Par Camilo Alzate
In Colombia Plural
D'abord, il y a eu la coupe de milliers d'hectares de forêt, puis la plantation de pins et d'eucalyptus. Au début avec "Cartón Colombia", puis aujourd'hui avec la multinationale irlandaise "Smurfit Kappa", l'industrie papetière s'est renforcée silencieusement, alliée du pouvoir. "Nous changeons l'eau en ordure" dénonce un écologiste vétéran.
En janvier 2016, l'aqueduc de Salento s'est asséché. Le Cañas Gordas, affluent qui baigne cette bourgade vitrine touristique du Quindío, avait perdu la totalité de son flux et il ne restait qu'un filet d'eau boueuse sous les deux vannes de captation qui alimentent le bourg. Alors que la Corporation Autonome du Quindio faisait porter la responsabilité sur le réchauffement climatique, les autorités civiles de la commune, les paysans et les écologistes de la région ont désigné une fois encore les sources de l'affluent : tout est planté de pins, même les rives de la rivière. Selon eux, ce sont ces plantations forestières qui sont coupables de la pénurie d'eau.
Ce conflit, qui a lieu également dans les zones rurales de Sevilla ou Pereira, de Riosucio ou Dagua, dure depuis un demi-siècle et il a un nom propre : Smurfit Kappa - Cartón de Colombia, multinationale qui a commencé en 1969 à acquérir des terrains montagneux à bas prix pour installer des cultures forestières répondant à la demande de bois pour l'élaboration de pulpe papetière. Alors que le débat environnemental en Colombie est préoccupé par les conflits pétroliers et miniers, la multinationale irlandaise pompe silencieusement des milliers d'hectares dans le pays.
Déjà dans les années 50, on accusait Cartón de Colombia (aujourd'hui rachetée par Smurfit Kappa) de raser les selvas du Bajo Calima dans la région Pacifique, pour utiliser le bois en produisant la pulpe papetière. Vingt ans après, la compagnie a commencé à planter des pins et des eucalyptus, espèces pour lesquelles la FAO (Organisation de l'ONU pour l'Alimentation et l'Agriculture) alerte sur les conséquences négatives pour les sols, la biodiversité et les cycles de l'eau, quand elles remplacent les forêts originaires des régions tropicales.
Mais il y a des conséquences au delà de la biodiversité et des cours d'eau. La politique de la multinationale implique la concentration d'énormes étendues de terre sous sa coupe, dans des latifundios forestiers qui fragmentent les communautés paysannes dont toute la dynamique sociale et économique est bouleversée. L'opposition des écologistes et des communautés s'est soldée par des menaces et des cas d'homicides qui n'ont jamais été suivis d'enquêtes. Il y a aussi l'ouverture de plusieurs actions de réclamation de restitution de terres par des communautés indigènes et des particuliers. Le Tribunal des Peuples a reconnu en 2007 que Smurfit Kappa a "une dette écologique, sociale, économique et culturelle avec le pays et la totalité de ses habitants".
Smurfit Kappa Cartón de Colombia possédait en 2015, selon ses propres sources, environ 67.926 hectares dans 454 grandes propriétés entre les cordillères centrale et occidentale. Il y a des pins et des eucalyptus de Smurfit depuis le noeud de Caramanta jusqu'aux montagnes du Massif Central colombien, et des rives du Magdalena jusqu'aux plages du Pacifique.
Un commerce rentable
Aujourd'hui, Smurfit emploie 2.500 ouvriers sur le terrain et possède une énorme unité de production sophistiquée de cartons, papiers et emballages dans la ville de Yumbo (Vallée du Cauca). Maintenir le volume habituel de production exige 830.000 tonnes de bois par an, cela signifie que chaque jour, environ 300 camions chargés de troncs en provenance des montagnes du centre et du sud-est colombien rentrent dans l'usine. Les conditions géographiques de la Colombie permettent que ces cultures soient plus rentables et productives que dans n'importe quel autre endroit de la planète : Dans des pays à vocation forestière marquée comme le Chili ou le Canada, des plantations semblables tardent quatre fois plus de temps à pousser. La lumière disponible toute l'année et les pluies permanentes sont ce qui rend possible le rendement exceptionnel des pins et des eucalyptus dans les tropiques. Au cours d'une visite en Colombie, Michael Smurfit, ancien président de la multinationale a déclaré : "Dans une industrie comme la nôtre, les grands biens naturels, la forêt et l'eau, sont considérés comme les éléments clés du succès".
Smurfit-Kappa est le groupe papetier le plus grand du monde, avec une implantation dans une vingtaine de pays. Dans ses entrailles, il y a aussi du capital colombien. En 1986, le Jefferson Smurfit Group, dont le siège est en Irlande, a absorbé la Container Corp., entreprise nord-américaine qui contrôlait Cartón de Colombia, fondée en 1944 par des investisseurs colombiens d'Antioquia.
Pourtant, les actionnaires nationaux n'ont jamais perdu leur participation dans la compagnie locale : Le Groupe Carvajal continue à être un actionnaire minoritaire important de Smurfit Cartón de Colombia. La multinationale oeuvre dans le pays à travers un réseau très complexe d'entreprises sous-traitantes, sous contrats ou associées, dont les investisseurs colombiens finissent par associer leurs intérêts politiques et économiques à ceux du capital étranger.
Smurfit a mis en place l'Association Colombienne de Reforestation (ACOFORE). Selon l'enquête du journaliste Walter Broderick exposée dans son livre El imperio del cartón, ACOFORE a déployé un lobby puissant parmi les politiques et les parlementaires pour que soient approuvées des lois à sa mesure, dont la loi de développement forestier qui subventionne avec des fonds publics le secteur de la culture des arbres, sur lequel la multinationale exerçait jusqu'à très récemment un rôle de monopole.
La grande ombre de la papeterie
Cartón de Colombia a soutenu les campagnes de nombreux politiques colombiens, dont plusieurs ex-présidents. Selon le journal El tiempo, l'entreprise fait partie des sociétés au capital étranger et national qui ont soutenu le gouvernement d'Alvaro Uribe et ses campagnes. Concrètement, en 2006, Alfredo Carvajal et Juan Martín Carvajal ont fait des dons de 20 millions de pesos. Ils sont tous deux propriétaires du Groupe Carvajal, actionnaire de Cartón de Colombia. Dans le rapport publié par la Silla Vacia, on notait que le gérent et le président de Smurfit ont également donné de l'argent pour la première campagne de Juan Manuel Santos.
Cartón de Colombia a également soutenu des projets communs avec la Fédération des producteurs de Café et les Corporations Autonomes Régionales, entités qui ont la responsabilité de veiller sur la papeterie. Pour comprendre les liens de la multinationale avec l'establishment local, il suffit d'un coup d'oeil sur le livre "Un demi-siècle qui sème l'avenir", édité par l'entreprise pour fêter ses cinquante ans de présence en Colombie : Une demi-douzaine de Président défilent sur les photos commémoratives de toutes ces années, et une infinité de politiques, chefs d'entreprise et même des militaires prennent la pose avec des dirigeants étrangers et nationaux de la compagnie.
Tous les gouvernements ont accordé ou ratifié des permis pour que la multinationale exploite les forêts vierges du Pacifique dans la région du Bas Calima, au nord de Buenaventura. Entre 1957 et 1974, la compagnie a reçu près de 120.000 hectares en concession, alors que ses propres plantations ne lui suffisaient pas. A partir de ce moment-là, l'entreprise est devenue peu à peu autosuffisante grâce à ses propres cultures, et donc elle a fini par abandonné les concessions avant que ne se termine le délai de 50 ans.
Depuis que la multinationale a abandonné le Bas Calima en 1993, le journaliste australien Walter Joe Broderick a visité la zone et a réalisé une enquête sur la trajectoire de Smurfit dans le pays, publiée dans "L'empire du carton". Dans ce travail, il raconte comment la selva a été dévastée parce que la compagnie a utilisé un système de coupe dit "table rase", qui consiste à couper et extraire tous les arbres du terrain. Les communautés noires et indigènes qui y résident, qui dépendaient des ressources du bois et qui, jusqu'alors vivaient dans une relative harmonie avec la forêt, en ne pratiquant que des coupes sélectives du bois, ont souffert les conséquences sociales et environnementales de ce modèle extractif. Ils ont fini par travailler à la tâche dans des scieries pour la multinationale.
"Beaucoup de monde ne nous pardonne pas d'avoir profité des bois naturels pendant de nombreuses années dans le Bas Calima" admet Ricardo Gómez Londoño, responsable de l'opération forestière de Smurfit dans la zone du Café. "Mais ce n'était pas illégal, et aujourd'hui encore ce n'est pas illégal, des entreprises comme Maderas Pizano continuent à le faire dans le Choco" conclut-il.
De l'exploitation à la plantation
Cartón de Colombia a découvert pendant les années 70 que sa rentabilité augmenterait si elle arrêtait d'employer le bois tropical de la forêt, en le remplaçant par des fibres plus homogènes qui pouvaient être cultivées dans le pays avec une efficacité exceptionnelle. C'est alors qu'ont été mises en route les plantations de pin et d'eucalyptus, les deux espèces étrangères dont les études de la FAO dénonçaient en 1987 les impacts négatifs sur les sols, la biodiversité et les cycles de l'eau. L'entreprise a réussi à améliorer les variétés d'eucalyptus qui atteignent la hauteur de coupe seulement 7 ans après avoir été plantés, et des variétés de pins qui tardent entre 16 et 18 ans. Dans aucune autre zone de la planète, le commerce forestier n'est aussi productif, en raison des conditions privilégiées de lumière et d'eau disponibles dans les tropiques.
A l'échelle locale, les grands et moyens propriétaires fonciers ont loué leurs terrains pour l'installation de cultures forestières à travers des contrats d'association, ou bien ils se sont livrés eux-mêmes à la coupe des bois originaires de leurs propriétés et à semer des conifères qui finissaient coupés dans les moulins de la compagnie. Le modèle associatif, majoritaire quand Cartón de Colombia a commencé son projet forestier, a périclité dans les derniers temps à mesure que l'entreprise acquérait d'immenses étendues de terres qui lui permettent maintenant de s'auto-approvisionner en bois. La compagnie a approuvé en 1974 un plan pour acheter 30.000 hectares de terres en 15 ans. Quarante ans plus tard, c'est plus de 67.900 hectares dans 454 propriétés entre les Cordillères Centrale et Occidentale.
Ces terres se trouvent réparties en proportions égales dans trois noyaux d'exploitation - Nord, Centre et Sud - qui couvrent les départements de Caldas, Quindio, Risaralda, Valle, Cauca et Tolima. Ces près de 68.000 hectares, environ la moitié des plantations de la multinationale dans le monde entier qui représentent un peu plus de 104.000 hectares. Le principal atout forestier de la Smurfit se trouve en Colombie.
Les conséquences
L'autre face de cette rentabilité si fabuleuse, ce sont des cours d'eau affectés et l'impact nocif que les latifundios forestiers ont eu sur les communautés paysannes, dont toute la dynamique sociale et économique a été chamboulée.
Néstor Ocampo est un écologiste de Calarcá (Quindío), opposant reconnu aux plantations forestières. Ocampo est allé jusqu'en Irlande en 2001 pour affronter publiquement Michael Smurfit, le président de la compagnie, pendant une assemblée des actionnaires de la société. Auparavant, il avait accompagné les premiers processus de résistance civile contre les plantations forestières dans le pays : "Nous avons vu le problème des pins à Darién, dans la Vallée du Cauca, depuis 1982" explique-t-il. "Nous pensions que c'était un problème de dégâts environnementaux, mais là nous avons découvert qu'il s'agissait d'une question sociale, avec des implications politiques, économiques et même idéologiques".
Dans les années 80, la population de Darién s'est organisée à travers un comité civique nommé "Non au pin". Ils rejetaient la semence de conifères car leur commune, qui auparavant s'auto-approvisionnait en aliments, était en train de perdre toute vocation agricole : plus personne ne cultivait la terre, les plantations de pin occupaient les terres fertiles, de nombreux journaliers n'avaient plus de travail et cela engendra une profonde crise sociale. Germán Mejía, qui deviendrait ensuite le maire du village, était le leader de cette mobilisation. Mejía a été assassiné par des tueurs à gages en 1997 et sa mort n'a jamais été éclaircie.
Les cas de la dirigeante paysanne Dila Calvo, assassinée à Riofrío en 1995, des écologistes Gloria Sofía Zapata, Eder Alexander et Hernando Duque assassinés à Belén de Umbría en 1998, de la défenseure de l'environnement Sandra Viviana Cuéllar disparue à Cali en 2012, ont des similitudes avec l'assassinat de Germán Mejía. Tous étaient des leaders ouvertement opposés au commerce forestier, leurs disparitions sont restées impunies. Le site Verdad Abierta a révélé en 2015 qu'un juge spécialisé ouvrait une procédure de restitution de terres contre Smurfit Cartón de Colombia, suite à la demande d'un paysan de Bolívar (Valle), qui a expliqué qu'il avait dû vendre ses terres à bas prix en raison de la pression des groupes paramilitaires et des bandes liées au narcotrafic qui opéraient dans les zones.
Une affaire semblable a lieu depuis la moitié des années 90 dans la région du Haut Naya où la multinationale a planté des pins, avec une paire de propriétés qui sont réclamées par une communauté d'indiens paéces, qui occupent le terrain jusqu'à aujourd'hui sans obtenir le titre de propriété. Il y a également des cultures de Cartón de Colombia dans l'hacienda El Japio, où un autre groupe d'indiens exige depuis 2005 que leur soit remis la terre, comme partie des accords avec l'Etat pour la réparation des victimes du massacre del Nilo.
C'est pourquoi le Tribunal Permanent des Peuples, une instance internationale reconnue qui dénonce les violations des droits humains dans le monde, a réalisé en 2007 un jugement public de la multinationale en Colombie en l'accusant d'avoir "une dette écologique, sociale, économique et culturelle avec le pays et l'ensemble de ses habitants, particulièrement ceux qui appartiennent aux communautés où elle a établi ses plantations forestières, installé ses usines de production et complètement dévasté les forêts tropicales et les autres écosystèmes pour alimenter en bois ses fabriques de carton et de papier d'emballage".
Guillermo Castaño, un autre vieil écologiste fondateur du mouvement de défense de l'environnement dans le pays, résume en peu de mots la contradiction des cultures forestières : "Comment est-ce possible que nous échangions la plus grande richesse de notre région, qui a de plus une immense valeur historique et naturelle, pour des cultures qui ne servent qu'à faire du carton ? Tout le monde sait où finit le carton, c'est un produit qui va aux ordures. Nous changeons l'eau en ordure".
Source : Colombia Plural
Traduction: CM
Cartón de Colombia a également soutenu des projets communs avec la Fédération des producteurs de Café et les Corporations Autonomes Régionales, entités qui ont la responsabilité de veiller sur la papeterie. Pour comprendre les liens de la multinationale avec l'establishment local, il suffit d'un coup d'oeil sur le livre "Un demi-siècle qui sème l'avenir", édité par l'entreprise pour fêter ses cinquante ans de présence en Colombie : Une demi-douzaine de Président défilent sur les photos commémoratives de toutes ces années, et une infinité de politiques, chefs d'entreprise et même des militaires prennent la pose avec des dirigeants étrangers et nationaux de la compagnie.
Tous les gouvernements ont accordé ou ratifié des permis pour que la multinationale exploite les forêts vierges du Pacifique dans la région du Bas Calima, au nord de Buenaventura. Entre 1957 et 1974, la compagnie a reçu près de 120.000 hectares en concession, alors que ses propres plantations ne lui suffisaient pas. A partir de ce moment-là, l'entreprise est devenue peu à peu autosuffisante grâce à ses propres cultures, et donc elle a fini par abandonné les concessions avant que ne se termine le délai de 50 ans.
Depuis que la multinationale a abandonné le Bas Calima en 1993, le journaliste australien Walter Joe Broderick a visité la zone et a réalisé une enquête sur la trajectoire de Smurfit dans le pays, publiée dans "L'empire du carton". Dans ce travail, il raconte comment la selva a été dévastée parce que la compagnie a utilisé un système de coupe dit "table rase", qui consiste à couper et extraire tous les arbres du terrain. Les communautés noires et indigènes qui y résident, qui dépendaient des ressources du bois et qui, jusqu'alors vivaient dans une relative harmonie avec la forêt, en ne pratiquant que des coupes sélectives du bois, ont souffert les conséquences sociales et environnementales de ce modèle extractif. Ils ont fini par travailler à la tâche dans des scieries pour la multinationale.
"Beaucoup de monde ne nous pardonne pas d'avoir profité des bois naturels pendant de nombreuses années dans le Bas Calima" admet Ricardo Gómez Londoño, responsable de l'opération forestière de Smurfit dans la zone du Café. "Mais ce n'était pas illégal, et aujourd'hui encore ce n'est pas illégal, des entreprises comme Maderas Pizano continuent à le faire dans le Choco" conclut-il.
De l'exploitation à la plantation
Cartón de Colombia a découvert pendant les années 70 que sa rentabilité augmenterait si elle arrêtait d'employer le bois tropical de la forêt, en le remplaçant par des fibres plus homogènes qui pouvaient être cultivées dans le pays avec une efficacité exceptionnelle. C'est alors qu'ont été mises en route les plantations de pin et d'eucalyptus, les deux espèces étrangères dont les études de la FAO dénonçaient en 1987 les impacts négatifs sur les sols, la biodiversité et les cycles de l'eau. L'entreprise a réussi à améliorer les variétés d'eucalyptus qui atteignent la hauteur de coupe seulement 7 ans après avoir été plantés, et des variétés de pins qui tardent entre 16 et 18 ans. Dans aucune autre zone de la planète, le commerce forestier n'est aussi productif, en raison des conditions privilégiées de lumière et d'eau disponibles dans les tropiques.
A l'échelle locale, les grands et moyens propriétaires fonciers ont loué leurs terrains pour l'installation de cultures forestières à travers des contrats d'association, ou bien ils se sont livrés eux-mêmes à la coupe des bois originaires de leurs propriétés et à semer des conifères qui finissaient coupés dans les moulins de la compagnie. Le modèle associatif, majoritaire quand Cartón de Colombia a commencé son projet forestier, a périclité dans les derniers temps à mesure que l'entreprise acquérait d'immenses étendues de terres qui lui permettent maintenant de s'auto-approvisionner en bois. La compagnie a approuvé en 1974 un plan pour acheter 30.000 hectares de terres en 15 ans. Quarante ans plus tard, c'est plus de 67.900 hectares dans 454 propriétés entre les Cordillères Centrale et Occidentale.
Ces terres se trouvent réparties en proportions égales dans trois noyaux d'exploitation - Nord, Centre et Sud - qui couvrent les départements de Caldas, Quindio, Risaralda, Valle, Cauca et Tolima. Ces près de 68.000 hectares, environ la moitié des plantations de la multinationale dans le monde entier qui représentent un peu plus de 104.000 hectares. Le principal atout forestier de la Smurfit se trouve en Colombie.
Les conséquences
L'autre face de cette rentabilité si fabuleuse, ce sont des cours d'eau affectés et l'impact nocif que les latifundios forestiers ont eu sur les communautés paysannes, dont toute la dynamique sociale et économique a été chamboulée.
Néstor Ocampo est un écologiste de Calarcá (Quindío), opposant reconnu aux plantations forestières. Ocampo est allé jusqu'en Irlande en 2001 pour affronter publiquement Michael Smurfit, le président de la compagnie, pendant une assemblée des actionnaires de la société. Auparavant, il avait accompagné les premiers processus de résistance civile contre les plantations forestières dans le pays : "Nous avons vu le problème des pins à Darién, dans la Vallée du Cauca, depuis 1982" explique-t-il. "Nous pensions que c'était un problème de dégâts environnementaux, mais là nous avons découvert qu'il s'agissait d'une question sociale, avec des implications politiques, économiques et même idéologiques".
Dans les années 80, la population de Darién s'est organisée à travers un comité civique nommé "Non au pin". Ils rejetaient la semence de conifères car leur commune, qui auparavant s'auto-approvisionnait en aliments, était en train de perdre toute vocation agricole : plus personne ne cultivait la terre, les plantations de pin occupaient les terres fertiles, de nombreux journaliers n'avaient plus de travail et cela engendra une profonde crise sociale. Germán Mejía, qui deviendrait ensuite le maire du village, était le leader de cette mobilisation. Mejía a été assassiné par des tueurs à gages en 1997 et sa mort n'a jamais été éclaircie.
Les cas de la dirigeante paysanne Dila Calvo, assassinée à Riofrío en 1995, des écologistes Gloria Sofía Zapata, Eder Alexander et Hernando Duque assassinés à Belén de Umbría en 1998, de la défenseure de l'environnement Sandra Viviana Cuéllar disparue à Cali en 2012, ont des similitudes avec l'assassinat de Germán Mejía. Tous étaient des leaders ouvertement opposés au commerce forestier, leurs disparitions sont restées impunies. Le site Verdad Abierta a révélé en 2015 qu'un juge spécialisé ouvrait une procédure de restitution de terres contre Smurfit Cartón de Colombia, suite à la demande d'un paysan de Bolívar (Valle), qui a expliqué qu'il avait dû vendre ses terres à bas prix en raison de la pression des groupes paramilitaires et des bandes liées au narcotrafic qui opéraient dans les zones.
Une affaire semblable a lieu depuis la moitié des années 90 dans la région du Haut Naya où la multinationale a planté des pins, avec une paire de propriétés qui sont réclamées par une communauté d'indiens paéces, qui occupent le terrain jusqu'à aujourd'hui sans obtenir le titre de propriété. Il y a également des cultures de Cartón de Colombia dans l'hacienda El Japio, où un autre groupe d'indiens exige depuis 2005 que leur soit remis la terre, comme partie des accords avec l'Etat pour la réparation des victimes du massacre del Nilo.
C'est pourquoi le Tribunal Permanent des Peuples, une instance internationale reconnue qui dénonce les violations des droits humains dans le monde, a réalisé en 2007 un jugement public de la multinationale en Colombie en l'accusant d'avoir "une dette écologique, sociale, économique et culturelle avec le pays et l'ensemble de ses habitants, particulièrement ceux qui appartiennent aux communautés où elle a établi ses plantations forestières, installé ses usines de production et complètement dévasté les forêts tropicales et les autres écosystèmes pour alimenter en bois ses fabriques de carton et de papier d'emballage".
Guillermo Castaño, un autre vieil écologiste fondateur du mouvement de défense de l'environnement dans le pays, résume en peu de mots la contradiction des cultures forestières : "Comment est-ce possible que nous échangions la plus grande richesse de notre région, qui a de plus une immense valeur historique et naturelle, pour des cultures qui ne servent qu'à faire du carton ? Tout le monde sait où finit le carton, c'est un produit qui va aux ordures. Nous changeons l'eau en ordure".
Source : Colombia Plural
Traduction: CM