Source : Semana
La communauté internationale est préoccupée par la mise en œuvre de ce qui a été accordé à La Havane avec la guérilla. Au gouvernement, il conviendrait que quelqu'un écoute cette sonnette d'alarme.
Comme toujours, le célèbre intellectuel James Robinson a mis le doigt là où ça fait mal. Il y a quelques semaines (à Bogotá), au cours de la réception du titre de Docteur Honoris Causa que lui a remis l'Université des Andes, il a fait un discours peu complaisant sur le gouvernement et les Farc. Selon lui, les accords de La Havane n'ont pas traité un thème central : celui de la manière dont l'Etat fonctionne - ou pas. Il a considéré qu'un certain effondrement de ce dernier était comme "un éléphant dans la pièce". Sa majeure préoccupation étant que cet Etat, pas totalement défaillant mais pas non plus totalement capable, doive s'occuper de mettre en œuvre les accords et de construire la paix, sans que l'on ne sache s'il sera dépassé par la tâche.
Ce que Robinson a exprimé devant un auditoire universitaire coïncide avec la perception de nombreux ambassadeurs et membres de la communauté internationale qui travaillent en Colombie et cherchent à faire en sorte que la transition de la guerre à la paix soit un succès. Leurs préoccupations, nombreuses, ne sont pas toujours bien reçues par le gouvernement. SEMANA a parlé avec nombre d'entre eux qui, d'Europe et d'Amérique, ont exprimé leurs inquiétudes.
En premier lieu, la communauté internationale reconnait généralement que l'accord de paix auquel a abouti la Colombie est excellent. C'est la raison pour laquelle elle mise sur une mise en œuvre de même type, qui pourrait être un exemple dans la conjoncture mondiale actuelle, particulièrement sombre. Mais parallèlement, il y a la conscience que l'accord est très ambitieux. Des chapitres comme ceux de la justice transitionnelle sont sophistiqués et complexes à l'heure de les mettre en pratique. Des défis comme celui de substituer plus de 100.000 hectares de coca par des cultures licites demandent trop de ressources. Et résoudre le problème historique de la terre est pratiquement impossible sans le concours des élites agraires, qui ne peut que difficilement avoir lieu.
Tous sont d'accord pour dire que la Colombie a amélioré radicalement sa situation si on la compare avec les décennies passées, quand le pays était au bord de la faillite et dans un bain de sang. Il y a également un consensus sur le fait que le pays a de grandes capacités institutionnelles. C'est justement la raison pour laquelle il est alarmant que la mise en œuvre des accords sur des aspects apparemment faciles ou très concrets comme l'installation des zones de regroupement pour le désarmement des Farc, la mise en place de la Loi d'Amnistie ou la réincorporation de 7.000 guérilléros, semble si difficile.
L'incertitude politique
On peut dire que la première grande préoccupation concerne les délais. L'expérience des processus de paix dans le monde a démontré que les premiers 18 mois après la signature d'un accord sont cruciaux pour qu'il soit durable et irréversible. C'est particulièrement vrai en Colombie car dans un an, il y aura des élections présidentielles et que parmi les candidats avec le plus de possibilités pour succéder à Santos, aucun n'a l'enthousiasme ni l'engagement du président actuel."La construction de la paix sera l'affaire des trois prochains présidents de la Colombie. S'ils ne l'assument pas comme une tâche principale, on aura perdu une grande opportunité" dit un ambassadeur européen. C'est pourquoi on se demande comment faire en sorte que la paix soit réellement un objectif national et qu'il y ait une réconciliation politique. L'extrême polarisation sur la question de la paix surprend les étrangers. Dans de nombreux pays, il y a eu des résistances ou des critiques quand des accords ont été signés, mais en Colombie, cette situation semble particulièrement exotique au vu des bénéfices très clairs que la fin de la guerre a signifié pour le pays en seulement quelques mois.
Un pays santanderiste
"En Colombie, il y a trop d'avocats" ont répété plusieurs ambassadeurs à SEMANA. Alors que la majorité d'entre eux reconnait que le "fast track" a été une bonne formule, la quantité de lois et de décrets requis pour mener à bien l'application de l'accord les déconcerte. Bien que cela soit un trait propre à la société colombienne, comme à l'Amérique Latine, ils sont préoccupés de voir que faire avancer les lois soit devenu l'effort principal, non seulement de la Commission de Suivi, Développement et Vérification de l'Application de l'Accord de Paix (CSIVI), mais aussi des membres clés du gouvernement. Au cours des sessions pour approuver la Juridiction Spéciale pour la Paix, par exemple, il n'y a pas eu que le ministre de l'intérieur, Juan Fernando Cristo, à travailler pour convaincre chaque parlementaire, même au sein de la coalition de la majorité gouvernementale, de participer pour atteindre le quorum et voter favorablement. Le Haut Commissaire Sergio Jaramillo, le Haut Conseiller pour le post-conflit, Rafael Pardo, et même le ministre de la Défense, ont dû aussi s'y mettre. Et la mise en application dans les régions, où l'accord devrait réellement avoir un impact, ne se sent pas encore.
Todd Howland, le représentant du Bureau du Haut Commissariat aux Droits Humains de l'ONU, a signalé publiquement cet excès de charge politique. Il considère que, pendant que tout le gouvernement se lance à fond pour obtenir des majorités au Congrès, les effets de la paix n'atteignent toujours pas les territoires où les dirigeants sont assassinés et où le crime organisé pousse comme de la mauvaise herbe.
Une coordination médiocre
La communauté internationale a bien reçu l'arrivée à la Vice-présidence du général Óscar Naranjo, car elle espère qu'il remplira le rôle d'articulation de toutes les institutions et fonctionnaires de l'Etat engagés dans l'application de l'accord, ce que jusqu'à maintenant personne ne faisait. Au cours de ces derniers mois, il n'y a pas seulement eu des jalousies et des différends qui ont rendu la prise de décision difficile, il a eu également une culture du "pré carré" dans de nombreux ministères et gouvernements locaux.
Manifestement, le choc entre les différents ministères est plus grave en ce qui concerne la mise en application du point quatre de l'accord de La Havane sur la substitution des cultures. Alors que l'Armée et la Police se sont donné l'objectif d'éradiquer de manière forte 50.000 hectares, le Ministère du Post-Conflit se positionne sur la substitution. Le problème est que la stratégie du baton (l'éradication) compte avec des ressources et montre des résultats immédiats, alors que celui de la carotte (la substitution) marche lentement et n'a pas des ressources sures. C'est un thème sensible pour le gouvernement des Etats-Unis qui, même s'il respecte l'accord de La Havane en la matière, est sceptique sur ses résultats.
La coordination est aussi particulièrement critique en ce qui concerne les assassinats de leaders communautaires et politiques. Le Gouvernement, le Parquet, le bureau du Procureur et le Défenseur du Peuple ont des lectures différentes sur ce qui est en train de se passer et sur la manière d'affronter le problème de la violence résiduelle et les nouvelles violences.
Et la coopération ?
Pour nombre de personnes en dehors de Colombie, et aussi à l'intérieur du pays, il est difficile de comprendre pourquoi le budget de cette année comporte des ressources si faibles pour mettre en œuvre les accords. A ce propos, dans son dernier rapport devant le Conseil de Sécurité, le secrétaire général de l'ONU a dit que "les tâches prévues dans l'accord de paix exercent une pression extrême sur les ressources et les capacités pour qu'elles soient respectées dans un délai si limité".
De nombreux délégués de la communauté internationale sont surpris que le gouvernement espère que cette année, les ressources proviennent de la coopération, alors qu'il n'y a pas suffisamment de clarté sur la teneur des projets d'envergure qu'elle devrait soutenir, et que d'une certaine manière, on est en train de faire les choses par petits bouts. Tous affirment avoir un grand intérêt à contribuer sur le long terme. La question est : Y-a-t-il un plan ? Ou est-ce que le gouvernement met la main sur la coopération parce que le système interne de passation des marchés est si complexe qu'il ne permet pas de faire les investissements immédiats nécessaires ?
Bien que les ambassadeurs ne considèrent pas ces difficultés comme catastrophiques, il est clair pour eux que la Colombie a besoin de soutien pour un certain temps, particulièrement pour que le processus de paix devienne irréversible. C'est pourquoi quasiment tous soutiennent l'idée qu'une deuxième mission de l'ONU veille sur le respect des accords.
La mission qui est actuellement dirigée par Jean Arnault, délégué du secrétaire général de l'ONU, se terminera avec le désarmement des Farc, c'est à dire en juin prochain. Une deuxième mission est envisagée dans l'accord mais sa portée n'est pas encore claire. Logiquement, le gouvernement n'est pas très favorable à une permanence importante et prolongée de l'ONU, car il ne la considère pas nécessaire, en tant qu'elle porte atteinte à la souveraineté. Mais les ambassadeurs la considèrent plus que nécessaire au vu de l'incertitude politique qui règne aujourd'hui dans le pays.
Source : Semana
Traduction : CM
Un pays santanderiste
"En Colombie, il y a trop d'avocats" ont répété plusieurs ambassadeurs à SEMANA. Alors que la majorité d'entre eux reconnait que le "fast track" a été une bonne formule, la quantité de lois et de décrets requis pour mener à bien l'application de l'accord les déconcerte. Bien que cela soit un trait propre à la société colombienne, comme à l'Amérique Latine, ils sont préoccupés de voir que faire avancer les lois soit devenu l'effort principal, non seulement de la Commission de Suivi, Développement et Vérification de l'Application de l'Accord de Paix (CSIVI), mais aussi des membres clés du gouvernement. Au cours des sessions pour approuver la Juridiction Spéciale pour la Paix, par exemple, il n'y a pas eu que le ministre de l'intérieur, Juan Fernando Cristo, à travailler pour convaincre chaque parlementaire, même au sein de la coalition de la majorité gouvernementale, de participer pour atteindre le quorum et voter favorablement. Le Haut Commissaire Sergio Jaramillo, le Haut Conseiller pour le post-conflit, Rafael Pardo, et même le ministre de la Défense, ont dû aussi s'y mettre. Et la mise en application dans les régions, où l'accord devrait réellement avoir un impact, ne se sent pas encore.
Todd Howland, le représentant du Bureau du Haut Commissariat aux Droits Humains de l'ONU, a signalé publiquement cet excès de charge politique. Il considère que, pendant que tout le gouvernement se lance à fond pour obtenir des majorités au Congrès, les effets de la paix n'atteignent toujours pas les territoires où les dirigeants sont assassinés et où le crime organisé pousse comme de la mauvaise herbe.
Une coordination médiocre
La communauté internationale a bien reçu l'arrivée à la Vice-présidence du général Óscar Naranjo, car elle espère qu'il remplira le rôle d'articulation de toutes les institutions et fonctionnaires de l'Etat engagés dans l'application de l'accord, ce que jusqu'à maintenant personne ne faisait. Au cours de ces derniers mois, il n'y a pas seulement eu des jalousies et des différends qui ont rendu la prise de décision difficile, il a eu également une culture du "pré carré" dans de nombreux ministères et gouvernements locaux.
Manifestement, le choc entre les différents ministères est plus grave en ce qui concerne la mise en application du point quatre de l'accord de La Havane sur la substitution des cultures. Alors que l'Armée et la Police se sont donné l'objectif d'éradiquer de manière forte 50.000 hectares, le Ministère du Post-Conflit se positionne sur la substitution. Le problème est que la stratégie du baton (l'éradication) compte avec des ressources et montre des résultats immédiats, alors que celui de la carotte (la substitution) marche lentement et n'a pas des ressources sures. C'est un thème sensible pour le gouvernement des Etats-Unis qui, même s'il respecte l'accord de La Havane en la matière, est sceptique sur ses résultats.
La coordination est aussi particulièrement critique en ce qui concerne les assassinats de leaders communautaires et politiques. Le Gouvernement, le Parquet, le bureau du Procureur et le Défenseur du Peuple ont des lectures différentes sur ce qui est en train de se passer et sur la manière d'affronter le problème de la violence résiduelle et les nouvelles violences.
Et la coopération ?
Pour nombre de personnes en dehors de Colombie, et aussi à l'intérieur du pays, il est difficile de comprendre pourquoi le budget de cette année comporte des ressources si faibles pour mettre en œuvre les accords. A ce propos, dans son dernier rapport devant le Conseil de Sécurité, le secrétaire général de l'ONU a dit que "les tâches prévues dans l'accord de paix exercent une pression extrême sur les ressources et les capacités pour qu'elles soient respectées dans un délai si limité".
De nombreux délégués de la communauté internationale sont surpris que le gouvernement espère que cette année, les ressources proviennent de la coopération, alors qu'il n'y a pas suffisamment de clarté sur la teneur des projets d'envergure qu'elle devrait soutenir, et que d'une certaine manière, on est en train de faire les choses par petits bouts. Tous affirment avoir un grand intérêt à contribuer sur le long terme. La question est : Y-a-t-il un plan ? Ou est-ce que le gouvernement met la main sur la coopération parce que le système interne de passation des marchés est si complexe qu'il ne permet pas de faire les investissements immédiats nécessaires ?
Bien que les ambassadeurs ne considèrent pas ces difficultés comme catastrophiques, il est clair pour eux que la Colombie a besoin de soutien pour un certain temps, particulièrement pour que le processus de paix devienne irréversible. C'est pourquoi quasiment tous soutiennent l'idée qu'une deuxième mission de l'ONU veille sur le respect des accords.
La mission qui est actuellement dirigée par Jean Arnault, délégué du secrétaire général de l'ONU, se terminera avec le désarmement des Farc, c'est à dire en juin prochain. Une deuxième mission est envisagée dans l'accord mais sa portée n'est pas encore claire. Logiquement, le gouvernement n'est pas très favorable à une permanence importante et prolongée de l'ONU, car il ne la considère pas nécessaire, en tant qu'elle porte atteinte à la souveraineté. Mais les ambassadeurs la considèrent plus que nécessaire au vu de l'incertitude politique qui règne aujourd'hui dans le pays.
Source : Semana
Traduction : CM