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jeudi 17 avril 2025

Abel Rodriguez, celui qui donne des noms aux plantes

Ses dessins sur la puissance de la forêt amazonienne ont attiré l’attention d’innombrables publics en Colombie et dans le monde entier. Abel Rodríguez, artiste et érudit de la communauté Nonuya, a consacré sa vie à immortaliser les espèces végétales et animales préservées dans sa mémoire. Il est décédé ce jeudi 10 avril 2025 à l'âge de 84 ans. « Ses œuvres témoignent avec force de la relation étroite entre l'homme et la jungle, et constituent une forme de résistance à l'oubli et à la disparition de la culture. Dans chaque trait, dans chaque récit, il a su capturer la richesse spirituelle, écologique et symbolique des peuples autochtones du bassin du fleuve Cahuinarí » a déclaré le Musée national de Colombie dans un communiqué de deuil.

Rodríguez est né en 1941 dans un territoire appelé "La Chorrera", niché entre la rivière Cahuinarí et le cours supérieur de la rivière Igara-Paraná, près de la frontière avec le Brésil. Son nom ancestral était Mogaje Guihu, ce qui signifie en espagnol « plumes de faucon brillantes ». Dans les années 1990, un déplacement forcé l’a contraint à quitter les profondeurs de la jungle. Les connaissances transmises par sa famille dès son enfance ont résisté à la cruauté de la violence contre les peuples autochtones et ont été préservées à travers des dessins et des mots. Ses œuvres montrent la finesse détaillée des feuilles, des branches, des arbres, des animaux et des rivières qui l’entouraient depuis son enfance. L'artiste a illustré plus de 400 arbres amazoniens avec une capacité fascinante qui lui a valu le surnom de « celui qui nomme les plantes».

« Enfant, j'étais curieux. J'ai appris des choses sur les plantes, les animaux et les mots grâce au mamo (chef spirituel), et c'est ainsi qu'au fil du temps, on m'a appelé "celui qui donne des noms aux plantes". Ce savoir n'est pas biologique, mais plutôt lié matériellement, spirituellement et émotionnellement à la jungle, à son énergie », a-t-il raconté dans un recueil de conversations de 2024 cité par le Museum of Modern Art (MoMA) de New York. 

À son arrivée à Bogotá après son déplacement, il a pris contact avec l'ONG néerlandaise Tropenbos, qui promeut la conservation des forêts. Il avait travaillé avec cette organisation auparavant, en tant que guide pour identifier les plantes de son territoire. Depuis lors, ses dessins, en plus de devenir une source de revenus, ont permis la classification des espèces d'arbres et de plantes et ont contribué au développement de la recherche scientifique botanique dans le bassin amazonien.

Ses pensées voyageaient vers la jungle pour renouer avec les odeurs, les couleurs et les textures. « Recréer les plantes dans mes dessins évoque le changement de génération, la naissance d'un enfant. Nous appelons nos pensées des enfants. Ce sont des enfants spirituels, toujours présents. On essaie de faire ressortir cette figure ou récolter ce qui existait avant, mais ce ne sera plus jamais pareil. Tout change chaque jour. Les feuilles et les racines se multiplient, transformant ainsi de plus en plus leur forme de vie», a-t-il déclaré. 

A sa mort, cet artiste considéré comme l'un des plus importants gardiens du savoir ancestral de l'Amazonie, a été salué par de nombreuses voix de condoléances. « Nous rendons hommage au maître Abel Rodríguez, qui, par ses mots et ses dessins, a préservé la mémoire écologique, spirituelle et culturelle des peuples autochtones du fleuve Cahuinarí. Son œuvre capture le lien entre l'humanité et la jungle. C'est un savoir qui perdure, s'épanouit et transcende », a souligné le Musée national sur son compte X, avec une image de l'arbre de l'abondance et un court texte de Rodríguez : « Je parle en devinant, et je peins en devinant. Alors que le palmier est dans mon esprit, j'en dessine les racines, le tronc, l'écorce, le bourgeon, les branches, je les dessine dans l'air et sur le papier. C'est un processus pour se souvenir, mais aussi pour deviner les mots, car c'est de là que naissent les choses ». L'ancien ministre de la Culture, des Arts et du Savoir, Juan David Correa, a déclaré : « Vos arbres offriront de l'ombre à beaucoup d'entre nous pendant de nombreuses années. Merci, maître »

Le Musée d'Art Latino-Américain de Buenos Aires (Malba) a également déploré ce décès en soulignant que Rodríguez a inventorié de mémoire les espèces de la jungle avec une grande fraîcheur artistique et précision botanique. « Son intention était de préserver la sagesse orale de ses ancêtres, qui coulait autant dans ses veines que dans les branches et les racines des diverses espèces végétales glorifiées par les Nonuya comme source de nourriture et de vie. Ses dessins sont comme des cartes qui captent les principales caractéristiques de ces arbres, plantes et fleurs », a-t-il souligné sur le réseau social.

Son nom est devenu célèbre en Colombie, mais aussi sur la scène artistique internationale, où il s’est imposé comme l’un des artistes autochtones les plus reconnus aujourd’hui. En 2014, il a reçu le Prix Art et Nature de la Fondation Prince Claus aux Pays-Bas pour son travail et son lien ancestral avec la nature, en tant que connaissance fondamentale de la culture mondiale. Son travail a été exposé dans des lieux d’art contemporain internationaux, tels que la Biennale de Sao Paulo (2021), la Biennale d’art de Toronto (2022), la 23e Biennale de Sydney (2022), la Biennale de Kwangju en Corée (2023) et la Biennale de Venise (2024).

« L’œuvre d’Abel Rodríguez est un trésor ancestral, un cadeau de la jungle à ce monde globalisé, totalisant et homogénéisé, dont la notion de progrès menace gravement la nature et la survie des êtres humains et des autres espèces », a écrit la Commission de la Vérité. « Son œuvre nous laisse une leçon profonde : regarder et écouter la jungle comme une bibliothèque vivante de connaissances et de souvenirs, et comprendre que l'art peut aussi être une forme de révérence, de résistance et de transmission culturelle » a conclu le Musée national dans son communiqué au nom du Système des musées nationaux.

Source :  El País
Trad° CM

Voir l'album ici

 





dimanche 19 janvier 2025

Arte Povera chez Pinault

 

Mario Mertz. Che Fare ? Que Faire ? Turin, 1968


Nous sommes allés chez Pinault à la Bourse du Commerce pour voir l'expo sur l'Arte Povera. Reconnaissons que payer 15€ pour contribuer aux montages de défiscalisation de l'une des plus grandes richesses de France ne nous a pas réjouis. 

Ni voir comment des utopistes contestataires emblématiques des années 60 et leurs critiques révolutionnaires sont récupérées par le marché de l'art.

Ni savoir qu'une bonne partie des œuvres n'appartiennent pas à Pinault mais aux collections publiques modernes et contemporaines du Centre Pompidou qui se retrouvent exposées à la Bourse du Commerce, sous la fresque rénovée de la rotonde illustrant le capitalisme et le colonialisme en majesté. 

Bref, il s'agissait d'affronter un concentré de cynisme qui, à force de coups de poings symboliques, assène concrètement que dans la bataille des idées, le capital gagnerait toujours sur le travail en se l'appropriant. 

Sur ce Que Faire ? Che Fare ? Eh bien, prenons un chemin de traverse et intéressons nous aux processus créateurs, sans nous arrêter aux produits finis. La joyeuse guerrilla libertaire de l'arte povera a de beaux jours devant elle et ne saurait rester enfermée dans des cénacles luxueux. Saluons donc ici, d'une manière toute particulière, la mémoire de Marisa MERZ et ses fils de cuivre patients et discrets qui disent : « Je ne suis intéressée ni par le pouvoir ni par la carrière. Seuls le monde et moi m’intéressent. Je peux faire peu, très peu. » (Marisa Merz, 1968)


Voir l'album ici





jeudi 8 août 2024

Demain est annulé



Nous sommes allés voir l'exposition "Demain est annulé... De l'art et des regards sur la sobriété" à la fondation EDF. J'ai été particulièrement impactée par le travail de RERO.

https://rero-studio.squarespace.com/



lundi 21 décembre 2020

La loi de la nature qui ne peut pas s'acheter, pour réinventer la démocratie


Par William Ospina
Source : El Espectador

Au début du XIXème siècle, Humboldt a dit que la colonisation avait laissé parmi nous tant de strates et d'exclusions, qu'il nous serait difficile d'apprendre à nous regarder un jour comme des concitoyens. Il y avait d'abord les conquêtes et ensuite les découvertes. C'est pourquoi nous continuons à essayer de découvrir l'Amérique depuis des siècles. Nous n'avons pas vu les pyramides, les têtes olmèques, les dieux du maïs. Les millénaires sont enterrés. Des kilomètres de pétroglyphes peuvent être invisibles pendant des siècles. Nous avons beaucoup tardé à rencontrer Machu Picchu. Ce que nous apprenons en dernier, c'est ce qui est le plus proche.

Des mots qui venaient de très loin cherchaient à nous nommer, mais entre la réalité et le langage, il y avait un vide, et c'est là que s'installaient les fantômes. Parce que tout colonialisme est un manuel d'instructions pour vivre dans un autre monde. Au début, l'écriture était faite pour nous expulser, nous voler. Pendant des siècles, la blague américaine la plus violente a été : "Les indiens veulent voler nos terres" et on l'écoute encore par ici. La signature vaut plus que le visage, et c'est dans cette tranchée que se tapissent les bureaucraties, qui exigent chaque jour que nous démontrions qui nous sommes.

Ils ne veulent pas que nous regardions la réalité comme notre demeure mais comme notre péché originel. Et voilà comment nous regardons le peyotl, le yagé, la chicha, la feuille de coca. L'aveuglement était enseigné et souvent, nous avions besoin d'yeux extérieurs pour nous regarder. Nous avions besoin de Mutis, d'Humboldt, de Reichel-Dolmatoff. Nous étions séduits par la civilisation européenne mais nous nous sentions extraterrestres, coupables de ne pas voir Phryné et l'Appolon du Belvédère dans le miroir. Plus tard, nous avons découvert le problème : leur gant est plus petit que la main. L'Europe n'a pas de réponses à nos défis, parce qu'elle ne connait pas les jungles, ni les immenses mines de sel, ni la flore équinoxiale, ni les climats divers et simultanés, ni les quatre saisons dans la même journée.

Pour penser la démocratie, il ne faut pas renoncer à l'idéal mais il est nécessaire de renoncer à la culpabilité. La démocratie était abimée depuis le début. Les esclaves n'entraient pas dans la démocratie grecque. Dans celle des Etats-Unis non plus. Et dans celle de la révolution française, ce sont les haïtiens qui ne sont pas entrés. Ils nous l'ont apportée comme quelque chose de terminé, mais nous avons dû l'élargir et la corriger. Et il reste encore beaucoup de choses qui continuent à rester en dehors.

Dans la démocratie que nous ont légué les pères et les mères de l'Indépendance, les indiens et les enfants d'Afrique n'avaient pas leur place. Dans celle où se sont faufilés les propriétaires terriens et le clergé, n'entraient pas les femmes, ni les pauvres, ni les idées, ni les livres. Dans celle que nous ont forgé les libéraux, n'entraient pas les mythes, ni les millénaires, ni les langues maternelles, ni le métissage. Et dans celle que nous ont vendu les néo-libéraux, n'entrent ni la nature, ni le territoire, ni la mémoire, ni le futur. Maintenant, la planète nous fait payer la facture, et dans le monde entier, le modèle se révèle insuffisant. C'est la globalisation des choses et des ordures qui a triomphé, cette globalisation étrange, toujours plus fermée aux migrants et à l'humain. Les pouvoirs qui obligent les pauvres à fuir sont les mêmes que ceux qui ferment les portes et lèvent des murs.

Il nous faut maintenant tout repenser, car si le village ne tient pas dans l'univers, l'univers ne tient pas dans le village. Il s'avère que maintenant, les multinationales ne veulent pas de la forêt amazonienne parce qu'elles ont besoin de planter du soja, les entreprises minières ne respectent pas les zones humides parce qu'elles ont besoin d'or, les entreprises pétrolières détruisent l'eau parce qu'elles ont besoin du pétrole et les politiciens ne regardent pas les êtres humains parce qu'ils ont besoin de voix. De la même manière, les entreprises pharmaceutiques ne veulent pas de la santé parce qu'elles ont besoin de leurs malades, et les médias ne veulent pas de la vérité, parce que c'est l'adrénaline qui se vend.

Dans notre continent, nous avons vécu longtemps dans le décalage des horloges. Nous voyagions dans un wagon de troisième classe vers le développement jusqu'à ce que le développement ne devienne du pétrole qui réchauffe l'atmosphère, des scies électriques qui coupent la forêt, des glaciers qui fondent, des villes qui s'asphyxient, des mers qui montent, des plastiques qui inondent la terre, la mer et même nos vaisseaux sanguins. Il aurait été utile de prendre conscience à temps que notre monde ne tenait pas dans ces manuels, et qu'il ne pouvait pas se marier avec ces gants. Certains peuples originaires ont compris les premiers que l'idée d'un Dieu qui avait forme humaine, pille les cieux de ses jaguars et condamne à mort les iguanes et les oiseaux. Il faut savoir que le jaguar n'est pas juste un animal, mais la santé d'un écosystème. Et que l'être humain, pour survivre, doit représenter la santé du monde. Savoir cela, c'est la démocratie. Avec son petit chapeau et son costume kaki, on le voit bien éloigné et décadent maintenant, Ernest Hemingway qui démolit des éléphants. Et aujourd'hui, les jeunes ont besoin de tout leur amour du vertige et du danger pour devenir les sauveurs des jaguars et des requins, de la mer et des lichens.

Un ordre aussi précaire ne justifie pas des dépenses militaires aussi exorbitantes et qui abusent de leurs armes. Je crois que nous ne survivrons pas sans une réinvention passionnée de la démocratie. Réussir une politique où ont leur place l'eau et l'oxygène, les jungles et les territoires, les fleuves et les aliments, l'austérité et la responsabilité, une démocratie où tiennent la beauté et l'imagination. En Colombie, on a beaucoup dit qu'il est impératif de faire sortir les armes de la politique. Il y a quelque chose d'aussi urgent mais beaucoup plus difficile : faire sortir l'argent de la politique et y mettre les gens. C'est peut-être le principal changement dont a besoin la démocratie, pour que tiennent en elle les sources et la santé, l'éducation et la nature, la famille et la protection de la vieillesse, le travail et le territoire.

Il y a comme un devoir moral, mais surtout un exercice de survie, à faire sortir l'argent de la politique : Mettre un frein à la ploutocratie, au commerce des sièges, au lobby des corporations, au pouvoir anti-démocratique de la finance, à la politique des affaires. Une politique de l'initiative citoyenne et des communautés réelles. Des élections sans aucun coût, sans autre publicité que l'imagination et l'initiative populaire, des administrations austères, des gouvernants sans privilèges, la politique comme service public, et pas ce bazar de l'envie, de la haine et de l'ambition.

Certains diront que c'est impossible, mais il faut dire que c'est nécessaire. L'époque offre des possibilités illimitées pour la pédagogie et la créativité. Par le bac à vaisselle de la ploutocratie, tout débouche sur la renonciation à toute légalité. De manière croissante, les plus grands négoces mondiaux se font sur le dos des gens. Que toute une partie du monde soit déjà sous le pouvoir des mafias n'est pas un accident, c'est l'accomplissement d'un système qui achète tout et vend tout.

Voilà pourquoi nous avons besoin de nous allier à une loi qui ne puisse pas être achetée. Cette loi ne se trouve que dans la nature et elle va nous parler de plus en plus durement. Cette pandémie est en train de nous le montrer, ce n'est qu'un début.

Traduction : CM




mercredi 7 décembre 2016

L'histoire du tissu qui a enveloppé le Palais de Justice

Il y a quatre ans naissait l'atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" à Bogotá. Et naissait aussi l'idée d'envelopper le Palais de Justice avec des tissus brodés et tissés racontant les histoires de centaines de victimes du conflit armé. 
Ce 4 décembre 2016, le rêve est devenu réalité. 
Quarante organisations de brodeuses y ont participé.

Source :  El Espectador

 Des dizaines de brodeuses ont cousu les histoires vécues par leurs communautés pendant un demi-siècle de conflit.

En comptant leurs pas et à l'œil nu, deux femmes de l'atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" de Bogotá ont mesuré la taille de la zone qui entoure le Palais de Justice puis se sont embarquées dans le rêve "un peu fou" de l'entourer avec des grandes toiles tissées ou brodées. "Il n'y a jamais assez de tissus" ont dit les couturières qui voulaient construire la paix à travers un acte symbolique où la mémoire pourrait entourer la justice. Car selon elles, la justice continue à manquer dans les centaines de maisons de femmes colombiennes qui, à travers leurs broderies, font mémoire des souvenirs tragiques de la guerre et traduisent leurs espérances et leur soif de paix.

Plus de 500 mètres de tissu ont été nécessaires pour entourer le Palais de Justice au centre de Bogotá et atteindre l'objectif que s'était donné il y a quatre ans ce groupe de femmes qui se réunissaient pour coudre et cicatriser leurs blessures avec d'autres victimes du conflit. Quarante et une couturières des zones les plus vulnérables du pays, qui ont souffert les ravages de la guerre pendant un demi siècle, ont rejoint l'initiative. Des femmes qui venaient de El Placer (Putumayo), Bojayá (Chocó), Montes de María (Bolívar) ou de l'est d'Antioquia. Des dizaines d'organisations de défense des droits humains se sont unies à l'événement, qui cherchait à inclure les passants invités à raconter comment ils ont été affectés par le conflit, ce qui les a le plus impactés et de quelle manière ils construisent la paix.

L'an dernier, l'Atelier de Couture "Kilomètres de Vie et de Mémoire" est parti en car avec "40 femmes un peu folles, dont seulement deux avaient été invitées" à une rencontre du Réseau National des Brodeuses pour la Mémoire et pour la Vie. Elles ont découvert les travaux des différentes régions du pays, qui relataient les récits des femmes victimes de la violence de genre, celles qui avaient des parents disparus et celles dont les époux et les fils ont été assassinés. "Cet événement est conçu pour rendre visible la douleur d'autrui, comprendre que cette douleur est aussi notre douleur" explique Ofelia Castillo, directrice de la Fondation Tierra Patria.

Au cours de cette initiative, à laquelle ont participé d'autres collectifs de victimes et où des présentations théâtrales et musicales ont eu lieu, s'est exprimée la nécessité que justice soit faite. A deux heures de l'après-midi, l'assemblage de tous les tissus a commencé, après que les victimes du conflit et les brodeuses aient discuté avec les personnes présentes. Sonia Cifuentes, de l'Association Minga et de l'Atelier Couture Kilomètres de Vie et de Mémoire, souligne que l'objectif était de montrer "les histoires de douleur, les résistances et les rêves que nous avons. Reconnaitre que, tout en étant des victimes, nous construisons des récits depuis l'espérance, la joie et la diversité. C'est un processus de guérison des autres violences qui ont été vécues dans le pays".

Les brodeuses de Mampuján, à María la Baja (Bolívar), dont les familles, la communauté et le territoire ont été dévastés par le conflit, sont une des grandes références dans le pays en matière de réconciliation et de pardon. Avec leurs broderies qui se caractérisent par de multiples couleurs et des dessins de fleuves et de montagnes, elles font mémoire des années où les balles des paramilitaires de Diego Vecino, les menaces, les disparitions et les tortures ont détruit leur environnement. Mais tout n'est pas que tragédie, leurs travaux reflètent aussi les désirs de paix et l'espoir de reconstruire ces liens qui auparavant les tissaient ensemble en société.

"L'idée, c'est que avec toutes ces expériences face au conflit, les espérances de paix que nous avons puissent protéger, recouvrir le Palais de Justice. En plus, c'est une façon de montrer comment nous avons pu nous réconcilier, pardonner et aimer. C'est difficile de parler de paix à partir d'un cœur plein de haine. Nous devons nous réconcilier avec nous-mêmes et avec la nature, parce que nous lui avons fait beaucoup de mal" souligne Juana Alicia Ruiz, leader de l'organisation "Femmes qui tissent des rêves et des saveurs de paix".

A la Fondation Tierra Patria, une organisation de femmes afro-colombiennes victimes du conflit sur la Côte Caraïbe qui fait de la pédagogie pour la paix et les droits humains depuis plus de 15 ans, elle brodent leurs récits depuis 2014. Elles ont commencé avec un petit atelier à Cartagena et aujourd'hui, elles sont 200 femmes à broder. "Nous nous sommes rendues compte qu'il était nécessaire de trouver des espaces pour dialoguer et faire des accompagnements sociaux de manière collective. La couture a été la meilleure manière parce que c'est quelque chose du quotidien. Nous avons toutes appris à coudre l'ourlet d'un uniforme. C'est un espace pour dialoguer et soigner, où nous faisons aussi des ateliers de design, graphisme, peinture, gravure et autres techniques".

"Les femmes ne comprenaient pas le concept de mémoire historique, et chercher à représenter leurs sentiments était difficile. Nous leur avons dit qu'il ne s'agissait pas seulement de broder les faits traumatiques vécus par la communauté, mais aussi d'arriver à penser un futur différent, comme par exemple, qu'un déplacement leur avait permis de créer de nouveaux projets de vie. Broder est un processus qui n'en finit jamais, car une année après, elles modifient tout ce qu'elles avaient fait avant. Dans les ateliers de Montes de María et de Carmen de María, elles n'ont pas voulu recommencer à raconter leurs tragédies. Ce n'était pas une manière de fuir leurs sentiments de tristesse, c'est seulement qu'elles ont voulu se penser au futur et fermer les cycles de guérison" explique Ofelia Castillo.

A Sonsón, une de ces nombreuses communes de l'Est du département d'Antioquia qui était dans la zone d'influence *(des paramilitaires ACCU et) du Bloc José María de Córdoba de las Farc, les ateliers se sont mis en place lentement. Luz Dary Osorio, membre de l'Atelier des Couturières de la Mémoire de Sonsón, explique qu'elles n'aimaient pas coudre au début mais qu'en voyant la puissance de guérison et de reconstruction du tissu social de ces réunions, elles ont compris que c'était un espace pour se redéfinir en tant que personnes.

"Nous avons compris que la propre douleur pouvait être moindre que celle du voisin, que nous ne connaissions pas et dont nous ne savions pas qu'il était aussi victime du conflit. Avec l'atelier, nous avons vu que, entre nous toutes, nous étions capables d'affronter ce qui nous est arrivé, de guérir, de vivre sans nous enfermer et d'arrêter que l'on continue à nous écraser. Aujourd'hui, on n'aime pas être traitée de victimes, parce que ce n'est plus ce que nous ressentons. Ils nous ont amené des psychologues, et moi je n'aimais pas ça. C'est pour ça que les ateliers de couture, ont été pour moi la meilleure des thérapies, parce qu'avec la couture, je façonne ce que je ressens et je n'ai pas à le raconter : Je le brode" explique Luz Dary Osorio.

A six heures du soir, le grand ruban de toile a commencé à être replié. L'objectif était atteint : Reconstruire la mémoire et le tissu social à partir de la vision des différentes victimes du conflit en Colombie. Il manquait bien des points, des fils et des motifs pour rappeler des milliers de colombiens. Mais l'espoir que ces toiles soient des symboles contre l'impunité et l'injustice était apparu clairement. Les couturières sont l'exemple fidèle du pays qui n'oublie pas.

*(note de la traductrice CM)


mercredi 20 avril 2016

Euphorie du printemps

Pour #GlobalDebout

Il fait froid encore. Oui, il fait froid.
Mais l'explosion de beauté du printemps donne une petite tendresse à l'air sec et clair,
Une diversité généreuse,
Une respiration profonde des arbres et des herbes,
Une irrruption de textures fragiles et de couleurs nouvelles,
Un désir irrésistible d'être et de grandir.

La beauté végétale est scintillante, imparable, irrépressible.
Jamais comme cette année je ne m'étais arrêtée sur la révolution concrète du printemps, son énergie éclatante, nuée de pollen ramifiée, jaillissement chromatique de verts, de roses et de blancs.
Et si je m'y arrête autant...
Est-ce parce que l'hiver fut si long et pesant ?
Que le coeur s'attendrit avec le passage des ans ?
Que mon regard s'aiguise avec la conscience qu'il pourrait ne pas être ?

Au vu des guerres du monde en désarroi j'ai, comme jamais, besoin de beauté euphorique.
Et je respire à pleines goulées les effluves de paix végétale. A en crever de rhume des foins.
Car il y a comme une accélération de l'absurdité des flux et des gestes, une tendance au chaos et à la désagrégation, une espèce de programmation de l'obsolescence de l'humanité.
O l'euphorie résistante du printemps
O l'euphorie du printemps
O l'euphorie...
A quand le printemps du monde et sa paix végétale ?
Et si je me tiens debout la nuit, n'est-ce pas pour en promouvoir la venue ?


jeudi 7 avril 2016

El reto de la primavera / L'enjeu du printemps


 A pesar de los restos del frio invernal,
se percibe en el aire la dulzura de la primavera.
El brote de los colores,
la multiplicidad de los verdes,
la despreocupación de los pajaros,
la distensión de los arboles,
la franqueza de la luz del sol matinal...
Despertar.
Renacer.
Este es el reto



Malgré les restes du froid hivernal,
on perçoit dans l'air la douceur de vivre du printemps.
Le jaillissement des couleurs,
la multiplicité des verts,
la négligence des oiseaux,
le relâchement des arbres,
la franchise de la lumière matinale...
Se réveiller.
Renaître.
Voilà l'enjeu


samedi 26 mars 2016

Des trains, des voies, des quais, des gares / Trenes, vias, andenes y estaciones


Des trains, des voies, des quais, des gares
Regards sur les gares
Espaces habités
Attentes et retards
Bagages
Courir, monter, descendre, attendre
Foules et flux
Individus multiples en séries
Perspectives contrariées
Fer, pierre, béton, ciment, cuivre, laiton, goudron
Gris, gris, gris, noir, brumes
Couleurs intruses qui s'imposent


Trenes, vias, andenes y estaciones
Miradas en las estaciones
Espacios habitados
Esperas y retrasos
Maletas
Correr, subir, bajar, esperar
Muchedumbres y flujos
Series de individuos múltiples 
Perspectivas contrarias
Hierro, piedra, hormigon, cemento, cobre, latón, alquitrán
Gris, gris, gris, negro, nieblas
Colores intrusos que se imponen

dimanche 6 mars 2016

Belles en couleur

Après la Marianne à l'oeil distrait et la vieille ficelée ligotée, m'est venu le besoin de belles en couleur. J'ai commencé par décliner le visage de la Pieta de Michel Ange en cherchant à exprimer les ombres et les lumières à travers deux couleurs. Puis j'en ai eu assez des yeux baissés de cette malheureuse: J'ai cherché des visages de femme chez les peintres de la Renaissance. Les humbles poses et les regards baissés vers le fils y sont légion : l'image de "l'idéal féminin" que représente la vierge Marie a décidément le visage penché. Que ce soit dans la tendresse de la naissance ou dans la douleur de la mort du fils, l'humble soumission est de rigueur. 

Je suis donc aller chercher ailleurs. Et j'ai choisi le visage de la jeune fille à la perle de Vermeer. Il y a lá un regard à la fois espiègle et charmeur, libéré des pesanteurs religieuses, avec la hardiesse sensuelle de la perle qui attire les yeux de tous et toutes.



dimanche 21 février 2016

La vieille ficelée ligotée

La vieille ficelée ligotée a fait une incursion à l'Espace d'art La Terrasse de Nanterre. Créée au cours de l'atelier d'arts plastiques du mardi qui a lieu dans cet espace, avec son fichu de paysanne russe, sa tunique de lin ficelée de raphia, ses bottes de cuir et son visage silencieux, elle s'est tenue debout pour interroger les oeuvres de l'Exposition Le sens de la Peine... Toute ligotée et ficelée qu'elle est, reçoit-elle la peine comme une sentence ou comme une souffrance ?





Elle s'est tout d'abord arrêtée devant les particules rouges de velours gratté de Maro Michalakalos. On lui a expliqué qu'il s'agissait du sang d'Hélène, immense voile de velours grenat, corps flottant, corps chimérique qui pend dans le puits de lumière. Corps prisonnier/libéré de la femme, coupable de beauté









Elle a affronté les cerveaux en silicone de Rachel Labastie."Cerveau, champ de bataille de nos prisons mentales, seul champ pourtant où peut souffler le vent de la liberté". Tout auprès des cerveaux, elle a feuilleté "L'exécution" de Robert Badinter en écoutant la Fin de mots de Frank Smith à travers les écouteurs.










Elle a longuement échangé avec la sculpture de Joanna Malinowska, le Cercle de la vie, "un cercle qui, du foetus au squelette, en passant par tous les âges de la vie, se referme sur notre condition humaine. Là est emprisonné le temps possible qu'il nous est donné de vivre. Le cercle peut être plus ou moins grand, nos années de vie plus ou moins longues, mais le cercle ne saurait s'ouvrir".










Derrière le cercle de la Vie, était dessinée sur le mur l'entrée de la maison d'arrêt des Hauts de Seine. En limaille de fer projetée sur une toile aimantée, cette oeuvre a été réalisée in situ par Nicolas Daubane qui explique : "Je réalise des dessins avec de la limaille de fer. Je considère cet état de matière comme le symbole des traces d’une évasion : en limant les barreaux de la cellule, nous partirons les mains recouvertes de limaille".





La vieille ficelée ligotée a ri devant la masse absurde et pleureuse Purger sa peine de Céline Cadaureille. Elle a déambulé sur le plan au sol de la prison panoptique de la Petite Roquette installé par Laure Tixier, s'est étonnée devant les photographies des mises en lumière de modèles réduits de James Casebere, s'est interrogée en regardant le Mal de frontières de Mounir Fatmi, la vidéo Prison de Ali Kazma,  la lumière penchée des photographies de cellules carcérales de la prison abandonnée de Sainte-Anne en Avignon prises par Jean-Michel Pancin, la série de dix vidéos intitulée Ten years in Jail de Jhafis Quintero,

Et enfin, en partant, elle s'est longuement arrêtée sur la place Nelson Mandela pour admirer l'installation des sculptures en bois d'olivier et fils de fer barbelés réalisées par Abdul Rahman Katani.

 



dimanche 14 février 2016

Marianne apeurée ou "la del ojo distraido"


J'ai voulu dessiner le David de Michel-Ange à partir d'une photo et j'en suis arrivée à intituler mon dessin "Marianne apeurée ou la del ojo distraido".
Pourquoi ? 

Il y a d'abord le manque de précision et de technicité de l'apprentie amateure que je suis et qui n'est évidemment pas en capacité de reproduire la finesse et la superbe de l'oeuvre en pierre. Mon objet ne peut pas être de copier ou de reproduire : Il ne m'est possible que d'apprendre à regarder, chercher à comprendre comment l'image se construit et essayer d'attraper son souffle, l'idée qui la porte.

Il y a ensuite ce qui se passe entre l'idée et la matière du trait : Les jeux subtils entre l'impulsion de l'idée, la texture du papier, la résistance du crayon, la mollesse constructive de la gomme et l'autonomie des doigts de la main. Entre l'idée et la matière, je ne sais pas qui des deux inspire l'autre.

Il y a aussi le regard des autres. J'ai montré mon dessin par skype à Bogotá : Manuel m'a dit "Oh, c'est la République effrayée" et Alejandro "Tiene el ojo distraido... para no decir bizco" (Elle a l'oeil distrait... pour ne pas dire qu'elle louche). 

Le dessin et l'idée réappropriée me parlent maintenant des préoccupations d'aujourd'hui : J'aime que Marianne, la République apeurée empêtrée dans l'Etat d'urgence et son identité nationale décomposée, puisse avoir vaincu et vaincre un jour le Goliath de la peur et du soupçon. J'aime qu'elle se garde le droit à un oeil distrait, impertinent, vaguement déviant pour regarder le monde environnant.


jeudi 21 janvier 2016

L'humain d'abord / debout...


Il y a des créativités foisonnantes, de l'ordre du jaillissement et de l'explosion. D'autres sont des sources paisibles et patientes. En ce moment, je fais plutôt dans le jaillissement explosif, la profusion, le collectif, le "Tous ensemble", le multiple, le divers, les mouvements pluriels. C'est pourquoi, quand Catherine Van den Steen nous a proposé de bricoler un personnage debout pour commencer à travailler sur l'humain en volume, dans l’esprit d’Alex Burke dont nous avons côtoyé les poupées exposées pendant trois mois à l'Espace d'art des Terrasses, j'ai pensé non pas à UN mais à DES personnages, non pas à une figure individuelle mais à un groupe.

J'ai pris des bouteilles vides de différentes formes, mis des boules à la place du bouchon pour représenter la tête, je les ai recouvertes avec des chaussettes noires et collé des autocollants récupérés pendant des manifs... Simple, efficace, les messages des autocollants ressortaient. Genre: "Quand on est de gauche, on partage bien plus que des miettes", "Egalitée", "L'humain d'abord".

Catherine Van den Steen a remarqué avec raison que mes bouteilles habillées n'étaient que le support des slogans. Elle m'a demandé pourquoi toutes les figures étaient noires et ce que signifiait l'autocollant "Egalité(e)".

"Quand on est une femme ou quand on est noir, c'est plus compliqué d'être égal(e)" : Ce fut ma première réponse mais la question a continué à résonner et elle a débouché sur la personnalisation des figures, leur individuation. J'ai donc entrepris de les coiffer, les vêtir, leur coudre des yeux et une bouche. Elles sont femmes, elles sont noires, elles n'ont pas la même taille, l'une a des cheveux de paille et un poncho latino américain, l'autre une coiffe africaine et un collier, une autre porte un bébé dans son châle de dentelle. Dans ce processus de "personnalisation", j'ai eu envie de les nommer et j'ai brodé leurs prénoms : Léopoldine, Maria-Elena, Lilah. J'ai aimé à prendre le temps patient de la broderie pour matérialiser à travers leurs noms les personnes représentées par mes bouteilles habillées. J'ai pris du plaisir à "créer de la personnalisation", à matérialiser "l'humain d'abord".

Ecouter Tracy Chapman "Talkin' about a revolution"


jeudi 7 janvier 2016

Le radeau de la Méduse


L'autre jour, au Louvre, je suis restée longtemps face au radeau de la Méduse, ce tableau grand format sombre et glaçant, peint par Géricault en 1819. J'ai été frappée par les paroles d'un homme qui expliquait l'histoire de l'oeuvre à son fils. Je me suis souvenue des paroles de ma mère qui était institutrice : Elle venait chaque année au Louvre avec ses élèves et chaque année elle expliquait la même histoire face au radeau. Avec quasiment quarante ans de différence, les mots de l'homme et ceux de ma mère étaient semblables... Je me suis rendue compte que, face au drame de ce naufrage, il y avait une tradition orale construite autour de questions pour attirer l'attention, pour s'approcher collectivement de la tragédie et arriver au point culminant de l'espérance minuscule.

Un très bon reportage
La Véritable histoire de la Méduse

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dimanche 3 janvier 2016

Réinterpréter le cri


Dans son journal intime (en 1892), Edvard Munch avait ainsi décrit les origines de son oeuvre :

Je me promenais sur un sentier avec deux amis – le soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang – je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture – il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville – mes amis continuèrent, et je restai là, tremblant d’anxiété – je sentis un cri infini traverser la nature. 

En surfant sur Internet, j'ai trouvé 2 vidéos géniales du réalisateur roumain, Sebastian Cosor, qui réinterprètent LE CRI de E.Munch.

Dans le premier film, le tableau prend vie dans un court-métrage d'animation où deux personnages devisent sur la peur de la mort avec “The Great Gig In The Sky” en fond sonore. Le métissage de l'animation, des couleurs de Munch et du son de Pink Floyd font vibrer d'angoisse le personnage hurlant.


Et dans le deuxième film, Sebastian Cosor reprend la même structure mais en la couvrant de neige et en ajoutant une SURPRISE qui m'a fait éclater de rire... Ca fait du bien de rire de la peur !

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