Discours de Evo Morales Ayma,
Président de l'Etat Plurinational de Bolivie
Source : http://www.cancilleria.gob.bo/webmre/node/2361
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Paris, 12 décembre 2017
Frères et soeurs de la presse,
Nous sommes à Paris en réponse à l'invitation du président Emmanuel Macron, du Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Gutierrez et d'autres organismes internationaux. Je profite de cette opportunité pour faire connaitre la position bolivienne sur ce Sommet de la Planète, qui représente un sommet pour la vie, pour l'humanité. Je salue le grand effort du président français qui, au nom de la France, au nom de la vie, nous a appelé, nous les présidents, les organismes internationaux, les experts qui étudient la vie, et particulièrement le futur des générations à venir.
Le temps s'achève pour nous. Alors que nous parlons, ouragans, tremblements de terres, inondations, sécheresses, pollution de l'air, pollution de nos océans et extinction des espèces qui en découlent, sont les conséquences directes du système actuel de production, de consommation et d'industrialisation sans mesure.
Frères et soeurs, le temps s'achève pour nous. Les 5 dernières années ont été les plus chaudes enregistrées dans l'histoire. Les concentrations de gaz à effet de serre continuent à augmenter. Le niveau de la mer continue à monter, les lagunes, les fleuves et leurs affluents sont en train de sécher. Au niveau global, la chaleur des océans atteint une température record.
La glace des deux pôles de la planète est en dessous de sa taille moyenne et nos cordillères perdent leurs couvertures blanches. Le temps s'achève pour nous. Les phénomènes extrêmes sont devenus le plus grand risque pour l'humanité en matière de santé, d'accès à l'eau et aux services de base.
Cette situation aggrave considérablement la crise humanitaire que vit l'Afrique et le Moyen Orient. Dans ma région, l'Amérique Latine et des Caraïbes, les derniers ouragans qui se sont abattus sur la Dominique, Antigua et Barbuda ont provoqué des dégâts qui atteignent 1.100 millions de dollars.
Nous devons attaquer les causes structurelles du changement climatique. Démonter le système de production qui ne se développe pas en harmonie avec la nature, modifier les modèles et la culture de la consommation sans fin, rénover notre relation avec la Mère Terre, en reconnaissant et en respectant ses droits.
Les pays qui ont plus de responsabilité historique sur les dommages à la Mère Terre doivent assumer un plus grand engagement réel et réaliser de plus gros apports.
Nous, les pays du Sud, qui étions avant des colonies et dont les ressources naturelles sont encore exploitées sans une juste rétribution, nous sommes ceux qui souffrons le plus des effets du changement climatique. Par ailleurs, nous sommes les pays qui apportons le plus en matière de réduction des gaz à effet de serre.
La Bolivie génère à peine 0.1% des gaz à effet de serre. Avec les arbres de notre Amazonie, nous capturons et nous nettoyons 2% mondial du dioxyde de carbone polluant. C'est à dire que nous apportons au monde 2% de l'oxygène de notre planète. Nous avons une équation environnementale positive, parce que nous émettons peu de gaz à effet de serre et que nous nettoyons ces gaz. Ainsi nous apportons au monde 20 fois plus d'oxygène que ce que nous polluons.
Pourtant, notre population souffre des terribles sécheresses ou inondations qui affectent sa vie quotidienne. Malgré ces difficultés, la Bolivie a investi ces dernières années plus de 1.600 millions de dollars en projets d'accès à l'eau, accomplissant ainsi les objectifs du millénaire. De plus, nous investissons maintenant 2.600 millions de dollars en diversification de nos sources d'énergie électrique avec des sources d'énergie alternatives et renouvelables.
Frères et soeurs de la presse,
Nous, les pays du Sud, nous sommes les gardiens de la Convention sur le Changement Climatique. Deux ans après la célébration de l'Accord de Paris, nous sommes à nouveau réunis, et nous débattons à nouveau sur les mêmes problèmes de blocage des financements pour une lutte efficace contre le changement climatique.
Si les pays développés ne respectent pas l'engagement de garantir les provisions pour le financement, le transfert de technologies et le développement des capacités, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs. Les pays industrialisés se sont engagés à faire une contribution annuelle de 100.000 millions de dollars pour ce que l'on appelle le financement climatique. Mais en deux ans, il n'y a eu l'assignation que de 10% de cette somme.
Nous voyons avec une grande préoccupation que l'on envisage de transférer cette responsabilité au secteur privé. C'est une erreur historique gravissime. La privatisation de cette responsabilité apportera des conséquences irréversibles.
Frères et soeurs de la presse,
La privatisation est synonyme de capitalisme. On ne peut pas résoudre, avec plus de capitalisme, la crise provoquée par le capitalisme. Prétendre que ce système résolve la crise du changement climatique, c'est comme prétendre donner la responsabilité au renard de veiller sur le poulailler.
Certaines données nous montrent que, uniquement pour atténuer les effets du changement climatique, on doit investir environ 3% du PIB mondial, ce sont des données des Nations Unies. Le financement pour l'adaptation, l'atténuation, la technologie, les forêts, devrait être de 6% du produit national brut des pays développés.
Lamentablement, on dépense plus pour la guerre que pour combattre le changement climatique et ses conséquences. Un exemple clair de tout cela est ce qui arrive avec le principal pollueur de l'histoire de la planète : Les Etats-Unis. Il abandonne l'accord de Paris, méprise la communauté internationale et sa priorité, c'est la guerre, les interventions. Sa dépense militaire pour 2018 arrivera presque à 700 000 millions de dollars.
En tournant le dos à l'accord de Paris et en utilisant tant de ressources pour la guerre, les Etats-Unis ne sont pas seulement en train de construire des murs physiques entre frères, ils construisent le pire des murs dans le monde entier : le mur entre la vie et la mort, le mur qui peut priver nos générations futures de leur droit à la vie. Les Etats-Unis sont la principale menace contre la famille humaine et contre la Mère Terre.
Frères et Soeurs,
C'est pour toutes ces raisons et beaucoup d'autres que nous suggérons les tâches urgentes suivantes, ce sont nos 10 propositions pour cette conférence :
- Reconnaître et respecter les droits de la Mère Terre, son droit à exister et à être respectée intégralement, à maintenir ses cycles vitaux et ses processus évolutifs, à la génération, à la restauration et à la protection de ses structures génétiques.
- La création du Tribunal de Justice Climatique, contraignant, pour qu'il juge et sanctionne les responsables du dommage climatique.
- Reconnaître et solder la dette climatique historique des pays industrialisés envers la planète à cause de la sur-exploitation des ressources naturelles.
- Reconnaître les services basiques comme des droits humains : l'eau et l'énergie ne doivent pas être un commerce privé, mais un service public.
- Les ressources de la guerre doivent être re-dirigées et utilisées pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique, elles doivent servir à faire face aux graves conséquences des catastrophes climatiques.
- Construire un nouvel ordre économique financier mondial, où les relations soient basées sur la complémentarité et la solidarité, et non sur le profit, l'individualisme et l'exploitation.
- La reconnaissance des droits des peuples du monde à accéder à égalité de conditions aux avancées de la science et de la technologie.
- Nous devons récupérer les savoirs ancestraux des Peuples indigènes pour vivre en harmonie avec la nature.
- Nous devons construire une nouveau paradigme de production, de consommation, de développement et de lien avec la Mère Terre : C'est le "Bien Vivre".
- Au niveau politique international, notre devoir est de défendre le multilatéralisme, l'égalité, la souveraineté des Peuples, et notre droit à la Paix, la Paix avec justice sociale, avec la dignité et la souveraineté des peuples.
Frères de la presse,
Le temps s'achève pour nous. Si nous voulons remporter ce défi global, notre lutte doit être contre le capitalisme, contre le colonialisme et contre l'impérialisme. L'être humain ne peut pas vivre sans la Mère Terre mais la Mère Terre peut mieux exister sans l'être humain.
Voici notre proposition pour cette conférence sur la planète convoquée par le président de France.
Merci beaucoup.
Paris 12 décembre 2017
Traduction : CM
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