mardi 11 avril 2017

L'assassinat de Gaitan et les leçons de l'histoire


Source : VOZ Digital

Le neuf avril 1948 à 13h05, à Bogotá en Colombie, le dirigeant libéral et populaire le plus connu et le plus important de l'histoire colombienne du XXème siècle, Jorge Eliécer Gaitán, était assassiné.

Ce fut un assassinat qui, comme presque tous ceux qui ont lieu dans ce pays, est resté impuni. Mais dans l'imaginaire collectif et pour des raisons quasi évidentes, la responsabilité en a été attribuée au régime conservateur terroriste de Mariano Ospina Pérez et à la CIA des Etats-Unis qui avait intérêt, alors que débutait la IXè Conférence Panaméricaine à Bogotá, à rendre responsable les communistes et l'Union Soviétique au début de la guerre froide. Cette Conférence a précisément donné lieu à l'Organisation des Etats Américains (OEA), connue ensuite comme le "ministère des colonies yanquies" car avec une majorité de gouvernements dociles, elle est sous la coupe infâme de Washington et donne son aval à sa politique interventionniste. Il y a là une oligarchie servile qui est à l'aise avec le fait que les Etats-Unis considèrent l'Amérique Latine comme son arrière-cour.

Alors que naissait l'OEA sous la férule de la IXè Conférence Panaméricaine dirigée par le général George Marshall, Bogotá était incendiée par la foule en colère, aveuglée par l'assassinat de Jorge Eliécer Gaitán. L'objectif était de renverser le gouvernement conservateur de Mariano Ospina Pérez, qui s'était imposé à feu et à sang après la faillite de l'hégémonie libérale. La répression militaire, mais surtout la trahison des dirigeants libéraux qui finirent par pacter avec le gouvernement, neutralisa l'insurrection et mit un point final à un des mouvements populaires les plus importants de l'histoire colombienne, presque aussi important que la Révolte des Communéros de 1781, car le mouvement s'étendit dans une grande partie du pays.

Les dirigeants libéraux ont toujours agi de cette manière mesquine et servile. Au palais présidentiel, au cours d'une courte réunion avec Ospina Pérez, alors qu'ils étaient venus pour, théoriquement, exiger sa démission, ils ont fini par négocier un gouvernement de coalition. Darío Echandía assuma le Ministère de l'intérieur après avoir dit, avec son accent du Tolima, une phrase laconique et indigne : “¡El poder pa´que!” (Le pouvoir, quoi encore!). Cette alliance mal engagée, basée sur la traitrise envers le peuple, ne dura qu'un an car en 1949, Mariano Ospina Pérez ferma le parlement et mena le pays dans une guerre civile non déclarée, longue étape de violence qui donna lieu à un affrontement entre les libéraux, les conservateurs et les communistes, et qui laissa 300 mille morts.

Le 13 juin 1953 se produisit le coup militaire du général Gustavo Rojas Pinilla pour soi-disant rétablir "la paix et l'ordre", mais ce qui résulta fut une dictature terroriste et militariste soutenue par les libéraux et un secteur du conservatisme. Quand la dictature ne répondit plus à leurs intérêts politiques et économiques, la bourgeoisie des deux partis se mit d'accord pour renverser le gouvernement et ils s'accordèrent au sein du Front National bipartite, qui s'alternait à la présidence et qui excluait les autres forces politiques du pays. Comme d'habitude, l'histoire a confirmé que quand l'oligarchie libérale-conservatrice voit ses intérêts de classe en danger, elle n'hésite pas un instant à s'unir et à laisser de côté les contradictions occasionnelles ou conjoncturelles pour défendre le pouvoir de la minorité des exploiteurs.

C'était ce que Jorge Eliécer Gaitán avait dénoncé avec force et c'est pourquoi ils l'assassinèrent. Pour la CIA, Gaitán était communiste. Des documents déclassifiés à Washington démontrent clairement que cet assassinat fut l'oeuvre du régime conservateur et de la CIA à une époque d'anticommunisme viscéral, de guerre froide, où le général Marshall, au nom de la "démocratie occidentale", coupait la tête aux opposants de gauche.

L'assassinat de Gaitán a été le tournant d'un processus politique de violence conservatrice qui a ouvert le chemin au terrorisme d'Etat, à une dictature qui a poursuivi les communistes et les forces démocratiques. On déclara la guerre à toute expression progressiste et avancée, et on ferma par voies légales la possibilité de changements démocratiques dans le pays. La victoire présidentielle de Gaitán, avec le soutien des masses populaires provenant de tous les champs politiques, était prévisible. L'assassinat fut le moyen de la faire dérailler.

L'oligarchie bipartite a toujours exercé le pouvoir à travers la violence. C'est sur elle que s'est fondée  la relation de l'Etat dominant avec les citoyens, après la mort du Libérateur Simón Bolívar. Sans cette forme violente, réussir à gouverner pour le bénéfice de la classe des exploiteurs n'aurait pas été possible. Ils n'ont jamais hésité à en appeler à la violence. Le 15 octobre 1914, ils ont assassiné le caudillo libéral Rafael Uribe Uribe ; en 1928, la dictature conservatrice a commis le massacre de Las Bananeras pour protéger les intérêts de la United Fruit Company (cela a inspiré Gabriel Garcia Márquez dans Cent Ans de Solitude) ; le 9 avril 1948 elle a assassiné Gaitán ; le 8 et 9 juin 1954, ils ont massacré les étudiants à Bogotá ; en 1964, ils ont bombardé Marquetalia, puis Riochiquito, El Pato et Guayabero ; ensuite, ils ont commis le génocide de l'Union Patriotique, ils ont assassiné Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo, des candidats présidentiels, et 5 milles dirigeants et militants ; ils ont assassiné Carlos Pizarro León-Gómez et Luis Carlos Galán, candidats présidentiels, ils ont organisés l'holocauste du Palais de Justice, des massacres dans les régions agraires, les "faux positifs", tant d'atrocités d'un régime dominant.

Le Parti Communiste Colombien, depuis sa fondation en 1930, fut soumis à une persécution permanente, à des interdictions par voie légale et par voie de faits, et à une extermination systématique qui n'est pas encore terminée.

L'assassinat de Gaitán a été précédé par des luttes massives pour la réforme agraire dans les campagnes, suite à la violence latifundiste et la concentration excessive de la propriété de la terre. La police chulavita et les "pájaros" ont fait des leurs en assassinant et en poursuivant les dirigeants ruraux libéraux et communistes. C'est ce qui a donné lieu à la lutte armée, à la résistance paysanne contre la violence réactionnaire. Ce furent les antécédents de la lutte armée des guerrillas et de la fondation des FARC-EP en 1964. L'exclusion, la violence du pouvoir dominant et la fermeture des voies légales ont conduit au surgissement des guérillas colombiennes.

L'Accord final de La Havane et les dialogues avec l'ELN cherchent à résoudre par la voie politique de la concertation les causes de la confrontation armée, à éliminer la genèse de la violence de plus d'un demi siècle. Il y a des doutes sur la possibilité que l'oligarchie colombienne, toujours réticente aux changements, respecte les accords et les engagements. La communauté internationale et les forces de paix en Colombie doivent veiller à ce qu'il n'y ait pas anguille sous roche. Il y a une grande méfiance, plus encore, quand Santos continue à gouverner pour le bénéfice du grand capital et des transnationales, quand il rejoint la croisade putschiste contre le Vénézuela et quand il soutient l'agression nord-américaine en Syrie.

Le neuf avril est le jour des victimes mais cette année, les parlementaires ne se sont pas souciés de la commémoration qui était organisée au congrès. Mieux vaut qu'ils n'aient pas assisté à l'événement, les hypocrisies n'ont plus lieu d'être. Le peuple a ses propres manières, dignes, de faire mémoire des victimes et l'une d'elles est de lutter pour le respect de l'Accord Final de La Havane, pour sa mise en oeuvre rapide et pour que la vérité, la justice, la réparation et la non-répétition soient la base de la paix stable et durable.

Source : VOZ Digital
Traduction : CM



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