Source : CAMBIO
Le sénateur parle de la rencontre avec l'ELN (Armée de Libération Nationale) à Cuba et du plan de paix totale qui inclut les dissidents des FARC et les trafiquants de drogue.
Cambio : Comment s'est passée la rencontre à La Havane avec le gouvernement cubain et avec l'ELN ?
Iván Cepeda : Je crois qu'après une période de quatre ans marquée par l'absence d'efforts et de tentatives de paix, cette visite à La Havane montre un modèle et un style totalement différents. En premier lieu, la reconnaissance du rôle que les pays garants ont joué dans ce processus et en particulier celui de Cuba, qui a une longue histoire de plus de quatre décennies de contributions à la paix en Colombie. Cette reconnaissance comprend non seulement la validation des protocoles qui ont servi de support juridique aux actions de Cuba et de la Norvège dans le processus de paix avec l'ELN, mais aussi la reconnaissance du droit international qui avait été ouvertement ignoré par le gouvernement précédent. Et deuxièmement, l'ouverture d'une possibilité certaine et réelle de relancer les pourparlers de paix avec la délégation désignée par l'ELN à cet effet, et l'ouverture de la possibilité que ces pourparlers puissent reprendre dans un bref délai. Bref, ce gouvernement a fait en 48h ce que l'ancien président Iván Duque n'a pas fait en 4 ans.
Cambio : Pourquoi insister sur Cuba alors que l'évocation de ce pays suscite des susceptibilités dans de vastes secteurs de la politique américaine ? Ne serait-il pas plus pratique d'aller avec la table de négociation en Norvège, par exemple, qui est un scénario qui suscite moins d'inquiétudes ?
Iván Cepeda : Cette question, comme beaucoup d'autres liées à la relance des pourparlers, n'a pas été abordée bilatéralement. De ce point de vue, cela signifie qu'il existe de multiples options et propositions qui n'ont pas encore été examinées ensemble. Cependant, et je le dis à titre personnel, une considération qui justifierait de garder Cuba comme lieu des pourparlers est que l'expérience montre que les pourparlers qui ont eu lieu sous l'hospitalité du gouvernement cubain ont été couronnés de succès. Et cela est dû à différentes circonstances que je ne détaillerai pas. J'ajouterais que Cuba a été reconnue internationalement pour ces efforts. Je ne pense donc pas que la décision de poursuivre les dialogues sur son territoire puisse engendrer des conflits ou des préjugés.
Cambio : Et donc de quoi avez-vous parlé ?
Iván Cepeda : Mon expérience en la matière me dit qu'il vaut toujours mieux s'en tenir aux déclarations officielles. Non pas dans ce cas par devoir de réserve, mais plutôt en raison de l'exactitude et de la minutie. Mais si la question concerne ce qui a été discuté avec la délégation de l'ELN, en somme, il s'agit concrètement de la volonté de relancer cette nouvelle étape du processus.
Cambio : Relancer signifie-t-il que vous ne repartirez pas de zéro ?
Iván Cepeda : Dans une récente interview au CM&, le chef de file de l'ELN l'a reconnu lorsqu'il a utilisé le verbe reprendre pour désigner l'action qui régulerait cette nouvelle étape des pourparlers.
Cambio : A ce niveau, c'est une bonne nouvelle que l'on puisse repartir de ce qui a déjà été avancé. Dans cette même interview avec CM&, le haut dirigeant de l'ELN, Antonio García, souligne qu'ils ne sont pas disposés à négocier un accord dans lequel les trafiquants de drogue sont inclus.
Iván Cepeda : Oui, cette distinction est fondamentale et nous l'avons présentée à tous moments. La distinction entre groupes armés insurgés et organisations liées exclusivement aux économies illicites est non seulement maintenue mais constitue aussi un critère de définition du processus à développer en chaque circonstance. Avec l'Armée de Libération Nationale, le gouvernement du président Petro a proposé la reprise d'une table de négociation et de pourparlers de paix qui doivent aboutir à un accord politique. Avec des organisations telles que les AGC (Autodéfenses Gaïtanistes de Colombie) ou le Clan du Golfe, le gouvernement a proposé un dialogue visant un processus d'acceptation de la justice qui a une nature clairement différente de celle d'un accord politique.
Cambio : Laissez-moi vous dire quelque chose. Je crois que le mot "acceptation" est à l'origine de la confusion sur le sujet. Historiquement, il a été question de se soumettre à la justice et maintenant le ministre des Affaires étrangères Leyva a commencé à parler d'acceptation. Cela signifie-t-il que les groupes de trafiquants de drogue feront l'objet d'un traitement politique ?
Iván Cepeda : Pas du tout. Cela signifie que des dialogues ou des approches seront présentés qui conduisent au démantèlement ou à la désactivation de ces structures dans le cadre d'un instrument normatif qui permet d'obtenir des avantages judiciaires si une série d'exigences clairement déterminées sont remplies. Ces dialogues n'impliquent pas une négociation, mais de trouver le moyen de rendre cette procédure viable. Dans ces processus, en outre, l'État doit aborder la situation des territoires dans lesquels ces groupes ont exercé leur influence et leur présence. Donc ces mesures judiciaires seront accompagnées d'autres mesures qui répondent aux besoins spécifiques de ces populations dans le cadre, non pas d'une négociation, mais d'un devoir constitutionnel.
Cambio : Plus précisément, quelle est la différence entre l'acceptation et la soumission ?
Iván Cepeda : L'acceptation implique le rapprochement et les dialogues que je viens d'évoquer. Pas la soumission
Cambio : C'est-à-dire que la loi qui sera appliquée pour punir leurs crimes sera discutée avec les groupes de narcotrafiquants ?
Iván Cepeda : Non.
Cambio : Et alors ?
Iván Cepeda : Les délais, les détails opérationnels et logistiques pour mener à bien cette tâche seront discutés comme cela a été fait à d'autres occasions. Ce n'est pas nouveau. Il y a déjà eu d'autres expériences dans le passé comme celle menée dans le gouvernement Uribe.
Cambio : Est-ce à dire que vous appréciez ce qui a été fait dans le gouvernement Uribe avec les paramilitaires ?
Iván Cepeda : Toute expérience en matière de paix est utile, y compris celles qui ont eu lieu à cette époque. C'est en cela que consiste la politique de paix d'un État. En Colombie, nous devons abandonner au plus vite l'idée que la paix est une question idéologique ou partisane et non un problème national.
Cambio : Le problème est qu'il existe une autre expérience historique de négociation avec les trafiquants de drogue. Il s'agit de ce qui s'est passé pendant le gouvernement de César Gaviria avec les décrets de soumission à la justice du cartel de Medellín et particulièrement de Pablo Escobar. Ça s'est presque bien passé avec les Ochoa et mal avec Pablo Escobar.
Iván Cepeda : Je dirais qu'il faut intégrer les expériences utiles et positives.
Cambio : L'avant-projet de loi établit trois conditions pour que les organisations criminelles puissent demander des avantages : qu'il s'agisse d'une structure criminelle organisée; qu'elle ait un contrôle territorial et la capacité de mener des opérations soutenues contre la force publique. Ne pensez-vous pas qu'ils peuvent violemment rechercher l'accomplissement de ces conditions ? N'est-ce pas une incitation perverse?
Iván Cepeda : Non, je ne le pense pas car, selon moi, ce qui a renforcé les réseaux de narcotrafiquants et leurs organisations, ce ne sont pas les formules de recours à la justice mais plutôt le modèle de guerre contre le narcotrafic et l'action uniquement policière et punitive. C'est le cycle dans lequel nous nous trouvons depuis des décennies, et qui a montré son échec retentissant.
Trad° : CM
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