jeudi 3 août 2017

De la Syrie au Venezuela. Un regard depuis la Colombie


Par Victor de Currea-Lugo in Las dos orillas

J'ai vu des manifestations en Syrie et au Venezuela. J'ai discuté avec des vénézuéliens et des syriens qui, pareillement, vivent loin de leurs pays avec la nostalgie que cela implique. J'ai lu et écouté des arguments de secteurs qui soutiennent ou qui s'opposent à leurs gouvernements. Au delà des amours et des haines, des agendas politiques et des appels au combat, je trouve qu'il y a une terrible coïncidence du moment politique vécu dans ces deux pays.

En 2011, en Syrie, les gens sont sincèrement sortis dans les rues, comme le font aujourd'hui de nombreux vénézuéliens, et il n'est pas nécessaire ici que nous nous mettions à discuter pour savoir si nous considérons valides ou pas leurs étendards. Les gouvernements, avec aussi un certain esprit d'ouverture, ont cherché (bien ou mal) à créer des espaces de dialogue qui n'ont pas prospéré. A ce niveau là, le problème se limite à la rupture du consensus social sur le gouvernement et la forme de gouverner, à un mécontentement social croissant et à une communauté internationale à l'expectative.

Dans les deux cas, on a vu : un mélange de raisons objectives qui motivent les protestations, une ambiance de crise gouvernementale, une théorie de la conspiration et une action sociale de l'Etat qui lui donnait une certaine légitimité.

Cette année (2017), j'ai eu l'occasion de retourner au Liban. J'y ai rencontré des syriens favorables ou opposés au régime mais c'est surtout avec des réfugiés et des victimes que j'ai parlé. Après avoir fait mémoire avec eux des premiers mois de la révolte en 2011 et de sa militarisation rapide, je suis arrivé à une conclusion : aucune des deux parties ne voulait faire de la Syrie ce qu'elle est aujourd'hui, mais des deux côtés, leurs désirs de vaincre l'autre se sont retournés contre eux à des degrés divers.

Cela peut paraître ingénu mais je crois fermement qu'au départ, les deux parties ne voulaient pas transformer la Syrie en malheur collectif, avec un pays où plus de la moitié de la population est déplacée ou réfugiée, avec des centaines de milliers de morts et une économie détruite. Ils ne le voulaient pas mais ils l'ont fait tous ensemble : car au delà des agendas politiques externes de l'un ou l'autre camp, ce sont principalement des syriens qui appuient sur la gâchette.

Les vénézuéliens n'ont pas le cran combatif des arabes (ce qui est ici plutôt un avantage), mais le manque d'espaces alternatifs où l'on puisse reformuler le contrat social et envisager des processus de dialogue, pourraient amener nos voisins à très mal finir.

Pour beaucoup de syriens, les choses qui justifiaient la violence des premières années leur importent peu aujourd'hui. Faute d'un résultat rapide au niveau militaire et vu le coût énorme de la guerre, ils sont amenés à reconsidérer le chemin parcouru, pas par pacifisme mais par pragmatisme. Quelqu'un a dit que l'on peut savoir comment commence une guerre mais pas comment elle finit. Les Venezuela, celui qui est avec le gouvernement et celui qui est contre, devraient prévoir les résultats des chemins qu'ils choisissent, pour leur propre bien et celui du Venezuela en entier.

C'est vrai qu'ils ont été des millions à voter contre Maduro dans la consultation de l'opposition,  que l'inflation est bien réelle et que le retour sur la Constitution de Chávez peut être perçue comme une marche en arrière du chavisme lui-même. Mais c'est vrai aussi qu'ils ont été des millions à voter en faveur de l'Assemblée Constituante proposée par le gouvernement. Une bataille de chiffres est, à l'évidence, secondaire. Ce qui s'impose, c'est une solution négociée, pas seulement pour résoudre le problème du conflit actuel mais aussi pour prévenir une escalade de violence qui mènerait à une guerre civile indésirable. Les puissances ont alimenté la guerre en Syrie et pourraient alimenter celle du Venezuela. La solution en Syrie est de laisser les syriens décider de leur propre futur. Il en est de même pour le cas vénézuélien.

Il s'agit d'inviter à la réflexion sur les conséquences des chemins qui se prennent et, aussi, sur la responsabilité des parties. On ne peut pas répondre en disant que Maduro est un dictateur, ni que l'opposition est guidée par les Etats-Unis. Il est essentiel de chercher une solution, tant que c'est possible.

PS : Je ne demande pour le Venezuela rien d'autre que ce que je demande pour la Colombie, et vice-versa. Mais ces normes (par exemple en matière de droits humains) semblent être bafouées dans des sociétés polarisées comme la Colombie, le Venezuela et la Syrie.

Médecin colombien, défenseur des droits humains, professeur de l'Université Nationale de Colombie, auteur de "Et le sang est arrivé au Nil. Chroniques de la guerre" (2017)

Traduction : CM



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