Affichage des articles dont le libellé est Peur. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Peur. Afficher tous les articles

lundi 16 mars 2020

Coronavirus. De la peur à l'espoir.


De William Ospina
in El Espectador

Il arrive des choses qui ne se passent que dans les contes. Devoir rester obligatoirement à la maison, recommencer à s'occuper des enfants, travailler à distance, consommer juste ce qui est indispensable, essayer d'avoir des réserves des choses les plus basiques, vouloir respirer de l'air pur, esquiver les agglomérations, avoir peur des contacts. Et tout à coup se ferment les écoles et les commerces, et les spectacles sont annulés, les entreprises paralysées. Et les économies plongent d'un moment à l'autre, les monnaies s'effondrent, les transports s'interrompent. Mais que nous dit la Terre avec tout ça ?

La dernière grande pandémie, celle de la grippe espagnole de 1918, on ne l'avait pas vécue de la même manière. C'était un fait planétaire, mais il fallait la vivre comme un fait local, partout. Maintenant, pour la première fois, nous ressentons qu'il nous arrive la même chose dans toute la planète. Cette société ultra-informée et ultra-globalisée nous apporte l'expérience nouvelle de partager la curiosité, la peur et la fragilité de toute l'humanité, elle nous fait nous comporter comme une espèce.

C'est étrange de sentir pour la première fois (parce qu'avant c'était différent, et que celles et ceux qui l'avaient vécu étaient autres) que le tissu de la civilisation bouge et qu'il semble hésiter. Et nous reviennent presque à la mémoire ces vieux oracles qui déchiffraient des signaux dans le vol des oiseaux, des messages dans les faits de la nature et dans les tragédies de l'histoire. Plus rien ne semble aléatoire, ni la forme des nuages. Et il nous est finalement révélé combien nous sommes connectés et de quelle manière étonnante est entretissé le monde. C'est alors que chacun de nous se demande quel est le message.

Sommes-nous beaucoup, maintenant ? 
C'est mauvais de manger les animaux ? 
La majeure partie des occupations du monde sont-elles vaines ? 
La lenteur et la solitude sont-elles préférables ? 
Les villes, au-delà de certaines limites civilisées, sont-elles une erreur et un piège ? 
Le modèle économique dans lequel nous vivons n'est-il qu'inégal et injuste, ou également absurde et étonnamment fragile ?
Les entreprises peuvent-elles s'effondrer avec la même facilité que les êtres humains ?
Ce que nous appelons "le pouvoir" n'est-il qu'un brin d'herbe au vent de l'histoire ?
De la même façon que Richard était prêt à échanger son royaume pour un cheval, n'y-a-t'il pas un moment où nous changerions toutes nos richesses pour un peu d'air pur dans les poumons ou pour un filet d'eau dans la gorge ?

Tout vient nous rappeler que nous pouvons vivre sans avions mais pas sans oxygène. Que ceux qui travaillent le plus pour la vie et pour le monde, ce ne sont pas les gouvernements mais les arbres. Que le bonheur c'est la santé, comme le voulait Schopenhauer. Que, comme le disait un latino, la religion, ce n'est pas s'agenouiller pour prier et supplier, mais tout regarder avec une âme tranquille. Que si nous, humains, nous travaillons jour et nuit pour raréfier la vie, intoxiquer l'air, acculer le reste des vivants, altérer les rythmes de la nature et détruire leurs équilibres, le monde a un savoir plus ancien, un système de climats qui se complètent, de vents qui rasent, de catastrophes compensatoires, de silences forcés, de quiétudes obligatoires, d'armées invisibles qui tracent des lignes rouges, neutralisent les maux, contrôlent les excès, imposent la modération et équilibrent la terre. Après avoir thésauriser pendant des siècles notre connaissance, mis en valeur notre talent, vénérer notre audace, adorer notre force, voici l'heure où nous devons aussi méditer sur notre fragilité, estimer notre étonnement, respecter notre peur.

Car il y a aussi quelque chose de poétique dans la peur : elle nous enseigne les limites de notre force, la portée de notre audace, la vraie valeur de nos mérites. Comme la mer, elle sait nous dire où est ce qui nous dépasse. Comme la gravité, elle nous montre quels sont les pouvoirs qui sont sur nous. Comme la mort et comme le corps lui-même, elle nous dit quels sont les commandements que nous ne pouvons pas violer, ce qui n'est pas permis, quelle frontière est sacrée. Et elle ne le fait ni avec des avertissements, ni avec des discours, ni avec des menaces, mais avec un langage sans mots, efficace et subtil comme un oracle, qui oeuvre "sans pitié et sans colère" comme l'a dit un poète, et qui est lumineux et inflexible comme une flamme.

Si la peur est une réaction face aux menaces du monde, l'angoisse est une réaction face aux menaces de l'esprit et de l'imagination. Elle met en évidence le mystère du monde, active la mémoire et ses fantômes, révèle l'efficacité de l'invisible, le pouvoir de l'inconnu.

On dit que ce qui ne nous détruit pas, nous rend plus forts. Cette imminence du désastre met aussi une touche de magie noire à ce qui paraissait sous contrôle, un goût hallucinatoire aux jours, elle verse une rafale de folie sur ce qui est établi, un éclair divin sur la prose du monde.

Et nous sentons qu'il y a quelque chose à apprendre de ces alarmes et de ces dangers. Si tout ce qui est le plus ferme est en état de choc, cela nous laisse entrevoir que tout peut changer, et pas forcément en mal. Si la tourmente effraie tout, nous pouvons nous aussi être la tourmente. Et dans le coeur des tourmentes, il peut y avoir aussi, comme le disait Chesterton, non pas une furie mais un sentiment et une idée.

Dans cette pause de patience et de peur, les méditations de Hamlet et les délires de Don Quichote, les conseils du Christ et les questions de Socrate, les rêves de Shéhérazade et l'ivresse d'Omar Kayam gagnent un sens nouveau. S'il est un monde fatigué et malade qui craque et s'effondre, il doit aussi y avoir un monde nouveau qui est en gestation et qui nous défie. Nous voulons donc dire avec Barba Jacob : "Donnez moi du vin et remplissons de cri les montagnes!". Nous voulons dire avec Nietzche : "Et que chaque jour où l'on n'a pas dansé au moins une fois soit perdu pour nous ! Et que toute vérité qui n'amène pas au moins un éclat de rire nous semble fausse !".

William Ospina. Écrivain, essayiste, journaliste et poète colombien de renom, né à Padua en Mars 1954. Couronné par de nombreux prix littéraires. Oeuvres traduites en français :
À qui parle Virginia en marchant vers l'eau ?, traduit de l'espagnol par Tania Roelens,
Ursúa, trad. Claude Bleton, J-C. Lattès, 2007
Le pays de la cannelle, trad. Claude Bleton, J-C. Lattès, 2010
Arrêter net, trad. Tania Roelens, Paris, Editions des Crépuscules 2019

Traduction : CM

jeudi 1 décembre 2016

"Je suis ici pour vous parler de ma peur pour votre pays"

Discours émouvant de Todd Howland... Le représentant du Haut-Commissariat de l'ONU pour les Droits de l'Homme a demandé au Congrès colombien de ratifier l'Accord de Paix. Ses réflexions sur la peur, à partir de son expérience de malade souffrant de leucémie, en ont ébranlé plus d'un.


Source : www.semana.com

Au cours des intenses journées vécues au Congrès pour ratifier l'accord de paix signé entre le Gouvernement et les Farc, il y a eu des dizaines d'interventions. Mais rares ont été celles qui ont réussi à accaparer l'attention des députés et des autres participants. Avec un discours bref, Todd Howland a réussi à attirer l'attention de l'auditoire. Le représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme, qui a connu de près les conflits du Congo et de l'Angola en Afrique, a souligné combien la Colombie marche sur une corde raide et remarqué que les vies de milliers de citoyens qui souffrent la violence dans les territoires éloignés de Bogotá,  sont entre les mains du Congrès.

Voici son discours :

En 2010, on m'a diagnostiqué une leucémie. Quelques semaines après, j'ai suivi un stage pour les personnes qui se trouvent entre la vie et la mort, face à l'incertitude de la survie. Dans ce stage, on nous a dit qu'il était très important de dire ce que l'on pense.

Je suis ici pour vous parler de ma peur. Ma peur pour votre pays. J'ai très peur que, pour les gens qui vivent et qui ont vécu depuis des décennies au milieu du conflit, l'espoir de l'Accord de Paix avec les FARC ne produise pas la Non-Répétition des violations des droits humains. Car la réalité de ce que les gens vivent dans les zones d'influence des FARC est déjà en train de changer, mais pas en mieux.

Je ne suis pas ici pour accuser le Gouvernement, ni ceux qui ont voté OUI, ni ceux qui ont voté NON. Car là où nous en sommes, tous partagent une responsabilité.
Tous et toutes ont la responsabilité de trouver une solution.

Je suis ici pour vous demander de poser comme priorité les droits des plus ou moins deux millions de colombiens et colombiennes qui sont affectés de manière directe par le conflit armé avec les FARC. Pour que vos décisions n'ajoutent pas encore deux millions de victimes, aux plus de 8 millions qui existent déjà en Colombie.

Je vous demande de mettre la réalité de ces deux millions de personnes face à vos différences idéologiques et politiques. Les processus de paix sont durables quand les accords sont bien mis en œuvre et que l'on voit de manière évidente une amélioration dans la situation des droits humains. Or on peut d'ores et déjà dire que ce processus de paix avec les FARC est mal mis en œuvre puisqu'il y a déjà un impact négatif sur la situation des droits humains.

Plusieurs mois avant la signature du premier Accord de Paix, les membres des FARC sortaient déjà de leurs zones traditionnelles d'influence. Dans bon nombre de ces zones, il y a des pratiques illicites, par exemple, la coca et l'extraction minière illégale. Ces vides laissés par les FARC, l'Etat est sensé les remplir, en travaillant pour transformer les économies illégales en pratiques légales. Mais ce n'est pas ce qui a lieu en ce moment. Car d'autres groupes illégaux sont en train d'entrer dans ces zones.

A El Bagre, dans le département d'Antioquia, où les FARC avaient une présence historique, et où il y avait et il y a encore beaucoup d'extraction minière illégale, cette année, il y a eu 37 homicides. Trois des personnes assassinées étaient des leaders sociaux.

A Tumaco, dans le département de Nariño, cette année nous avons déjà eu 119 homicides. Deux des personnes assassinées étaient des leaders sociaux.

Il est important de se mettre à la place des deux millions de personnes qui vivent dans ces zones de conflit. Dans la zone rurale de Tumaco, les gens n'ont la chance que d'avoir trois ans de scolarité. Ce n'est pas une exception pour ces deux millions de personnes. Beaucoup, parmi les dirigeants locaux de ces zones, ne savent ni lire ni écrire. Il n'est pas normal dans un pays développé comme la Colombie, que parmi ces deux millions de personnes, beaucoup doivent vivre de la coca ou de l'extraction minière illégale, qu'il n'y ait pas de présence de l'Etat, ni de services basiques de santé et d'éducation et bien sur, qu'il n'y ait pas d'opportunités pour ces hommes et ces femmes.  

Ces deux millions de personnes vivent apeurées dans un contexte de violence. Il n'est pas normal que beaucoup parmi elles n'aient même pas pu aller voter. Pour vous, c'est très facile de voter, vous allez marcher de 5 à 20 minutes, et vous serez dans votre bureau de vote. Mais pensez à ces deux millions de personnes qui doivent faire un effort d'un ou deux jours pour aller voter. Dans plusieurs pays, il y a l'acceptation d'une norme internationale qui considère que toutes les personnes doivent avoir le même droit de vote, et que toutes et tous doivent avoir le même accès au vote. Ce n'est pas possible que certaines personnes aient des inconvénients pour voter quelque part et d'autres non.

Amartya Sen, le Prix Nobel d'Economie, dit qu'il y a des données disponibles qui indiquent une corrélation entre mortalité prématurée, faim évitable, morbité évitable et manque de libertés et de droits.

Il est normal que vous, politiques, répondiez à la majorité. Ces deux millions de colombiennes et colombiens dont je parle sont dispersés dans une vingtaine de départements du pays, ils sont la minorité des minorités. Normalement, leurs voix ne gagnent pas aux élections. Mettre la priorité sur leurs droits pourrait être un problème pour vos objectifs politiques. Mais quelques fois ces deux millions de personnes sont importantes dans les élections. Ces personnes, sont elles aussi des colombiennes et des colombiens qui méritent les mêmes droits que ceux dont vous bénéficiez. Bien que l'investissement nécessaire dans leur vie pour changer leur réalité, ne vous aide pas à gagner des élections.

De plus en plus, au cours des deux derniers mois, les membres des FARC demandent aux membres de nos équipes sur le terrain, dans plusieurs zones de la Colombie rurale : Que se passe-t-il et que va-t-il nous arriver ? L'Incertitude est très mauvaise pour un processus de paix... Les hommes et les femmes des FARC ont déjà des offres de travail dans d'autres groupes illégaux et dans les circuits économiques illicites. La Non-répétition des violations des droits humains dans les zones affectées par le conflit, dans les lieux où vivent les deux millions de personnes dont j'ai parlé ici, n'est pas liée à ce qui peut arriver aux membres du Secrétariat des FARC. Par contre, c'est évidemment en lien avec ce qui se passe et se passera pour les simples membres des FARC. Favoriser leur réintégration est nécessaire pour le succès du Processus de Paix et pour la Non-Répétition des violations des droits Humains.

Nous observons de plus en plus de signes de dissidence. Par exemple, à Tumaco, ces dissidences seraient responsables d'une des morts. Dans d'autres lieux du pays, les morts sont imputées aux BACRIM ou à d'autres acteurs de la post-démobilisation des AUC.

Les Accords de Paix sont imparfaits. Celui de la Colombie n'est pas une exception. Un mauvais accord bien mis en œuvre peut être durable. La perfection est ennemie du possible. Travailler en Colombie pour "l'Accord Parfait" va à condamner deux millions de personnes à la répétition des violations de leurs droits, parce que les FARC vont se désarticuler avec que vous n'ayez créé cet "Accord Parfait".

Les accords qui concernent la transformation des économies illicites, la création d'un développement rural, avec le système intégral de justice, incluant les travaux de développement social que les FARC doivent commencer, sont nécessaires en ce moment. Car ils réussiront à minimiser les risques de violations des droits humains qui se commettent contre ces deux millions de personnes qui vivent dans les zones en conflit. 

Dans ces zones, vous arrivez déjà trop tard, parce que d'autres groupes armés sont déjà arrivés, et qu'il y a déjà des morts. 

Il est important, en tant qu'acteurs de l'Etat, que vous vous rappeliez vos obligations liées aux droits de toutes et tous, en incluant particulièrement ces colombiens et colombiennes, les deux millions de personnes qui vivent dans ces zones où le droit à la vie est en jeu. Votre obligation est d'arrêter le conflit avec les FARC le plus rapidement possible et de ne pas risquer encore plus la vie de ces deux millions de Colombiens.

Merci pour cette opportunité, et cette chance de créer un Accord et un Processus dans lequel toutes et tous apportent quelque chose qui améliore la situation des droits humains ici en Colombie.

Traduction : CM


jeudi 7 janvier 2016

Le radeau de la Méduse


L'autre jour, au Louvre, je suis restée longtemps face au radeau de la Méduse, ce tableau grand format sombre et glaçant, peint par Géricault en 1819. J'ai été frappée par les paroles d'un homme qui expliquait l'histoire de l'oeuvre à son fils. Je me suis souvenue des paroles de ma mère qui était institutrice : Elle venait chaque année au Louvre avec ses élèves et chaque année elle expliquait la même histoire face au radeau. Avec quasiment quarante ans de différence, les mots de l'homme et ceux de ma mère étaient semblables... Je me suis rendue compte que, face au drame de ce naufrage, il y avait une tradition orale construite autour de questions pour attirer l'attention, pour s'approcher collectivement de la tragédie et arriver au point culminant de l'espérance minuscule.

Un très bon reportage
La Véritable histoire de la Méduse

Si dans l'article, vous trouvez des erreurs de syntaxe ou des fautes d'orthographe, merci de les signaler en commentaire ! 

dimanche 3 janvier 2016

Réinterpréter le cri


Dans son journal intime (en 1892), Edvard Munch avait ainsi décrit les origines de son oeuvre :

Je me promenais sur un sentier avec deux amis – le soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang – je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture – il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville – mes amis continuèrent, et je restai là, tremblant d’anxiété – je sentis un cri infini traverser la nature. 

En surfant sur Internet, j'ai trouvé 2 vidéos géniales du réalisateur roumain, Sebastian Cosor, qui réinterprètent LE CRI de E.Munch.

Dans le premier film, le tableau prend vie dans un court-métrage d'animation où deux personnages devisent sur la peur de la mort avec “The Great Gig In The Sky” en fond sonore. Le métissage de l'animation, des couleurs de Munch et du son de Pink Floyd font vibrer d'angoisse le personnage hurlant.


Et dans le deuxième film, Sebastian Cosor reprend la même structure mais en la couvrant de neige et en ajoutant une SURPRISE qui m'a fait éclater de rire... Ca fait du bien de rire de la peur !

Si, dans l'article, vous trouvez des erreurs de syntaxe ou des fautes d'orthographe, merci de les signaler en commentaire !

vendredi 1 janvier 2016

Cesser de propager la peur


La France, mon pays, a peur. J'ai peur.
La meilleure façon de l'affronter, c'est de le dire, le parler pour le penser.

Entre l'insuffisance de la réponse planétaire au changement climatique mise en scène pendant la COP21, le chaos des guerres où "nos armées" sont engagées de près ou de loin, l'obsession sécuritaire entretenue par les menaces d'attentats, le recours systématique à la figure du bouc émissaire musulman ou migrant, le jeu d'échec démolisseur qui se joue entre "terrorisme" et "anti-terrorisme", l'escalade des mesures attentatoires des libertés, la destruction des droits sociaux, la précarisation du travail, l'amenuisement des ressources des classes populaires, les trahisons à répétition du gouvernement droitier social-démocrate, la montée inexorable de la droite extrême et la pénétration de ses idées bien au delà du cercle de ses affiliés, l'invisibilité et l'inefficacité des alternatives progressistes et solidaires...
2015 a été une année terrible et il est difficile d'entrevoir une éclaircie pour 2016.
Nous, citoyens sidérés, sommes relégués dans l'enfermement du choc traumatique, dans l'idée que le danger qui nous guette, nous atteint dans une impasse.

S'attarder sur la graduation des terminologies de la peur est peut-être une façon de l'exorciser en commençant à l'apprivoiser :
La peur, c'est l'inquiétude face au danger.
La crainte, c'est une peur forte.
La terreur, c'est une crainte grande et profonde.
La panique, c'est une terreur subite et sans fondement.
L'épouvante, c'est une grande terreur.
La frayeur, c'est une épouvante causée par l'image du mal...
L'effroi, c'est une grande frayeur...

Pourquoi faire appel à la linguistique ?
Pourquoi s'attarder sur le sens des mots ?
Parce que notre humanité est capable d'éclairer par la raison cette émotion enracinée dans la profondeur de notre cerveau reptilien. Quand notre amygdale s'active face à ce que nous percevons comme un danger imminent, nous ne sommes pas condamnés à l'inhibition de la pensée, nous pouvons nous préparer à fuir ou à nous défendre.

Penchons-nous donc aussi sur le "corps apeuré", sur sa physiologie, pour chercher à l'approcher, à le toucher... Car il faut bien commencer à se pencher sur le corps effrayé pour pouvoir le bercer, l'embrasser et le rassurer. Darwin écrivait :
« La peur est souvent précédée de l'étonnement, dont elle est proche, car les deux mènent à une excitation des sens de la vue et de l'ouïe. Dans les deux cas, les yeux et la bouche sont grand ouverts. L'Homme effrayé commence par se figer comme une statue, immobile et sans respirer, ou s'accroupit comme instinctivement pour échapper au regard d'autrui. Le cœur bat violemment, et palpite ou bat contre les côtes... La peau est très affectée par une grande peur, nous le voyons dans la façon formidable dont elle sécrète immédiatement de la transpiration... Les poils sur la peau se dressent; et les muscles superficiels frissonnent. Du fait du changement de rythme cardiaque, la respiration est accélérée. Les glandes salivaires agissent de façon imparfaite ; la bouche devient sèche, est souvent ouverte et fermée. » 

La bouche et les yeux du corps apeuré attirent l'attention : Les sens stimulés, les yeux écarquillés et le cri silencieux de la bouche sèche... Apparaît ici un lien subtil et dévastateur entre la peur et la société du spectacle. Elle agit elle aussi sur la bouche et les yeux. Elle entre par effraction dans l'espace intime, occupe le temps de cerveau disponible à travers l'image animée et le son répété, elle impose sa construction des histoires et de l'Histoire, bâillonne la parole et "fige comme une statue" le spectateur, elle favorise l'enfermement sur soi, ce besoin "d'échapper au regard d'autrui".

Pour les voeux de fin et de début d'année, mon parti publie une vidéo provocatrice qui met en exergue le discours politique de l'effroi. Ce faisant, il cherche à le dénoncer et appelle à "arrêter de propager la peur". Il polarise l'attention sur la figure rhétorique resassée du musulman et du migrant, laisse planer un plan STOP puis en vient à la nostalgie de la campagne présidentielle de 2012, quand la parole du candidat Mélenchon avait redonné du souffle à la gauche de gauche en reconstruisant l'espoir et la solidarité... Pour rappel, à l'époque, le slogan qui faisait mouche était : "Le problème, c'est pas l'immigré, c'est le banquier".

Alors aujourd'hui :
Besoin de répondre au choc par le choc ?
De s'insérer dans la société du spectacle ?
De trouver son créneau dans la scène médiatique en retournant l'argument de l'adversaire ?
Je ne sais si l'objectif de "faire du buzz" sera atteint avec cette vidéo mais reconnaissons qu'elle aura fait naître chez moi le besoin de penser.
Pour 2016, je nous souhaite de l'intelligence au lieu de l'immédiateté.


Si, dans l'article, vous trouvez des erreurs de syntaxe ou des fautes d'orthographe, merci de les signaler en commentaire !

lundi 28 décembre 2015

En France... Pourquoi le pommier du Japon fleurit-il ?


Comme elle est sombre cette fin d'année, malgré les lumières scintillantes que les administrations municipales ont installé dans les rues.

Comme elle est confuse avec cette fausse rumeur de printemps qui envahit les arbres désorientés par le changement climatique. Oui, l'accord de la COP21 signé au début du mois ne trompe ni les nuages, ni les arbres, ni la terre... Ils connaissent déjà l'histoire du flutiste de Hamelin, et s'ils feignent d'accepter la douceur de la température, c'est pour lancer quelques dernières fusées d'alerte.

Comme elle est nostalgique cette fin d'année, malgré les fleurs des pommiers du Japon, flocons rouges en folie, avancés d'au moins deux mois sur le cours habituel des saisons et qui font jaillir des nostalgies de neige... Qui aurait misé sur le fait que les facteurs, les balayeurs, et les gens de la rue regretteraient les flocons blancs et les gelées ?

Pour cette année 2015 en France, la morosité ambiante est encadrée par deux séries d'attentats sanglants, avec leurs conséquences institutionnelles et sociales respectives. Début janvier, avec un prétexte religieux, le fanatisme a ciblé et assassiné des juifs, des journalistes de "Charlie Hebdo" et des policiers. Et à la mi-novembre, la même barbarie a attaqué au débotté des jeunes "sans étiquette identitaire", si ce n'est qu'ils buvaient un coup ou mangeaient quelque chose à la terrasse d'un café, qu'ils dansaient à un concert ou qu'ils voulaient faire la fête au stade. Ces faits ont ébranlé le pays entier.

Alimentés par la connection continue au spectacle terroriste et à sa récupération politique postérieure, à travers la couverture médiatique, chaque citoyen, chaque citoyenne, s'est perçu-e  comme cible potentielle de la tyrannie. Depuis lors, la société, en état de choc traumatique, se laisse séduire chaque jour un peu plus par le régime de la peur et du soupçon.

Il y a les faits.
Il y a leurs causes.
Et il y a leurs effets.

Si le pommier du japon fleurit, ce n'est pas à cause des musulmans ni des migrants.
Et cela ne justifie pas l'assignation à domicile, la constitutionnalisation de l'état d'urgence et la déchéance de nationalité.

Notre pays et l'Europe sont l'oeil du cyclone des désordres mondiaux. La responsabilité de ces désordres leur incombe en grande partie et nous vivons les conséquences du chaos général international qu'ils ont contribué à créer. Avec la crise des migrants et des réfugiés directement liée aux guerres en Syrie et en Irak, il faut rappeler ici aux va-t-en-guerres que les interventions militaires ne sont pas indolores : la misère du monde qui vient frapper à nos portes et qui vient se noyer près de nos côtes, ne sort pas de Rien. Il n'y a pas de génération spontanée des détresses. L'ordre capitaliste et "occidental" imposé au monde avec les traités de libre échange et l'infanterie lourde des multinationales est un arsenal terrible qui détruit les biens communs et les liens sociaux.

Si des jeunes se font exploser, ce n'est pas à cause des musulmans et des migrants.
Et cela ne justifie pas l'assignation à domicile, la constitutionnalisation de l'état d'urgence et la déchéance de nationalité.

Ces "jeunes à la bombe" sont des français, ils ne viennent pas d'ailleurs. S'ils vont en Syrie pour faire la guerre ou s'ils se lancent dans des attentats suicides ici, c'est que le radicalisme religieux leur offre une affiliation, que la fraternité à travers l'homicide et la soumission jusqu'à la mort donne un sens à leur vie, et que ce sens, ils ne l'avaient pas trouvé dans notre République... Le problème n'est donc pas religieux : Il réside dans la transmission et dans la réalisation concrète des valeurs d'Egalité, de Liberté et de Fraternité. L'Etat, logiquement et légitimement, utilise des dispositifs de sécurité pour affronter les menaces terroristes mais cette réponse ne peut pas être l'unique et doit être limitée à court terme.

Si l'extrême-droite se développe sans cesse, ce n'est pas à cause des musulmans et des migrants.
Et cela ne justifie pas l'assignation à domicile, la constitutionnalisation de l'état d'urgence et la déchéance de nationalité.

Quand le parlement, avec la prolongation de l'Etat d'urgence, vote avec une large majorité des mesures d'assignation à résidence basée sur le fait qu'il "existe des raisons sérieuses de penser que le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics", que le gouvernement les utilise pour limiter la mobilisation des défenseurs de l'environnement pendant la COP21 et que les préfectures commencent à interdire des manifestations syndicales, cela marque de manière très claire, avec la prééminence du soupçon et de la présomption de culpabilité, que la gauche qui mise sur la raison et la présomption d'innocence, a perdu la bataille de l'hégémonie idéologique et culturelle.

Quand la frange gouvernementale droitière de ce qui reste de la sociale-démocratie française commence à parler de déchéance de nationalité pour les bi-nationaux nés en France, cela signifie que si  "Rachid", "Pablo" ou "Jean-Jacques" commettent un crime, ils ne sont pas français de la même manière car aux uns on pourra enlever la nationalité et à l'autre, non... Et voilà comment on sape l'article 1er de la Constitution : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances."

Depuis 25 ans, l'extrême-droite française, le Front National, progresse constamment : Ils sont des millions, maintenant, les électeurs qui considèrent que c'est une alternative possible au sein même de nos institutions républicaines. Il progresse dans les têtes, dans les discours, dans les actes et dans les urnes. Ce 6 décembre 2015, avec 6.820.147 voix aux élections régionales, il a été confirmé comme "premier parti de France".

... Oh qu'elle est sombre et obscure cette fin d'année.
Les musulmans, les migrants et les pommiers du japon ont peur.
Moi aussi.

Paris. 27 décembre 2015

Si, dans l'article, vous trouvez des erreurs de syntaxe ou des fautes d'orthographe, merci de les signaler en commentaire !