choc social face à la pandémie















Source : Publico.es

En Espagne, syndicats et militants exigent du Gouvernement un plan de choc social face au Coronavirus. La campagne #PlanDeChocSocial alerte sur les conséquences pour l'économie si les "mesures austéricides" d'il y a 10 ans se reproduisent. Elle souligne qu'il va falloir "décider qui paiera la crise économique brutale qui arrive".

En lien avec les mouvements sociaux, une campagne dans les réseaux sociaux a été lancée pour exiger du Gouvernement un plan de choc qui concerne le logement, les revenus et la santé, pour faire face à la pandémie de coronavirus. "Ce mardi, le Gouvernement espagnol prendra des décisions qui affecteront profondément nos vies" expliquent les collectifs qui promeuvent l'initiative. "Ce qui est en jeu, c'est de voir si on prend les mêmes mesures austéricides qu'il y a dix ans ou si, cette fois, on sauve les gens. C'est à dire, qu'on décide qui paiera la crise économique brutale qui arrive".

Il y a trois axes dans le plan. Le premier concerne la suspension du paiement du loyer, des prêts et des charges - électricité, eau et gaz- pour celles et ceux qui n'ont plus de revenus. "Le Gouvernement doit suspendre les paiements du loyer, des hypothèques et des charges basiques pour les personnes qui ne percevront plus de ressources" expose le syndicat des locataires de Madrid, la région d'Espagne la plus affectée par la pandémie.

"En matière sanitaire, nous demandons l'intervention de la santé privée pour qu'elle se mette à la disposition du bien commun pour toute la population" explique Alejandra Jacinto, porte parole de la PAH, à travers les réseaux sociaux. Enfin, "en matière d'emploi, nous demandons l'arrêt des licenciements et un revenu basique pour qui se trouvera sans ressources".

Le hashtag "PlanDeChoqueSocial" a été mis en route à partir de 13 heures ce lundi 16 mars et il est devenu Trending Topic National. "Ce n'est pas possible que tout cela ne soit examiné que par des mesures de confinement contrôlées par l'armée et la police. Nous exigeons de notre gouvernement une attention et une protection pour les plus précaires et/ou celles et ceux qui se retrouveront sans travail. Nous ne voulons pas d'un autre 2008" écrit l'anthropologue militante Yayo Herrero.

"Face à la crise du coronavirus, nous exigeons un #PlanDeChoqueSocial au gouvernement. D'abord, ils doivent garantir tous les moyens humains et matériels dans les centres sanitaires pour protéger les patients et les personnels" écrivent les Ecologistas en Acción. "Dans 24 heures, le gouvernement décidera quelle sera la réponse aux milliers de familles et de petites entreprises qui voient qu'elles vont faire faillite" dénonce Jaime Palomera, porte-parole du Syndicat des locataires.

Cette initiative est également portée par des dirigeants politiques comme Teresa Rodríguez, tête de file des Anticapitalistes, et son camarade l'eurodéputé Miguel Urbán, mais aussi Carolina Alonso et Sol Sánchez, députées de Unidad Podemos de la Communauté de Madrid, et les acteurs Alberto San Juan, Juan Diego Botto 

Traduction : CM



vendredi 18 octobre 2019

Le bonheur, c'est de garantir du temps pour cultiver ses amours


José "Pepe" Mujica a participé la semaine dernière à une rencontre organisée par le centre des étudiants du Collège National de Buenos Aires. "Etre militant c'est dédier une partie importante de notre vie au sort des autres, avec l'utopie et le rêve que l'on peut construire un monde un peu meilleur que celui où il nous a été donné de naître. Le bonheur, c'est aussi un peu de solidarité" a-t-il affirmé face à des centaines de jeunes. Voici la traduction du discours complet de l'ex-président uruguayen

Source : Nuestras Voces

Ici, la majorité d'entre vous pourraient être mes petits-enfants, mais à votre âge, c'est naturel que les être humains fassent germer des utopies, qu'ils aient des rêves de monde meilleur. Le défi que vous allez devoir affronter tout au long de votre vie, c'est d'arriver à maintenir le feu sacré alors que la peau se ride, que les jambes ralentissent, que la vie se remplit de responsabilités et de défis, quand il faut payer les factures en fin de mois, quand tu fais des œdèmes en travaillant pour une multinationale et que tu regardes comment s'effilochent tes rêves au long de ta vie. Parce que l'histoire humaine est un cimetière d'utopies, mais que grâce à ça, nous avançons. Parce que nous avons toujours une bien plus grande capacité de rêver que de capacité à concrétiser. Mais comment vivre sans rêves ? Comment ce serait que d'être une brique, une pierre et de ne pas avoir de sentiments, d'émotions et d'engagements ?

Eh oui, les enfants, l'unique miracle qu'il y a sur cette terre pour chacun d'entre vous, c'est d'être né, c'est quelque chose de si quotidien pour chacun qu'on ne s'en rend pas compte. Il y avait quarante millions de probabilités que ça tombe sur quelqu'un d'autre et c'est tombé sur toi. Mais la vie s'en va plus vite que ce qu'il n'y parait. Et cette particularité n'est pas simplement humaine, c'est commun au monde vivant. Le monde vivant a quelque chose de différent du monde inerte, il a des sentiments et des émotions. Parce qu'une tortue qui pond des oeufs a des émotions, comme la poule qui prend soin de ses poussins. Et l'herbe qui se reproduit, avant de mourir, se fait graine pour se semer. C'est sa manière de sentir. La différence humaine, c'est que nous sommes conscients. En plus de vivre, nous pouvons nous refléter dans une conscience. Et puisque naître t'est tombé dessus, la question est : Que fais-tu de ta vie ? Ta vie sera-t-elle celle d'un sujet débiteur de comptes, qui confond être et avoir et à qui le marché finit par organiser le coeur, les relations humaines et tout le reste ? Ou bien, ta vie, tu seras capable de lui donner un contenu et d'être en partie auteur de sa trajectoire ?

Nous sommes ici par la solidarité des générations qui ont fait possible une accumulation de connaissances, transmises de génération en génération. D'autres viendront et vous, vous allez avoir d'autres défis, des grands défis. Nous sommes en train d'organiser dans ce monde une gigantesque marmite pour frire les choses vivantes et vous, vous allez devoir vous battre contre cet égoïsme qui nous menace d'un holocauste écologique. Vous êtes d'abord argentins, mais vous êtes aussi latino-américains, et frères de tous les peuples pauvres qui sont en Amérique. Vous avez la vie devant vous, ne trahissez pas cette belle étape de votre vie. Appliquez ou transformez consciemment les moments, et prolongez ce bel âge qui vous est donné de vivre. Et ça, ça ne dépendra que d'une chose qui s'appelle la volonté.

La vie militante, ce n'est pas une récompense, c'est une aventure. C'est avoir une raison de vivre et pas seulement vivre parce qu'on est né. Etre militant, c'est dédier une partie importante de notre vie au sort des autres, avec l'utopie et le rêve que l'on peut construire un monde un peu meilleur que celui où il nous a été donné de naître. Ce qui est passionnant et très important, le fond de la question, c'est de poursuivre cette aventure tout au long de la vie.

Nous sommes plongés, nous vivons dans un système qui engendre une culture qui a besoin de faire de nous des acheteurs compulsifs. Parce que sinon, tout se bloque. Alors nous avons tendance à confondre le bonheur avec le fait d'avoir des objets neufs, et quelquefois, nous abandonnons les choses les plus sacrées, ce peu de choses qui sont toujours les mêmes et qui nous entourent. Ou bien tu apprends à être heureux avec les choses élémentaires de la vie, ou tu ne seras jamais heureux.

Qu'est ce que ça a à voir avec tout ça ? Je sais bien que mon discours est un peu celui d'un vieux rat. Mais enfin, les gamins, le défi que vous allez affronter est précisément la spirale de la culture engendrée par notre temps. Et il faut bien comprendre que ce qui peut s'appeler bonheur, c'est de se garantir du temps pour cultiver les amours, cette différence de la vie et des sentiments. Travailler, bien sur il faut travailler, parce que si tu ne travailles pas, tu vis au crochet de quelqu'un qui le fait. On ne doit pas être un parasite. Mais la vie, ce n'est pas seulement travailler : il faut se garantir du temps pour les relations humaines, les enfants, l'amour, pour celles et ceux qui viendront, parce que la vie s'en va. Ne vous laissez pas voler la liberté, parce que tu es libre seulement quand tu passes le temps de ta vie à ces choses qui te motivent sans emmerder l'autre. Le bonheur, c'est aussi un peu de solidarité.

Les enfants, je ne sais pas la voie que va prendre l'Argentine, je sais qu'elle va sortir de son angoisse, elle en est sortie mille fois. C'est un pays richissime et c'est peut-être là qu'est son malheur, dans son excès de richesses. Vous êtes responsables de ce qui va venir, consacrez votre existence à la cause humaine, n'oubliez pas celles et ceux qui ne peuvent pas venir à l'université, celles et ceux qui sont toujours courbés dans la solitude des champs et des montagnes, dans les galeries des mines. Etre universitaire n'est pas un privilège, c'est une exigence, celle de servir son peuple et de ne pas l'opprimer. Voilà. Bonne chance et à bientôt.



mercredi 27 décembre 2017

Evo Morales Ayma : Le temps s'achève pour nous


Discours de Evo Morales Ayma, 
Président de l'Etat Plurinational de Bolivie
Source : http://www.cancilleria.gob.bo/webmre/node/2361

Paris, 12 décembre 2017

Frères et soeurs de la presse,

Nous sommes à Paris en réponse à l'invitation du président Emmanuel Macron, du Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Gutierrez et d'autres organismes internationaux. Je profite de cette opportunité pour faire connaitre la position bolivienne sur ce Sommet de la Planète, qui représente un sommet pour la vie, pour l'humanité. Je salue le grand effort du président français qui, au nom de la France, au nom de la vie, nous a appelé, nous les présidents, les organismes internationaux, les experts qui étudient la vie, et particulièrement le futur des générations à venir.

Le temps s'achève pour nous. Alors que nous parlons, ouragans, tremblements de terres, inondations, sécheresses, pollution de l'air, pollution de nos océans et extinction des espèces qui en découlent, sont les conséquences directes du système actuel de production, de consommation et d'industrialisation sans mesure.

Frères et soeurs, le temps s'achève pour nous. Les 5 dernières années ont été les plus chaudes enregistrées dans l'histoire. Les concentrations de gaz à effet de serre continuent à augmenter. Le niveau de la mer continue à monter, les lagunes, les fleuves et leurs affluents sont en train de sécher. Au niveau global, la chaleur des océans atteint une température record.

La glace des deux pôles de la planète est en dessous de sa taille moyenne et nos cordillères perdent leurs couvertures blanches. Le temps s'achève pour nous. Les phénomènes extrêmes sont devenus le plus grand risque pour l'humanité en matière de santé, d'accès à l'eau et aux services de base.

Cette situation aggrave considérablement la crise humanitaire que vit l'Afrique et le Moyen Orient. Dans ma région, l'Amérique Latine et des Caraïbes, les derniers ouragans qui se sont abattus sur la Dominique, Antigua et Barbuda ont provoqué des dégâts qui atteignent 1.100 millions de dollars.

Nous devons attaquer les causes structurelles du changement climatique. Démonter le système de production qui ne se développe pas en harmonie avec la nature, modifier les modèles et la culture de la consommation sans fin, rénover notre relation avec la Mère Terre, en reconnaissant et en respectant ses droits.

Les pays qui ont plus de responsabilité historique sur les dommages à la Mère Terre doivent assumer un plus grand engagement réel et réaliser de plus gros apports.

Nous, les pays du Sud, qui étions avant des colonies et dont les ressources naturelles sont encore exploitées sans une juste rétribution, nous sommes ceux qui souffrons le plus des effets du changement climatique. Par ailleurs, nous sommes les pays qui apportons le plus en matière de réduction des gaz à effet de serre.

La Bolivie génère à peine 0.1% des gaz à effet de serre. Avec les arbres de notre Amazonie, nous capturons et nous nettoyons 2% mondial du dioxyde de carbone polluant. C'est à dire que nous apportons au monde 2% de l'oxygène de notre planète. Nous avons une équation environnementale positive, parce que nous émettons peu de gaz à effet de serre et que nous nettoyons ces gaz. Ainsi nous apportons au monde 20 fois plus d'oxygène que ce que nous polluons.

Pourtant, notre population souffre des terribles sécheresses ou inondations qui affectent sa vie quotidienne. Malgré ces difficultés, la Bolivie a investi ces dernières années plus de 1.600 millions de dollars en projets d'accès à l'eau, accomplissant ainsi les objectifs du millénaire. De plus, nous investissons maintenant 2.600 millions de dollars en diversification de nos sources d'énergie électrique avec des sources d'énergie alternatives et renouvelables.

Frères et soeurs de la presse,

Nous, les pays du Sud, nous sommes les gardiens de la Convention sur le Changement Climatique. Deux ans après la célébration de l'Accord de Paris, nous sommes à nouveau réunis, et nous débattons à nouveau sur les mêmes problèmes de blocage des financements pour une lutte efficace contre le changement climatique.

Si les pays développés ne respectent pas l'engagement de garantir les provisions pour le financement, le transfert de technologies et le développement des capacités, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs. Les pays industrialisés se sont engagés à faire une contribution annuelle de 100.000 millions de dollars pour ce que l'on appelle le financement climatique. Mais en deux ans, il n'y a eu l'assignation que de 10% de cette somme. 

Nous voyons avec une grande préoccupation que l'on envisage de transférer cette responsabilité au secteur privé. C'est une erreur historique gravissime. La privatisation de cette responsabilité apportera des conséquences irréversibles.

Frères et soeurs de la presse,

La privatisation est synonyme de capitalisme. On ne peut pas résoudre, avec plus de capitalisme, la crise provoquée par le capitalisme. Prétendre que ce système résolve la crise du changement climatique, c'est comme prétendre donner la responsabilité au renard de veiller sur le poulailler.

Certaines données nous montrent que, uniquement pour atténuer les effets du changement climatique, on doit investir environ 3% du PIB mondial, ce sont des données des Nations Unies. Le financement pour l'adaptation, l'atténuation, la technologie, les forêts, devrait être de 6% du produit national brut des pays développés.

Lamentablement, on dépense plus pour la guerre que pour combattre le changement climatique et ses conséquences. Un exemple clair de tout cela est ce qui arrive avec le principal pollueur de l'histoire de la planète : Les Etats-Unis. Il abandonne l'accord de Paris, méprise la communauté internationale et sa priorité, c'est la guerre, les interventions. Sa dépense militaire pour 2018 arrivera presque à 700 000 millions de dollars.

En tournant le dos à l'accord de Paris et en utilisant tant de ressources pour la guerre, les Etats-Unis ne sont pas seulement en train de construire des murs physiques entre frères, ils construisent le pire des murs dans le monde entier : le mur entre la vie et la mort, le mur qui peut priver nos générations futures de leur droit à la vie. Les Etats-Unis sont la principale menace contre la famille humaine et contre la Mère Terre.

Frères et Soeurs,
C'est pour toutes ces raisons et beaucoup d'autres que nous suggérons les tâches urgentes suivantes, ce sont nos 10 propositions pour cette conférence :

  1. Reconnaître et respecter les droits de la Mère Terre, son droit à exister et à être respectée intégralement, à maintenir ses cycles vitaux et ses processus évolutifs, à la génération, à la restauration et à la protection de ses structures génétiques.
  2. La création du Tribunal de Justice Climatique, contraignant, pour qu'il juge et sanctionne les responsables du dommage climatique.
  3. Reconnaître et solder la dette climatique historique des pays industrialisés envers la planète à cause de la sur-exploitation des ressources naturelles.
  4. Reconnaître les services basiques comme des droits humains : l'eau et l'énergie ne doivent pas être un commerce privé, mais un service public.
  5. Les ressources de la guerre doivent être re-dirigées et utilisées pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique, elles doivent servir à faire face aux graves conséquences des catastrophes climatiques.
  6. Construire un nouvel ordre économique financier mondial, où les relations soient basées sur la complémentarité et la solidarité, et non sur le profit, l'individualisme et l'exploitation.
  7. La reconnaissance des droits des peuples du monde à accéder à égalité de conditions aux avancées de la science et de la technologie.
  8. Nous devons récupérer les savoirs ancestraux des Peuples indigènes pour vivre en harmonie avec la nature.
  9. Nous devons construire une nouveau paradigme de production, de consommation, de développement et de lien avec la Mère Terre : C'est le "Bien Vivre".
  10. Au niveau politique international, notre devoir est de défendre le multilatéralisme, l'égalité, la souveraineté des Peuples, et notre droit à la Paix, la Paix avec justice sociale, avec la dignité et la souveraineté des peuples.
Frères de la presse,

Le temps s'achève pour nous. Si nous voulons remporter ce défi global, notre lutte doit être contre le capitalisme, contre le colonialisme et contre l'impérialisme. L'être humain ne peut pas vivre sans la Mère Terre mais la Mère Terre peut mieux exister sans l'être humain.

Voici notre proposition pour cette conférence sur la planète convoquée par le président de France.
Merci beaucoup.

Paris 12 décembre 2017
Traduction : CM




vendredi 23 juin 2017

"Cent ans de solitude", un manuel d'histoire de Colombie

L'oeuvre majeure de Garcia Márquez continue à être un manuel d'histoire. Sans ce livre, la Colombie n'aurait, par exemple, pas entendu parler du massacre des bananeraies.

Par Antonio Caballero



On fête les 50 ans des "Cent ans..." et le grand roman est toujours intact comme s'il avait été enterré vivant. Il continue à être le manuel d'histoire de la patrie qui n'existait pas dans mon enfance, quand sévissait le manuel d'histoire chauviniste des frères siamois Henao et Arrubla depuis de nombreuses décennies. Tant est si bien que c'est en lisant les "Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia Márquez, que de nombreux colombiens ont découvert avec étonnement que ce pays avait toujours été ensanglanté par les guerres civiles, ravagé par les horreurs commises réciproquement entre libéraux et conservateurs, dévasté par les trahisons des uns et des autres, paralysé par les imbroglios d'avocats vêtus de noir.
Et aveuglé par les mensonges.
En somme, ou pour résumer : Ils ont découvert l'histoire vraie.

Ils ont dû la découvrir dans la fiction du roman. Non pas en l'absence d'une histoire plus véridique que celle des deux jumeaux hissés dans leurs hauteurs académiques plus ou moins inaccessibles. Car, il y a 50 ans, quand ont été publiés les "Cent ans...", des livres plus sérieux et moins enthousiastes avaient succédé à la version édifiante et édulcorée de Henao et Arrubla. Mais la conscience de l'histoire nationale ne nous avait jamais imbibés comme elle le fit, pratiquement du jour au lendemain, grâce à ce roman. Ce fut une révélation. Personne ne savait, pour citer un exemple presque anecdotique mais d'une grande importance symbolique, que la grande tuerie officielle des grévistes des bananeraies de la United Fruit avait eu lieu dans notre beau pays de Colombie. A l'époque, cela avait été dénoncé au Congrès par Jorge Eliécer Gaitán qui y gagna sa réputation de dangereux révolutionnaire, jusqu'à en arriver à être assassiné. Mais le fait avait été escamoté des manuels officiels et on avait accepté sans discussion et pour toujours "ce qui était établi dans les dossiers juridiques et dans les textes de l'école primaire : Que la compagnie bananière n'avait jamais existé" comme l'écrit García Márquez. Je dis que ce fut une révélation, mais assez rapidement, enterrée sous les montagnes de compliments sur l'imagination débordante de l'auteur : Réalisme magique, belles femmes qui montent au ciel accrochées à un drap, spectres des ancêtres qui saluent les visiteurs, vaches qui donnent naissance à des triplés, etc... Car, évidemment, pour les autorités, il n'est jamais bon que l'on sache la vérité.

Il s'est passé un demi-siècle. Que "Cent ans de solitude" soit un livre d'histoire, semble aujourd'hui une évidence. Le président Juan Manuel Santos Calderón et le commandant guérillero Rodrigo Londoño Echeverri l'ont reconnu dans leurs discours à l'occasion des signatures à répétition de la paix, car l'ayant vraisemblablement lu, chacun a cité un passage choisi du roman. Pour l'un, un passage sur l'incarnation de l'Etat et de l'establishment, pour l'autre, un passage parlant de la subversion. Car il y en a pour tous les goûts : C'est un roman qui correspond à la réalité. Pas du réalisme magique : du réalisme réel. De l'hyper-réalisme.

Et il est arrivé à ce livre littéralement "magistral", c'est à dire "destiné à la formation des maîtres", la même chose qu'aux guerres des Aurelianos et aux folles nuits des José Arcadios qui remplissent ses pages : Cela n'a rien enseigné à personne. Car c'est la répétition d'une litanie ou (comme le découvrait encore et encore, et chaque fois avec surprise, la mémorable Ursula Iguarán, matrone quasiment immortelle de la famille Buendia du roman) la démonstration pratique que le temps tourne en rond, comme la Terre autour du soleil. C'est pourquoi "Cent ans..." a pu être utilisé contre l'intention qui fut à son origine (pas au niveau romanesque, mais en matière pédagogique) : Ce n'est plus une dénonciation de la mascarade et de l'ignominie. On l'a converti -lamentablement- en piège commercial pour l'industrie touristique. "Cent ans de solitude" est sans aucun doute comme les contes de fées. Mais comme ils l'étaient à l'origine : un mélange inextricable de fantaisie et de réalité, d'observation et de poésie, sans la niaiserie édifiante qui leur a été ajoutée ensuite. Un conte où le petit Chaperon rouge est vraiment mangée par le loup, comme celle en chair et en os de la légende populaire originelle. Et qu'ils ont voulu transformer en produit des superproductions bien-pensantes de Disney.

Il n'y a rien de plus "réaliste magique", au sens de magie maléfique, que l'utilisation publicitaire de la littérature de Gabriel García Márquez : sa conversion, sa tergiversation, sa perversion en attrait touristique. Un bon exemple en est la reconstruction de la maison natale de l'écrivain à Aracataca, avec un bon paquet de millions d'argent public, mille fois plus luxueuse et sans aucune ressemblance avec l'originale, pour les affaires rentables des autorités locales. Il y a deux ans, quand l'écrivain est mort, un maire du village en est arrivé à l'impudeur extrême de demander qu'on lui fasse cadeau d'un petit peu de ses cendres pour qu'en les exposant, il y ait un afflux de visiteurs comparable à celui des pèlerins de la Grotte de Lourdes, où est apparue la Vierge.

Il y a aussi perversion quand on inverse le sens de la fameuse phrase finale et désolée de l'épopée tragique, le "il n'y a pas de deuxième opportunité sur la Terre", en consigne dynamique consolatrice, en pensée positive digne d'un livre de développement personnel : Ah ! Maintenant, oui, la Colombie va avoir une deuxième opportunité ! On la transforme, on la transmute en phrase aussi vide et aussi faussement joyeuse que celle de l'hymne national composé par le politicard Rafael Núñez, président perpétuel de la Colombie : "Dans les sillons de la douleur, le bien germine déjà" (En surcos de dolores el bien germina ya). La lecture optimiste de la phrase désolée est aussi fausse que celle de l'hymne. Il n'y a toujours pas de deuxième opportunité. Le bien ne germine pas encore et les douleurs continuent à être semées dans les sillons. 

Au début du roman, le village de Macondo se reflète dans "une rivière aux eaux diaphanes". A la fin, quand le flux qui courrait entre des pierres aussi grandes que des oeufs préhistoriques est devenu, comme celui de tous les fleuves de la Colombie d'aujourd'hui, un déversement d'égout, l'entreprise bananière des gringos le déplace plus loin après le cimetière du village, pour qu'il ne gêne pas. Serait-ce à nouveau du "Réalisme magique" ? Ou plutôt l'observation prémonitoire, simple et crue, de la réalité : Le cadavre du romancier ne s'était pas encore refroidi que les multinationales minières Glencore et Bilinton, propriétaires de la mine de Cerrejón, dans la Guajira, ont déplacé le cours de la rivière Rancherias parce qu'elle les gênait là où elle était. Et en même temps, ils l'ont séchée une fois pour toutes.

On oublie manifestement, au milieu des fastes et hommages rendus pour le demi-centenaire du grand livre, que García Márquez est un écrivain subversif.





dimanche 11 décembre 2016

A cheval avec Fidel



Ils disent que sur la place, ces jours-ci
On a vu chevaucher Camilo et Martí
Et devant cet équipage,
lent et sans cavalier,
il y avait un cheval pour toi.

Reviennent les blessures incurables
des hommes et des femmes
qui ne te laisseront pas partir.
Aujourd'hui, nous avons le coeur qui bat, là-bas,
et ton peuple, même s'il a mal,
ne veut pas te dire adieu.

Hombre, nous sommes reconnaissants et t'accompagnons
nous avons tant rêvé de tes exploits
la mort elle-même ne peut croire qu'elle s'est emparée de toi.
Hombre, nous avons appris à te savoir éternel
comme Olofi et Jésus-Christ
Il n'y a pas un autel sans une lumière pour toi.

Aujourd'hui, je ne veux pas t'appeler "Commandant",
"Barbudo" ou "Géant", tous ces noms que je sais de toi.
Aujourd'hui je veux t'appeler "Père"
Ne lâche pas ma main
Je ne sais pas bien marcher sans toi

Hombre, nous sommes reconnaissants et t'accompagnons
nous avons tant désiré tes exploits
la mort elle-même ne peut croire qu'elle s'est emparée de toi.
Hombre, nous avons appris à te savoir éternel
comme Olofi et Jésus-Christ
Il n'y a pas un autel sans une lumière pour toi.
(bis)

Ils disent que sur la place ce matin
il n'y a plus d'espace pour les chevaux venus d'autres confins
et qu'une foule désespérée de héros aux dos ailés s'y est rassemblée.
Et devant cet équipage,
lent et sans cavalier,
il y a un cheval pour toi.

Ecrit par Raúl Torres (auteur-interprète) en hommage à Fidel
Merci à Lydia et à Danilo


mercredi 7 décembre 2016

L'histoire du tissu qui a enveloppé le Palais de Justice

Il y a quatre ans naissait l'atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" à Bogotá. Et naissait aussi l'idée d'envelopper le Palais de Justice avec des tissus brodés et tissés racontant les histoires de centaines de victimes du conflit armé. 
Ce 4 décembre 2016, le rêve est devenu réalité. 
Quarante organisations de brodeuses y ont participé.

Source :  El Espectador

 Des dizaines de brodeuses ont cousu les histoires vécues par leurs communautés pendant un demi-siècle de conflit.

En comptant leurs pas et à l'œil nu, deux femmes de l'atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" de Bogotá ont mesuré la taille de la zone qui entoure le Palais de Justice puis se sont embarquées dans le rêve "un peu fou" de l'entourer avec des grandes toiles tissées ou brodées. "Il n'y a jamais assez de tissus" ont dit les couturières qui voulaient construire la paix à travers un acte symbolique où la mémoire pourrait entourer la justice. Car selon elles, la justice continue à manquer dans les centaines de maisons de femmes colombiennes qui, à travers leurs broderies, font mémoire des souvenirs tragiques de la guerre et traduisent leurs espérances et leur soif de paix.

Plus de 500 mètres de tissu ont été nécessaires pour entourer le Palais de Justice au centre de Bogotá et atteindre l'objectif que s'était donné il y a quatre ans ce groupe de femmes qui se réunissaient pour coudre et cicatriser leurs blessures avec d'autres victimes du conflit. Quarante et une couturières des zones les plus vulnérables du pays, qui ont souffert les ravages de la guerre pendant un demi siècle, ont rejoint l'initiative. Des femmes qui venaient de El Placer (Putumayo), Bojayá (Chocó), Montes de María (Bolívar) ou de l'est d'Antioquia. Des dizaines d'organisations de défense des droits humains se sont unies à l'événement, qui cherchait à inclure les passants invités à raconter comment ils ont été affectés par le conflit, ce qui les a le plus impactés et de quelle manière ils construisent la paix.

L'an dernier, l'Atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" est parti en car avec "40 femmes un peu folles, dont seulement deux avaient été invitées" à une rencontre du Réseau National des Brodeuses pour la Mémoire et pour la Vie. Elles ont découvert les travaux des différentes régions du pays, qui relataient les récits des femmes victimes de la violence de genre, celles qui avaient des parents disparus et celles dont les époux et les fils ont été assassinés. "Cet événement est conçu pour rendre visible la douleur d'autrui, comprendre que cette douleur est aussi notre douleur" explique Ofelia Castillo, directrice de la Fondation Tierra Patria.

Au cours de cette initiative, à laquelle ont participé d'autres collectifs de victimes et où des présentations théâtrales et musicales ont eu lieu, s'est exprimée la nécessité que justice soit faite. A deux heures de l'après-midi, l'assemblage de tous les tissus a commencé, après que les victimes du conflit et les brodeuses aient discuté avec les personnes présentes. Sonia Cifuentes, de l'Association Minga et de l'Atelier Couture Kilomètres de Vie et de Mémoire, souligne que l'objectif était de montrer "les histoires de douleur, les résistances et les rêves que nous avons. Reconnaitre que, tout en étant des victimes, nous construisons des récits depuis l'espérance, la joie et la diversité. C'est un processus de guérison des autres violences qui ont été vécues dans le pays".

Les brodeuses de Mampuján, à María la Baja (Bolívar), dont les familles, la communauté et le territoire ont été dévastés par le conflit, sont une des grandes références dans le pays en matière de réconciliation et de pardon. Avec leurs broderies qui se caractérisent par de multiples couleurs et des dessins de fleuves et de montagnes, elles font mémoire des années où les balles des paramilitaires de Diego Vecino, les menaces, les disparitions et les tortures ont détruit leur environnement. Mais tout n'est pas que tragédie, leurs travaux reflètent aussi les désirs de paix et l'espoir de reconstruire ces liens qui auparavant les tissaient ensemble en société.

"L'idée, c'est que avec toutes ces expériences face au conflit, les espérances de paix que nous avons puissent protéger, recouvrir le Palais de Justice. En plus, c'est une façon de montrer comment nous avons pu nous réconcilier, pardonner et aimer. C'est difficile de parler de paix à partir d'un cœur plein de haine. Nous devons nous réconcilier avec nous-mêmes et avec la nature, parce que nous lui avons fait beaucoup de mal" souligne Juana Alicia Ruiz, leader de l'organisation "Femmes qui tissent des rêves et des saveurs de paix".

A la Fondation Tierra Patria, une organisation de femmes afro-colombiennes victimes du conflit sur la Côte Caraïbe qui fait de la pédagogie pour la paix et les droits humains depuis plus de 15 ans, elle brodent leurs récits depuis 2014. Elles ont commencé avec un petit atelier à Cartagena et aujourd'hui, elles sont 200 femmes à broder. "Nous nous sommes rendues compte qu'il était nécessaire de trouver des espaces pour dialoguer et faire des accompagnements sociaux de manière collective. La couture a été la meilleure manière parce que c'est quelque chose du quotidien. Nous avons toutes appris à coudre l'ourlet d'un uniforme. C'est un espace pour dialoguer et soigner, où nous faisons aussi des ateliers de design, graphisme, peinture, gravure et autres techniques".

"Les femmes ne comprenaient pas le concept de mémoire historique, et chercher à représenter leurs sentiments était difficile. Nous leur avons dit qu'il ne s'agissait pas seulement de broder les faits traumatiques vécus par la communauté, mais aussi d'arriver à penser un futur différent, comme par exemple, qu'un déplacement leur avait permis de créer de nouveaux projets de vie. Broder est un processus qui n'en finit jamais, car une année après, elles modifient tout ce qu'elles avaient fait avant. Dans les ateliers de Montes de María et de Carmen de María, elles n'ont pas voulu recommencer à raconter leurs tragédies. Ce n'était pas une manière de fuir leurs sentiments de tristesse, c'est seulement qu'elles ont voulu se penser au futur et fermer les cycles de guérison" explique Ofelia Castillo.

A Sonsón, une de ces nombreuses communes de l'Est du département d'Antioquia qui était dans la zone d'influence *(des paramilitaires ACCU et) du Bloc José María de Córdoba de las Farc, les ateliers se sont mis en place lentement. Luz Dary Osorio, membre de l'Atelier des Couturières de la Mémoire de Sonsón, explique qu'elles n'aimaient pas coudre au début mais qu'en voyant la puissance de guérison et de reconstruction du tissu social de ces réunions, elles ont compris que c'était un espace pour se redéfinir en tant que personnes.

"Nous avons compris que la propre douleur pouvait être moindre que celle du voisin, que nous ne connaissions pas et dont nous ne savions pas qu'il était aussi victime du conflit. Avec l'atelier, nous avons vu que, entre nous toutes, nous étions capables d'affronter ce qui nous est arrivé, de guérir, de vivre sans nous enfermer et d'arrêter que l'on continue à nous écraser. Aujourd'hui, on n'aime pas être traitée de victimes, parce que ce n'est plus ce que nous ressentons. Ils nous ont amené des psychologues, et moi je n'aimais pas ça. C'est pour ça que les ateliers de couture, ont été pour moi la meilleure des thérapies, parce qu'avec la couture, je façonne ce que je ressens et je n'ai pas à le raconter : Je le brode" explique Luz Dary Osorio.

A six heures du soir, le grand ruban de toile a commencé à être replié. L'objectif était atteint : Reconstruire la mémoire et le tissu social à partir de la vision des différentes victimes du conflit en Colombie. Il manquait bien des points, des fils et des motifs pour rappeler des milliers de colombiens. Mais l'espoir que ces toiles soient des symboles contre l'impunité et l'injustice était apparu clairement. Les couturières sont l'exemple fidèle du pays qui n'oublie pas.

*(note de la traductrice CM)


jeudi 7 janvier 2016

Le radeau de la Méduse


L'autre jour, au Louvre, je suis restée longtemps face au radeau de la Méduse, ce tableau grand format sombre et glaçant, peint par Géricault en 1819. J'ai été frappée par les paroles d'un homme qui expliquait l'histoire de l'oeuvre à son fils. Je me suis souvenue des paroles de ma mère qui était institutrice : Elle venait chaque année au Louvre avec ses élèves et chaque année elle expliquait la même histoire face au radeau. Avec quasiment quarante ans de différence, les mots de l'homme et ceux de ma mère étaient semblables... Je me suis rendue compte que, face au drame de ce naufrage, il y avait une tradition orale construite autour de questions pour attirer l'attention, pour s'approcher collectivement de la tragédie et arriver au point culminant de l'espérance minuscule.

Un très bon reportage
La Véritable histoire de la Méduse

Si dans l'article, vous trouvez des erreurs de syntaxe ou des fautes d'orthographe, merci de les signaler en commentaire ! 

mardi 5 janvier 2016

La visite au Louvre


Dimanche dernier, je suis allée au Musée du Louvre. Je l'ai fait parce qu'il pleuvait et parce que l'entrée est gratuite les premiers dimanche du mois. Je me suis souvenue de ma première visite, en famille...

Il n'y avait ni la pyramide ni ses fontaines, ni le passage souterrain entre les pavillons, ni les commerces du Carroussel mais c'était déjà le musée le plus visité au monde. C'était un espace public civilisé où, malgré sa notoriété, on pouvait encore jouir avec calme des représentations individuelles et collectives. La "démocratisation" du voyage en avion et l'accès globalisé à l'industrie du tourisme n'avaient pas encore produit ces régiments polyglottes de voyeurs qui assiègent quotidiennement les temples culturels. Là, dans ce musée d'alors, la densité humaine au mètre carré demeurait dans des limites acceptables et laissait quelque interstice pour la respiration des esprits, la surprise de la découverte et l'irruption de la délicatesse.

Depuis des siècles, la Joconde, la Vénus de Milo et la Victoire ailée de Samothrace sont des aimants symboliques, des images reconnues et remâchées qui attirent les foules sentimentales. Elles ont la vertu tranquillisante de proposer un ordre consensuel du monde, comme de s'agenouiller face à la Vierge de Guadalupe, se baigner dans le Gange ou faire des tours autour de la pierre noire de la Mecque. Quand le génie de la Révolution française a transféré dans des galeries publiques les collections privées de la monarchie, de l'aristocratie et de l'Eglise pour que l'ensemble de la société puisse en profiter, il poursuivait le même objectif que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui affirmait que "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" et il le localisait dans le champ du droit à jouir de la beauté, à s'émouvoir, à chercher le sens des choses à travers les sens. Il s'agissait - et il s'agit- d'abolir le privilège de la compréhension du monde, de diffuser le visage aimable et sensible de l'utilité publique, et de contribuer à la construction d'un miroir partagé de l'humanité.

Ce fut ainsi qu'en 1793, l'ancien palais royal fut transformé en "Muséum central des arts de la République" et qu'il s'enrichit ensuite avec les prises de guerre, les acquisitions, les donations et les découvertes archéologiques. Ce fut aussi comment on publia en 1794 "l'instruction sur la manière d'inventorier et de conserver, dans toute l'étendue de la République, tous les objets qui peuvent servir aux arts, aux sciences, et à l'enseignement" et que l'on commença à engendrer le culte du patrimoine national, l'augmentant sans rougir par une politique de spoliation des proches voisins autant que des terres envahies les plus lointaines. Sans aucun remords, la "République impériale" fut capable de justifier ses spoliations systématiques : "il existe des morceaux de peinture et de sculpture, et autres productions du génie ; considérant que leur véritable dépôt, pour l'honneur et le progrès des arts, est dans le séjour et sous la main des hommes libres". Il en fut vaillamment ainsi et il en est toujours ainsi, maintenant et ici : "L'universalité" a piétiné et continue de piétiner "l'altérité".

La qualité reliante (ou religieuse) des images étant bien démontrée et n'ayant aucun doute sur son pouvoir de création/récréation sociale, se considérant une digne représentation citoyenne en capacité de comprendre et de sentir le monde, et absolument certaine de la légitimité de son regard universaliste, notre famille entreprit son pélerinage au Louvre.

Dehors, le soleil d'août tapait fort, les arbres du jardin des Tuileries cherchaient à se rafraichir avec le murmure de leurs feuilles et le bassin de la cour carrée regardait le ciel silencieux. Les vapeurs de la coulée d'acier liquide de la Seine submergeaient ses rives dans une torpeur collante. Le contraste avec la pénombre estivale du musée s'avéra accueillante.

Nous sommes passés très rapidement dans les départements des antiquités grecques, étrusques et romaines. Nous nous sommes attardés un peu dans le département des sculptures. Et nous avons ignoré les couloirs du département des antiquités orientales et des antiquités égyptiennes. La priorité était à la peinture, et plus concrètement, UNE peinture : Qui vient pour la première fois au Louvre veut voir la Joconde. C'est un rite, un salut cérémoniel, un passage initiatique pour accéder au monde de "ceux qui croient parce qu'ils ont vu". Avec mon frère, nous voulions la voir parce qu'on nous avait parlé de Léonard de Vinci et de sa Mona Lisa à l'école.

Nous l'avons vue.
Nous avons vu ses yeux voyageurs qui fixent celui qui la regarde, où que soit le voyeur.
Nous avons vu son sourire mi-narquois mi-satisfait.
Nous avons vu le paysage bleu et vert, transparent, déphasé entre le côté gauche et droit du portrait.
Nous avons vu ses mains reposées l'une sur l'autre, tranquilles, sereines, simples.
Nous avons vu sa présence énigmatique protégée par une vitrine de verre.

Et nous n'avons pas compris.
Nous n'avons pas compris pourquoi tout le monde la regardait elle, se prenait en photo face à elle, se bousculait, se marchait sur les pieds pour l'atteindre : elle, petit portrait de femme de 77 x 53 cm... Alors que sur le mur d'à côté, se trouve la peinture colossale des Noces de Cana, avec ses 994 cm de large et 677 cm de hauteur, avec ses 132 personnages parmi lesquels se trouvent Jésus, Marie, la troupe apostolique, Véronèse lui-même qui peignit le tableau, avec d'autres amis peintres, Le Titien et Le Tintoret, et aussi François 1er, Marie d'Angleterre et Soliman le Magnifique : soixante sept mètres carrés de couleurs vives et l'eau changée en vin.

Ce que nous avons découvert et compris, c'est la qualité de "mouton" diffusée par l'industrie culturelle... Quand nous sortîmes du musée mon frère et moi, nous avions l'épine de l'altérité bien piquée dans la conscience.

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