Par Carlos Lozano Guillen in VOZ
Il y a neuf ans, mourrait dans les montagnes de Colombie Pedro Antonio Marín, plus connu sous le nom de "Manuel Marulanda Vélez", le commandant et fondateur des FARC-EP qui s'était rebellé avec un groupe de paysans et avait pris les armes après l'attaque déloyale des villages de Marquetalia, Riochiquito, El Pato et Guayabero. C'est le 26 mars 2008 que la vie de ce chef guérilléro légendaire s'est éteinte. Il fut l'un des grands protagonistes de l'histoire politique de la deuxième moitié du XXème siècle et de la première décennie du XXIème : une vraie légende qui, pendant près d'un demi-siècle de conflit, a été donné pour "mort au combat" presque une centaine de fois dans les communiqués de l'armée régulière ou dans les gros titres de la presse.
L'oligarchie colombienne et l'état major ont rêvé en permanence de tenir entre leurs mains le corps abattu de "Marulanda" pour l'exhiber comme trophée de guerre, en signe de victoire. Mais ils n'ont pas réussi. Il a fermé les yeux quelque part dans le Huila ou le Méta, approchant les quatre vingts ans, peut-être auprès de l'historique Guayabero, où il se trouvait avant que l'infarctus ne lui quitte la vie. Il était accompagné de Sandra, sa compagne, et de sa garde personnelle formée par d'anciens guérilleros et guérilleras.
"Les morts de Tirofijo"
Le commandant "Marulanda" racontait qu'à plusieurs reprises il avait failli mourir au combat contre les forces publiques ou au cours d'opérations militaires. Il fut toujours désespérément recherché, par terre, par air ou dans l'eau mais ce n'est qu'en de très rares occasions qu'il fut localisé. Le 9 décembre 1990, au cours de l'attaque contre le siège du Secrétariat des FARC-EP, pendant le gouvernement de César Gaviria Trujillo, le jour même où étaient élus les membres de l'Assemblée Nationale Constituante au cours de laquelle le gouvernement s'attendait à voir apparaître les FARC, le chef guérilléro se faufila subrepticement dans les montagnes et échappa au siège militaire ; les hélicoptères qui transportaient les troupes pour les déposer sur une des deux montagnes, choisirent justement celle dans laquelle ne se trouvait pas "Marulanda"... S'il n'en avait pas été ainsi, la menace aurait été imminente. Mais il survécut toujours aux avatars de la guerre pour raconter l'histoire, celle des plus de cent "morts de Tirofijo", inventées et qui l'ont converti en légende.
Sa mort fut tranquille. Les dernières années avaient été rudes à cause de la guerre de la "sécurité démocratique" uribiste. Après la rupture des dialogues du Caguán, il n'y eut pas de répit, la pression militaire était permanente et il n'y avait pas les conditions pour rester longtemps dans un même lieu. Mais le chef des FARC-EP n'a pas vécu non plus dans les conditions décrites par Luis Carlos Restrepo. Selon le Haut-Commissaire de Paix du gouvernement d'Uribe Vélez, "Marulanda" se serait trouvé seul, sans alimentation, dans la profondeur de la selva et avec un uniforme déchiré... Mais, bien au contraire, il était accompagné par Sandra et ses proches, dans les lieux où il avait toujours vécu, entouré de ses bêtes et avec largement de quoi manger. D'une certaine manière, il a défié ceux qui l'ont poursuivi tout au long de sa vie avec l'intention de le capturer ou de le tuer.
Sa vie
Il naquit à Génova dans le Quindío, le 12 mai 1928. Enfant, il aimait à travailler dans les champs et à se balader d'un endroit à l'autre, toujours proche de sa famille. Il n'a jamais perdu son accent, sa modestie et son astuce paysanne. Il n'était allé que cinq ans à l'école et il fut un autodidacte en politique, profitant de ses relations avec les organisations rurales, populaires et de sa formation communiste et révolutionnaire. "A la guérilla, j'ai appris de tout" dira-t-il une fois.
Il se trouvait le 9 avril 1948 à Ceilán, dans la Vallée du Cauca, et il a été témoin de la violence des conservateurs qui assassinèrent des dizaines de libéraux et d'opposants à la dictature conservatrice, dont certains étaient de sa famille. Cette réalité l'a rapproché des organisations rurales de l'époque, qui résistaient à la violence des propriétaires terriens et des latifundistes. C'est ainsi qu'il rentra dans la guérilla libérale, puis communiste.
Dans les années cinquante, il arriva au sud du Tolima, bastion historique des luttes paysannes et de guérillas, où il se lia d'amitié avec Jacobo Prías Alape et d'autres dirigeants communistes. C'est de là qu'il se trouva engagé dans la lutte paysanne et populaire qui marqua l'histoire à travers la résistance armée du Davis puis, des années plus tard, à Marquetalia et dans d'autres régions du sud du pays.
Il est alors devenu "Manuel Marulanda Vélez", nom qu'il adopta pendant une école des cadres du Parti Communiste, en hommage à un important dirigeant syndical communiste, assassiné par les services d'espionnage de l'Etat en 1950. "Ils m'ont baptisé politiquement comme ça (...). Je suis resté comme ça et je continuerai comme ça. Même si pour le baptême de la foi et la carte d'identité, je continue à être Pedro Antonio Marín (...)", expliqua-t'il à l'écrivain Arturo Alape. Ce fut le point de départ du révolutionnaire qui devint une grande personnalité de l'histoire colombienne.
La lutte pour la paix
"Manuel Marulanda Vélez" a dirigé la résistance armée paysanne, il a orienté l'installation de Marquetalia et d'autres régions agraires. Suite à l'agression militariste et impérialiste, il a conduit la première Conférence Nationale Guérillera du Bloc Sud en 1965, ce qui a ouvert le chemin pour que soient fondées les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), au cours de la deuxième Conférence Nationale Guérilléra en 1966. Il fut un guérillero sans précédent.
Cependant, il avait compris que le fin mot de la lutte armée est la paix. Sur ce chemin, la recherche de la solution politique dialoguée pour résoudre les causes du conflit faisait partie de l'action politique et militaire de la guérilla. C'est ainsi que le concevait le chef des FARC-EP et il l'exprima dans une phrase lapidaire : "La paix est un drapeau des révolutionnaires". Sans aucun doute, il n'aurait pas hésité à soutenir la consolidation du processus de paix de la Havane et à souscrire l'Accord Final.
Pedro Antonio Marín ou "Manuel Marulanda Vélez" fut un homme enraciné dans le peuple. Un paysan qui ne cessa jamais de l'être, qui a toujours vécu et agit comme un paysan. Humble, modeste et aimable. Jamais il ne criait ou n'insultait quiconque. Il reconnaissait qu'il faut respecter la dignité de toutes les personnes.
Dans le Caguán, pendant les dialogues avec le gouvernement de Pastrana, il a été consterné plusieurs jours parce que son husky qui l'accompagnait toujours, tuait les poules des fermes voisines du campement. Il était gêné avec les propriétaires et leur payait toujours les dégâts comme un bon citoyen. Ou bien quand il se rendit compte que la fragilité et l'isolement politique du président Andrés Pastrana mettait en danger le futur des dialogues de paix, en réunion avec les chefs des partis politiques, il leur demanda de soutenir le président car s'ils ne le faisaient pas, il ne pourrait pas supporter la pression à la rupture des dialogues.
Il était très accueillant et se préoccupait de chaque détail pour que ses invités soient à l'aise malgré les désagréments d'un campement guérillero, encerclé par le feu ennemi.
"Manuel Marulanda Vélez" a été le guérillero le plus vieux de la planète mais aussi celui qui a posé les bases pour que les FARC-EP arrivent jusqu'à la signature de la paix avec démocratie et justice sociale.
Source : El guerrillero de todos los tiempos
Traduction : CM
Source : El guerrillero de todos los tiempos
Traduction : CM
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