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dimanche 13 décembre 2020

Trois manières de sortir de la pandémie. Boaventura de Sousa Santos


Entretien avec Bernarda Llorente.
Source : Página 12

Le sociologue essayiste portugais Boaventura de Sousa Santos est un grand penseur actuel des mouvements sociaux, auteur d'une oeuvre très étendue dans lequel se détachent des titres comme "Une épistémiologie du Sud", "La Démocratie au bord du chaos : Essai contre l'autoflagellation" et "La fin de l'empire cognitif". Depuis plusieurs décennies, il cherche à radiographier la vie et les modes de subsistance des communautés les plus vulnérables. Son champ d'action l'a amené à s'intéresser aussi bien aux conditions de vie dans un camp de réfugiés en Europe, qu'aux formes d'organisation des communautés originaires d'Amazonie ou des quartiers populaires de Buenos Aires. 

Sousa Santos est né au Portugal, il y a 80 ans, dans la ville de Coïmbra, où il réside la moitié de l'année depuis qu'il a pris sa retraite du poste d'enseignant de la Faculté d'Economie. Il a obtenu un doctorat en sociologie de l'université de Yale, et il a donné des cours à la Faculté de Droit de l'Université du Wisconsin-Madison aux Etats-Unis, où il passe l'autre moitié de l'année. Dans ses textes, il déconstruit les concepts classiques des sciences sociales pour comprendre le monde et les revitalise avec l'objectif de construire des savoirs "qui donnent de la visibilité aux groupes historiquement opprimés". 

  • Quel futur pouvons-nous espérer après la pandémie ? Comment serons-nous capables de penser et de construire le monde post-pandémie ?
La pandémie a créé une telle incertitude, que les gouvernements, les citoyens, les sociologues et les épidémiologistes ne savent pas ce qui va se passer. Je viens de publier "Le futur commence maintenant : De la pandémie à l'utopie" où j'explique que cette pandémie marque le début du XXIème siècle. De la même façon que le XIXème siècle n'a pas commencé le 1er janvier 1800 mais en 1830 avec la révolution industrielle, ou que le XXème siècle a commencé en 1914 avec la première guerre mondiale et la révolution russe de 1917, pour moi, le XXIème siècle commence avec la pandémie, parce qu'elle s'inscrira comme une marque très forte dans toute la sociabilité de ce siècle. Et elle le sera parce que, malgré tous les vaccins qui existeront, le modèle de développement, de consommation et de production que nous avons créé, amène à ce qu'il ne soit pas possible pour le moment de pouvoir en sortir. 

Nous allons entrer dans une période de "pandémie intermittente", de confinement/déconfinement où le virus aura des mutations, où il y aura un vaccin efficace pour certains et d'autres non, où viendront d'autres virus. Le néo-extractivisme, qui est une exploitation de la nature sans aucun précédent, est en train de détruire les cycles vitaux de restauration. Et donc l'ensemble des milieux sont affectés par l'exploitation minière à ciel ouvert, l'agriculture industrielle brutale, les insecticides et pesticides, la pollution des fleuves, la disparition des forêts... Tout cela, avec le réchauffement global et la crise écologique, fait que les virus passent de plus en plus entre les animaux et les humains. Or, nous, humains, nous ne sommes pas préparés, nous n'avons pas d'immunité, nous ne savons pas comment l'affronter.

  • Y'a-t-il une conscience de la gravité ? Y'a-t-il des solutions ?
Je vois trois scénarios possibles et je ne sais pas ce qui arrivera finalement. Le premier scénario, c'est celui qui a été mis en circulation fondamentalement par des gouvernements de droite et d'extrême droite (du Royaume-Uni aux Etats-Unis, en passant par le Brésil) et qui affirme que cette pandémie est une grippe, que ce n'est pas grave, que ça va passer et que la société reviendra rapidement à la normalité. Bien sur que cette "normalité" est un enfer pour une grande partie de la population mondiale. C'est la normalité de la faim, des autres épidémies, de la pauvreté, des quartiers délabrés, du logement insalubre, des travailleurs de la rue, de la débrouille. C'est un scénario distopique, très préoccupant. Parce que cette "normalité" équivaut à revenir à des conditions de vie que les gens ne supportaient plus et remplissaient les rues de nombreux pays en criant "Basta" (Assez!).

L'autre scénario possible, c'est ce que j'appelle le guépardisme, en me référant au roman de Lampedusa de 1958. C'est l'idée que tout change pour tout continue, pareil. Les classes dominantes d'aujourd'hui sont plus attentives à la crise sociale et économique. Les pages éditoriales du Financial Times sont un bon exemple de ce deuxième scénario. Elles disent clairement que ça ne peut plus continuer. Qu'il faudra modérer un peu la destruction de la nature et changer quelque chose dans la matrice énergétique. C'est faire quelques concessions pour que rien ne change et que le capitalisme redevienne rentable. Et donc, la destruction de la nature continuera et la crise écologique sera peut-être retardée mais non résolue. L'Europe s'engage un peu dans ce scénario, où l'on parle de transition énergétique, mais il me semble que cela ne va pas résoudre les problèmes. Cela retardera peut-être le mécontentement, les protestations sociales, mais cela ne pourra pas solder la question pandémique.

Le troisième scénario est peut-être le moins probable, mais il représente aussi la grande opportunité que cette pandémie nous a donné. C'est la possibilité de penser d'une autre manière : un autre modèle de civilisation, différent de celui qui vient du XXVIIème siècle, qui s'est approfondi ces 40 dernières années avec le néolibéralisme. Avec le coronavirus, les secteurs privilégiés sont restés plus longtemps dans leurs maisons, avec leurs familles, ils ont découvert d'autres manières de vivre. Bien sur, cela n'a concerné qu'une minorité, le monde n'est pas cette classe moyenne qui peut respecter la distanciation physique, se laver les mains, porter des masques... La grande majorité ne peut pas. Voilà la grande opportunité pour commencer une transition vers un nouveau modèle de civilisation, parce qu'il est impossible de le faire d'un jour à l'autre. Et cette transition commencera là où il y aura le plus de consensus. Cela fait longtemps que ce modèle est complètement cassé, d'un point de vue social, éthique et politique. Il n'a pas de futur. C'est un changement social, de connaissances, politique et culturel. 

Difficile de savoir quel sera le scénario qui prendra le devant. Peut-être aurons-nous une combinaison des trois. Le premier scénario dans certaines parties du monde, le deuxième dans d'autres, et de plus grandes avancées dans certains pays. La politique du futur dépendra fondamentalement du scénario qui prévaudra. C'est le conflit vital des prochaines décennies.

  • Le modèle de la transition alimente l'espoir d'une société différente, mais elle présuppose aussi des reconstructions politiques différentes, en termes idéologiques et économiques, des modèles de développement, sociaux et culturels, différents. Quelles seraient les utopies face à autant de distopies ?
Ce que le néolibéralisme a créé de pire, c'est l'absence d'alternative. L'idée qu'avec la fin du socialisme soviétique et la chute du mur de Berlin, il ne reste que le capitalisme. Et même, le capitalisme le plus anti-social, qui est le néolibéralisme dominé par le capital financier. En Argentine, ils ont eu une expérience très douloureuse avec les fonds vautours. Nous avons vécu ces 40 ans dans un confinement pandémique et politique : enfermés dans le néolibéralisme. La pandémie nous ouvre une espérance de sortir du confinement. Elle nous oblige à nous confiner et en même temps, elle nous ouvre les portes à des alternatives. Parce qu'elle dévoile que ce modèle est complètement vicieux. Il y a un capitalisme corsaire qui a rendu plus millionnaires ceux qui l'étaient déjà. Le propriétaire de Zoom, que nous utilisons tant en ce moment, peut gagner 1500 millions de dollars en un mois, alors qu'avant le confinement, peu de gens le connaissait. C'est le cas aussi de Jeff Bezos, avec Amazon. La hausse des achats en ligne a fait de lui le premier trillionaire du monde. Aux Etats-Unis, lui et 7 autres hommes ont autant de richesse que les 160 millions les plus pauvres du pays, qui représentent la moitié de la population. 

Voilà ce qu'est cette concentration actuelle de la richesse, dans un capitalisme sans conscience éthique. Le mot qui me vient en ce moment, c'est "Vol". Il y a eu vol. Et les défauts de ce modèle obligent à changer la politique et cela nous donne une espérance. Ce qui est le plus terrible aujourd'hui c'est la distribution inégale de la peur et de l'espoir. Dans les quartiers du monde, les classes populaires ont surtout peur. Elles luttent, elles continuent à lutter, avec créativité. Par exemple, pendant la pandémie, elles ont protégé les communautés. Mais, abandonnées par les Etats dans la plus grande partie des pays, elles ont très peu d'espoir.

  • Vous parliez du poids qu'ont aujourd'hui les entreprises digitales qui sont devenues les plus grosses entreprises de la planète, et qui dépassent les dimensions économiques et le pouvoir de très nombreux pays. Les GAFA représentent-elles un changement dans la matrice du néolibéralisme actuel et futur ? Comment ce changement influe-t-il dans nos vies ?
Avant la pandémie, nous parlions tous déjà de la quatrième révolution industrielle, dominée par l'intelligence artificielle, la robotique et l'automotion. Avec les impressions 3D, la robotisation, l'énorme développement des technologies digitales, nous devenons chaque fois plus dépendants de ces changements technologiques. La question est de déterminer si ces technologies sont un bien public ou si elles appartiennent à quelques propriétaires. C'est le problème, maintenant. Il y a des systèmes publics, par exemple celui de l'ONU, que l'on empêche d'être offerts au monde. Les entreprises le refusent parce qu'elles souhaitent continuer à faire leurs affaires. Et elles ne sont que quelques unes... Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA) et Ali Baba en Chine. Ce sont les grandes compagnies technologiques qui dominent le monde aujourd'hui et qui n'acceptent pas d'être régulées par quiconque. En ce moment, par exemple, la discussion au Congrès des Etats-Unis est claire : Mark Zuckerberg a dit qu'il n'accepte pas d'être régulé. Et comme ces entreprises ont tant de pouvoir, elles prétendents avec arrogance s'autoréguler en accord avec leurs propres intérêts.

  • En même temps, leur pouvoir dépasse le champ économique et joue un rôle fondamental en politique. La désinformation et les fake news qui arrosent les réseaux sociaux collaborent dans la dégradation des piliers structurels des démocraties.
Oui, évidemment... Et en plus, il y a cette contradition... Dans de nombreuses partie du monde, par exemple au Brésil, au Royaume Uni avec le Brexit, au Parlement européen, les fake news et l'usage des technologies digitales pour produire de fausses nouvelles ont eu un rôle fondamental dans les résultats électoraux. Bolosonaro, par exemple, n'aurait jamais été président du Brésil sans elles. Twitter est-il intervenu à ce moment-là comme il le fait aujourd'hui avec Trump aux Etats-Unis ? Non, parce que le patron de Twitter n'était pas brésilien. Twitter est intervenu quand la démocratie des Etats-Unis était en jeu. Si c'était celle du Bangladesh, d'Afrique du Sud, ou du Portugla, pas d'importance... C'est la liberté d'internet. Mais si on est aux Etats-Unis, alors là non, là on va fermer le robinet. Contradiction éternelle. Bien sur que cela appelle à une régulation plus large des réseaux au niveau global, mais manifestement, nous sommes dans un autre paradigme, où il faut travailler avec ces technologies, et en même temps, lutter contre tout le système des fausses informations.

  • Est-il possible d'y arriver ? A partir de quels mécanismes ?
C'est toute la question. Nous partons vers cette transition déjà très usés, très appauvris politiquement, parce que la politique s'est beaucoup appauvrie ces dernières 40 ou 50 dernières années. Parce que la Politique, c'est construire des alternatives. A une époque, le socialisme et le capitalisme avaient des choses en commun, par exemple, leur relation avec la nature. Mais il y avait un choix. Or, avec la chute du mur de Berlin, nous sommes restés sans choix, et donc les politiques se sont confinés dans le capitalisme et sont devenus médiocres. La politique a cessé d'être intéressante, même pour les jeunes, et les gens ont pris largement leur distance par rapport à elle. Il y a peu, j'ai discuté avec des gens qui travaillent sur le logement au Brésil, ils sont intéressés par l'idée de donner une maison digne à la population des sans-toits, mais ils n'ont pas participé aux dernières élections municipales. Parce qu'ils disent "Bof, on va élire l'un ou l'autre, mais ça ne change rien", et c'est là qu'est le danger. Que les gens pensent que les changements politiques ne changent rien, que c'est une forme de guépardisme. La politique doit recommencer à se construire. Je pense qu'à partir de maintenant, ce qui devra différencier la gauche et la droite, ce sera la capacité, parmi les groupes politiques, à créer des alternatives face au capitalisme, les alternatives d'une société différente, qui peut avoir différentes nuances. Cela sera peut-être une société qui reviendra à la prise en compte des intérêts des paysans et des indigènes du continent. Une société qui aura une relation plus harmonique avec la nature. Le capitalisme ne peut pas avoir une relation harmonique avec la nature, parce que sa matrice est dans l'exploitation du travail et l'exploitation de la nature. Donc la gauche doit prendre une dimension paradigmatique de changement vers une autre civilisation, alors que la droite va par contre continuer à toujours gérer le présent conformément aux deux scénarios évoqués plus haut. C'est la différence majeure du futur.

  • Vous évoquez différents concepts qui pourraient aider à changer les formes de construction politique. Quitter l'idée de l'utopie d'un "tout" pour la remplacer par des utopies multiples et variées, en accord avec la diversité des réalités et des rêves. Comment faire pour diversifier, segmenter, construire différentes utopies, et en même temps, faire grandir un projet global, qui soit capable de les structurer, les améliorer, les unir ?
Pour moi, ce qui est crucial dans notre temps, c'est exactement cette asymétrie avec la domination qui n'est pas seulement capitaliste, mais aussi colonialiste et patriarcale. A mon avis, le capitalisme ne fonctionne pas sans racisme et sans sexisme. Par contre, la résistance n'est pas articulée, elle est fragmentée, c'est pour cela que de nombreux partis de gauche, avec une vocation anticapitaliste, ont été racistes et sexistes. Il y a même eu des mouvements féministes qui ont été racistes et pro-capitalistes. Et certains mouvements de libération anti-raciale ont été sexistes et pro-capitalistes. Le problème auquel nous faisons face, c'est une domination articulée et une résistance fragmentée. Nous n'irons pas de l'avant comme ça, parce que nous savons que l'intensification du modèle est ce qui aggrave la vie des gens, et qu'un mode de domination amène les autres. Au Brésil, quand s'intensifie la domination capitaliste avec Temer puis Bolsonaro, le génocide des jeunes noirs dans les périphéries des villes a augmenté de manière brutale. Et la violence domestique contre les femmes et le féminicide a augmenté. Et donc, la domination est particulière. Nous avons besoin de sujets politiques globaux, en plus des locaux, et en plus des nationaux. Cette articulation est possible parce que quand les mouvements -au Chili ou les Black Lives Matter par exemple- partent d'une demande, qu'elle soit féministe ou anti-raciale, 


. Así no vamos a salir adelante porque sabemos que la intensificación del modelo es lo que agrava la vida de la gente, de un modo de dominación que lleva a los otros. En Brasil cuando se intensifica la explotación capitalista, con Temer y después con Bolsonaro, se incrementó de una manera brutal el genocidio de los jóvenes negros en las periferias de las ciudades. Aumentó la violencia doméstica en contra de las mujeres y el feminicidio. O sea, la dominación es particular. Necesitamos de sujetos políticos globales además de los locales, y además de los nacionales. Esta articulación es posible porque cuando los movimientos -Chile o los Black Lives Matter por ejemplo- parten de una demanda, sea feminista o anti-racial, al mismo tiempo, cuando ganan importancia, traen las otras demandas, el hambre o de la desigualdad social. Hoy el movimiento Black Lives Matter tiene una dimensión feminista también, y obviamente de oposición a este modelo capitalista tan desigual e injusto. Yo pienso que tiene que haber un cambio. En la dimensión local hay que volver a las barriadas. Hoy son los pastores evangélicos quienes hablan con la gente y les dicen que hay que votar a la derecha. Por eso pienso que no es solo la organización, sino tambien la cultura politica la que necesita cambios. --¿Qué prácticas y estrategias deberían modificar o reforzar los partidos y los movimientos sociales frente a esta nueva etapa? ¿Están preparados para el cambio? --¿Si me preguntan si los partidos opositores tienen ese perfil hoy? No, no lo tienen. Deben cambiar. Los partidos de izquierda se acostumbraron a esta dialéctica oposición-gobierno, ¿no? Y durante 40 años esa dinámica no tuvo alternativa civilizatoria, no se pudo pensar nada más allá del capitalismo. Independientemente del perfil ideológico de los gobiernos, hasta marzo las primeras páginas de los periódicos eran ocupadas por los economistas y las finanzas. Ahora con la pandemia son los médicos, los epidemiólogos, los virólogos. La pandemia nos obligó a cambiar. Entonces, creo que hay que ver otro modo de hacer política y otra manera de gerenciar la política. Yo pienso que parte de las izquierdas deben acostumbrarse a ser oposición para luego saber reconstruir. Tienen que ayudar a mejorar la vida de la gente. Pero las instituciones actualmente no permiten eso, porque tenemos todo un entorno global que no te deja, por ejemplo el capitalismo financiero. Entonces tendremos que encontrar otra forma de gobierno y hay que empezar a pensar en esa dimensión global. Conversación entre la socióloga Silvia Rivera Cusicanqui y el director del proyecto ALICE, Boaventura de Sousa Santos. ¿Y cuál sería el rol de las oposiciones? ¿Cómo construirse desde otras lógicas? --La política de gobierno es una parte de la política: fuera de eso tienes que tener otra política que es extra institucional, que no está en las instituciones sino en la formación de la gente, en la educación, en las calles, en las protestas pacíficas. Miren lo que está pasando en Chile antes de esta pandemia; fueron las mujeres, sobre todo, y los movimientos sociales. Ellos tuvieron un papel fundamental para traer a las calles cosas que la política misma no estaba dispuesta a hacer. Los partidos de izquierda, por increíble que parezca, no habían incluido en sus proyectos la causa mapuche cuando los mapuches habían sufrido con huelgas y asesinatos, y habían sido la oposición a los gobiernos de Chile. Y todavía están abandonados. Es necesario una protesta y un movimiento popular constituyente, donde las mujeres tengan un papel muy importante para tener en la política una gestión plurinacional. Los partidos son importantes pero los movimientos son igual de importantes. Tiene que haber una relación mas horizontal entre ambos. --¿La protesta, la calle, sigue siendo una de las principales herramientas de visibilización y resonancia política? --Las comunidades siguen teniendo una gran creatividad y esto forma parte de un movimiento de izquierda reconstruida, más abierta a toda esta creatividad comunitaria. No son simplemente las calles y las plazas, es la vivencia comunitaria que tendremos que intensificar. Porque las calles no son un emporio de las izquierdas, en esta década vamos a ver calles llenas de gente de extrema derecha. Yo vi a la extrema derecha entrar en las manifestaciones en Brasil. Las consignas de la izquierda, aprovechadas por la extrema derecha, y después dominando toda la protesta. Aquí en Europa sabemos muy bien eso, los Estados Unidos hoy, la gente contra Biden que no es propiamente de izquierda, y por otro lado los Prat Boys de la extrema derecha organizada y militarizada que ocupa las calles, y que va a hacer la política extraconstitucional, de las calles, de las protestas. --En Argentina se ha hablado mucho de "la grieta" como si fuera un fenómeno "nacional", único. Cuando se mira al mundo la polarización, sin embargo, parece ser el signo de estos tiempos. ¿Cómo afecta esta situación el funcionamiento de la democracia? --A mi juicio, durante mucho tiempo la teoría democrática, la idea más valiente, más segura, era que las democracias se sostienen en una clase media fuerte. Claro que yo, estando en Portugal, trabajando en África y en América Latina, no veía clases medias fuertes, lo que realmente veía era desigualdad social. Siempre me sentí como un demócrata radical, o sea, la democracia es mala porque es poca. Hay que ampliar la democracia en las calles, en las familias, en las fábricas, en la vida universitaria, en la educación. Entonces esta idea de que la polarización es contraria a la democracia, me parece que es cada vez más evidente cuando hablamos de democracia liberal. Sólo tiene sentido, o se refuerza, con una democracia participativa, con otras formas de participación de la gente que no sean democracias electorales, porque si son solo democracias electorales van a seguir eligiendo anti demócratas como Trump, Bolsonaro, Iván Duque, como tantos otros. Por eso la democracia muere democráticamente, por elección, por vía electoral. Hitler ganó dos elecciones en 1932, antes de su golpe. Creo que hay que fortalecer esa democracia con democracias participativas. La polarización, la desigualdad, provienen de esta polarización de la riqueza sin precedentes que hoy tenemos. A mayor desigualdad en la vida económica y social, más racismo, más discriminación y más sexismo. Entonces estamos en una sociedad en retroceso a nivel mundial, en retroceso reaccionario, donde el capitalismo es cada vez más desigual, más racista y más sexista. Esta es la realidad que tenemos hoy. --¿Como sería la forma de avanzar hacia una mayor participación, imprescindible para recomponer las democracias, con la exclusión social que arroja un modelo tan concentrado y desigual? --Tenemos que pensar en la transición. Y hoy debemos contar con políticas sociales, romper con el neoliberalismo, y para eso es necesario una reforma fiscal. Es inaceptable que los pobres y la clase media paguen 40% de impuestos, y los ricos el 1%. Que Trump haya erogado de impuestos federales 765 dólares, es impensable. Tiene que haber una reforma fiscal para dar políticas de educación, de salud. La otra cuestión es política, necesitamos una reforma constituyente. Las constituciones que tenemos congelaron una sociedad segmentada, no solo desde un punto de vista capitalista sino también racista y sexista. Tenemos que refundar el Estado. Los únicos países que tuvieron reforma política fueron Bolivia y Ecuador, e igual fracasaron. La misma idea fracasa muchas veces antes de tener éxito, antes de hacer historia. Los derechos de la madre Tierra, por ejemplo, no tuvo muchos resultados en Ecuador, pero veamos lo que pasó en Nueva Zelanda. Jacinda Arden, la primera ministra, una mujer fabulosa, la líder mundial en este momento después del Papa diría yo, esta señora promulgó una ley sobre los derechos humanos del río sagrado de los indígenas, y no fue simplemente eso, ha dado plata para regenerar, revitalizar los ciclos vitales del río. Es una revolución que no logró efecto en Ecuador, en Bolivia, en Colombia, como sí en Nueva Zelanda. Debemos articular los conflictos sociales con esa idea de Naturaleza porque esta es territorio, cultura, memoria, pasado, espíritu, conocimiento, incluso sentimiento paisaje". Pienso que las constituyentes van a ser un marco del futuro para deslegitimar el neoliberalismo y volver a la soberanía popular que va a permitir la soberanía alimentaria, que muchos países no tienen hoy. soberanía industrial, ¿cómo es posible que los Estados Unidos no produzcan mascarillas ni guantes, ni respiradores? Por eso, ¿es un país desarrollado? No sé. Sudáfrica ha defendido mejor la vida de la gente que los Estados Unidos. --El gobierno de Alberto Fernández comenzó en diciembre y tres meses más tarde debió enfrentar la pandemia, a la que se sumó la herencia de un país endeudado y una economía destruida. ¿Qué nos recomendaría a los argentinos, a los latinoamericanos, en este momento? --Yo soy un intelectual de retaguardia, no de vanguardia. No doy consejos: mi solidaridad, que es grande, es conversar con la gente. Yo pienso que es un continente en el que siempre ha habido una creatividad política enorme, y estas experiencias han dejado cosas muy interesantes. He hablado de Chile, también Bolivia, las elecciones ahora en Brasil. Alberto Fernández es un caso muy interesante y los describe mi último libro, porque es el único presidente que llega al poder y después viene la pandemia. Viene con un programa, pero el programa se vuelve la pandemia. Alberto Fernández tuvo un coraje enorme para enfrentarla. Un gran problema es la herencia brutal de neoliberalismo, de destrucción del Estado, de las políticas sociales, de la economía. Esa herencia es brutal y lleva tiempo la reconstrucción. Además, es una sociedad muy movilizada, con movimientos sociales y populares fuertes, el de mujeres es fortísimo y en estos días se expresa en la lucha por el aborto legal. Hay toda una sociedad muy creativa, y eso se nota. Esta es una gran oportunidad para repensar un poco la política y para volver a una articulación continental; yo pienso que la idea de matriz de articulación regional, como el ALCA, o UNASUR, fueron muy interesantes. Esta semana mirá lo que China y los países asiáticos están haciendo: el más grande conjunto de libre comercio, de articulación económica. Sin los Estados Unidos, y sin Europa; es mucho más grande que cualquier acuerdo europeo, mucho más grande que el tratado entre Estados Unidos, México y Canadá. Entonces, ¿por qué no entender que el continente no es el patio trasero de los Estados Unidos? Y tiene que tener más autonomía, porque son todos de desarrollo intermedio, de mucha población. Hay que reinventar y en este momento, sobre todo, hay que hacer una autocrítica. A las personas de izquierda no les gusta, porque viene de la época de Stalin, pero la autocrítica es la auto reflexión, es repensar las izquierdas. América Latina: el patio trasero Para entender los procesos políticos latinoamericanos, Boaventura de Sousa Santos pone la lupa en las asimetrías, en lo cultural. Estudia las democracias tribales, mira las economías urbanas, critica los sistemas educativos, se enfoca en lo múltiple, lo pluricultural. Sostiene que el Estado tiene que ser refundado porque esta democracia liberal ha llegado a su límite. Dice que las izquierdas del Norte global sean eurocéntricas no es novedad, pero que las izquierdas del sur sean racistas con los pueblos indígenas y afrodescendientes, es producto de la exclusión que produjo el capitalismo, el colonialismo y el patriarcado. --¿Cómo deberían plasmarse estos cambios en América Latina, la cual aparece como una Región en disputa? --Es esperanzador lo que está ocurriendo y nos tiene que llevar a reflexionar. Por ejemplo, el caso de Bolivia, es el único país que tiene la mayoría indígena del continente, 60% de la población. Yo pienso que los occidentales de izquierda, nosotros los blancos de izquierda, intelectuales, no entendemos los pueblos indígenas. Hay que ser muy humildes, porque no tenemos conceptos. Cuando ganó el MAS de nuevo, la sorpresa fue enorme, porque no imaginaban que los indígenas volverían tan rápido al gobierno. Porque no entienden el alma indígena. Después de la salida de Evo reconstruyeron el MAS, los liderazgos, se animaron de otra manera, con otra gente. --¿Hubo reflexión? ¿Hubo aprendizaje? --Estamos repensando todo y las cosas están cambiando. El contexto internacional de esos años hasta el 2014 permitió que en algunos países de América Latina como Brasil o Argentina la gente fuera menos pobre, sin que los ricos dejaran de enriquecerse. Hubo políticas de redistribución por parte de los gobiernos populares pero el ciclo de las comodities cambió y los modelos entraron en crisis. Cualquiera que hayan sido los errores cometidos en los procesos populares, sabemos que no pueden repetirse. Porque los precios de los commodities no están como estaban, porque las condiciones son muy distintas, y porque hay una deslegitimación de todo el modelo neoextractivista. La agricultura industrial tiene que disminuir, puede ser una transición, pero debe lograrse; si no diversificamos la economía, es un desastre. Eso ya lo sabemos. Me parece que ahora estamos en un punto de repensar las cosas. Con Alberto Fernández en Argentina, AMLO en México, son las dos esperanzas. AMLO es un poco más complejo que Alberto, a mi juicio. Tenemos bastantes avances en Chile, y la corriente para iniciar el proceso constituyente, que va a ser muy conflictiva de aquí en adelante. Entonces me parece que las cosas están cambiando, y que de alguna manera en América Latina se están dando respuestas porque la gente está, los movimientos sociales siguen luchando, aunque sea en pésimas condiciones como en Colombia.

vendredi 18 octobre 2019

Le bonheur, c'est de garantir du temps pour cultiver ses amours


José "Pepe" Mujica a participé la semaine dernière à une rencontre organisée par le centre des étudiants du Collège National de Buenos Aires. "Etre militant c'est dédier une partie importante de notre vie au sort des autres, avec l'utopie et le rêve que l'on peut construire un monde un peu meilleur que celui où il nous a été donné de naître. Le bonheur, c'est aussi un peu de solidarité" a-t-il affirmé face à des centaines de jeunes. Voici la traduction du discours complet de l'ex-président uruguayen

Source : Nuestras Voces

Ici, la majorité d'entre vous pourraient être mes petits-enfants, mais à votre âge, c'est naturel que les être humains fassent germer des utopies, qu'ils aient des rêves de monde meilleur. Le défi que vous allez devoir affronter tout au long de votre vie, c'est d'arriver à maintenir le feu sacré alors que la peau se ride, que les jambes ralentissent, que la vie se remplit de responsabilités et de défis, quand il faut payer les factures en fin de mois, quand tu fais des œdèmes en travaillant pour une multinationale et que tu regardes comment s'effilochent tes rêves au long de ta vie. Parce que l'histoire humaine est un cimetière d'utopies, mais que grâce à ça, nous avançons. Parce que nous avons toujours une bien plus grande capacité de rêver que de capacité à concrétiser. Mais comment vivre sans rêves ? Comment ce serait que d'être une brique, une pierre et de ne pas avoir de sentiments, d'émotions et d'engagements ?

Eh oui, les enfants, l'unique miracle qu'il y a sur cette terre pour chacun d'entre vous, c'est d'être né, c'est quelque chose de si quotidien pour chacun qu'on ne s'en rend pas compte. Il y avait quarante millions de probabilités que ça tombe sur quelqu'un d'autre et c'est tombé sur toi. Mais la vie s'en va plus vite que ce qu'il n'y parait. Et cette particularité n'est pas simplement humaine, c'est commun au monde vivant. Le monde vivant a quelque chose de différent du monde inerte, il a des sentiments et des émotions. Parce qu'une tortue qui pond des oeufs a des émotions, comme la poule qui prend soin de ses poussins. Et l'herbe qui se reproduit, avant de mourir, se fait graine pour se semer. C'est sa manière de sentir. La différence humaine, c'est que nous sommes conscients. En plus de vivre, nous pouvons nous refléter dans une conscience. Et puisque naître t'est tombé dessus, la question est : Que fais-tu de ta vie ? Ta vie sera-t-elle celle d'un sujet débiteur de comptes, qui confond être et avoir et à qui le marché finit par organiser le coeur, les relations humaines et tout le reste ? Ou bien, ta vie, tu seras capable de lui donner un contenu et d'être en partie auteur de sa trajectoire ?

Nous sommes ici par la solidarité des générations qui ont fait possible une accumulation de connaissances, transmises de génération en génération. D'autres viendront et vous, vous allez avoir d'autres défis, des grands défis. Nous sommes en train d'organiser dans ce monde une gigantesque marmite pour frire les choses vivantes et vous, vous allez devoir vous battre contre cet égoïsme qui nous menace d'un holocauste écologique. Vous êtes d'abord argentins, mais vous êtes aussi latino-américains, et frères de tous les peuples pauvres qui sont en Amérique. Vous avez la vie devant vous, ne trahissez pas cette belle étape de votre vie. Appliquez ou transformez consciemment les moments, et prolongez ce bel âge qui vous est donné de vivre. Et ça, ça ne dépendra que d'une chose qui s'appelle la volonté.

La vie militante, ce n'est pas une récompense, c'est une aventure. C'est avoir une raison de vivre et pas seulement vivre parce qu'on est né. Etre militant, c'est dédier une partie importante de notre vie au sort des autres, avec l'utopie et le rêve que l'on peut construire un monde un peu meilleur que celui où il nous a été donné de naître. Ce qui est passionnant et très important, le fond de la question, c'est de poursuivre cette aventure tout au long de la vie.

Nous sommes plongés, nous vivons dans un système qui engendre une culture qui a besoin de faire de nous des acheteurs compulsifs. Parce que sinon, tout se bloque. Alors nous avons tendance à confondre le bonheur avec le fait d'avoir des objets neufs, et quelquefois, nous abandonnons les choses les plus sacrées, ce peu de choses qui sont toujours les mêmes et qui nous entourent. Ou bien tu apprends à être heureux avec les choses élémentaires de la vie, ou tu ne seras jamais heureux.

Qu'est ce que ça a à voir avec tout ça ? Je sais bien que mon discours est un peu celui d'un vieux rat. Mais enfin, les gamins, le défi que vous allez affronter est précisément la spirale de la culture engendrée par notre temps. Et il faut bien comprendre que ce qui peut s'appeler bonheur, c'est de se garantir du temps pour cultiver les amours, cette différence de la vie et des sentiments. Travailler, bien sur il faut travailler, parce que si tu ne travailles pas, tu vis au crochet de quelqu'un qui le fait. On ne doit pas être un parasite. Mais la vie, ce n'est pas seulement travailler : il faut se garantir du temps pour les relations humaines, les enfants, l'amour, pour celles et ceux qui viendront, parce que la vie s'en va. Ne vous laissez pas voler la liberté, parce que tu es libre seulement quand tu passes le temps de ta vie à ces choses qui te motivent sans emmerder l'autre. Le bonheur, c'est aussi un peu de solidarité.

Les enfants, je ne sais pas la voie que va prendre l'Argentine, je sais qu'elle va sortir de son angoisse, elle en est sortie mille fois. C'est un pays richissime et c'est peut-être là qu'est son malheur, dans son excès de richesses. Vous êtes responsables de ce qui va venir, consacrez votre existence à la cause humaine, n'oubliez pas celles et ceux qui ne peuvent pas venir à l'université, celles et ceux qui sont toujours courbés dans la solitude des champs et des montagnes, dans les galeries des mines. Etre universitaire n'est pas un privilège, c'est une exigence, celle de servir son peuple et de ne pas l'opprimer. Voilà. Bonne chance et à bientôt.



lundi 28 novembre 2016

L'exemple de Marcos Ana : Une arme chargée de futur

 Marcos Ana, communiste poète espagnol, est mort ce jeudi 24 novembre l'âge de 96 ans


Source : www.publico.es

Par Alberto Garzón Espinosa, coordinateur de Izquierda Unida
       Esther López Barceló, responsable de la mémoire démocratique de Izquierda Unida

"L'unique vengeance à laquelle j'aspire, c'est de voir triompher les nobles idéaux de liberté et de justice sociale". Ces mots décrivent l'esprit d'un homme qui avait été baptisé Fernando Macarro mais qui décida de changer de nom en prenant ceux de son père et de sa mère : Marcos Ana. Ce beau geste n'était pas un caprice mais correspondait à une nécessité : Il fallait éviter la censure franquiste.

Marcos Ana était né au sein d'une famille de journaliers et il abandonna ses études à douze ans pour aller travailler. Il a vécu ses années d'enfance entre Ventosa del río Almar et Alcalá de Henares. Les dures conditions économiques qui ont marqué les premières années de sa vie ont fait émerger sa conscience de classe, et c'est à seize ans qu'il décida d'entrer aux Jeunesses Socialistes Unifiées. Il était donc très jeune quand survint le traumatisme du coup d'Etat et son engagement politique le porta à participer activement au Front de Madrid pour défendre la IIe République avec le cri "¡No pasarán!".

Pendant les tristes années de la guerre, il perdit son père, assassiné au cours d'un bombardement de la Légion Condor, envoyée par Hitler pour aider Franco dans son entreprise de destruction de la population civile espagnole pendant la guerre civile.

Marcos Ana a été également de ceux qui, parmi les milliers de défenseurs de la démocratie et de la IIè République, traversèrent le pays en mars 1939 pour rejoindre le port d'Alicante. Toutes les forces politiques démocratiques et les organisation syndicales qui avaient affronté le coup d'état franquiste s'y concentrèrent en y cherchant l'unique sortie possible, au vu de la victoire imminente du fascisme. Comme aujourd'hui, des milliers et des milliers de personnes, des familles entières, se rassemblèrent face à la Méditerranée en espérant embarquer vers la paix.

Mais, il y a 77 ans, le port d'Alicante devint une prison aquatique. Les bateaux tant attendus ne sont jamais arrivés à cause du blocus que maintenait la flotte fasciste. A la fin de la guerre, Marcos Ana se trouvait toujours à Alicante comme tant d'autres. Détenu par les troupes fascistes italiennes, il serait alors déporté au trop célèbre Camp des Amandiers, qui se retrouva sans fruits le premier jour et sans feuilles au quatrième, à cause de la faim. Il fut ensuite déporté au camp de concentration de Albatera dont il échappa grâce à sa mine de jeunot.

Mais l'Espagne toute entière commençait à devenir une vaste prison, un bagne insatiable qui ne cessait de creuser des fosses. Elle était aussi pleine de mouchards et d'espions franquistes. C'est ainsi qu'un indic de la police le dénonça à la police franquiste et qu'il fut de nouveau détenu. Après la guerre civile, la paix n'est jamais arrivée, mais plutôt la dictature. Une dictature qui dura 40 ans, pendant lesquels Marcos Ana passa 23 ans en prison. C'était la condamnation d'un combattant de la démocratie.

Il a souffert de la vie carcérale à Porlier, Ocaña et Burgos, en passant par les tortures et les humiliations généralisées par la Direction Générale de la Sécurité située à la Puerta del Sol, symbole de la répression du régime, par les fenêtres de laquelle fut lancé le corps de Julián Grimau après une raclée, pour ensuite le fusiller complètement décomposé. Mais l'humanité de Marcos se manifestait dans les moments les plus durs, quand par exemple, il expliqua à un de ses bourreaux après une agression : "Je lutte pour une société dans laquelle personne ne pourra vous faire ce que vous êtes en train de me faire".

Il a reçu deux condamnations à mort, la première pour son activité politique en défense de la légitimité démocratique pendant la guerre civile, et la deuxième quand on a découvert son organisation clandestine dans la prison, ce qui le fit passer devant un Conseil de Guerre. C'est à cette époque-là que Fernando Macarro était devenu le poète communiste Marcos Ana, le poète qui anima ses camarades avec ses mots et ses rimes. En 1961, il fut mis en liberté grâce à une campagne internationale motivée par sa poésie. La pression internationale et nationale obligea Franco à signer la sortie de prison d'un homme qui y était depuis plus de vingt ans, et c'est ainsi que Marcos Ana a pu continuer à porter la lutte pour la liberté de ses camarades et de son peuple au reste du monde.

Sa vie fut dédiée à la lutte pour les valeurs de la démocratie, la liberté et la justice, basées sur les belles convictions communistes qu'il résuma ainsi dans ses vers :

"Mon péché est terrible;
J'ai voulu remplir d'étoiles
le coeur de l'homme".

Marcos a été une des références, un des héros de la résistance antifasciste, à qui nous devons ce que nous sommes et aussi ce pourquoi nous rêvons. L'exemple de sa vie nous enseigne que chaque droit dont nous jouissons s'est construit sur les échos des voix de milliers d'hommes et de femmes qui ont lutté pour les conquérir.  Et aussi sur les larmes et la vie même de ceux qui ont tout donné pour une société de justice sociale. C'est la raison pour laquelle, en ce triste jour, nous allons lui rendre hommage avec l'engagement ferme et collectif de suivre son exemple, en revendiquant sa mémoire et ses valeurs. Nous le faisons avec ses propres mots, qui nous aident à assumer son départ et à nous lever chaque matin avec le désir d'être à la hauteur de tout ce qu'il nous a donné et de ce que nous lui devons : "J'ai comme consigne de vivre pour les autres. C'est la meilleure manière de vivre pour soi-même"

Avec le poing levé, nous, communistes te disons adieu: ¡Hasta siempre Camarade!



mardi 26 juillet 2016

Eloge de la difficulté. De Estanislao Zuleta



Paroles prononcées par Estanislao Zuleta quand il reçut le titre de Docteur Honoris Causa en psychologie de l'Université del Valle (Colombie) : Elogio de la dificultad

La pauvreté et l'impuissance de l'imagination ne se manifestent jamais d'une manière aussi claire que lorsqu'il s'agit d'imaginer le bonheur. Nous commençons par inventer des paradis, des îles fortunées, des pays de cocagne. Une vie sans risques, sans lutte, sans recherche de dépassement et sans mort. Et donc aussi sans besoins et sans désirs : un océan de confiture sacrée, une éternité d'ennui. Objectifs fort heureusement impossibles à atteindre, paradis fort heureusement inexistants.

Toutes ces fantaisies seraient innocentes et inoffensives si elles ne constituaient le modèle de nos aspirations dans la vie pratique. Ici même, dans les projets de la vie quotidienne, au delà du règne des mensonges éternels, nous introduisons aussi l'idéal idiot de la sécurité garantie, des réconciliations totales, des solutions définitives.

On peut dire que notre problème ne consiste pas seulement ni principalement dans le fait que nous ne sommes pas capables de conquérir ce que nous nous proposons, mais plutôt dans cela même que nous nous proposons. Que notre malheur ne réside pas tant dans la frustration de nos désirs que dans la forme même de désirer : Nous désirons mal.

Au lieu de désirer une relation humaine inquiétante, complexe et périssable, qui stimule notre capacité à lutter et qui nous oblige à changer, nous désirons une idylle sans troubles ni dangers, un nid d'amour, et donc en fin de compte, un retour à l'oeuf.

Au lieu de désirer une société dans laquelle il soit possible et nécessaire de travailler dur pour réaliser nos possibilités, nous désirons un monde de satisfaction, une monstrueuse pouponnière pourvoyeuse d'une abondance passivement reçue.

Au lieu de désirer une philosophie pleine d'inconnues et de questions ouvertes, nous voulons posséder une doctrine globale, capable de rendre compte de tout, révélée par des esprits qui n'ont jamais existé ou par des chefs de guerre qui eux, ont existé. Adam, et surtout Eve, ont le mérite original de nous avoir libérés du paradis, notre péché est que nous souhaitons y retourner.

N'ayons point confiance dans les lendemains radieux qui seraient le début d'un règne millénaire. De l'Antiquité à aujourd'hui, dans l'histoire, elles sont bien connues ces horreurs auxquelles peuvent et ont coutume de se livrer les partis pourvus d'une vérité et d'un but absolus, les églises dont les membres sont atteints par la grâce -ou la disgrâce- d'une quelconque révélation. L'étude de la vie sociale et du développement personnel nous enseignent combien l'idéalisation et la terreur sont proches l'une de l'autre : Idéalisation de la fin, du but et terreur des moyens pour la conquérir. Ceux qui essaient ainsi de soumettre la réalité à l'idéal, entrent inévitablement dans une conception paranoïde de la vérité, dans un système de pensée où ceux qui oseraient contester quoi que ce soit se retrouvent immédiatement soumis à l'interprétation totalitaire : leurs arguments ne sont pas des arguments sinon simplement des symptômes d'une nature abimée ou les masques d'objectifs pervers.

Au lieu de discuter un raisonnement, on le réduit et on juge sur le fait qu'il appartient à l'autre - quand l'autre est, dans ce système, synonyme d'ennemi - ou bien on procède à un procès d'intention. Et ce système se développe dangereusement au point qu'il ne rejette pas seulement toute opposition, mais aussi toute différence : Celui qui n'est pas avec moi est contre moi et celui qui n'est pas complètement avec moi, n'est pas avec moi. Il y a là, selon Kant, un véritable abime de l'action qui exige un don total à la "cause" absolue et qui considère tout doute et toute critique comme une trahison ou comme une agression.

Par une expérience amère, nous savons maintenant que cet abime de l'action avec ses guerres saintes et ses orgies de fraternité, n'est pas une caractéristique exclusive de certaines époques du passé ou de civilisations arriérées d'un point de vue scientifique et technique ; qu'il peut très bien fonctionner et déployer tous ses effets, sans empêcher une forte capacité d'ingéniosité et une efficacité macabre. Nous savons qu'aucune origine philosophiquement élevée ou supposément divine n'immunise une doctrine contre le risque de tomber dans l'interprétation de la logique paranoïde qui affirme un discours particulier -tous le sont- comme la désignation même de la réalité, et les autres discours comme de l'aveuglement ou du mensonge. 

L'attrait terrible que possèdent les formations collectives qui s'enivrent avec la promesse d'une communauté humaine non problématique, basée sur une parole infaillible, consiste dans le fait qu'elles suppriment l'indécision et le doute, la nécessité de penser par soi-même, elles donnent à leurs membres une identité exaltée par la participation, elles séparent un intérieur tout de bonté -le groupe- et un extérieur menaçant. Voilà sans doute comment on échappe à l'angoisse, on distribue magiquement l'ambivalence dans de l'amour pour ce qui est propre et de la haine pour ce qui est étranger, il se produit alors une simplification majeure de la vie, d'une effrayante facilité. Et quand je dis ici facilité, je n'ignore pas et je n'oublie pas que ce type de formations collectives se caractérisent précisément par une incroyable capacité de don et de sacrifices, que leurs membres acceptent et désirent l'héroïsme, quand ils n'aspirent pas à la palme du martyre. Facilité, pourtant, car ce que l'homme craint avant tout, ce n'est pas la mort et la souffrance dans lesquelles il se réfugie si souvent, mais plutôt l'angoisse engendrée par la nécessité de se mettre en question, de combiner l'enthousiasme et la critique, l'amour et le respect.

Un symptôme sans ambigüité de la domination des idéologies prophétiques et des groupes qui les engendrent ou qui soumettent à sa logique les doctrines qui y étaient étrangères à l'origine, c'est le discrédit dans lequel tombe le concept de respect.   

On ne veut rien savoir ni du respect, ni de la réciprocité, ni de la validité de normes universelles. Ces valeurs apparaissent plutôt comme les maux mineurs propres d'un scepticisme résigné, des signes d'un renoncement aux espérances les plus chères. Parce que le respect et les normes n'acquièrent leur validité que là où l'amour, l'enthousiasme et le don total à la grande mission ne peuvent déjà plus aspirer à déterminer les relations humaines. Comme le respect est toujours respect de la différence, il ne peut s'affirmer que là où n'a plus cours la croyance dans une différence qui pourrait se dissoudre dans une communauté exaltée, transparente et spontanée, ou dans une fusion amoureuse.

On ne peut respecter la pensée de l'autre, la prendre sérieusement en considération, la soumettre à ses conséquences, exercer sur elle une critique également valide pour sa propre pensée, quand on parle à partir de la vérité même, quand nous croyons que la vérité parle par notre bouche. Parcequ'alors, la pensée de l'autre ne peut être qu'une erreur ou de la mauvaise foi, et le fait même de sa différence avec notre vérité est une preuve accablante de sa fausseté, sans besoin d'autres preuves. Notre savoir est la carte de la réalité et toute ligne qui se sépare d'elle ne peut être qu'imaginaire ou pire : volontairement tordue par d'inconfessables intérêts. A partir de la conception apocalyptique de l'histoire, les normes et les lois de n'importe quel type sont considérées comme quelque chose de trop abstrait et trop mesquin face à la grande tâche de réaliser l'idéal et d'incarner la promesse. Et donc, on ne s'en réclame et on ne le met en valeur que lorsqu'on ne croit plus dans la mission inconditionnelle.

Mais généralement, ce qui arrive quand survient la grande dés-idéalisation, ce n'est pas que l'on apprenne à évaluer positivement ce que l'on n'estimait que négativement ou que l'on avait si joyeusement dédaigné : ce qui se produit alors, presque toujours, c'est une véritable vague de pessimisme, de scepticisme et de réalisme cynique. On oublie alors que la critique d'une société injuste, basée sur l'exploitation et la domination de classe, était fondamentalement correcte et que le combat pour une organisation sociale rationnelle et égalitaire continue à être nécessaire et urgent. A la dés-idéalisation succède l'arrivisme individualiste qui pense en outre qu'il a dépassé toute morale par le seul fait qu'il a abandonné toute espérance d'une vie qualitativement supérieure.

Le plus difficile, le plus important, le plus nécessaire, ce qu'il faut à tout prix essayer, c'est de conserver la volonté de lutter pour une société différente sans tomber dans l'interprétation paranoïde de la lutte. Ce qui est difficile, et aussi essentiel, c'est d'évaluer positivement le respect et la différence, non comme un mal mineur et un fait inévitable, mais comme ce qui enrichit la vie, impulse la création et la pensée, ce sans quoi une imaginaire communauté des justes chanterait l'éternel hosanna de l'ennui satisfait. Il faut mettre un grand point d'interrogation sur la valeur du facile, pas seulement sur ses conséquences, mais sur la chose elle-même, sur la prédilection pour tout ce qui n'exige de nous aucun dépassement, ne nous remet pas en question et ne nous oblige pas à déployer nos possibilités.

Il faut observer avec quelle fréquence malheureuse nous nous octroyons à nous-mêmes, dans la vie personnelle et collective, la triste facilité d'exercer ce que j'appellerai une non-réciprocité logique. C'est à dire l'emploi d'un mode explicatif complètement différent pour rendre compte des problèmes, des échecs et des erreurs s'il s'agit des nôtres ou s'il s'agit de ceux de l'autre, quand c'est un adversaire ou que nous nous disputons avec lui. Dans le cas de l'autre, nous appliquons l'essentialisme : ce qu'il a fait, ce qui s'est passé, c'est une manifestation de son être le plus profond. Dans notre cas, nous considérons que c'est circonstanciel, les mêmes phénomènes s'expliquent par des circonstances adverses, par quelque malheureuse conjoncture. Il est comme ça ; moi, je me suis vu obligé. Il a récolté ce qu'il a semé ; moi, je n'ai pas pu éviter ce résultat. Le discours de l'autre n'est rien d'autre que celui de sa névrose, de ses intérêts égoïstes ; le mien est une simple constatation des faits et une déduction logique de leurs conséquences. Nous préfèrerions que notre cause soit jugée sur les objectifs et l'adversaire sur les résultats.

Et quand nous nous obstinons de cette manière à exercer cette non-réciprocité logique qui est toujours une double falsification, non seulement nous ne respectons pas l'autre, mais nous ne nous respectons pas nous même car nous nous refusons à penser véritablement le processus que nous sommes en train de vivre.

Appliquer la même méthode explicative et critique à notre position et à l'opposée est une tâche difficile et qui ne signifie évidemment pas que nous considérons que les doctrines, les fins et les intérêts des personnes, les partis, les classes et les nations en conflits sont équivalents. Cela signifie au contraire que nous avons suffisamment confiance dans la supériorité de la cause que nous défendons, que nous sommes surs qu'elle n'a pas besoin de cette double falsification et qu'en fait, cela ne lui convient pas puisque avec ça, on pourrait défendre n'importe quoi.

Dans le carnaval de misère et de gâchis propres au capitalisme tardif, on entend la voix à la fois lointaine et urgente de Goethe et de Marx qui nous appelèrent à un travail créateur difficile, capable de situer l'individu concret à la hauteur des conquêtes de l'humanité.

Dostoïevski nous a enseigné à regarder jusqu'où va la tentation d'avoir une relation facile entre humains: Elle va simplement dans le sens de chercher le pouvoir, car si on ne peut pas réussir une amitié respectueuse dans une entreprise commune, il se produit ce que Bahro appelle les intérêts compensatoires : la recherche de maitres, le désir d'être des vassaux, le souhait de trouver quelqu'un qui nous libère une fois pour toute de prendre soin du sens de notre vie. Dostoïevski a compris, il y a plus d'un siècle, que la difficulté de notre libération vient de notre amour pour les chaines. Nous aimons les chaines, les maitres, les sécurités parce qu'elles nous évitent l'angoisse de la raison.

Mais au milieu du pessimisme de notre époque, on continue à développer la pensée historique, la psychanalyse, l'anthropologie, le marxisme, l'art et la littérature. Au milieu du pessimisme de notre époque surgit la lutte des prolétaires qui savent déjà que rien ne peut payer un travail insensé, ni des automobiles, ni des téléviseurs. Surgit la rébellion magnifique des femmes qui n'acceptent plus les situations d'infériorité en échange de flatteries et de protection. Surgit l'insurrection désespérée des jeunes qui ne peuvent pas accepter le destin qu'on leur a fabriqué.

Cette nouvelle approche nous permet de dire comme Faust :
"Cette nuit aussi, oh terre, tu es restée inébranlable. Et maintenant tu renais à nouveau autour de moi. Et tu encourages mon aspiration à lutter sans répit pour un degré très élevé d'existence".

Estanislao Zuleta (Medellín, 3 février1935 - Cali, 17 février 1990). Philosophe, écrivain et pédagogue colombien célèbre, particulièrement dans le champ de la philosophie à laquelle il a dédié toute sa vie professionnelle. Au delà de ses écrits, il a été apprécié comme un grand orateur et il a donné une grande quantité de conférences. 

Traduction : C.Marchais


samedi 26 mars 2016

Une belle journée / Un buen dia


Rester la nuit pour observer les étoiles
Couché sur le dos dans le frais du gazon
Ça suffirait parfois pour qu'au delà des illusions
On puisse se dire "Y'a d'bons moments quand même !"

Quedarse en la noche para observar las estrellas
De espaldas en la hierba fresca
Podria ser suficiente para que, más allá de las falacias,
Se pueda decir "A pesar de todo, ¡hay cosas buenas en la vida!"

Se lever quand la brume étendra ses voiles
Aux jardins bleus dont on n'voit même plus le fond
faire quelques pas et regarder jusqu'à l’horizon
Où l'on sait qu'au delà quelqu'un vous aime
Levantarse cuando la bruma extiende su velo
En los jardines azules cuyos fondos no se ven
Hacer algunos pasos y mirar hacia el horizonte
Donde se sabe que más allá alguien te quiere
Je l'sens bien déjà, c'est une belle journée pour moi
Mais toi ça va ? Ca n'dure pas c'est pas fait pour ça
C'est une belle journée pour moi
Lo voy sintiendo ya,
va a ser un buen dia para mí. Y tu ¿Que tal?
No va a durar, ya se sabe...
Es un buen dia para mi
Prendre un peu la lumière au soleil qui brûle
Ça n'est pas bon c'est vrai mais ça fait du bien
Ne pas avoir à être dispo pour trois fois rien
Laisser couler les heures à la pendule
Tomar un poco la luz del sol que quema
Eso hace daño, verdad, pero sabe bueno
No tener que estar lista para una miseria
Dejar fluir las horas en el reloj 
Aux derniers feux tout au loin d'un ciel immense
Guetter le tout dernier rayon vert du soir
Et tout là haut voir passer ton avion rouge et noir
Tu me reviens je m'dis que j'ai d'la chance
En las remotas luces de un cielo inmenso
Aguardar el último rayo verde de la tarde
Y ver pasar allá arriba tu avion rojo y negro
Estás de vuelta y me digo ¡que suerte tengo!

Alors finira une bien belle journée pour toi et moi ça va ?
On aura, qui vivra verra, bien d'autres journées comme ça
Ce soir finira une bien belle journée pour toi et moi ça va ?
On aura, qui vivra verra, bien d'autres journées comme ça

Entonces para tí y para mí se acabará un buen dia ¿Que tal?
Tendremos, el tiempo lo dirá, muchos otros dias como este dia.
Esta noche,  para tí y para mí se acabará un buen dia ¿Que tal?
Tendremos, el tiempo lo dirá, muchos otros dias como este dia.





jeudi 21 janvier 2016

L'humain d'abord / debout...


Il y a des créativités foisonnantes, de l'ordre du jaillissement et de l'explosion. D'autres sont des sources paisibles et patientes. En ce moment, je fais plutôt dans le jaillissement explosif, la profusion, le collectif, le "Tous ensemble", le multiple, le divers, les mouvements pluriels. C'est pourquoi, quand Catherine Van den Steen nous a proposé de bricoler un personnage debout pour commencer à travailler sur l'humain en volume, dans l’esprit d’Alex Burke dont nous avons côtoyé les poupées exposées pendant trois mois à l'Espace d'art des Terrasses, j'ai pensé non pas à UN mais à DES personnages, non pas à une figure individuelle mais à un groupe.

J'ai pris des bouteilles vides de différentes formes, mis des boules à la place du bouchon pour représenter la tête, je les ai recouvertes avec des chaussettes noires et collé des autocollants récupérés pendant des manifs... Simple, efficace, les messages des autocollants ressortaient. Genre: "Quand on est de gauche, on partage bien plus que des miettes", "Egalitée", "L'humain d'abord".

Catherine Van den Steen a remarqué avec raison que mes bouteilles habillées n'étaient que le support des slogans. Elle m'a demandé pourquoi toutes les figures étaient noires et ce que signifiait l'autocollant "Egalité(e)".

"Quand on est une femme ou quand on est noir, c'est plus compliqué d'être égal(e)" : Ce fut ma première réponse mais la question a continué à résonner et elle a débouché sur la personnalisation des figures, leur individuation. J'ai donc entrepris de les coiffer, les vêtir, leur coudre des yeux et une bouche. Elles sont femmes, elles sont noires, elles n'ont pas la même taille, l'une a des cheveux de paille et un poncho latino américain, l'autre une coiffe africaine et un collier, une autre porte un bébé dans son châle de dentelle. Dans ce processus de "personnalisation", j'ai eu envie de les nommer et j'ai brodé leurs prénoms : Léopoldine, Maria-Elena, Lilah. J'ai aimé à prendre le temps patient de la broderie pour matérialiser à travers leurs noms les personnes représentées par mes bouteilles habillées. J'ai pris du plaisir à "créer de la personnalisation", à matérialiser "l'humain d'abord".

Ecouter Tracy Chapman "Talkin' about a revolution"