Par Itayosara Rojas
Il y a deux jours, sept corps sans vie ont été retrouvés dans le département du Cauca. Les corps présentaient des traces de tortures et la presse a présenté plusieurs versions du fait. Certains secteurs ont affirmé que les corps appartenaient à des membres de groupes paramilitaires, pour en minorer l'importance et cacher la vague de violence contre les leaders sociaux qui a lieu en ce moment dans le pays. En moins de 8 jours, 19 personnes ont été assassinées. Elles l'ont toutes été dans des zones isolées, ce sont tous des paysans et des indigènes sans terres, qui habitent des zones où l'Etat arrive avec des troupes militaires, mais jamais avec des hôpitaux, des écoles ou des routes. Le massacre à Argelia (Cauca) nous ramène aux années les plus rudes du paramilitarisme, il nous rappelle les massacres de El Salado, la Rochela, el Aro, les matchs de foot entre paramilitaires où c'est la tête d'un paysan qui devenait le ballon.
Pour la presse et certains secteurs, ce massacre est un fait mineur dans le cadre du trafic de drogue, on insinue même qu'il ne faut pas pleurer la mort de ces personnes parce qu'elles cultivaient la coca. Certains partisans du Centre Démocratique ont exprimé dans les réseaux sociaux que c'était la conséquence de l'accord de paix et du développement des cultures de feuille de coca. Opinions totalement éloignées de la réalité car elles méconnaissent les circonstances de ce lamentable événement.
D'abord, dans le pays, il y a en effet eu ces deux dernières années une augmentation significative des zones de culture de coca, avec près de 150.000 hectares cultivés, chiffre qui n'avait pas été atteint depuis 2001 selon le dernier rapport du bureau des nations unies contre la drogue (Voir rapport 2018). Dans le département du Cauca, il y a environ 12.000 hectares cultivés en coca. Entre 2015 et 2016, ce chiffre a augmenté de 45% selon le même rapport. La région du Cauca où a eu lieu le massacre est caractérisée historiquement comme zone de production de coca et zone de transit pour le trafic de drogues. Les communautés qui y vivent ont trouvé dans la culture de la coca le moyen de vivre, la possibilité de survivre. L'Etat n'arrive dans cette zone du pays que sous la forme de l'armée, de la répression et de la substitution forcée des cultures d'usage illicite. La zone n'a pas de routes, pas d'écoles et pas d'hôpitaux. La coca est devenue l'unique forme pour assurer la survie économique des communautés. Le profit qu'elles en reçoivent est dérisoire comparé aux gains de ceux qui en profitent vraiment : les grands narcos.
Après la signature des accords de paix entre le gouvernement national et les FARC, qui avaient pendant longtemps maintenu un contrôle territorial sur ces zones et avaient, d'une certaine manière, contrôlé la production de la coca, de nouveaux acteurs armés ont pris le contrôle sur le territoire. Ces nouveaux acteurs sont en lien avec d'anciens groupes paramilitaires et des cartels de drogue mexicains comme le cartel de Sinaloa. Certaines structures dissidentes nées des échecs de l'accord de paix se sont trouvées embrigadées dans ces activités et ont cédé le contrôle territorial et le contrôle sur cette économie de guerre utilisée auparavant par les FARC. Les délits et les actions violentes ont augmenté et les communautés paysannes sont les principales victimes de ces changements en matière de contrôle territorial et d'économies de guerre.
Jusqu'à maintenant, les actions du gouvernement pour trouver une solution à ce problème ont été centrées sur la criminalisation du premier acteur de la chaîne productive : les producteurs de feuilles de coca, qui en l'occurrence sont les plus vulnérables. Il n'y a pas eu d'actions contre les réseaux paramilitaires et les narcotrafiquants responsables de la violence, qui remportent les plus gros pourcentages de profit du commerce des drogues. Contrairement à ce que pensent certains partisans uribistes et du Centre Démocratique, les morts d'Argelia ne sont pas le fruit de l'accord de paix, mais bien au contraire, la conséquence logique de l'échec de sa mise en oeuvre. Au delà des accords entre les communautés et le gouvernement, le quatrième point de l'Accord, qui traite spécifiquement des actions et des mesures qui devraient être prises pour affronter le problème du trafic de drogues et des cultures d'usage illicite, n'a pas été mis en route. Chaque jour d'omission en la matière coûte la vie à un leader qui revendique la substitution ou à un petit producteur de feuille de coca.
Jusqu'à aujourd'hui, les plans de développement territorial à travers lesquels seraient mis en oeuvre le premier point de l'accord de la réforme rurale intégrale ne sont que du papier et n'ont pas été concrétisé dans les territoires prioritaires. De la même manière, on n'a que très peu avancé dans le Programme National Intégral de Substitution des Cultures d'Usage Illicite (PNIS), bien que les communautés productrices aient manifesté leur disposition à entrer dans les plans de substitution. De plus, ces communautés victimes de violence ont une fois de plus été bafouées dans leur droit à la participation politique quand le congrès de la république a éliminé les circonscriptions spéciales pour la paix, figures qui cherchaient à restituer les droits des victimes, particulièrement leur droit à la participation politique, à leur donner une voix au parlement et, pour la première fois dans l'histoire de la Colombie, à écouter les communautés qui sont les premières à souffrir de la violence.
Ce n'est pas la coca qui tue les leaders sociaux, ce n'est pas la coca qui est responsable du retard et de la pauvreté des zones les plus isolées du pays. C'est l'inaction de l'Etat colombien, son inopérabilité pour garantir la vie des plus humbles. Ce n'est pas la feuille de coca non plus qui est la responsable du massacre de Argelia, c'est l'omission de l'Etat colombien, son incapacité à mettre en oeuvre l'accord de paix et son attitude complaisante qui favorise les intérêts des acteurs qui ont profité de la guerre, ceux qui ont assuré leurs privilèges à travers elle. L'accord de paix est en pièces et le prix à payer, c'est la vie des paysannes et paysans colombiens, oubliés par la presse. Ce sont eux aujourd'hui qui pleurent leurs morts.
Itayosara Rojas est Sociologue à l'Université Nationale de Colombie. Etudiante en maîtrise de développement rural. Ghent University - Humboldt Universität zu Berlin.
Traduction : CM
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