Le Gouvernement de Colombie refuse d'admettre que les assassinats des leaders sociaux, continuels et systématiques, engendrent une crise humanitaire : "
Le discours officiel minimise les assassinats en Colombie. Il y a une méconnaissance profonde, ils ne voient pas que ce qui est en train de se passer avec les leaders sociaux, c'est une crise humanitaire. Alors que chaque semaine, nous voyons comment les gens sont assassinés, le gouvernement refuse d'agir efficacement" dit Shirley Muñoz, membre de l'Association Minga, coordinatrice de la communication du Programme
Somos Defensores.
Entre la signature de l'Accord de Paix en novembre 2016 par l'Etat et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) et le 20 juillet dernier,
627 leaders sociaux et défenseurs des Droits Humains ont été assassinés, selon un rapport publié ce 26 juillet 2019 par
INDEPAZ, Institut pour le Développement et la Paix (non gouvernemental). Annuellement, cela correspond à
21 assassinats en 2016, 208 en 2017, 282 en 2018 et 116 depuis le début de l'année 2019. Parmi les victimes, 92 étaient des femmes et 535 étaient des hommes. En ce qui concerne leur origine, 142 étaient indigènes, 55 afro-descendants et 245 étaient des paysans défenseurs de l'environnement, coordinateurs communaux ou acteurs du Plan National Intégral de Substitution des cultures illicites. Le rapport d'INDEPAZ indique que, en plus, 138 ex-guérilleros des FARC qui avaient adhéré au processus de paix ont été assassinés pendant ce laps de temps.
Un rapport du Défenseur du Peuple indique que 196 leaders sociaux ont été assassinés entre mars 2018 et mai 2019 et que, pendant cette période, 1608 conduites qui portent atteinte aux droits humains des activistes ont été enregistrées dont 1351 menaces et 44 attentats.
"
Il se produit un génocide continu et systématique contre toutes les communautés. Tous les acteurs légaux ou illégaux ont quelque chose à voir dans les assassinats. Bien que nous soyons supposément en temps de paix, il n'y a pas de garanties réelles pour protéger la population" a expliqué à
Sputnik le politologue Oscar Montero, kankuamo assesseur de l'ONIC
Organisation Nationale Indigène de Colombie.
Le discours officiel
Le président de la Colombie, Iván Duque, a affirmé ce 3 août qu'il y a eu "
une réduction de 35% de ces assassinats comparé à la période antérieure immédiate" et que la Justice "
a éclairci près de 56% de ces assassinats".
Mais Shirley Muñoz et Oscar Montero expliquent que le discours gouvernemental cherche constamment à "
dissimuler la gravité" de ce qui se passe. Les autorités attribuent la responsabilité de ces crimes à la guérilla de l'ELN (Armée de Libération Nationale), aux paramilitaires du Clan du Golf, les Caparros, Pachenca et Pachelly, ainsi qu'aux dissidents de la FARC. Mais alors que les services du Procureur Général de la Nation affirment qu'ils avancent dans leurs enquêtes, la militante S.Muñoz rétorque que "
ce n'est pas vrai". Et elle insiste : "
Nous avons constaté une impunité supérieure à 90% dans les assassinats des leaders sociaux. Le Ministère Public dit que non, qu'ils ont eu un taux d'élucidation beaucoup plus haut, d'environ 50%, mais nous voyons bien que cela ne correspond pas à la réalité".
Pour sa part, Oscar Montero dit que le Gouvernement "
minimise les assassinats" et agit comme si c'était "
une farce". Il ajoute : "
Nous, les peuples indigènes de Colombie, nous savons mieux que personne que dans ce pays, les assassinats n'ont pas diminué. Après la signature de l'accord de paix, il y a eu 158 compagnons indigènes assassinés, et dans le seul cadre du Gouvernement de Iván Duque, 94 compagnons indigènes ont été assassinés. Les chiffres sont en augmentation et il n'y a pas de réponse officielle". Selon lui, les autorités cherchent à "r
endre invisibles les victimes" et à lier les morts à des vengeances, des problèmes personnels ou des crimes passionnels.
S.Muñoz lamente que le Gouvernement n'applique pas l'accord de paix et ajoute : "
Reconnaître ce qui se passe dans les territoires, ce serait reconnaître l'existence du conflit armé. Face à la communauté internationale, on veut donner une image d'efficacité, faire croire qu'on se préoccupe des gens".
Des assassins et des intérêts
Selon elle, "
les morts violentes mettent en lumière les conflits dans les territoires et principalement celui de l'accès à la terre". Pour les deux militants, dans ces disputes, les forces armées jouent un rôle "
important", de même que les projets miniers et énergétiques. La majorité des leaders assassinés vivent dans des zones rurales et jouent un rôle dans la défense de la terre et des ressources naturelles. Et elle argumente : "
Nous ne pouvons pas dire que dans les lieux où il y a des méga-projets, les responsables (des assassinats) sont directement les entreprises ou les personnes liées à ces projets, il y a toujours des acteurs armés qui apparaissent comme responsables. Mais quand on analyse où se trouvent les zones de risque, cela coïncide souvent avec les intérêts de ces entreprises".
Elle explique que dans la majorité des cas, les responsables sont les groupes paramilitaires, il y a également des acteurs inconnus, des dissidents des FARC, la force publique et la guérilla de l'ELN. Ces faits ont lieu dans le contexte de vide de pouvoir lié au fait que, quand les FARC ont signé la paix, ils ont petit à petit abandonné les territoires qu'ils avaient contrôlé pendant des décennies. Elle explique : "
Ils apparaissaient comme l'acteur dominant, ils étaient presque un Gouvernement pour beaucoup de gens. Là où il n'y avait pas de présence de l'Etat, la guérilla jouait ce rôle. C'était un acteur armé qui agissait par la force mais qui établissait aussi un certain ordre dans le territoire. Quand ils sont sortis de ces territoires, c'est resté vide parce que l'Etat n'est pas arrivé jusque là". En l'absence d'Etat, les paramilitaires sont arrivés, ainsi que des bandes résiduelles d'ex-FARC et des groupes liés au narcotrafic, qui exploitent la possibilité de contrôler des zones "stratégiques" pour le transport des drogues ou les plants de cultures illicites.
Selon O.Montero, "
Il y a un réarrangement des groupes armés légaux et illégaux dans le pays. Là où il y avait les FARC, il y a maintenant l'armée et les groupes paramilitaires qui veulent se positionner dans les lieux stratégiques. Cela engendre une confrontation armée sanglante pour la poursuite du commerce de l'exploitation minière et du narcotrafic".
Il affirme qu'il y a également une responsabilité des "
forces de l'Etat Colombien, notamment les polices et l'armée. Il est évident pour nous avec ce genre d'assassinats dans les communautés indigènes, que quand l'armée est proche, cela se traduit ensuite par de l'exploitation illégale des ressources minières. Et donc, il se pourrait qu'ils coopèrent avec des intérêts privés et des entreprises multinationales. Il est évident qu'ils cherchent à exploiter les ressources naturelles du pays sur le dos des communautés".
Le programme Somos Defensores a dénoncé que 2018 a été "
une des pires années" en matière de droits humains des militant.e.s et leaders sociaux : Les agressions ont augmenté de 43.7% par rapport à 2017, 805 agressions ont été comptabilisées dont 155 assassinats. Au premier trimestre 2019, 245 agressions ont été enregistrées, ce qui représente une augmentation de 66% par rapport à la même période en 2018.
Source :
Sputnik
Traduction :
CM