Source : VOZ
Le nouveau président de la République de Colombie s'appelle Gustavo Francisco Petro Urrego. Il a pris ses fonctions ce dimanche 7 août 2022 sur la Plaza de Bolívar à Bogotá au cours d'une cérémonie émouvante où le principal protagoniste était le peuple.
Sous un soleil radieux qui a illuminé la place emblématique de la capitale, Gustavo Petro et la vice-présidente Francia Márquez Mina ont juré non seulement de défendre la Constitution politique, mais aussi de tenir la promesse de changement faite aux citoyens. Alors que Petro a exigé de l'establishment militaire que l'épée de Bolívar soit présente pendant la cérémonie par mandat populaire, la nouvelle ministre de l'Égalité a invoqué ses ancêtres dans son serment "jusqu'à ce que la dignité devienne une habitude".
En rupture avec le protocole, l'écharpe présidentielle a été remise par la sénatrice de la République, María José Pizarro. C'est un acte symbolique puisque le père de la sénatrice était Carlos Pizarro Leóngómez, le dernier commandant de la guérilla M-19 où le nouveau chef de l'Etat a milité dans sa jeunesse.
Discours de Roy
Après avoir vu une exposition de photos qui dépeint crûment les images que le conflit armé a laissées et continue de laisser, le président du Sénat de la République, Roy Barreras, a pris la parole dans un discours où il a rappelé les idées libérales du XIXe siècle, l'histoire tragique des guerres dans le pays, le rôle de l'Accord de paix dans l'objectif supérieur de paix et la puissante mobilisation sociale qui a conduit à la victoire d'un représentant de la gauche démocratique du pays.
« Le triomphe de Gustavo Petro est la démonstration que la violence politique n'est pas la voie, que la paix et les transformations passent par des moyens démocratiques (…) C'est ce que nous sommes venus faire aujourd'hui. Arrêter la machine de la mort et faire de la Colombie une puissance mondiale de la vie », a déclaré le sénateur du Pacte historique. À la fin, sur ordre du président de la République, une pause a dû être décrétée jusqu'à ce que l'épée de Bolívar atteigne la place principale du pays.
L'épée de Bolívar et le discours de Petro
Après plusieurs minutes, l'épée emblématique de Bolívar est arrivée vers quatre heures vingt de l'après-midi. Et ainsi, dans ce qui peut être considéré comme son premier acte de gouvernement, le président Petro a commencé son premier discours en tant que chef de l'État, considéré comme le plus important de sa vie.
« Cette épée a tellement de sens pour nous toutes et tous. Nous voulons qu'elle ne soit plus jamais enterrée. Qu'elle ne soit rengainée que lorsqu'il n'y aura plus d'injustice dans le pays. Son véritable propriétaire est le peuple », a déclaré Petro, la voix brisée par l'émotion.
TRADUCTION DU DISCOURS DE GUSTAVO PETRO
Bogotá, Place de Bolívar, 7 août 2022
Arriver jusqu'ici implique sans aucun doute de traverser une vie. Cette vie immense qui ne se parcourt jamais seul. Il y a ici ma mère, Clara. Sans elle, rien n'existerait en moi en ce moment. Voici mon père, Gustavo, homme des Caraïbes. Voici ma soeur et mon frère, Adriana et Juan, qui m'ont supporté et me supportent.
Voici mes enfants, Nicolás Petro, Nicolás Alcocer, Andrea et Andrés, Sofa et Antonella, mes petites dont le coeur et l'âme s'épanouissent. Voici Verónica Alcocer, qui m'a accompagné, qui m'a donné une progéniture, la vie même. Dont l'amour a rendu tout possible. Elle ne sera pas là juste pour m'accompagner, mais pour accompagner les femmes de Colombie dans leurs efforts pour aller de l'avant, créer, se battre, être. Vaincre la violence à l'intérieur et à l'extérieur des familles, construire la politique de l'amour.
Et voici le peuple, dans le parcours de mon existence. Voici les mains humbles du travailleur, voici les paysans et ceux qui balayent les rues. Voici les cœurs au travail, les aspirations de celles et ceux qui souffrent, voici les travailleuses qui m'ont embrassé quand je tombais, quand je me sentais faible. L'amour pour les gens, pour celles et ceux qui souffrent d'exclusion, c'est ce qui m'a amené ici pour unir et construire une nation.
Le "Cent Ans de Solitude" de notre bien-aimé Gabriel García Márquez se termine ainsi : « Tout ce qui y était écrit était inimitable à tout jamais car les lignées condamnées à cent ans de solitude n'avaient pas de seconde chance sur terre ».
Souvent dans notre histoire, les colombiens et les colombiennes ont été renvoyés à la condamnation de l'impossible, au manque d'opportunités, à des NON retentissants. Je veux dire à tous les Colombiens et à toutes les Colombiennes qui m'écoutent sur cette Plaza Bolívar, aux alentours, dans toute la Colombie et à l'étranger que notre deuxième chance commence aujourd'hui.
Nous l'avons mérité. Vous l'avez mérité. Votre effort a valu et en vaudra la peine. Il est temps de changer. Notre avenir n'est pas écrit. Nous possédons le stylo et nous pouvons l'écrire ensemble, dans la paix et la solidarité.
Aujourd'hui commence la Colombie du possible. Nous sommes ici contre toute attente, contre une histoire qui disait que nous n'allions jamais gouverner, contre l'habitude, contre ceux qui ne voulaient pas lâcher le pouvoir. Mais nous l'avons fait. Nous avons rendu l'impossible possible. Avec le travail, en voyageant et en écoutant, avec des idées, avec amour, avec effort. À partir d'aujourd'hui, nous commençons à travailler pour rendre possibles des choses impossibles en Colombie. Si nous avons pu, nous le pourrons. Que la paix soit possible. Nous devons mettre fin, une fois pour toutes, à six décennies de violence et de conflit armé. On le peut. Nous respecterons l'Accord de paix, nous suivrons strictement les recommandations du rapport de la Commission vérité et nous travaillerons sans relâche pour apporter la paix et la tranquillité dans tous les coins de la Colombie. Ce gouvernement est celui de la vie, de la paix, et c'est ainsi qu'on s'en souviendra.
La paix est possible si nous libérons le dialogue social dans toutes les régions de Colombie, pour nous retrouver au milieu des différences, pour nous exprimer et être entendus, pour chercher par la raison, les chemins communs de la coexistence. C'est la société dans son ensemble qui doit discuter du comment ne pas s'entretuer et comment progresser. Dans les dialogues régionaux, nous appelons toutes les personnes non armées à chercher les chemins du territoire qui permettent la coexistence. Peu importe les conflits, il s'agit précisément de les mettre en évidence par des mots, d'essayer de trouver des solutions par la raison. C'est avec plus de démocratie, plus de participation que je propose de mettre fin à la violence.
Mais nous appelons aussi toutes celles et ceux qui sont armés à déposer les armes dans les nébuleuses du passé. A accepter des avantages juridiques en échange de la paix, en échange de la non-répétition définitive de la violence, pour travailler en tant que propriétaires d'une économie prospère mais légale, qui mette fin au retard des régions.
Pour que la paix soit possible en Colombie, il faut dialoguer, beaucoup dialoguer, se comprendre, chercher des voies communes, produire des changements.
Bien sûr que la paix est possible si, par exemple, la politique contre la drogue vue comme une guerre, est changée par une politique de prévention forte de la consommation dans les sociétés développées.
Il est temps qu'une nouvelle convention internationale accepte que la guerre contre les drogues a échoué, qu'elle a laissé un million de Latino-Américains assassinés au cours de ces 40 années et qu'elle laisse des Nord-Américains morts par overdose chaque année. Que la guerre contre les drogues a renforcé les mafias et affaibli les États. Que la guerre contre les drogues a conduit les États à commettre des crimes et a effacé l'horizon de la démocratie. Allons-nous attendre qu'un autre million de Latino-Américains soient assassinés et que les overdoses atteignent 200 000 aux États-Unis chaque année ? Changeons plutôt la politique de l'échec contre un succès qui permette à la Colombie et à l'Amérique latine de vivre en paix.
Que l'égalité soit possible. 10% de la population colombienne possède 70% de la richesse. C'est absurde et immoral. Ne naturalisons pas les inégalités et la pauvreté. Ne détournons pas les yeux, ne soyons pas complices. Avec de la volonté, des politiques de redistribution et un programme de justice, nous allons rendre la Colombie plus égalitaire et avec plus d'opportunités pour toutes et tous.
L'égalité est possible si nous sommes capables de créer de la richesse pour toutes et tous, et si nous sommes capables de la répartir plus équitablement. C'est pourquoi nous proposons une économie basée sur la production, le travail et la connaissance. Et c'est pourquoi nous proposons une réforme fiscale génératrice de justice. Prendre une partie de la richesse de ceux qui ont le plus et gagnent le plus, pour ouvrir les portes de l'éducation à tous les enfants et à tous les jeunes, ne doit pas être considéré comme une punition ou un sacrifice. C'est tout simplement le versement solidaire de quelqu'un qui a de la chance, à une société qui permet et garantit sa fortune. Si nous sommes capables d'apporter une partie de la richesse créée aux enfants sous-alimentés grâce à quelque chose d'aussi simple que de payer des impôts légaux, nous serons plus justes et plus en paix. Ce n'est pas seulement une question de charité, c'est une question de solidarité humaine. La solidarité est ce qui a permis aux peuples de survivre et de réaliser les plus grandes conquêtes de la culture et de la civilisation.
Nous n'avons pas avancé en tant qu'humanité en nous faisant concurrence, nous l'avons fait en nous entraidant. C'est pourquoi nous sommes vivants sur cette planète. Nous serons égaux quand celui qui a le plus paiera ses impôts avec plaisir, avec fierté, en sachant qu'il aide son prochain, jeune garçon, jeune fille, bébé, femme, à grandir en bonne santé, à penser, vivre avec la plénitude que donne la nutrition et l'éducation du cerveau et de l'âme.
La solidarité est dans l'impôt payé par ceux qui peuvent le payer et dans les dépenses de l'État qui vont à ceux qui en ont besoin pour leur enfance, pour leur jeunesse, pour leur vieillesse.
C'est pourquoi nous avons proposé une réforme fiscale, une réforme de la santé et des retraites, une réforme du contrat de travail, une réforme de l'éducation. C'est pourquoi nous avons donné la priorité dans le budget aux infrastructures d'éducation, de santé, d'eau potable, aux districts d'irrigation et aux routes de quartier. Les impôts ne seront pas confiscatoires, ils seront simplement justes, dans un pays qui doit reconnaître l'énorme inégalité sociale dans laquelle nous vivons comme une aberration, dans un État qui doit protéger la transparence des dépenses, et dans une société qui mérite de vivre en paix.
Être une société de la connaissance, c'est-à-dire une société dont tous les membres ont le maximum d'éducation et de culture, n'est pas une utopie. Des peuples plus pauvres que nous il y a des décennies, ne sont aujourd'hui des sociétés du savoir que parce qu'ils ont investi pendant des décennies et en priorité dans l'éducation publique.
Le temps est venu de rembourser la dette à notre éducation publique pour qu'elle atteigne toutes et tous. Et qu'elle soit de qualité.
Le temps est venu de prendre conscience que la faim progresse. Elle progresse dans le monde entier parce que l'idée d'une sécurité alimentaire basée exclusivement sur le commerce international s'est effondrée. Le commerce international en soi n'est ni positif ni négatif, mais s'il n'est pas géré intelligemment et planifié, il peut détruire des économies et des vies. Le monde apprend aujourd'hui l'importance de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est la garantie que doit avoir toute société de pouvoir consommer ses nutriments essentiels. La Colombie est un pays qui devrait et peut jouir de la souveraineté alimentaire pour atteindre l'objectif Faim zéro. Une mission d'État avec tout le secteur privé qui le voudra doit garantir une alimentation saine et complète à toute la société colombienne et réaliser des excédents d'exportation. Au pays où l'être humain a découvert le maïs, il faut à nouveau produire du maïs. L'État devra fournir l'irrigation, le crédit, les techniques, les semences améliorées, la protection. Les paysans et l'entreprise privée pourront fournir le travail et l'engagement quotidien pour que nos champs produisent à nouveau la nourriture dont notre peuple a besoin.
Nous construirons à nouveau des périmètres d'irrigation avec l'armée, et des maisons paysannes et des routes de quartier avec les soldats de la Patrie. L'armée, la société et la production peuvent s'unir dans une nouvelle éthique sociale indestructible. Les hélicoptères et les avions, les frégates, ne servent pas seulement à bombarder ou à tirer, ils peuvent servir aussi à créer la première infrastructure de santé préventive du peuple colombien. Ce n'est que si nous produisons, que nous serons riches et prospères en tant que société. La richesse est dans le travail et le travail est de plus en plus, celui de l'intelligence.
C'est pourquoi, à partir d'aujourd'hui, tous les actifs en voie d'extinction du domaine de la SAE deviendront la base d'une nouvelle économie productive gérée par des organisations paysannes, par des coopératives urbaines de jeunes productifs, et par des associations féminines populaires.
Que l'égalité des genres soit possible. On ne peut pas continuer à permettre que les femmes aient moins d'opportunités d'emploi et gagnent moins que les hommes, qu'elles passent trois ou quatre fois plus d'heures à prendre soin des autres, qu'elles soient moins représentées dans nos institutions. Il est temps de combattre toutes ces inégalités et d'équilibrer les balances.
Que l'avenir vert soit possible. Le changement climatique est une réalité. Et c'est urgent. Ce n'est ni la gauche ni la droite qui le disent, la science le dit. Nous devons et nous pouvons trouver un modèle économiquement, socialement et écologiquement durable.
Il n'y aura un avenir que si nous équilibrons nos vies et l'économie du monde entier avec la nature. La science a annoncé la possible extinction de l'espèce humaine dans un ou deux siècles seulement en raison des effets sur la santé que la crise climatique entraînerait. Le virus covid a montré à toute l'humanité l'alerte vivante et réelle de cette possibilité.
La science ne semble pas avoir tort. C'est pourquoi depuis la Colombie, nous demandons au monde de l'action et non de l'hypocrisie.
Nous sommes prêts à passer à une économie sans charbon et sans pétrole, mais cela ne représente pas grand-chose pour aider l'humanité. Ce n'est pas nous qui émettons des gaz à effet de serre. Ce sont les riches du monde qui le font et qui rapprochent les êtres humains de l'extinction. Mais nous avons la plus grande éponge pour absorber ces gaz après les océans : la forêt amazonienne.
L'un des piliers de l'équilibre climatique et de la vie sur la planète est la forêt amazonienne. Allons-nous laisser cette jungle être détruite pour atteindre le point de non-retour de l'extinction de l'humanité ? Ou allons-nous la sauver avec l'humanité elle-même qui veut continuer à vivre sur cette terre ? Où est le fonds mondial pour sauver la forêt amazonienne ? Les discours ne la sauveront pas. Nous pouvons convertir toute la population qui habite aujourd'hui l'amazonie colombienne en une population qui prenne soin de la jungle, mais nous avons besoin des fonds du monde pour le faire. S'il est si difficile d'obtenir l'argent que les taxes sur le carbone et les fonds climatiques devraient accorder pour sauver quelque chose d'aussi essentiel, alors je propose à l'humanité d'échanger la dette externe contre des dépenses internes pour sauver et récupérer nos jungles, nos forêts et nos zones humides. Réduisez la dette extérieure et nous dépenserons le surplus pour sauver des vies humaines.
Si le FMI aide à échanger la dette pour une action concrète contre la crise climatique, nous aurons une nouvelle économie prospère et une nouvelle vie pour l'humanité.
Les "on ne peut pas" et les "ça a toujours été comme ça", c'est fini. Aujourd'hui commence la Colombie du possible. Aujourd'hui commence notre deuxième chance.
A partir d'aujourd'hui, je suis le président de toute la Colombie et de tous les colombiens et colombiennes. C'est mon devoir et c'est mon souhait. La Colombie n'est pas seulement Bogotá. Le gouvernement du changement sera décentralisé. Je vous promets que nous serons présents et travaillerons dans tout le pays, de Leticia à Punta Gallinas, de Cabo Manglares à l'Isla San José. L'absence de l'État dans de nombreuses régions du pays fait très mal. Ca suffit. Je vais travailler pour que le lieu de naissance ne conditionne pas ton avenir et pour que l'État soit présent dans tous les coins de la Colombie.
J'apprécie la présence des présidents, présidentes et autres représentants des peuples frères d'Amérique latine et du monde. A une époque où l'on voit des nations sœurs se bombarder, ici, au cœur de la Colombie, au cœur de l'Amérique latine, il y a une douzaine de présidents de la région, avec une diversité idéologique et des trajectoires différentes, mais tous unis et solidaires partageant cette véritable fête de la démocratie.
Il est temps de sortir des blocs, des groupes et des différences idéologiques pour travailler ensemble. Comprenons une fois pour toutes que ce qui nous unit est bien plus que ce qui nous sépare. Et qu'ensemble nous sommes plus forts. Faisons de cette unité rêvée par nos héros, Bolívar, San Martín, Artigas, Sucre et O'Higgins, une réalité. Ce n'est pas une utopie ni du romantisme. C'est le moyen de nous rendre forts dans ce monde complexe.
Aujourd'hui, nous devons être plus ensemble et unis que jamais. Comme l'a dit un jour Simón Bolívar : « L'union doit nous sauver, tout comme la division nous détruira si elle réussit à s'introduire entre nous". Mais l'unité latino-américaine ne peut pas être une rhétorique, un simple discours. Nous venons de vivre peut-être le pire de la pandémie de covid, et l'Amérique latine n'a pas su se rassembler, se coordonner, acheter les vaccins les moins chers. Dans la pratique, elle a été sans capacité de négociation, dispersée dans ses gouvernements. Allons-nous avoir une Amérique latine sans capacité de recherche scientifique ? Une Amérique latine sans capacité de coordonner ses services de santé, sans capacité de coordonner les achats de médicaments de manière unifiée ?
L'Amérique latine se réunit dans certaines institutions, mais pas sur des des projets concrets. Avons-nous réussi à réaliser le raccordement de tous nos réseaux électriques ? Existe-t-il un réseau électrique qui couvre toute l'Amérique ? Avons-nous réussi à rendre nos sources d'énergie propres ? N'est-il pas temps d'encourager les compagnies pétrolières publiques et nos sociétés de transport d'électricité à construire l'instrument commercial et financier latino-américain qui soutiendra les investissements dans la production d'énergie propre et dans le transport de cette énergie à l'échelle continentale ?
La Colombie mettra l'accent international sur la conclusion des accords les plus ambitieux possibles pour freiner le changement climatique et défendre la paix mondiale. Nous ne sommes pas avec la guerre. Nous sommes avec la Vie.
Nous chercherons de plus grandes alliances avec l'Afrique d'où nous venons, nous chercherons une alliance des peuples afro en Amérique, nous chercherons à ce que San Andrés soit un centre de santé, culturel et éducatif de la Caraïbe antillaise ; Tous les ambassadeurs de Colombie aux Antilles partiront de là.
Nous chercherons une alliance avec le monde arabe sur la voie de l'évolution vers les nouvelles économies décarbonées. Nous chercherons à unir notre Buenaventura et notre Tumaco à la riche et productive Asie de l'Est.
Notre hymne, qui est l'un des plus beaux du monde, dit "sentir ou souffrir". La Colombie accumule des siècles de souffrance. Une mère qui ne peut pas nourrir son enfant en souffre. Un jeune homme qui émigre parce qu'il ne trouve pas d'opportunités en souffre. Une grand-mère ou un grand-père qui n'a pas une retraite décente en souffre. La Colombie dont nous rêvons, la Colombie que nous voulons, la Colombie que nous méritons est la Colombie que nous voulons ressentir. La Colombie qui vibre, qui s'efforce, qui aspire et travaille pour la paix. Qui veut une terre prospère, avec des chances égales quelque soit son lieu de naissance, quelque soit le nom de famille de ses parents ou la couleur de sa peau. C'est la Colombie que nous voulons ressentir et pour laquelle nous travaillerons jusqu'au dernier jour de notre mandat.
Dans ce premier discours comme président de la Colombie, devant le pouvoir législatif, et devant mon peuple, je veux partager mon décalogue de gouvernement et mes engagements.
Je travaillerai pour parvenir à une paix vraie et définitive. Comme personne, comme jamais auparavant. Nous allons respecter l'Accord de paix et suivre les recommandations du rapport de la Commission Vérité. Le "Gouvernement de la Vie" est le "Gouvernement de la Paix". La paix est le sens de ma vie, c'est l'espoir de la Colombie. Nous ne pouvons pas décevoir la société colombienne. Les morts le méritent. Les vivants en ont besoin. La vie doit être la base de la paix. Une vie juste et sûre. Une vie à vivre savoureuse, à vivre heureuse, pour que le bonheur et le progrès soient notre identité.
Je prendrai soin de nos grands-pères et grands-mères, de nos garçons et filles, des personnes handicapées, des personnes que l'histoire ou la société ont marginalisées. Nous ferons une "politique des soins" afin que PERSONNE ne soit laissé pour compte. Nous sommes une société solidaire, qui se soucie et prend soin des autres. Que votre gouvernement le soit aussi. Nous ferons une politique sensible à la souffrance et à la douleur des autres, avec des outils et des solutions pour créer l'égalité.
Je gouvernerai avec et pour les femmes de Colombie. Aujourd'hui, ici, un gouvernement paritaire commence et avec un ministère de l'égalité.
Enfin ! Avec notre vice-présidente et ministre Francia Márquez, nous allons travailler pour que le genre ne détermine pas combien tu gagnes ou comment tu vis. Nous voulons une égalité et une sécurité réelles pour que les femmes colombiennes puissent marcher tranquillement et ne pas craindre pour leur vie.
Je dialoguerai avec toutes et tous, sans exceptions ni exclusions. Ce sera un gouvernement de la porte ouverte pour quiconque veut discuter des problèmes de la Colombie. Peu importe son nom, d'où qu'il vienne. L'important n'est pas d'où nous venons, mais où nous allons. Le désir d'avenir nous unit, pas le poids du passé. Nous allons construire un Grand Accord National pour établir la feuille de route de la Colombie pour les années à venir. Le dialogue sera ma méthode, les accords mon but.
J'écouterai les colombiennes et les colombiens comme je l'ai fait pendant toutes ces années. On ne gouverne PAS à distance, loin des gens et déconnecté de leurs réalités. Bien au contraire : on gouverne en écoutant. Nous allons concevoir des mécanismes et des dynamiques pour que chaque colombien se sente entendu dans ce gouvernement. Je ne serai pas pris au piège par les voiles de la bureaucratie. Je serai proche des problèmes. Je marcherai aux côtés et avec les colombiens de tous les coins de Colombie. C'est parce qu'on est proche qu'on peut comprendre et se mettre à la place de l'autre.
Je défendrai les Colombiens et les Colombiennes contre la violence et je travaillerai pour que les familles se sentent en sécurité et sereines. Nous le ferons avec une stratégie de sécurité globale. La Colombie a besoin d'une stratégie qui va des programmes de prévention à la poursuite des structures criminelles et à la modernisation des forces de sécurité. Les vies sauvées seront notre principal indicateur de succès. Le crime se combat de multiples manières. Toutes essentielles. Je veux défendre les familles colombiennes contre l'insécurité journalière et quotidienne : que ce soit la violence sexiste ou toute autre violence.
Je lutterai contre la corruption d'une main ferme et sans hésitation. Un gouvernement "tolérance zéro". Nous allons récupérer ce qui a été volé, faire en sorte que cela ne se reproduise plus et transformer le système pour décourager ce type de pratique. Ni famille, ni amis, ni collègues, ni collaborateurs... Personne n'est exclu du poids de la Loi, de l'engagement contre la corruption et de ma détermination à la combattre.
Je protégerai notre sol et notre sous-sol, nos mers et nos rivières. Notre air et notre ciel. Nos paysages nous définissent et nous remplissent de fierté. Et, pour cette raison, je ne permettrai pas que la cupidité de quelques-uns mette notre biodiversité en danger. Nous allons lutter contre la déforestation incontrôlée de nos forêts et favoriser le développement des énergies renouvelables. La Colombie sera une puissance mondiale de la vie. La planète Terre est la "maison commune" des êtres humains. Et la Colombie, de par ses énormes richesses naturelles, va mener ce combat pour la vie planétaire.
Je développerai l'industrie nationale, l'économie populaire et la campagne colombienne. Sans distinctions ni préférences. Nous allons accompagner et soutenir tous ceux qui luttent pour la Colombie : le paysan qui se lève à l'aube, l'artisan qui fait vivre notre culture, l'entrepreneur qui crée du travail. Nous avons besoin de chacun pour grandir et redistribuer la richesse. La science, la culture et la connaissance sont le carburant du XXIe siècle. Nous allons développer la société de la connaissance et de la technologie.
Je respecterai et ferai respecter notre Constitution. Celle qui dit dans son article 1 : « La Colombie est un État social de droit, organisé sous la forme d'une République unitaire, décentralisée, avec autonomie de ses entités territoriales, démocratique, participative et pluraliste, fondée sur le respect de la dignité humaine, sur le travail et la solidarité des personnes qui la composent, dans la primauté de l'intérêt général ».
Nous développerons également une nouvelle couverture légale qui rende notre développement durable, juste et équitable. La loi, comme le dit Paolo Flores d'Arcais, c'est le pouvoir de ceux qui n'ont pas de pouvoir. Nous avons besoin de meilleures lois, de nouvelles lois au service de la grande majorité et garantissant leur respect. Je crois vraiment que les débats de nos assemblées législatives seront fructueux et offriront des résultats pour la société colombienne. Il y a beaucoup de travail à faire et je fais entièrement confiance à nos représentants.
Et enfin, je vais unir la Colombie. Nous unirons, entre toutes et tous, notre chère Colombie. Nous devons dire stop à la division qui nous confronte en tant que peuple. Je ne veux pas deux pays, comme je ne veux pas deux sociétés. Je veux une Colombie forte, juste et unie. Les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que nation exigent une étape d'unité et de consensus basiques. C'est notre responsabilité.
Je termine ici avec ce qu'une enfant Arhuaca m'a dit lors de la cérémonie de possession ancestrale que nous avons faite vendredi dans la Sierra Nevada.
«Pour harmoniser la vie, pour unifier les peuples, pour guérir l'humanité, ressentir la douleur de mon peuple, des gens d'ici, que ce message de lumière et de vérité se répande dans tes veines, dans ton cœur et qu'ils deviennent des actes de pardon et de réconciliation mondiale, mais d'abord, dans nos cœurs et mon cœur, merci."
Cette deuxième opportunité est pour elle, et pour tous les enfants, garçons et filles de Colombie.
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