C'est avec une très grande joie que je publie ici l'article que m'a envoyé mon amie Maria Baresh. Née en Colombie de parents colombiens mais résidente en France depuis de nombreuses années, elle écrit en français sur le mille-feuilles d'événements et de sentiments vécus la semaine passée par tou-te-s celles et ceux qui portent la Colombie profondément ancrée au coeur. Je trouve qu'elle a un vrai talent d'écriture, avec le goût de raconter et le souhait d'exprimer les émotions. Elle sait partager le plaisir des mots et des idées. Je lui souhaite de continuer...
Maria, tu as la matière et tu as du style... Vas-y! ¡Adelante!C.M
“Era como si Dios hubiera
resuelto poner a prueba toda capacidad de asombro, y mantuviera a los
habitantes de Macondo en un permanente vaivén entre el alborozo y el desencanto, la duda y la revelación, hasta el extremo
de que ya nadie podía saber a ciencia cierta dónde estaban los límites de la
realidad. “
Cien años de soledad
Cien años de soledad
Gabriel García Márquez
"C'était comme si Dieu avait résolu de mettre à l'épreuve toute capacité d'étonnement, et avait maintenu les habitants de Macondo dans un va-et-vient permanent entre l'euphorie et le désenchantement, le doute et la révélation, à tel point que personne ne pouvait plus véritablement savoir où se trouvaient les limites de la réalité."
Cent ans de solitude
Gabriel García Márquez
Dimanche 2 octobre : c’est la singulière impression d’avoir
rendez-vous avec l’histoire colombienne qui prévaut, de sentir les lueurs de
l’aube percer au bout de cette longue guerre, d’entrevoir enfin la possibilité
d’alléger ce pays que nous portons sur le dos.
Soyons clairs, nous étions optimistes ! Le « oui » ne
pouvait que l’emporter, et ce bien en dépit des discours haineux qu’avait déchaîné
la néfaste campagne uribiste du « non »[1].
Nous sommes donc là, réunis devant le consulat colombien de Paris, observant avec tendresse les familles se prononcer pour la « paix en Colombie », les enfants glisser le bulletin de vote de leur parent « pour un nouveau pays ». Ce sont ces images enthousiastes que nous emportons avec nous le soir pour attendre avec une certaine impatience les résultats. Vers 23h00 notre optimisme prend forme : le « oui » l’emporte en France avec 82.53% des voix, puis dans la plupart des bureaux de vote des colombiens de l’extérieur… S’ensuit le dépouillement des urnes en Colombie où le « oui » commence avec un léger avantage, le « non » à ses trousses. Nous retenons notre souffle, puis la panique, l’angoisse nous saisissent face à la réalité glaciale de la victoire du « non ». Une victoire avec, certes, un très léger écart de 53 894 voix, mais une défaite de notre « Si majeur ». Alors les chiffres se mettent à virevolter, tourner et retourner : 50.21% pour le « non », 49.81% pour le « oui », 62.57% d’abstention, 13 066 047 personnes se sont déplacées aux urnes sur 34 899 376 d’inscrits sur les listes électorales; et c’est en leur compagnie que nous allons nous coucher pensant, ingénieusement, qu’ils se « corrigeront » pendant que la nuit nous berce.
Nous sommes donc là, réunis devant le consulat colombien de Paris, observant avec tendresse les familles se prononcer pour la « paix en Colombie », les enfants glisser le bulletin de vote de leur parent « pour un nouveau pays ». Ce sont ces images enthousiastes que nous emportons avec nous le soir pour attendre avec une certaine impatience les résultats. Vers 23h00 notre optimisme prend forme : le « oui » l’emporte en France avec 82.53% des voix, puis dans la plupart des bureaux de vote des colombiens de l’extérieur… S’ensuit le dépouillement des urnes en Colombie où le « oui » commence avec un léger avantage, le « non » à ses trousses. Nous retenons notre souffle, puis la panique, l’angoisse nous saisissent face à la réalité glaciale de la victoire du « non ». Une victoire avec, certes, un très léger écart de 53 894 voix, mais une défaite de notre « Si majeur ». Alors les chiffres se mettent à virevolter, tourner et retourner : 50.21% pour le « non », 49.81% pour le « oui », 62.57% d’abstention, 13 066 047 personnes se sont déplacées aux urnes sur 34 899 376 d’inscrits sur les listes électorales; et c’est en leur compagnie que nous allons nous coucher pensant, ingénieusement, qu’ils se « corrigeront » pendant que la nuit nous berce.
Au lendemain du référendum nous vivons ce que nous appelons en Colombie un « guayabo »[2]
national. L’incompréhension, la
tristesse et ce goût amer de s’être stupidement gâté le plaisir, d’avoir manqué
le rendez-vous. Et puis c’est l’étonnement
de nos amis français devant ce résultat qui nous prend à la gorge : comment
expliquer cette Colombie que nous aimons, mais au caractère insaisissable par
ses paradoxes et ses contradictions ? Comment expliquer la violence qui
s’accroche inlassablement à ses poignets alors qu’elle transpire à la fois la
joie de vivre ?
Une crise politique se dessine : alors que les accords de paix
s’étaient forgés en colonne vertébrale du mandat de Santos, le
« non » constitue un véritable revers politique, qui un instant,
exalte les ambitions électorales d’Uribe qui se voit déjà pour 2018 porte-parole
et sauveur de cette Colombie désappointée par les politiques de Santos. Pourtant, ce sont les régions les plus
affectées par la guerre qui ont voté avec une écrasante majorité pour le
« oui ». Le « non »,
lui, l’a emporté principalement dans les zones urbaines.[3] Sans vouloir faire de la caricature, l’image
des paysans, bottes en caoutchouc aux pieds, murmurant à mi-voix « nous avons perdu » et
les classes plus aisées, assises confortablement devant leur télévision, s’exclamant « nous avons
gagné ! » est pour le moins significative.
D’autant plus qu’Uribe et ses amis du « non » n’ont eu d’autre ambition
que de torpiller les accords faisant appel sans vergogne aux calomnies et
mensonges dont les effets n’ont fait qu’exacerber les haines et les divisions. Pour fomenter le spectacle de la politique
colombienne, une interview du directeur de campagne du « non », Juan
Carlos Vélez, nous révèle quelques coulisses, le poussant d’ailleurs à la
démission du Centre Démocratique (le parti d’Uribe). Cette « croustillante » information
ne fait que confirmer ce que nous savions déjà : que la campagne pour le
« non » visait à détourner le débat du contenu même des accords,
qu’elle instiguait la peur à travers des formules sentencieuses de
« menaces castro-chavistes » dans des zones plus « concernées »
par la « problématique » vénézuélienne, qu’elle inventait des impôts qui
conduiraient les colombiens à se « sacrifier » en vue de la
réincorporation des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie –Armée
du peuple), qu’elle diabolisait les insurgés,
ces « terroristes » qui bénéficieraient d’une entière impunité.
De plus, le traitement médiatique n’a certainement pas avantagé le
« oui », où par exemple les caméras et micros se sont longuement
attardés sur les massacres de Bojayá, sans couvrir en parallèle l’acte où les
FARC demandaient justement pardon à ses victimes.
Le fort taux d’abstention est un facteur également important, qui ne peut
nous laisser pantois. Outre les
difficultés réelles sur le terrain pour se déplacer aux urnes, l’immobilité
politique de certains ne peut donner en aucun cas un brevet d’innocence. Cela dit, nous défenseurs du
« oui », avons peut-être tenu notre vérité pour seule et unique. Or
avons-nous eu un sens vrai de la réalité ?
Avons-nous su écouter ces voix qui ne se mobilisent pas pour aller
voter, celles qui ont encore peur ?
Un de nos défis de réconciliation semblerait alors aller dans ce sens :
réussir à voir le monde avec des yeux nouveaux, ceux des victimes, des douleurs
muettes, des espoirs brisés, des désenchantés ; sinon, nous ne verrons
rien.
« L’engouement référendaire »[4]
est également questionnable dans le cas colombien. En effet, ce
mécanisme de consultation a aussi permis de libérer une parole
belliqueuse, exacerbant les tensions et la haine. En diabolisant systématiquement les FARC, les
défenseurs du « non » ont contribué à l’agonie du débat, le vidant de
tout contenu social. Or, comme
l’explicite l’article 22 de la Constitution colombienne « la paix est un
droit et un devoir dont l’application est obligatoire ». La paix,
référendum ou pas, est donc avant tout un devoir de politique publique. Dans ce sens, le conseiller juridique des
FARC à la table des négociations, a pertinemment rappelé que les accords,
conformément au droit international, ont déjà un effet juridique. De plus,
quand bien même le « oui » l’aurait emporté, ne serions-nous pas confrontés à des
démons similaires : des uribistes hargneux aux envies de sabotage et donc
à la nécessaire et infatigable défense des accords ?
Dans cette sombre incertitude où les résultats du plébiscite ont semblé
nous plonger, de la lumière s’infiltre pourtant. Dès mercredi des marées humaines de jeunes et
moins jeunes se rassemblent dans plusieurs
villes du pays ainsi qu’à l’étranger pour défendre la paix.[5] Vendredi 7 octobre c’est au tour de la région
d’Antioquia, bastion d’Uribe, de se manifester largement pour la paix. Des initiatives d’occupation de places,
notamment à la place Bolivar de Bogotá,
fleurissent et redonnent une voix ainsi qu’une légitimité à la rue. La formule « paz a la calle »[6]
résonne et rallume nos espoirs. Même les
colombiens ayant voté « non »
disent vouloir la paix. C’est à se
demander qui, à part Uribe et ses fidèles alliés, veut la guerre ?
Par ailleurs, la communauté internationale entérine son soutien aux accords
de paix, soutien que nous pourrions interpréter comme se cristallisant à
travers la déconcertante attribution du prix Nobel de la paix à Santos
vendredi.
En outre, tant du côté des FARC que du côté du gouvernement, l’ouverture au
dialogue prévaut. Ils ont tous deux reconnu et entendu les résultats du
plébiscite et se disent disposés à écouter les colombiens ayant choisi le
« non ». Dans un communiqué conjoint ils réaffirment, dans ce sens, leur
engagement de maintenir le cessez-le-feu bilatéral et sollicitent les Nations Unies afin de
maintenir leur mission d’observation. Parallèlement,
les pourparlers entre le gouvernement et l’ELN[7]
semblent se décanter.
Une position délicate se profile pour Uribe. Lui, qui a tout misé sur
l’aventure militaire, ne pourra continuer à répondre par la belliqueuse aux
nombreux votants du « non » qui ne semblent pourtant pas se prononcer
pour la guerre. Alors qu’il est invité
au dialogue, ses dernières propositions pour « amender » les accords,
au-delà de proposer des choses qui figurent déjà dans les accords, preuve de sa
méconnaissance de ceux-ci, ne semblent en aucun cas montrer une volonté de se
détourner de sa constante dialectique, mariage dangereux de la guerre et du
mensonge, dont l’unique objectif réside dans un statu quo bénéficiant les
privilégiés de toujours. Que la « mano dura » de la politique
sécuritaire d’Uribe se soit par enchantement métamorphosée en colombe blanche de la paix paraît peu
crédible ; et c’est sur ce terrain qu’un de nos défis majeurs se
présente : démontrer son impertinence et refuser les concessions à la
droite extrême si nous voulons sérieusement atteindre l’essence réconciliatrice
des accords.
Alors que cette semaine au cœur du Macondo
référendaire, où le va et vient permanent entre la liesse et le
désenchantement opère et chatouille notre fil émotionnel, une voie semble
cependant s’esquisser : celle de la défense des accords de paix, qui du
haut de leurs 297 pages cherchent un pacte social et politique large et donnent
le ton de la réconciliation nationale.
L’horizon encore un peu brouillé, où les promesses et les menaces
s’entremêlent, le grand défi de la paix est un dur et long chemin, un incessant
combat qui exige de nous d’avoir un ou deux regards d’avance, de marcher là où
personne n’ose mettre les pieds. Nous
aurons à affirmer notre volonté de voir ces accords respectés et implémentés, à
accompagner depuis l’extérieur la concrétisation de la justice sociale
véritable, celle qui inclura les communautés aux marges, ces vérités diverses,
qui expriment cependant toute la réalité colombienne. Ce n’est que par cette construction d’une
société nouvelle, où ces voix exclues pourront trouver un écho social et
politique, que l’avenir nous sera rendu,
que nos espoirs inébranlables triompheront, que nous verrons enfin l’aube
pointer le bout de son nez en Colombie mais aussi ailleurs.
Maria Baresch
[1] Alvaro Uribe Vélez, actuel sénateur du Centre Démocratique, Président de la
Colombie entre 2002 et 2010.
[3] “Ganó el No: Colombia se enfrenta a un diálogo nacional” : http://pacifista.co/gano-el-no-colombia-ante-la-incertidumbre/
[4] Lire Alain Garrigou, « Voter plus n’est pas voter mieux », Le Monde diplomatique, Paris, août 2016.
[5] Autour d’une grande marche silencieuse, qui n’est pas sans faire écho à la
symbolique marche de 1948 organisée par Jorge Eliecer Gaitán.
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